Aujourd’hui encore, le monde est gris, foncé, inchangé. Le réveil se teinte d’une seconde d’ignorance, maigre vestige d’un espoir disparu. Mes yeux fermés s’ouvrent, nus sous une brise froide qui me fait frissonner avant de me confronter à une vérité habituelle. La conclusion est là, se pavanant d’un sourire ironique comme une âme noircie et devenue sarcastique sous la pression d’une vérité que le quotidien lui rappelle. Je déglutis, avale ce sentiment amer dont je devrais avoir l’habitude et dépose mes lunettes sombres sur mon nez comme une signature, une résolution. Aujourd’hui encore, le monde est gris, foncé, abstrait.
J’ai rendez-vous avec Ezéchiel, ce matin. Un début de week-end, le sentiment hypocrite d’une paix temporaire, menteuse, vite transformée en l’attente de la semaine suivante. Le cercle vicieux m’accable et je me promets de coucher ces pensées par écrit lorsque j’en aurais l’occasion. Cette journée, ce n’est pas à la littérature qu’elle est dédiée. Cette journée est un mensonge, comme l’énième volume d’une collection de gros livres que personne ne lira mais qui sert d’excuse à la bibliothèque - comme une diversion pour les écrits intéressants sagement disposés sur les inaccessibles étagères. Cette journée, je resterai éveillé, ce Loki qu’on aime tant, mensonge instinctif devenu presque naturel à force d’en éprouver le besoin. Même mes pensées sont perverties - seuls mes gestes ne mentent pas lorsque je suis livré à moi-même, dans cette lenteur caractéristique, prudente, comme si j’étais la dernière personne à vouloir prendre soin de moi. Il me faut du temps, une bonne heure - une longue douche, le choix de la tenue tandis que je coiffais mes cheveux en une mèche parfaite.
Un t-shirt clair et simple, un pull à la teinte plus sombre - une casquette vient visser le haut de mon crâne avant que je ne sorte de mon espace intime. Ma chambre, personne n’y rentre. Elle est comme un mur de pensées invisibles - si je le pouvais, je le couvrirais de post-it à l’effigie de mes pensées, transformerai cet espace de repos en une réflexion plus profonde, personnelle, unique, comme un sanctuaire. Mais je ne peux pas. Le monde est trop sombre ; le doute m’accable, la possibilité d’un regard intrus, de cet espace transparent et si facilement accessible. Je ferme ma chambre à clef en sortant et me désole de cette inaccessible volonté. Les mots dansent dans mon esprit, l’envie d’appliquer cette volonté malgré les circonstances - mais personne ne doit savoir. Personne ne peut comprendre et je ne dois pas même leur offrir de luxe d’y penser.
Un signe de main aux colocataires présents, mon pas hésitant me conduit dans le couloir grisant, observe les silhouettes alentours. Il pourrait être là, si proche, briser le silence de ma vie sur un doute, une envie, une erreur invisible à mon regard. J’accélère le pas, voile mon corps de cette illusion doucereuse, comme un réflexion, un parfum rassurant. Je connais cette île par cœur, le moindre couloir, le nombre de pas, toutes les formes des bâtiments. Je reconnais les odeurs, les sensations, les températures - et je n’ai pas d’hésitation lorsque je traverse la ville comme une ombre, comme des larmes souriantes derrière la noirceur des verres protecteurs. Personne n’a besoin de savoir, personne n’a besoin de s’y intéresser. Mon amitié pour Ezéchiel se perd dans une mer de mensonges, de doute, de ce cran de sûreté qui semble tout blanchir comme de l’argent sale. Je ne sais pas si je peux me permettre d’éprouver le moindre attachement mais je le veux, c’est pour ça que je suis ici. C’est pour ça que je suis assis à la table de cet établissement vintage, à peine aussi apprécié qu’il le devrait - sans pouvoir l’apprécier autant que je le voudrais. Et je l’attends, patient, impatient. Toujours en avance, parfaitement installé comme une force de la nature, un fait inexorable et si naturel qu’on ne veut pas le remettre en question.
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Sujet: Re: blink // ezéchiel Jeu 23 Nov 2017 - 22:35
i was an angel living in the garden of evil
i'm bigger than my body
Sourire aux lèvres et doigts qui se perdent dans les airs quand tu le regardes une dernière fois, alors que tu sors de la chambre, ajustant ta veste pour rejoindre le froid aux prémisses de cet hiver qui s'annonce.
Un pas devant l'autre, tu choppes ton téléphone dans l'une de tes poches pour t'occuper l'esprit pendant le trajet -- et tu marches, marches, marches sans dévier ta direction, sans faire demi tour, sans faire de détour ; non, Ezéchiel, tu marches, marches, marches - bien décidé à le rejoindre, bien décidé à guérir, bien décidé à reprendre ta vie en main.
t'as grandi, Ezéchiel, t'as grandi et mûri
Tu guérissais et tu te forçais à guérir plus vite, à t'injecter l'antidote de ce poison terrible, en sortant, en parlant, en riant, en apprenant -- et tu détestais ça, t'avais envie de t'emmurer dans le silence et de ne rien faire, comme cet épisode de ta vie, cette dépression terrible après la mort de ta sœur ; sauf que ce n'étais pas toi, c'était la maladie qui parlait à ta place, c'était cette dernière qui te glissais à l'oreille bien d'autre alternative plus simple, plus calme, plus tranquille - et t'avais envie de la faire taire, de lui faire fermer sa gueule à cette salope --
-- alors tu bougeais, tu allais en cours, tu riais, tu sortais, tu restais avec Killiam, tu rendais visites à Narcisse, passait du temps avec les Blasters, tu t'amusais avec Désirée, tu parlais avec Abigail, tu respirais avec Alaskka, tu invitais Aslinn - et tout les autres, tout ceux qui arrivait à t'apporter cette parcelle de joie, ce grain de bonheur, cette légère esquisse sur le bout des lèvres, tel que Kamyl, Lance, Othello ou même Warren, tout ceux-là, tu restais un peu plus longtemps, tu lâchais une phrase un peu plus longue, un rire un peu plus fort dans ces couloirs qui formaient ta maison, qui abritaient ta famille, tes amis ; l'amour de ta vie.
Tu te forçais à être toi-même.
— Hey !
Aujourd'hui, aujourd'hui, tu voyais Loki -- Loki et ses lunettes noires, Loki et ses cheveux blond ; et toi et tes questionnements, tes interrogations, cet intérêt poli que tu lui avais toujours offert, parce qu'il t'avais toujours intrigué, un peu de la même façon que t'avais intrigué Killiam au tout début, mais d'une façon indéfinissable, d'une façon plus distante, moins intéressé, plus poliment détourné, comme un besoin de satisfaire ta curiosité personnelle -- parce que Loki est plus que Loki, plus qu'un beau garçon avec des lunettes noires et des cheveux blond, plus que de beaux vêtements et d’innombrable connaissances, il est plus que ça et t'en as la certitude - après tout, pour toi, tout le monde est toujours plus que ce qu'il semble être.
Positivement et négativement.
Alors tu le rejoins, tu t'assois à côté de lui en glissant ton portable sur la table, tandis que tu ne le lâchais pas du regard, avec ce sourire d'enfant collé au visage ; venir le voir avait été le plus difficile, maintenant que tu te trouvais à ses côtés, tu te sentais mieux, tu te sentais bien.
— Tranquille ?
Pas un ça va ? pour éviter un et toi ? plus pour lui que pour toi, parce que ton état n'était plus vraiment un secret pour tout le monde et parce qu'au fond, tu allais vraiment bien, tu allais vraiment mieux, tu voulais juste l'empêcher de lui faire penser le contraire. Alors tu t'assoies plus confortablement contre le dossier de la chaise, sans te départir de ce sourire qui t'illumines et qui te donne des traits adorables trop parfaits et trop trompeurs quand tu t'y mets --
-- mais tu l'aimes bien, alors ils sont vrais.
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Sujet: Re: blink // ezéchiel Ven 24 Nov 2017 - 22:23
ezechiel & loki blink
Il y a cette étincelle, ce sentiment unique, cette boule au ventre. Il y a ce ressenti, cette empathie secrète, des échanges de regards, d'attention, ce rendez-vous à peine logique devant une connaissance si restreinte, une amitié si soudaine. Le mystère épaissi par leurs associations, une envie mutuelle de savoir et cette honnêteté qui brûle l'extrémité d'une langue gelée dans les mensonges. Ce n'est pas un sentiment impulsif, l'adrénaline du rendez-vous ni le ton de sa voix aussi étrange que bien mené. Quand le monde nous ferme les yeux, tout devient plus clair, précis, révélateur. Une silhouette sur la droite se révèle, je tourne ma tête vers le propriétaire et je n'ai pas besoin de croiser son regard pour connaître ses intentions. Tout est clair, vif, débordant sur l'extérieur. Tout est au contraire d'Ezéchiel qui se pavane en promenant une vérité si évidente qu'on douterait presque de son authenticité.
Un café, s'il vous plait.
Je tourne mon regard vers Ezéchiel, marque une pause pour laisser le temps de passer sa propre commande. Le jeu en suspens, reprend aussitôt et ce court instant m'a suffi pour calquer ma voix sur ce même ton monotone, insouciant, si naturel tant j'aimerais pouvoir l'utiliser avec franchise. Ce n'est pas une vérité dépendante de mes goûts mais l'expression d'une détermination nécessaire - car dans ma vie, les responsabilités en viennent à étouffer mes désirs. Quand on a trop de choses à faire, on ne peut pas se permettre de s'en remettre à ses préférences. Quand la cruauté écrase les plantes sous un talon ravageur, on ne peut qu'espérer s'en remettre à cet engrais amer, si faux et toxique qui consiste l'unique espoir d'un naturel sans lequel il n'aurait pas germé.
Tranquille, même si je suis pas encore tout à fait remis de la cuite d'avant-hier. Quelle idée d'aller boire un jeudi soir.
Menteur, menteur, menteur. Et à part cette voix légèrement cassée, rapée par le remord. Mon esprit est clair parce que je ne peux pas me permettre de m'égarer trop longtemps, de perdre le contrôle - comme ces noms sans trop d'intérêt que je suis censé oublier mais qui me restent en mémoire, comme ces petits détails insignifiants au cœur de certaines réflexions.
T'as l'air d'aller mieux. On a dû te le demander trop de fois alors je réponds à ta place. Si j'ai raison tant mieux, sinon t'es bon acteur, dans tous les cas c'est un compliment.
Car il y a eu les rumeurs, les informations, la curiosité au cœur des discussions. Parce qu'il n'y a pas le temps de s'attarder sur la politesse quand l'inquiétude est au cœur de la discussion. Le bruit de la tasse délicatement déposée sur la table me fait presque sursauter et je murmure un remerciement distrait tout en gardant mon visage face à celui d'Ezéchiel. C'est étrange de le voir dans un tel environnement, assis, presque trop sage comme un gigantesque volatile qui ne saurait se déployer dans un petit espace. Je lui associe cette image pétillante, non pas brillante parce qu'il lui arrive de chanceler, tituber, clignoter - mais il se maintient sur cette voie inébranlable, identique à lui-même comme cet aimant de vie inégalable.
Tu nous a prévu quelque chose pour aujourd'hui ? Je me doute que tu ne m'as pas rejoint simplement pour discuter. Mais peut-être que je me trompe, tu donnes toujours l'impression d'avoir une idée derrière la tête.