J’suis désolé Gautier. Comme tous les autres. Plus que les autres.
J’ai pas d’autres mots sur le bord des lèvres. Juste ceux là. Prêt a passé en boucle comme une musique de fond. Juste tout ces désolés. Inutiles. Ces mots que l’ont balance parce qu’on est incapable de trouver autres choses. Parce qu’on est des incapables. Alors on est désolé. Désolé. Désolé d’être nous. Désolé de ne pouvoir changer le monde. Désolé de ne pas avoir essayé. Désolé, comme une formule par défaut qui ne colmatera jamais les plaies. C’est si facile, tellement facile que cela fini par ne plus avoir de sens. Facile. Casser quelque chose et s’excuser. Arriver après la bataille. Laisser la vie se faire, et formuler les regrets. Désolé. Juste un mot et tellement de chose. Trop de chose. Et au fond, on sait jamais vraiment ce que ça veut dire. Désolé de quoi ? Désolé de ne pas avoir été la ? Désolé de pas lui avoir cassé la gueule ? Désolé que cette école soit bien plus injuste que les autres ? Désolé que la folie nous guettent tous un peu plus. Beaucoup trop. Désolé. Désolé de tout. Désolé de rien. Une formule polie pour un tas de lâche.
Désolé. Désolé que se soit tombé sur toi. Désolé. Désolé. Qui croit-on consoler avec des désolés ? Qu’est ce qu’il peut en avoir à faire, de vos excuses sans une once de sentiments. Vos désolés n’ont pas de valeurs. Vos regrets n’ont pas de sens. Pas de but. Pas d’intérêt. Ou seulement celui de rassurer votre petite personne. Désolé. Désolé. Ca vous rend moins coupables. Ca apaise vos esprits. Désolé. Les désolé n’ont toujours été utiles qu’a ceux qui les formules. Désolé. Un geste polie que l’on adresse a notre propre personne. Un baume pour le cœur que l’on graisse sur nos âmes hypocrites.
J’ai l’impression d’en vouloir à la terre entière Gau, parce que c’est la faute à tout le monde. Parce qu’à toi ca devrait pas t’arriver. Parce que les autres au fond je m’en moque, alors pourquoi c’est sur toi que c’est tomber. Ca fait mal Gau, tellement mal. Parce que je fais parti de tout ces gens avec leurs cœurs rancœur. Avec leurs souffles coupés. Avec leurs désolé, si dur a avouer. Désolé Gautier, désolé. Désolé de tout. Désolé….
J’peux même pas te dire ces mots, parce que les prononcer ferrait que m’enfoncer. J’veux pas faire parti du tas que j’ai décidé de détester. J’veux pas m’excuser parce que j’veux pas que tu me pardonnes. J’veux pas être désolé, j’veux pas que tu me rassures. J’veux pas que tu me dises que c’est pas ma faute. J’veux pas que ce soit encore toi qui me sauve. J’sais très bien le poids que j’suis, tous les efforts que tu fais pour pas que je chute à chaque pas. Mais j’arrive pas à comprendre pourquoi tu fais tout ça. Je me sens endetté Gautier. Inutile. Quand je les vois tous passer dans ta chambre. Quand je les vois tenir si fort a toi alors que moi j’ai l’impression de rien t’apporter.
J’ai encore dans la tête les coups qu’il t’a porté. La sensation de mes jambes figées. Le bruit de mon cœur qui se brise. Tu peux rien faire Olympe. Rien, rien, rien. Jamais. Incapable. Qu’est ce que tu peux lui apporter. Incapable, Olympe. C’est ce que t’as toujours été. Tu pourras jamais rien faire pour l’aider et ca peut importe le nom que tu décides de porter. T’es un poids pour lui. Regarde les défiler. Regarde les eux, et leurs soutiens. Eux et leurs sourires que tu n’arrives pas à dessiner. T’es pas une bonne chose. Comprendre, t’as pas le droit d’exister. C’est toi qu’aurais du être à sa place. T’as conscience de ça Olympe ? Celle que l’on rue de coup, celle qui mérite de s’en prendre plein la figure. C’est seulement toi. Et tu veux savoir le pire dans tout ça ? C’est que si tu avais été la victime Olympe. Gautier aurait remué ciel et terre pour toi.
Et toi ? Toi tu es désolé. Seulement désolé. Sans même réussir à le formuler
Pousse la porte Olympe. Va y. Lance toi. Viens avec tes excuses. Ton air d’incapable.
« J’reste pas longtemps t’en fais pas. »
J’sais même pas pourquoi je suis venue Gau. J’sais pas. J’sais pas ce que je fou la. C’est pas de moi que t’as besoin. Ose pas dire le contraire. J’arriverais pas à te croire. Qu’est ce que je fais maintenant hein ? Je prononce la formule magique ? J’apaise mon cœur ? J’veux pas que tu me rassures. J’veux pas. J’veux rien. J’veux juste plus être un poids. Qu’est ce que je dois faire Gautier, pour te rendre toute la tendresse que tu sais me donner. J’voudrais partir, pour que tu te sentes plus obligé de porter mes problèmes en plus des tiens. Mais j’suis pas capable de ça. Tu vois, même ça j’arrive pas.
J’crois que je commence à tenir trop à toi. Excuse-moi.
Toujours les mêmes regards inquiets. Toujours le même refrain. Toujours le même tremblement sur l’écriture des messages envoyés.
C’est pareil, pareil pour tous. C’est l’inquiétude, les excuses de ne pas avoir été là, comme ça ça aurait tout changé. C’est la culpabilité, les regrets de tous ces moments d’absence répétés. Désolé Gau’, désolé - tout le monde est terriblement désolé. Et moi, je suis désolé de ne pas arriver à le supporter. Ma main se serre autour de mon stylo que je balance en travers de la pièce, relisant une dernière fois mon message à Sarah avant de l’attacher à mon lézard. Vas-y, porte-leur mes sentiments, dis-leur à quel point c’est moi qui suis désolé. Je gère pas, pourtant je fais tout pour - je m’éloigne, certain de pouvoir tout résoudre, tout diriger.
Sauf que non, je suis pas comme vous, j’arrive pas à éviter le malheur. Je le prends en pleine gueule, et la seule chose dont je suis capable, c’est de me relever. Me relever parce que ces mains me sont tendues, me relever parce que je n’ai même pas le pouvoir de décider si je peux rester allongé. J’aimerais pouvoir tout lâcher parfois, prendre un temps pour m’arrêter et pouvoir me dire que j’ai abandonné. J’ai plus envie de briller, plus envie d’avancer, plus envie de tenir les autres à bout de bras alors que je peux pas m’en sortir moi-même. C’est ce que je veux comme tout le monde, mais il faut se rendre à l’évidence, c’est un rôle qu’on m’a enlevé - depuis que le monstre s’est réveillé, je ne pourrai plus jamais briller.
Jamais, plus jamais. Ne vous appuyez plus sur ce pilier brisé -
Pourtant il y a quelqu’un, une unique personne que je n’ai pas envie d’abandonner. Il y a toi Olympe, ce même éclat broyé que l’on a en commun. Il y a cette noirceur que l’on partage, cette empathie presque parfaite qui a achevé de nous rapprocher. Je sais plus combien de temps ça fait, depuis combien de temps t’as commencé à compter autant. Je suis pas simple à avoir tu sais, le coeur bien trop grand pour te laisser entrer sans s’attacher. C’est une danse mortelle, un jeu qui vole mes sourires et étouffe ma lumière dans cette dépression partagée. Tu m’aides pas Olympe, tu nous maintiens au fond de ce Tartare sans moindre possibilité d’en sortir. Peut-être que je pourrai, sans toi. Peut-être que les autres sauront m’en tirer, pour me fondre à nouveau dans cette masse, ces champs d’Asphodèle.
A marcher, avancer vers cette triste éternité. Marcher, enveloppé d’une solitude que tu avais réussi à m’ôter. Tu comprends pas, peut-être que ce sera jamais le cas, tu saisis pas que je me suis fait à l’idée. Je veux pas sortir de là, et cette résolution a achevé de me soulager. Je veux rester avec toi, rester à tes côtés, même juste un peu, t’aider à avancer. C’est tout ce que je veux Olympe, installer un sourire sincère sur ce visage abimé. Avance-toi un peu plus, viens. T’as tort, je veux te voir, je veux pas d’excuse, juste te voir à mes côtés pour de moi-même pouvoir me relever. Ca ne me dérange pas d’avancer pour deux, ça me donne une raison de ne pas m’arrêter. Cette fois encore Olympe, je me relève, exhibe ce corps bandé de toutes parts, mis en pièce par quelqu’un qui n’était pas censé exister. Je m’en fiche. La distance est rompue et mes bras s’entourent autour de ton corps, le serre avec toute la force qu’il me reste. Torse nu - je m’en fiche. Je n’ai pas envie de lâcher.
« J’suis content que tu sois venue. »
Juste content, content que tu sois là. Content de pouvoir avancer. Content de t’avoir, content de voir que tu restes comme tu es. Que tu ne sois comme les autres, te répandant en excuses inutiles - comme désolée d’être amie avec celui qui s’est fait tabasser. Je veux pas ça, je veux pas de regards implorés ou des excuses emplies de pitié. Je veux juste que tu sois là, là à attendre que je me relève pour t’appuyer sur moi.
« Tu peux rester longtemps. La nuit entière, si tu veux. J’peux dormir sur le fauteuil. J’vais bien, de toute façon. »
J’vais bien, parce que j’ai tellement l’habitude d’avoir mal que le moyen a fini par correspondre à ma vision du bien. Je vais bien Olympe, parce que je vais pas mal. Je vais bien, comme d’habitude, pas trop mal, parce que c’est le plafond de mon bonheur. Je vais bien, avec toi, et peu importe mon état. Et mes bras se desserrent finalement, je m’éloigne juste assez pour pouvoir la regarder dans les yeux.
« Ou bien tu veux sortir un peu ? Faire un tour dehors ? Y’a des magasins ouverts de nuit. Je peux sortir pendant que tout le monde dort. On finit par étouffer ici. »