Le caillou roule dans l’herbe. Les mains dans les poches, Erwan fait les cents pas. Parce que ça caille en cette saison. Et surtout parce qu’il n’arrive pas à tenir en place. Jamais. Toujours besoin de courir à droite, à gauche. Il a de gros soucis de concentration. Ainsi, il papillonne. Il n’y a que le sport qui arrive à peu près à le canaliser. Et encore, il a un peu tout testé avant de trouver le truc qui lui correspondait vraiment. Les arts martiaux, dude. Parce que cette petite loque rousse a vraiment besoin d’apprendre à se défendre. On ne compte plus le nombre de cicatrices qu’il a écopé suite à des « malentendus ». Mais désormais, il a 18 ans, des potes géniaux, quelques petites amies enfin si on peut les dénommer ainsi – disons des aventures- et un objectif à la sortie du pensionnat. Bon, faut dire que les notes, ça plafonne pas. Il est pas en D pour rien. Mais t’façon, si on sèche les cours pour aller aider la cuisinière, c’est sûr qu’on ne peut récolter que ce qu’on a planté. C’est-à-dire pas grand-chose dans son cas. Il a essayé de s’en sortir hein. Il a fait quelques progrès suite à sa rencontre avec Skylee. Elle est en B et elle s’est donnée pour mission de le remettre sur les rails. Mais bon, quand on est avec quelqu’un qui a la capacité de travail d’un bigorneau, on est très vite attiré dans d’autres contrées. Au-delà de cette relation d’entraide, elle est devenue pour lui une véritable amie. Une amie pour qui –il faut l’avouer – il craquait légèrement. Il s’était établi une belle complicité entre eux. Ils s’amusaient et arrivaient à allier devoirs et détente. Tout était au mieux dans le meilleur des mondes quoi.
Puis un jour, plus rien. Silence radio. Eux qui ont éprouvé leur LMS à force d’aller-retour, ce n’était plus que Memphis qui faisait les trajets. Il revenait bredouille généralement. Le garçon se dit dans un premier temps qu’elle devait être surchargée de travail. Puis les jours passèrent, encore et encore. Il s’aventurait parfois dans leur couloir qui puait le sérieux et les balais dans le cul mais quand il parvenait à l’apercevoir, elle l’ignorait. Royalement. Il pensa d’abord que c’était par rapport à leur différence de classe. Certaines de ses amies pouvaient être ségrégationniste (oula, compliqué comme mot pour lui). Or, au bout d’un moment, il fallait se rendre à l’évidence ; elle ne voulait plus de lui. Et les notes de l’irlandais en pâtissaient. Il ne pensait pas que cette soudaine distance puisse autant le mettre à mal. Il pensait souvent à la petite blonde. À leurs rires échangés dans la bibliothèque alors que la vieille bique leur balançait des regards noirs. Elle lui manquait.
Il lui avait donné rendez-vous. Et il espérait de tout cœur qu’elle s’y rendrait. Même pour lui en foutre plein la gueule, juste pour comprendre qu’est-ce qui avait fait tout déraper entre eux. Et elle avait déjà presque une heure de retard. Mais Erwan ne voulait pas lâcher. Il ne rentrerait pas. Pas tout de suite. Alors il tournait en rond comme un chien en cage, se tordant les mains pour se déstresser. Parce que oui, monsieur était stressé. Parce qu’une fille, ça laisse rarement une dernière chance. Alors même s’il ne sait pas ce qu’elle lui reproche, faut qu’il assure. Faut qu’il soit au top quoi qu’il arrive. Même si c’est elle qui a tort, il sait par expérience qu’il vaut mieux baisser la tête et se soumettre si on tient ne serait-ce qu’un petit peu à cette personne. Et pour le coup, il l’aimait vraiment cette petite-blonde-qui-sait-tout-sur-tout. La seule qui a cru en lui en voyant autre chose que le demeuré immature qu’il est.
Une semaine, deux ou trois ? Je ne savais plus trop, d'ailleurs ça m'était égal qu'un imbécile s'entêtait à m'envoyer des messages via nos lézards. Il était hors de questions que j'y réponde, je ne comptais faire marcher Queen juste pour ce mec stupide, bidon, et pleins d'autres défauts que j'éviterais de citer, je m'étais suffisamment amusée ces dernières semaines à établir des listes haineuses remplies de tous ses défauts. Mais je ne me sentais pas mieux, c'était ça le pire, c'est que j'avais beau l'ignorer de la pire manière qu'il soit j'avais toujours cette sorte de rage que j'avais ressenti lorsque je l'ai vu embrasser comme un gros vieux porc dégueulasse une autre fille, le pire c'est qu'elle était même pas belle d'abord. C'est vrai quoi, le fait qu'il en embrasse une autre c'est supportable – quoiqu'en faites non, mais une mocheté comme elle, désolée mais c'est vexant. Et après ça il avait le toupet de me demander si je pouvais le rejoindre ce lundi là à 15 heures dans la cour intérieure... Mais oui bien sûr, et j'y gagnais quoi de toute manière à y aller, hein ? Ah, peut-être qu'il comptait me présenter sa nouvelle petite-copine ou quelque chose comme ça ? Il était hors de question que j'y aille... Mais la curieuse en moi était bien trop grande, fallait au moins que j'aille y jeter un coup d'oeil. Je me levai de mon lit avec la tête qui tourne et enfilai mon uniforme, et dire que j'aurais pu passer ma journée à dormir, il fallait que je me rende à son foutu rendez-vous. J'enfilai ma veste d'uniforme et enfoui un élastique dans ma poche de veste avant de quitter mon dortoir, traversant l'école pour me rendre à cette fameuse cour intérieure.
Arrivée, je jetai un petit coup d'œil à ma montre, j'avais bien une heure de retard mais tant pis, je ne pouvais que dire bien fait pour lui. Pas de filles ? Tant mieux. D'ailleurs au loin je pus apercevoir la chevelure rousse de Erwan, je n'avais qu'une envie maintenant que j'étais là, c'était de m'enfuir mais bon ce qui est fait est fait, autant allez jusqu'au bout pour ce coup là. Le voyant s'approcher de moi avec hâte, je détournai le regard et parti de mon côté comme si je ne l'avais pas aperçu, bien que je pense qu'il avait bien vu que je l'avais remarqué, mais je continuai de faire comme si de rien était, en me baladant dans la cour intérieure, regardant autour de moi. Intérieurement je réfléchissais déjà à comment l'incendier, sans lui en coller une bien que l'envie soit là. Voir un peu trop présente. Je pris finalement la décision de me tourner face à lui après cinq bonnes minutes de marche inutile, fallait le dire on tournait en rond depuis un bon moment déjà. Et finalement je succombai à ma précédente envie, à peine tourner que je lui collai une gifle sur sa joue, la plus forte qu'il ait reçu dans vie je ne sais pas, mais au bruit et à la trace qu'il avait, elle était très forte, oui.
- Et encore j'ai été gentil connard ! Je pris une grande bouffée d'air, je pense que je vais me mettre à la boxe, ces temps-ci j'ai réellement besoin de me détendre ou plutôt de me défouler. - Je sais même pas pourquoi je suis venue, je n'ai absolument rien à te dire mis à part que je te déteste, vraiment. Non à vrai dire je ne sais pas si je te déteste toi ou le fait que tu ne saches pas pourquoi je te déteste. Bref, pourquoi voulais-tu qu'on se voit ? Et ose même pas me reprocher mon retard, soit content que j'ai bougé juste pour toi.
Et enfin, il entraperçoit ce qu’il espérait tant. Une chevelure d’une clarté étincelante. Son cœur fit un soubresaut dans sa poitrine. Un sourire lumineux étire ses lèvres mais laisse rapidement place à une grimace d’incompréhension. Elle l’a vu, il en est sur et pourtant, elle s’en va. Oh. Erwan n’a pas besoin d’être en A pour comprendre que quelque chose cloche. Alors il décide d’entrer dans son petit jeu parce que voilà, il n’a rien à perdre. Dans un soupir exaspéré, il entreprend donc de suivre ses pas.
Un, deux, trois. Trop bon le timming. Sa main délicate s’écrase sur sa joue. Sa mâchoire craque sous le coup de la gifle et il reste pendant quelque seconde bouche ouverte, tâtant l’articulation comme pour vérifier qu’elle ne l’avait pas déboité. Wow, mais c’était quoi son problème ?!
- Et encore j'ai été gentil connard ! Quoi, quoi quoi ? C’était lui le connard ? Elle venait de lui mettre une beigne et c’était lui le connard ? Ses prunelles se firent plus sombres. Qu’avait-il fait pour mériter cette gifle qui lui irradiait encore la joue ? Un grognement monte dans sa gorge. Erwan est gentil, il est adorable mais il reste un animal. Et quand on fait du mal à une bête, elle riposte. Par peur. Pour se défendre. Ou dans le cas plus complexe de l’humain, pour se venger. Mais ayant des valeurs, il se contente de serrer les dents et écouter son petit discours de jeune vierge effarouchée.
- Je sais même pas pourquoi je suis venue, je n'ai absolument rien à te dire mis à part que je te déteste, vraiment. Non à vrai dire je ne sais pas si je te déteste toi ou le fait que tu ne saches pas pourquoi je te déteste. Bref, pourquoi voulais-tu qu'on se voit ? Et ose même pas me reprocher mon retard, soit content que j'ai bougé juste pour toi.
C’est encore pire que tout ce qu’il avait imaginé. Il voulait juste la revoir. Il voulait juste prendre de ses nouvelles et jouer son rôle d’ami mais en échange, il obtenait quoi ? Un retour de flamme. Ses mots le blessèrent, profondément. Et par réflexe, il referme sa coquille. Il va jouer à l’imbécile, au mec qui ne pense qu’avec son entrejambe, au genre de type qui fait particulièrement fuir les demoiselles.
« - Je m’excuse d’avoir voulu prendre de tes nouvelles parce que je m’inquiétais pour toi. Mais tu peux partir hein, puisque ma présence a l’air d’autant t’horripiler. »
Il croise les bras et lève la tête en air de défi. Lui aussi peut jouer l’animal blessé. Mais il ne cédera pas de la violence. Il en a trop souffert. Les mots pouvaient d’ailleurs avoir – dans ce genre de situations - une force démultipliée. Et il comptait bien en user.
- Je m’excuse d’avoir voulu prendre de tes nouvelles parce que je m’inquiétais pour toi. Mais tu peux partir hein, puisque ma présence a l’air d’autant t’horripiler.
Je penchai la tête sur le côté et gardai le silence pendant un petit moment, pas qu'il soit parvenu à me clouer le bec avec une simple phrase, alors là non loin de là cette idée même, mais je me posais qu'une seule et unique question. Devais-je rire ? Ou bien lui en coller une seconde sur son autre joue histoire de lui remettre les idées en place ? De base, la violence n'était pas trop mon dada mais si c'était comme ça je n'hésiterais pas à en user. Quoique, ce serait un tel gâchis d'abîmer mes ongles pour lui. Puis, lui s'inquiéter pour moi ? Il ne semblait pas trop l'être quand il embrassait l'autre fille dont je ne sais même plus, enfin même « pas » carrément je ne l'ai jamais su, le nom. Peut-être ces temps-ci il était en manque et il avait besoin d'un potentiel bouche-trou ? Ou bien tout simplement pour aujourd'hui ? Ou tout simplement ses notes ont baissés de manière considérables depuis que je l'évite, hm.
- Partir ? Ne me tente pas... Lâchai-je avec un sourire sarcastique au coin des lèvres, oh je n'allais pas partir maintenant bien que l'envie soit présente, vous vous imaginez, j'aurais donc fait tout ce petit chemin pour repartir à peine arrivée ? Npn, vraiment ça serait stupide. Mon sourire disparut lentement et je baissai les yeux, fronçant légèrement les sourcils, rien qu'à penser à la petite scène qui s'est déroulée il y a deux ou trois semaines, j'avais envie de vomir, ou bien de lui cracher au visage... Mais le plus énervant restait le fait que je me sois imaginée des choses, j'ai été conne et je ne l'assume absolument pas, c'est une raison de plus pour m'énerver contre lui, je suis tombée amoureuse d'un gars qui en a rien à foutre de moi, des filles même en général. J'ai été bête comme toutes les autres filles qui l'ont aimé en fait, j'ai honte.
- Et bien je vais bien si c'est ce que tu voulais savoir, pas de quoi s'inquiéter. Je t'ai manqué ? Tu veux un câlin peut-être ? Ou encore mieux, que je t'embrasse ? Je levai les yeux au ciel comme agacée et me tournai.
Du regard, je cherchai un banc sur lequel s'asseoir, et une fois que je l'eus ciblé, je m'y assis, regardant mes mains presque rouges à cause du froid, depuis que j'avais sorti l'une de mes mains pour le gifler, j'avais carrément oublié de la mettre à nouveau dans mes poches, résultat elles étaient gelées. Je les frottai l'une contre l'autre, toujours en réfléchissant à la situation de maintenant, comment cela se faisait-il que j'étais toujours énervée ? J'ai passé plus de deux semaines à le maudire, l'éviter, j'ai même eut l'occasion de le gifler et pourtant, non je ne me sentais pas mieux !
- Tss... En faites, comme tu ne sembles pas te souvenir de ce qui s'est passé avant que je ne t'adresses plus la parole, je vais te rafraîchir la mémoire. Je croisai alors les bras et relevai mon regard vers lui, qu'il ose me dire cette fois-ci qu'il ne comprenait pas pourquoi je me comportais ainsi. - Tu te souviens un mardi, alors que je devais te rejoindre comme toujours pour tes devoirs, et même au final je ne suis pas venue... Pourquoi déjà ? Ah oui, t'étais avec quelqu'un d'autre, une fille avec qui tu t'entendais bien... Beaucoup même. Voir trop ?[/color]