Je ne sais pas ce qui m’a pris cet après-midi, mais avec l’effusion de touristes sur l’île j’ai décidé de me promener un peu, me fondant dans la masse comme si c’était normal. Je ne suis pas agoraphobe, au contraire, j’aime bien les foules. Dans ces moments où je déteste être seule, entre autres, je dois bien l’avouer, sortir en ville me fait du bien. C’est pourquoi je marche, traçant mon chemin au milieu d’inconnus, jusqu’à la grande place, bondée en ce milieu de journée. D’un premier coup d’œil, je peux déjà deviner les attractions les plus populaires de la journée : les manèges et l’aquarium. C’est souvent le cas ces derniers jours aux dires des autres élèves qui fréquentent davantage la ville que moi le jour.
Ne me sentant pas d’attaque pour les montagnes russes, j’oblique vers l’aquarium. Ce dernier est plutôt grand, et bondé pour un simple endroit exposant des poissons aux couleurs certes intrigantes, mais on n’y retrouve rien d’exceptionnel. Pas de requins, pas d’anguilles électriques, pas de piranhas. Rien d’exotique et de dangereux à la fois. Le propriétaire a dû prendre ses précautions en sachant que tous les habitants étant reliés à l’académie, qu’ils soient professeurs, élèves ou membres de la direction, possèdent des pouvoirs magiques assez diversifiés.
Je fais la queue pour acheter un ticket et entre une fois ceci fait. Et regrette instantanément mon choix en faisant quelques pas dans l’enceinte de l’aquarium. Celui-ci n’a pas obtenu son nom sur un coup de tête. Je m’attendais à voir des poissons, certes, mais pas à me déplacer entre d’énormes aquariums remplis… D’eau. Aussitôt, je me crispe et continue mon chemin plus lentement, alerte à tout bruit pouvant m’informer d’une brèche dans un habitat pour poisson. Mon cœur bat la chamade et mes pensées sont toutes tournées vers les aquariums. Moi qui pensais me détendre en visitant ce lieu fortement touristique, je me trompe royalement. Les touristes passent près de moi, prennent des photos des différents poissons, gros et petits, et poursuivent leur route. Moi, je m’arrête sur une passerelle solide en arc au-dessus d’un aquarium de poissons fluorescents. Je sens mon pouls qui s’accélère, mon teint qui devient livide.
Je ne me sens vraiment pas bien.
Et pour agrémenter le tout, une bande de jeunes m’aperçoit. Des adolescents que je n’avais jamais vus avant – des touristes sans aucun doute. Je ne comprends pas trop ce qu’ils disent, je vois seulement qu’ils me pointent frénétiquement. Secouant la tête pour me sortir de mes pensées et me concentrer sur ce qui m’entoure, je finis par entendre un mot. Monstre. J’avais complètement oublié que la nouvelle d’enfants possédant des pouvoirs était parvenue au monde entier. Et sachant que nous sommes presque tous sur cette île, les autres n’ayant pas encore été répertoriés, les touristes savaient que nous existions. Certains venaient uniquement pour nous voir, examiner ce qu’ils considéraient comme des « énergumènes de la nature ». Des parias. Enfin, ce n’était pas tout le monde qui réagissait de cette façon non plus, d’autres étaient émerveillés par cette découverte. Mais pas ces jeunes, de ce que je comprends. Déglutissant péniblement, je me relève et entreprends de continuer mon chemin. Mais trop tard.
Ils accourent vers moi. J’accélère le pas lorsqu’une main m’empoigne le bras. Stoppée net, je comprends que ce n’est pas pour me demander un autographe qu’ils sont là.
« On en a une ! »
Merde. Je me débats, tente de me libérer. Des fous dans leur genre, y en a plein. Et ils ne font pas des câlins eux.
« Lâchez-moi !»
Je panique, mais qui ne ferait pas de même dans ma situation? Déjà que je ne suis pas dans mon élément, en plus je me fais menacer par des touristes? Vraiment, qu’est-ce qui m’a pris de vouloir sortir cet après-midi?
« On devrait la jeter dans l’aquarium, et espérer qu’elle se noie. Elle sait peut-être pas nager, qui sait. »
Je me débats davantage, mais c’est peine perdue. Celui d’entre eux qui me tenait le bras me prend sur son épaule et m’approche de la rambarde. Merde, merde, merde. Pas dans l’eau, pitié !
Le repos, la non-productivité. Une chose qui le faisait souffrir mais qui lui était nécessaire. Ça le déchirait quelque part, les efforts réduits à néant se défilaient d'un goût âcre, profond dans sa gorge. Il ne songeait pas l'interpréter d'une autre manière qu'un sacrilège. Un mal pour un bien en somme. Néanmoins, le concernant, ce n'était qu'une perte de temps. Là où il ne s'entraînait pas pour devenir plus compétent, quelqu'un d'autre s'améliorait à sa place. Son esprit de compétitivité était tordu, et asséné d'une inhabituelle effervescence en ce mois de l'année qui le faisait suffoquer. Il s'était auparavant bien trop reposé pour être enclin à une sieste, là. Puis, avec l'état actuel de son corps, il ne voulait pas se trahir et se rompre autre chose de plus important cette fois en forçant. En entreprenant dans un élan maniaque le grand nettoyage de son quartier du cabanon, il retrouva un ticket gratuit en l'honneur d'une visite dans l'aquarium de l'île. L'endroit sans aucun doute le plus frais de tout les environs, à l'instant t. Il y songea quelques secondes ; c'était loin d'être son délire, et à moins d'y être attiré par une sphère orangée ou des filles en mini-jupes, il ne se voyait pas mettre les pieds dans un endroit aussi... vide de sens. À réflexion près, sa journée était agencée de la même manière. Rien ne lui enlevait le privilège de s'ennuyer au milieu d'écailles... Aussi, il choppa en vitesse ses dernières chaussures hors d'une boîte neuve, un jogging presque moulant et une veste, comblant le tout d'une casquette histoire de prévenir un soleil boxeur et fondit en direction de l'aquarium.
Une masse abondante d'habitants et de touristes lui avaient peint une allée presque trop large en considération de son effrayante carrure alliée à un regard sanguin. Il mit du temps à remettre le contexte à l'ordre des choses, bien qu'averti de la situation et des cas échéants bâtis tout autour du problème Prismver, il ne se doutait pas qu'autant de monde irait allouer si grande d'importance à la différence des autres. Pourtant l'Homme était un être plein de surprise, qui trouvait son existentialisme dans la comparaison et le blâme... Ça aurait pu le faire marrer. Dommage. Dommage qu'un air de tristesse lui trônait sur le visage.
Il s'était finalement aventuré sur les carrelages de l'aquarium, slalomant entre les poissons et les coraux, flambants de millions de nuances. Il se sentait si minuscule parmi ces bassins, il n'abordait, peut-être pour la première fois de sa vie, plus aucun questionnement sur le basket. Désormais, c'est à sa vie à laquelle il pensait. Ce qu'il voudrait en fiche pour le restant de ses jours. Bien sûr, il adorerait que ce sport fasse partie intégrante de sa vie, que l'on scande son nom et qu'il soit lié à fortiori à une carrière professionnelle. Mais... Et si ça ne fonctionnait pas. Et si tout s'arrêtait du jour au lendemain, sans que l'action de se battre n'ait d'efficience. Il pouvait en être sûr, ces breaks lui foutait réellement le moral à plat. Il sentait ses épaules s'écrouler, son souffle se bloquer...
▬ Fait chier...
Il avait, au préalable, affronté les appréhensions douteuses des étrangers à l'île en baguenaudant ici et là. Des enfants aux personnes âgés, ils n'avaient témoignés d'aucune retenue pour le toiser. Y mettre un terme était d'ailleurs, chose impossible. Un remue-ménage aisément distinguable parvint jusqu'à ses oreilles. À quelques mètres de lui, près d'un bassin entreposant des anémones, une marre de mecs de son âge étaient attroupés autour d'une brune perturbée par leur intervention peu recommandable. On en a une. Une. Ça devait forcément faire référence au pourquoi de leur venue sur cette île. Cette fille devait sûrement appartenir aux élèves de Prismver. Une camarade, en somme. Il était loin de se sentir l'âme d'un héros aujourd'hui. Ce n'en était d'ailleurs pas un. Toutefois, il lui fallait apaiser ses doutes, par les coups s'il le fallait. T'façon, il ne savait rien faire d'autre.
▬ Oï, vous jouez à quoi, là ? Lâcha-t-il en les surplombant d'une tête. ▬ Hein ? C'qui cette montagne rousse ? ▬ Haha ! Une montagne rousse ouais ! Qu'est-ce tu veux péquenaud ?
Son attention darda en direction de la gonzesse en détresse, blême, puis se redressa sur ses hôtes. Y avait pas à s'emmerder avec des idées stupides, ces types perdaient juste leur temps. Il fit craquer ses phalanges tout en adoptant son air le plus sinistre.
▬ Que fait le cochon lorsque le loup lui croque le groin ? Sur ses paroles, il souleva d'une main ferme l'un des types par le haut du crâne, il chiale, comme tout l'monde... Pour finir par le balancer dans l'étendue d'eau, au-dessus de regards ébahis. Qui d'autre veut se farcir le grand méchant roux ? ▬ Woah ! Qu'est-ce que tu fous !? Sortez le d'là, ce type est malade !
Le schéma commun. Ils allaient finir par fuir. Ils fuient tous, au final.
Je suis surprise d'enfin voir un sauveur parmi les membres de la foule. Un grand jeune homme roux, que je pense avoir déjà croisé quelque part. Sûrement quelqu'un de l'académie? C'est une question absolument futile dans le contexte actuel, sachant que je n'ai jamais appris à nager et que je suis sur le point de me faire jeter dans un énorme bassin d'eau. S'il passe à l'acte, squirk. Plus de Joy, nada.
Je regarde mon sauveur agripper l'un des jeunes par la tignasse et l'envoyer valser plus loin d'un simple coup de bras, pile dans le bassin. Sort qui m'était à la base destiné. Complètement subjuguée par autant de force, je ne réalise pas tout de suite que la bande d'ados se disperse, celui me tenant aussi. Ce qui a pour conséquence de me faire tomber lourdement sur le sol, dans un bruit sourd. Je ne suis pas lourde, mais l'effet de hauteur a eu raison de mon poids normal.
« Aouch ! »
Je me redresse difficilement, massant ma chevelure brune et tâtant mon crâne en quête d'éventuelles ecchymoses. J'époussète par ailleurs mes vêtements, bénissant le fait que j'aie choisi des mini-shorts au lieu d'une mini-jupe, et m'approche du mec m'ayant sauvé la peau des fesses.
« Hey ! Merci pour le coup de main, j'ai vraiment cru que j'allais y passer. Je t'en dois définitivement une. »
Avant que la situation ne devienne trop étrange, je lui souris et pense à me présenter.
Le ton morose et plongeant de sa voix accompagna l'affolement, la fuite, la rancœur qui décorait le galop de ses victimes. Il les voyait piquer plus loin, eux et ainsi que sa précédente proie, toute d'eau repeinte. Il se reteint de pouffer de rire en constatant la misère qui s'était abattue sur elle. Une misère nommée Chandler. Il se surprit tout de même à en redemander. C'était une requête dont il était issu, quoiqu'il en soit. C'est vrai que depuis son arrivée à Prismver, il en avait fracassé de toute les couleurs et de toute les tailles. Ceux-là s'avéraient plus couards, malheureusement. Pas de bol. Qui sait de quel grabuge il aurait pu se tirer s'ils auraient osé répondre. La diplomatie était loin d'être son fort. Et il ne lui demeurait pas pire défaut que celui de réagir au quart de tour. Il s'en sentait parfois ridicule, ça lui tapait sur les nerfs de songer qu'aux yeux de tous, il n'était qu'une brute. Puis, dans le fond, qu'est-ce qu'il en avait à foutre concrètement ? Le manque de pratique le mettait de mauvaise humeur. Il sentait les bienfaits que le repos pouvait lui apporter, mais se détestait de rester dans l'inactivité. Se tourmenter pour si peu lui mâchait les neurones avec hargne.
▬ Hey ! Merci pour le coup de main, j'ai vraiment cru que j'allais y passer. Je t'en dois définitivement une.
Il arqua son corps vers la fille prise entre les mailles tantôt, et resta interloqué quelques instants. C'était forcément une des élèves du pensionnat, elle paraissait bien trop habituée au climat pour provenir d'ailleurs. Il la dévisagea et perdit presque l'équilibre face à son ennemi juré : le mini-short. Il cru chanceler avant de détourner le visage, rouge. Voilà qu'elle sur-enrichissait en le gâtant d'un sourire angélique auquel on ne pouvait rien reprocher. C'était bien sa veine, les filles étaient à Chandler ce que la Kryptonite pouvait être à Superman. Il en voyait tout son tact défaillir en flèche.
▬ Je m'appelle Joy au fait, et toi?
Joy. Ça lui semblait presque familier. Un si petit mot pour décrire une vague d'engouement et de bien-être. C'que ça pouvait être ironique.
▬ Joy... C'est une joie de faire ta connaissance. Il n'y avait pas plus prévisible que son manque de tact alourdi d'un humour bien masculin. La finesse était loin de le tuer, tandis qu'il insistait sur son jeu de mot sans valeur, il approcha son visage de la brune. CHAN-DLEEER. Articula-t-il, les joues gorgées d'un écarlate aussi voyant que le grain de ses cheveux. Il se redressa, les yeux tombants. T'es d'Prismver, c'est ça ? Siffla-t-il en tentant de regagner son calme.
Dire que je n’ai pas remarqué l’effet que je lui fais serait mentir. Il rougit, et bien évidemment je vois. Mais qu’il n’ait crainte, je ne suis pas le genre de fille qui s’en amuse. Et puis il est mignon, donc je ne vois pas pourquoi je me moquerais de lui dans une telle situation. J’ai un minimum de respect tout de même, il ne faudrait pas croire le contraire. Je ne peux m’empêcher de rire suite à son jeu de mots fait avec mon prénom. Il n’est certes pas le premier à le faire, mais ça m’amuse à chaque fois. Quelque part, je me dis que mon nom n’est pas étranger à ce qui me caractérise le plus.
J’enregistre son prénom à lui, m’amusant du fait qu’il l’ait articulé à l’extrême. Il ne s’en rendait peut-être pas compte pour le moment, mais il était marrant malgré lui. À moins que ce ne soit prévu? Ça m’étonnerait. On ne sait jamais, hein. Et le rouge sur ses joues le rend vraiment adorable. Peut-être même trop adorable pour un mec qui vient de faire fuir une bande de jeunes touristes.
Je réponds à sa question en étirant mon sourire, lui faisant comprendre qu’il avait déjà la réponse à sa question.
« Oui, et toi? »
Je me doute d’ailleurs de sa réponse à lui, me disant toutefois qu’il pourrait bien être un simple humain aux valeurs chevaleresques. Mais mon instinct ne me trompe pas souvent, et celui-ci me pousse à croire qu’il est du pensionnat lui aussi. Je m’approche davantage de lui, les yeux vers le sol, puis plonge mon regard dans le sien une fois à moins de deux pas de distance de lui.
« On devrait poursuivre notre chemin ou sortir pour pas trop attirer l’attention. Du moins, si ça te va, j’aimerais bien continuer de te parler. »
Je reste franche après tout, et je trouverais dommage de le laisser en plan, comme ça, alors qu’il vient de me sauver la vie. Je lui dois bien ça. Mais si en retour il préfère continuer son chemin sans moi – après tout il est venu à l’aquarium à la base pour lui-même, pas pour moi puisqu’on ne se connaissait pas – je ne m’y opposerai pas non plus. Suffit de voir ce qu’il y a de mieux à faire dans cette situation.
Il était tenu par sa candeur et chancelait sur un fil suspendu entre le double abîme d'une pseudo-passion et d'une frousse risible. Ce qui avait motivé ses actions, pas grand chose si ce n'était la fierté et la vantardise. Il n'y avait aucun véritable mérite à cela, mais il se contentait de son sourire radieux pour stimuler ce qui lui restait de joie dans le cœur, surtout en ce moment. Il oublia quelque instant la peine qui lui soufflait sur les jambes et celle qui parcourait son être. Ses bagages allaient, de toute manière, être bientôt faits. Cette fortuite rencontre lui avait retiré le goût âcre de l'amertume et l'aidait à tenir le coup. De son côté, elle semblait presque fascinée par lui. C'est ce qu'il se permit de penser. Le regard plongé dans le sien, Chandler se sentait vaciller sans comprendre. Il était vraiment fragile à ce niveau là. Ses guibolles tremblaient, ce n'était pas faute de sa convalescence, non. Il se savait pâlir à mesure qu'elle se rapprochait de lui, et perdit en quelques secondes toute la maturité qu'il s'était essayé à emprunter à ses devants.
▬ O-Ouais... Il reculait un peu. J'suis en classe B, actuellement.
Puis mince, elle était vraiment proche. Il passait d'une moue à une autre sans comprendre, comme prit à vif par ses sentiments. Il ne reculait pas face à une mêlée armée mais quand il s'agissait des filles, le voilà affolé comme le plus vulnérable des agneaux. Il fit le tour de l'environnement, à droite et à gauche, pour chercher une aide quelconque, sans doute ? Enfin, il fut extirpé de son bain d'illusion par la mielleuse voix de Joy.
▬ On devrait poursuivre notre chemin ou sortir pour pas trop attirer l’attention. Du moins, si ça te va, j’aimerais bien continuer de te parler.
Un ultimatum. Du moins, c'est ce qu'il en déduisait. Sa conception des choses s'était attelée à réduire au plus simple, le plus compliqué. Il aurait voulu se forcer à rester auprès d'elle, mais son corps, dorénavant, bougeait de lui-même. Elle aimerait bien continuer sur sa lancée avec lui. Un brouhaha d'interrogations lui bazardait la tête alors qu'il tournait les talons, en perdant tous ses moyens.
▬ Écoute, euh j-je... Je... J'ai un truc, j'me rappelle, non, j'ai un truc sur le feu je dois y allez haha ! Faut pas que ça refroidisse ! F-Fin que ça brûle ! Prends soin de toi Joy, et fais gaffe à l'avenir. C'était un plaisir !
Sur ses mots, il s'évanouissa entre la foule et la poiscaille, suant de malaise, se détestant d'être aussi couard. Du reste, ce qu'elle en penserait, il préférait ne pas l'imaginer...