Time to explain

Deux semaines. Environ 336 heures. Environ 20160 minutes. Il a compté. Deux semaines qu'il n'avait pas revu Ashley. Il ne s'est pas passé grand-chose. Il n'est pas allé en cours. Cela faisait déjà une semaine qu'il n'y était pas allé avant la fête. James battait les records d'absentéisme. Mais s'il y était allé, qu'est-ce que ça aurait changé  ? Il se regarde une dernière fois dans le miroir. Après trois semaines sans cours à glander par-ci par-là dans la ville, cela lui fait bizarre de remettre son uniforme. Il met un pull pour éviter d'avoir froid puis se rend dans l'établissement scolaire.

Il ne sait pas trop si on pouvait appeler ça une dépression. James n'a plus vraiment goût à faire quoi que ce soit. Le soir, quand il était rentré chez lui après la fête de Jim, il était complètement bourré. Le lendemain, il avait la gueule de bois. Puis il s'était souvenu et s'était retenu de pleurer. Son père lui disait toujours que les garçons ne pleurent pas.
Mais son père n'est pas là. Alors pourquoi s'est-il retenu ? Il n'en a aucune idée. Il a passé une semaine au lit. Puis il est sorti un peu. Le voilà qui remet l'uniforme. Il a décidé qu'aujourd'hui serait son dernier jour de "vacances". Avant de retourner dormir en classe, il veut voir Ashley. Il ne sait pas trop si elle a envie de lui parler. Il doit tenter sa chance. Au pire, ça aura été une occasion de la voir.

Il se rend à l'étage des A. C'est propre et silencieux ; rien à voir avec l'étage où  il a l'habitude d'aller en  cours. James l'envie un peu. Un tel silence, pour dormir, c'est parfait. Il s'appuie contre le mur et attends. Il est le seul élève dans le couloir. Pas étonnant. Au fur et à mesure que le temps s'écoule, il devient nerveux. Il a peur qu'elle fasse comme à la plage : s'enfuir en courant. La sonnerie retentit, le faisant sursauter. Les élèves sortant un à un, calmement. Rien à voir avec sa classe. Puis il aperçoit Ashley. Il lui adresse un signe de la main puis va à sa rencontre. Il lui parle avec un petit sourire gêné.

« Salut. »

James passe une main dans ses cheveux, nerveux. Tout le monde est sorti, elle aussi. Aussitôt, les deux jeunes se saluent, mais on sent bien que l'ambiance n'est pas à la rigolade. La voix d'Ashley est faible. Il ne doute pas qu'elle doit culpabiliser par rapport à la soirée. Ce n'est pas de sa faute si elle ne l'aime pas autant que lui l'aime. Mais il a beau savoir ça, cela n'amenuise pas sa douleur. Longtemps, pendant ses deux semaines, il s'est retrouvé face à son miroir, cherchant ce que Jim a de plus par rapport à lui qui plaît à Ashley. Il n'a jamais trouvé de réponse. Ne trouvera sûrement jamais.

Elle l'invite à rentrer et ils prennent place au fond de la classe des A. Son regard  se promène dans la salle, étonné. De près, la salle de classe des A est encore plus impressionnante que de l'extérieur. Leurs sièges sont très confortables, surtout par rapport aux chaises de la classe des D. Il demandera des sièges plus confortables pour les D au prochain conseil de classe mais ça l'étonnerait qu'on l'écoute. Son regard se reporte sur Ashley qui semble admirer ses livres de cours. Peut-être qu'elle n'ose pas le regarder dans les yeux. Un début de phrase sort de sa bouche mais le reste des mots reste coincé dans sa gorge. Il se mord les lèvres. Plus le temps avance, plus James pense qu'il aurait dû se taire. C'est vrai, elle souffre alors pourquoi lui infliger encore plus de douleur ? Il se sent coupable. Au lieu de la tourmenter ainsi, il aurait dû tenter de la rendre heureuse. Il prend une mine sérieuse.

« Ashley. »

Son nom, murmuré. Sa main effleure sa joue, lui fait lever la tête. Il la regarde dans les yeux. Il soutient son regard mais il ne savait pas si elle pourrait en faire de même.

« Ne cherche pas à te justifier. Je sais que tu es désolée, que tu aimerais revenir en arrière. Mais ne te morfonds pas. Si tu pouvais revenir en arrière, tu aurais fait quoi ? »

À part partir en courant, il ne voit pas trop ce qu'elle aurait pu faire. Lui mentir ? Non. Le mensonge n'est pas une solution. Ses lèvres se retroussent en un sourire timide.

« Et puis, on est toujours amis, non ? Tu peux toujours compter sur moi. Et tu devrais te dépêcher de rattraper tes cours. »

Il a un petit rire. Il ne s'est jamais vu aussi perspicace. James a remarqué que certains livres ne lui appartenaient pas. Intérieurement, il s'inquiète. Elle a peut-être été malade. C'est sûrement rien de grave. Rien de grave. Il a beau se répéter cela, son inquiétude ne baisse pas, au contraire. Il hésite à lui poser la question. Ce serait sûrement indiscret. Mais la question brûle tellement sa langue qu'il ne peut s'empêcher de la poser.

« T'étais malade ? »

Elle a un rire nerveux lorsqu'il lui dit qu'elle devrait rattraper ses cours. Elle ouvre un bouquin et commence à écrire. Mais le tremblement de ses mains est parfaitement visible. James s'inquiète. Cette question le hante. Aurait-il dû lui dire ? Tout était plus simple avant. Tellement plus simple. Certes, il gardait ça pour lui et souffrait en silence. Mais maintenant il n'est plus le seul à souffrir. Il a l'impression que sa vie est en train de devenir un casse-tête. Il l'observe ranger ses affaires. Il espère ne pas avoir gâché leur amitié. Car une amitié restait-elle une amitié si l'un des deux a des sentiments amoureux ? Il se le demande. Il lâche un discret soupir. Ces derniers temps, il réfléchit beaucoup et là, maintenant, il sent la migraine pointer. Elle lui explique que depuis la rupture de Jim, elle a séché les cours. Il écarquille un peu les yeux, même si il sent qu'il n'est pas aussi étonné qu'il veut le croire. Une rupture, ça doit être dur à vivre. Il ne sait pas vraiment, n'ayant jamais eu de relation amoureuse.

Son regard retrouve celui d'Ashley. Il y trouve un étrange mélange : de la tristesse et de la détermination. Elle commence à parler, fait une courte pause. James patiente. Puis elle comme une phrase mais ne la finit pas. Une boule se forme dans sa gorge. Même si les mots n'ont pas été prononcés, c'est tout comme pour lui ; et il a l'impression d'avoir envie de pleurer. Que tu ne m'aimes pas. Cette pensée résonne très fort dans sa tête. Un peu trop à son goût. Les yeux d'Ashley se baissent. Lui détourne la tête vers la fenêtre la plus proche. Il se sent mal. Pourtant, des mots le font retourner la tête vers elle. Elle a besoin de temps. Aussitôt, quelque chose réchauffe le cœur du jeune délégué. Espoir.

« Prends tout le temps qu'il te faut. »

Ce n'est pas un problème pour lui. Il ferait tout pour elle. Pour la rendre heureuse. Il lui adresse un grand sourire encourageant. Puis il prend un air faussement énervé.

« Et arrêtes de t'excuser. Ce n'est pas de ta faute. »

Il le pense sincèrement. Mais une interrogation s’immisce dans son esprit : à qui est la faute, alors ? La première réponse qui lui vient est lui. Pas d'autres réponses ne lui viennent à l'esprit. Il appuie sa tête sur sa main, le coude sur la table. Maintenant, tout de suite, il aimerait dormir. Rejoindre le monde des rêves. Un monde où Ashley l'aime, où il n'a pas raté ses études, où il ferait un métier qui lui plairait. Où il aurait tout réussi et pas tout raté. Il lutte contre le sommeil. Plus jamais il ne serait lâche. Plus jamais il ne se cacherait derrière son pouvoir. Amnésie. Une idée lui traverse l'esprit. Lui faire tout oublier pour que, au moins pour un moment, tout redevienne comme avant. Ce serait une terrible trahison. Toute cette agitation mentale, il la cache derrière un sourire un peu idiot. Son expression du visage habituelle. James essaye de lui changer les idées en lui raconter quelques blagues. Il est tellement perturbé mais tente de le cacher. Il ne veut pas qu'elle s'inquiète.

« C'est pas la peine de faire semblant, on sait tous les deux que ça va pas.. »

Touché. Ses lèvres s'étirent légèrement et c'est un sourire triste qui apparaît sur son visage. Il n'a jamais été doué pour cacher ses émotions. Mais dans quel domaine est-il doué ? Aucun. Son petit sourire s'efface rapidement pour laisser place à la tristesse. C'est dingue, il a l'impression que tout le monde lit en lui comme dans un livre ouvert. James baisse la tête. Le contact de leurs mains lui réchauffe un peu le cœur. Mais il se sent tellement malheureux. Lui qui se dit toujours « la vie est un long fleuve tranquille », il sait désormais que ce n'est pas vrai.

« J'ai couché avec Heath, le soir de la fête de Jim. »

« Quoi ? »

Il réagit au quart de tour. Il lève la tête, sa voix n'est qu'un soupir lorsqu'il prononce ce simple mot. Tout de suite, ses muscles se figent. Ce n'est pas vrai, il a mal entendu. Il ne veut pas le croire. Il essaye de se convaincre que ce n'est qu'une blague, une très mauvaise blague, qu'Ashley va se mettre à rire. Lorsqu'il la regarde, il constate avec effroi qu'elle est très sérieuse. James se sent mal, affreusement mal. Tellement mal qu'il en a envie de pleurer. Seulement, ce n'est pas le moment de pleurer. Surtout pas devant Ashley. Le délégué a l'impression d'être hypersensible. Ou peut-être qu'il accumule trop de tristesse depuis trop longtemps. Il se mord la lèvre inférieure, a envie de parler. Tout ce qui sort lorsqu'il ouvre la bouche, c'est un sanglot. Non, pas maintenant ! Il lâche les mains d'Ashley pour les plaquer contre sa bouche. Trop tard. Les larmes, qu'il accumule depuis trop longtemps, sortent d'elles-même. Il se retourne pour éviter qu'elle ne le voit.

« Je pleure pas ! »

Sa voix est à moitié étranglée par les sanglots. Il se trouve si pathétique. Les garçons ne pleurent pas. Jamais. Enfin, c'est ce qu'il croyait. Maintenant, il a la preuve que ce n'est pas vrai. Finalement, il renonce à se retenir, croise les bras sur la table et y enfouit sa tête. Il n'arrive pas à s'arrêter. Cela lui fait pourtant un bien fou.

« Ça n'veut pas dire qu'entre nous deux rien n'est possible et que je l'aime parce que j'suis pas amoureuse de lui. C'est juste que.. J'voulais que tu le saches parce que.. Je sais pas si j'ai envie de recommencer ou pas. C'est.. C'est pour ça que j'ai besoin d'temps, en fait. »

Il ne répond rien. Il ne la croyait pas comme ça. Qu'elle peut coucher avec quelqu'un sans l'aimer. Quoique. Lui est si désespéré qu'il ne sait plus très bien de quoi il est capable ou pas. Il tourne la tête, la joue appuyée contre ses bras croisés. Les larmes se sont arrêtées de couler.

« Je peux comprendre. Enfin, je crois. »

Un long soupir bruyant sort de sa bouche.

« Désolé de chialer comme ça devant toi. Mais je crois que fallait que ça sorte. »

« T'excuse pas, on a tous le droit de craquer, tu sais. »

James entend à peine ses paroles. Il a honte, tellement honte d'avoir craquer devant elle. Lui qui veut donner l'image d'un homme fort, c'est raté. Il aimerait tellement prendre ses jambes à son cou et partir en courant. Mais non, ce n'est pas digne d'un homme. Il essaye de se redresser, de se montrer fort mais il a juste l'impression de se voûter un peu plus. Un soupir franchit ses lèvres. La main d'Ashley vient se poser sur son épaule avant d'essuyer les restes de larmes sur sa joue. Le contact lui donne l'effet d'un choc électrique. Il se laisse faire, observant la jeune femme de ses yeux brillants. Sa main continue son chemin dans ses cheveux verts, cette couleur à la connotation si particulière. L’Espérance. Seul le bout de ses doigts effleure sa chevelure, et il profite de ce moment. Puis elle s'approche pour l'enlacer. Ça le surprend un peu et il rend l'étreinte d'une manière un peu maladroite. Il devine aisément qu'elle se sent aussi mal que lui.

Après un moment, elle s'éloigne et c'est avec regret qu'il quitte son étreinte. Il aurait aimé rester ainsi pendant longtemps. Des heures. Des jours entiers. L'éternité. James l'observe d'un œil attentif. Même si ses sentiments ne sont pas réciproques, il sait qu'il peut compter sur Ashley. Parce qu'au delà de l'amour qu'il ressent pour elle, il y a cette amitié forte qui, malgré les épreuves, semble presque intacte. Il sort de ses pensées. La rousse semble chercher ses mots. Elle balbutie puis s'exprime clairement.

« Hm. Je.. Je veux surtout pas que tu le prennes mal, parce que je sais pas comment te dire ça. Le truc c'est que.. Erf.. Toi et moi.. Peut-être qu'on pourrait essayer, .. Si tu veux. »

Il hausse les sourcils, l'air interrogateur. Il ne comprend pas vraiment à quoi elle veut en venir. Essayer quoi ? Tout de suite, toutes sortes d'hypothèses traversent sa tête. Certaines sont tellement absurdes qu'il se retient avec peine de rire. Puis il reprend son sérieux. Les joues d'Ashley prennent une teinte rosée et il ne peut s'empêcher de remarquer que cela la rend encore plus mignonne. À cette pensée, il se met lui aussi à rougir légèrement et détourne un peu la tête.

« Va pas croire que je te demande ça par pitié, au contraire. Haha.. ! »

Décidément, il a de plus en plus de mal à la comprendre. Il a la sérieuse impression qu'elle tourne autour du pot et ça en est presque agaçant. Elle met une main derrière la tête. Elle a l'air vraiment gênée, ça lui fait presque peur.

« Je.. En fait.. Je m'dis que tu es capable de me changer et de changer mes sentiments envers toi, tu sais. On a toujours eu un bon feeling tous les deux et t'as ce truc qui fait que je t'apprécie énormément, et je pense sincèrement que toi et moi c'est possible. »

Toi et moi c'est possible. Cette phrase tourne en boucle au moins une dizaine de fois dans sa tête avant qu'il ne comprenne. Ah, c'est donc ça.  Ashley veut sortir avec lui pour voir ce que ça donne. Cette idée le remplit de joie. Sans qu'il puisse s'en empêcher, il se met à sourire et c'est une énorme sourire heureux qui apparaît sur son visage. Les yeux d'Ashley rencontrent ceux de James et elle est si sérieuse qu'il tente de masquer ce sourire idiot qui ne veut pas partir de son visage.

« Bien sûr ça prendra un peu de temps, mais j'vais m'accrocher. Parce que je sais que tu mérites quelqu'un de bien James, et j'ai réellement envie de devenir quelqu'un de bien,.. Pour toi. »

Ses paroles l'émeuvent énormément. Tellement qu'il a une larme qui coule. Il s’empresse de l'essuyer. Tout cela l'a rend hyperémotif. Un silence s'installe entre eux et il prend conscience que c'est à lui de parler. Il s'agite sur sa chaise, cherche quelque chose à dire. Une phrase franchit ses lèvres.

« Tu sais que je serais capable de décrocher la Lune pour toi. Enfin, si c'était possible, je l'aurai déjà fait. »

Il sourit. C'est sa façon à lui de dire qu'il accepte. Son cœur se gonfle de joie. Il prend sa main et il la serre doucement, comme si c'était quelque chose de précieux et de fragile à la fois.

« Ne te sens pas obligée de changer pour moi. Tu es déjà quelqu'un de bien, Ashley. Je t'aime comme tu es, tu sais. »

Puis il se rapproche d'elle et hésite. Il avait l'intention de l'embrasser mais il craint que ce ne soit trop tôt. Finalement, il dépose un baiser sur sa joue et lui sourit. En ce moment, il est le plus heureux des hommes sur la Terre, il en est certain.