Et la Bête, à nouveau, tambourinnait à la porte de ma conscience, forçait brutalement l'entrée de mon esprit. Sans m'accorder un répit, elle se saisissait de la moindre opportunitée pour prendre le contrôle. Elle avait, cette fois-ci, explosé la porte par ses propres mains et forcé son arrivée. Elle avait, cette fois, brisé sa propre cage et montré son existence au Prince. Prouvé, son existence, car ce qui semblait n'être que des pulsions violentes puériles s'étaient dévoilées comme une entité sombre et incontrôlable. Une Bête, un monstre de sang et d'obscurité enfoui dans la plus grande pureté, une violence indescriptible, dissimulée derrière un voile étouffant de bonheur. Paradoxe immonde, cruel, entre l'être le plus pur et l'identité la plus haineuse.
Mais qui était le véritable ?
Peut-être n'avais-je été depuis le début que l'esclave de mes pulsions, qu'un monstre dissimulé sous toute cette apparence junévile, enfantine, cette fausse personne heureuse ? Peut-être que le Diable, depuis le début, s'était invité dans un esprit fragile et naïf pour s'en servir ; un bouclier d'humanité, un masque d'innocence. Car contrairement à Anshu, je n'en savais probablement rien. Car si lui s'était trouvé dans les ténèbres et se battait contre sa propre lumière, j'en étais encore à ignorer la véritable nature de ma propre personne. Indécis, entre le désir d'une vie heureuse et le plaisir de cette violence impulsive.
Incapable de choisir - trop faible pour résister. La Bête avait fait un choix, et elle avait fait le bon. Elle s'était éprise du plus fragile et aujourd'hui, elle jouissait de voir que son choix avait été le bon, jubilait à la vue d'une telle faiblesse, d'une telle facilité. Car depuis toujours, il n'avait fallu qu'une petite étincelle pour allumer la mèche, d'une simple secousse pour réveiller la Bête enfouie, croulant sous toute une vie de bonheur. Cette mèche, Anshu l'avait allumée - et il n'allait pas échapper à l'explosion. Car désormais, la déflagration ne toucherait pas que le Prince, elle allait frapper mon monde entier - détruire à petits feux tout ce qui semblait si important.
Sinon, tu es satisfait ?Non - elle ne l'était pas. Cette Bête, grandissante, ne connaîtrait jamais de fin à son désir. Car la douleur, elle, n'avait pas suffit à l'arrêter - et la satisfaction d'avoir mit fin au pouvoir du Prince, détruit son symbole magique, ne semblait qu'un début. Car Anshu avait beau enrager, se contrôler, tout ça n'était pour la Bête qu'un début. Tout cela n'était pour moi qu'un début. Lui faire mettre un genou à terre n'était pas suffisant, il fallait désormais tenir cette promesse. Lui faire regretter chacun de ses mots, lui faire cracher tous ses remords, ravaler toute son arrogance et sa putain de royauté... lui broyer ces os et brandir son corps meurtri comme le trophée d'une chasse réussie...
J'ai pas frappé Jim. Kyösti t'as hélas menti.C'est le déclic. Imperméable à toutes les provocations enfantines, c'est cette phrase qui me touche, me frappe en plein coeur. Cette phrase qui m'arrache, l'espace d'un instant, à cette frénésie sanguinaire. Qui appelle la Raison, à nouveau, à guider mon esprit et m'en donner à nouveau le contrôle. Juste un peu, cette fois encore, mais assez pour recevoir le venin du Prince en plein coeur. C'était une vendetta inutile - mais Anshu a raison, elle n'était pas dénuée de plaisir. Je n'étais que le jouet d'un A, fermé à toute réflexion. Et Anshu, lui, en avait également profité - refusant de nier son implication au début. Avec cette simple volonté de test, il avait finit par ouvrir la porte des enfers.
Et pourtant, il semble s'en satisfaire - attaquant à nouveau mon corps déjà en miettes, persiflant de nouvelles paroles provocatrices qui ricochent inutilement contre ce voile d'obscurité. Tu ne me feras pas plonger davantage Anshu - et tu ne pourras te cacher. Tu crois loger dans l'obscurité, mais tu ne fais que livrer un combat contre toi-même pour t'y plonger, te refusant à tout éclat de lumières. C'est là notre différence, vois-tu - car tu t'y enfonces, alors que de mon côté, j'essaie de m'en extirper.
Dans une certaine mesure. Car cette lutte acharnée n'effleure même pas la bête, toisant de ce regard sombre et hautain un Prince défait de son pouvoir par ses propres griffes. Car face à ces mots, il n'y a qu'un sourire narquois, provocateur - laissant échapper entre ses dents quelques éclats d'un rire mauvais, indifférent à toutes ses indications. La Bête rit devant ce comportement, se nourrit de ce Mal cupide et infernal. Car le Prince ne l'intimide pas, mais son assurance la rend folle, l'agite et l'enrage comme jamais. Car le besoin, afollant, inexorable de vengeance, n'est freiné que par la fragilité de mon corps.
- Oh pitié, ferme ta gueule...Un simple murmure, presque las, en réponse à ce monologue sans fin. Car le débat, les provocations, tout ça n'a plus lieu d'être. Car c'est un défi qu'Anshu m'a lancé, et cette fois, ce n'est pas la Bête qui y a répondu. Car cette fois, c'est moi qui contrôle - moi qui dicte ma propre conduite, repousse frébilement ces ténèbres qui m'ont un peu trop approchés. Car à nouveau, malgré la réalité de mes désirs violents et de cette haine viscérale, la lumière semblait briller une fois encore.
Et pourtant, la Bête reste toujours là, tapie, se refusant à concéder le moindre point - se saisit une ultime fois de ma propre haine ; et, dans un élan de fierté, me somme de poser ma main sur la plaie aux lèvres. Car elle l'a montré, elle préfère la douleur à la défaite, et, se concentrant un instant, fait exploser la peau à l'endroit précis de la blessure. De la douleur à nouveau, avec pour seule consolation la satisfaction d'avoir évité la défaite. De la douleur qui conclut cet affrontement - ou tout du moins, ce premier round.
- La seule chose dont tu pourras te réjouir, c'est de savoir que je te hais pour de bon maintenant. Pourtant, sache-le, quel que soit mon état, il y a une chose qui ne changera pas : je n'écouterai aucun de tes conseils.Et tout comme le Prince, je me retourne, tournant le dos à ces évènements, à cet endroit souillé à jamais, à l'instar de nos propres vies.
FIN