♦. Couleur menthe à l'eau. || JIM

“      Grenadine     ”

 Jim T. Reed  

Assise dans l’herbe, à l’ombre d’un grand arbre, Selwyn attend impatiemment le retour de son petit lézard. La matinée a été longue et le repas de la cantine ne lui a pas davantage remonté le moral. Elle a ce vide au creux de son ventre dont elle n’arrive pas à se débarrasser. Tout les événements se bousculent et l'oppressent. Ce sentiment de haine et de profonde affection pour cet homme de l'ombre. La souffrance. Ces souvenirs flous de la soirée dans les souterrains. L'alcool et la gueule de bois du lendemain. Les gouttelettes de sang d'Anshu sur sa robe. Les larmes qui ont emporté le mascara tout le reste de la nuit. Les sillons charbonneux à son réveil. La faible lueur étouffée par l'humidité d'une cellule de prison.

Puis il y a ce lot de feutres qu’elle a déniché à la galerie marchande. Cette envie irrépressible de les utiliser or pour une fois, elle ressent le besoin de partager ce sentiment. Ils sont magnifiques, uniques ; elle les considère un peu comme un trésor et elle désire que quelqu’un sensible aux couleurs, à ce qu’elles transmettent donc une âme d’artiste, susceptible de lui transmettre ces éclats de joie qu'elle est incapable de ressentir, tout son bonheur afin qu’elle puisse dessiner de belles choses. Que ses dessins ne soient pas la beauté tirée d’une tristesse infinie, des natures mortes ou des sentiments obscurs. Non, avec ce matériel inestimable, elle a envie de faire jaillir la chaleur de l’été, les rires et le goût des glaces appréciées sur un banc en compagnie de personnes qui comptent. La seule personne qui en est digne (et qui la supporte) est sans doute ce Jim à l’aura solaire. Ce Jim avec qui elle a échangé un baiser au milieu de ces gens trop bavards. C’est de lui qu’elle attend une réponse, allongée sur l’herbe, prise d’admiration devant les formes ridicules des nuages. Passion malsaine ?


Salam est arrivé. Elle a souri et instantanément, la journée a filé à une vitesse phénoménale. Le cœur léger, elle est rentrée à son cabanon pour se changer. Contrairement à son habitude, elle a enfilé une robe légère. Rien de provoquant, Selwyn souffre simplement de la chaleur. Ce climat n’est pas celui des montagnes du Népal, évidemment beaucoup plus froid. Ainsi, elle a préparé son sac avec ses nouveaux feutres, des tas entiers de feuilles et son vieux carnet défoncé dont elle ne se sépare pour rien au monde. Des allumettes. Du scotch. Des ciseaux, quelques crayons mordillés. Un miroir. Et un monticule d’autres trucs inutiles mais dont les filles ont (il parait) besoin en cas d’urgence.

Ainsi, elle referme la porte de son cabanon et observe le soleil encore brillant à cette heure. La plage doit être magnifique. Frisson dans le feuillage. Pépiements cristallins  d’oiseaux. Puis au loin, une silhouette multicolore. Elle se tourne dans sa direction. Le vent s’engouffre sous sa robe et la fait voleter contre ses jambes. Elle chasse les mèches venues lui chatouiller le visage et un sourire discret l’illumine. C’est l’effet Jim.

♥

“      Fraise des bois     ”

 Jim T. Reed  

La plage. Le sable. L’odeur de l’iode et la fraicheur marine. La musique vient chatouiller ses oreilles. Puis ce garçon comme un éclat d’étoile. Son cœur fait un bond alors qu’il se lance à corps perdu vers elle. Ses bras l’enlacent. Ses lèvres se posent sur sa joue et la chaleur envahit son organisme. Elle ferma les yeux et se laissa guider par les mouvements du blond. Son sac s’écrasa dans le sable et ses cheveux virevoltèrent autour d’elle. Elle n’osait pas se lâcher comme il le faisait, détendre les brides et libérer ce cheval fougueux, cet étalon sauvage qui a soif de la vie, de l’air froid dans sa crinière et des paysages verdoyants qui défilent dans ses yeux noirs.

Mais elle est là, au bord de la mer, auprès d’un de ses meilleurs amis. De peut-être son plus proche confident. Les antipodes s’attirent on dirait. Et la lumière prend le pas sur l’ombre. Parce qu’elle rit. Parce qu’elle laisse son corps répondre aux sollicitations de ce garçon. Puis elle adorait cette chanson. Elle se sentait plus forte en l’entendant, comme un appel à l’émancipation, à l’aventure.
La musique changea. Son corps ondulait encore et sa tête tournait. Ainsi, elle se retrouva nez à nez avec la bouteille que lui tendait Jim, tout sourire.

«  - Quoi, tu as encore envie que je t’embrasse ? »

Elle se mit à rire. Jim était pétillant. Il lui faisait presque oublier la partie noire de cette soirée. Quand Drew et elle se sont hurlés dessus. Quand Anshu a été mis en sang. Non, à cet instant, elle désirait simplement profiter de lui et de sa bonne humeur. Elle voulait la puiser, la sentir jaillir dans son esprit et la faire exploser dans ses dessins. Elle avait justement amené ses feutres. Pour partager ces sentiments, ces émotions avec lui. Avec un regard taquin, elle saisit la bouteille, effleurant de ses doigts le bout des siens et elle laissa le liquide sucré glisser dans sa gorge. Cette chaleur la détendit, faisant comme éclore une fleur fragile dans sa poitrine. Elle se détendait et bientôt, ses yeux deviendraient brillants comme une nuit brumeuse parsemée d’étoiles.

“      Noix de Coco     ”

 Jim T. Reed  

Leurs mains se frôlèrent de nouveau. Le A (oui parce qu’il était en A le bougre, elle l’oubliait) prit la bouteille à son tour. C’était étrange de voir à quel point quelqu’un d’aussi intelligent, quelqu’un qui faisait partie de la soit disant élite, composée majoritairement de gens imbus d’eux-mêmes, pouvait ainsi lâcher prise. Elle adorait Jim pour tout ce qu’il faisait pour elle. Même sans le savoir, il la tirait toujours plus vers le haut, vers la joie et le soleil même si elle avait bien cru un jour, devoir définitivement y renoncer. Elle l’aimait pour cette happy therapy qu’il la forçait à suivre.

« Je suis si repoussant que çaaaa ? »

Elle posa son regard sombre sur lui, couché dans le sable, le visage tordu dans une grimace  attendrissante. Avec un petit rire amusé, elle se laissa tomber à côté de lui et approcha son visage juste au-dessus du sien. Elle cherchait à intercepter son regard, à capter son attention et à ce qu’il saisisse toute la franchise qui pouvait émaner de ses prunelles.

«  - Mais bien sûr que non, mājhē sundara mitra ! »

Elle avait glissé du marathi dans sa phrase. Par pudeur peut-être. Pour garder ce mystère qui l’enveloppe. Oh, il chercherait peut-être à savoir ce que ça signifie ; Mon bel ami. Avec un petit sourire en coin, elle se redressa et se mit à fixer la mer. Le soleil ne tarderait pas à se coucher, peignant cette vaste étendue d’or et de rose. Comme les cheveux de Jim. Elle se mit d’ailleurs à jouer avec cette mèche rose flashy au milieu de la masse blonde. Jim était original. Jim ne faisait jamais comme les autres. Elle l’appréciait pour ça. Pour ce refus de se fondre dans la masse, pour ce cœur pur et cette aura rayonnante. Il savait faire naitre autre chose dans ses yeux que la peine et la douleur. Jim savait faire ressortir l’enfant qu’elle n’a jamais vraiment eu le temps d’être. Une petite fille timide qui aime jouer, s’émerveiller de tout et de rien. En sa compagnie, elle savait être différente car elle savait pertinemment qu’il ne la jugerait pas. Et ce depuis toujours. Elle ne se souvient d’ailleurs même plus de leur première rencontre. Elle aurait pu être insignifiante, comme la plupart mais non, elle était essentielle. Selwyn se demanda d’ailleurs s’il éprouvait la même sensation. Elle était noire, meurtrie et lui gaieté et rire. Pourquoi s’attarderait-il à trainer un boulet lourd de souvenirs obscurs ? Parce que Jim est une boule d’amour, probablement. Parce qu’il aime tout le monde, ou presque. A quatre pattes dans le sable, elle se pencha pour récupérer son sac et un paquet de bonbons. Il y avait pensé. D’un coup de dents, elle déchira le plastique, un peu trop fort peut-être, de telle manière que son contenu se répandit sur sa robe.

«  - Oups. »

Elle rougit alors qu’elle remarqua que quelques intrus s’étaient glissés dans son décolleté. Après un regard gêné vers Jim, elle entreprit de les récupérer, glissant sa main entre l’étoffe et sa poitrine.  Oh, qu’elle se sentait bête ! Mais elle n'allait quand même pas laissé ces chamallow se perdre !

“      Pina Colada     ”

 Jim T. Reed  

Jim se mit à hurler et avant qu’elle n’ait pu esquisser le moindre mouvement, il se jeta sur elle, écrasant son pauvre petit corps dans le sable. Et réaction normale à quelques chamallow perdus dans sa robe, il se mit à secouer sa tête entre sa poitrine. Pendant un temps de latence de quelques secondes, elle n’osa plus bouger. Puis riante, elle tenta vainement de le repousser, la tête en arrière et ses mains essayant de pousser ses épaules. Elle battait des jambes désespérément non pas que ça la chatouillait c’était juste… étrange. Elle se mit alors à penser à Drew et ce songe eut l’effet d’un claquement du tonnerre. Si il… si… non elle ne pouvait pas laisser faire ça.

Puis le garçon se rassit encore écroulé de rire, un bonbon sur la langue. Selwyn le regarda avec une lueur intriguée dans le regard et les joues cramoisies. Elle leva les yeux au ciel, secouant la tête de gauche à droite et se laissa retomber. Elle fixa le ciel et referma l’écrin de ses paupières, savourant la chaleur sous ses pieds, la fraicheur de la brise et le murmure des roulis marins. La jeune fille laissait peu à peu sa carapace se refermer sur elle. Elle se sentait peu à peu aspirée par les ténèbres. Sa mâchoire se contracta douloureusement. Une expression anxieuse se forma sur son visage. Elle sentait les larmes comme de minuscules aiguilles venir lui picoter les yeux mais elle ne cèderait pas. Pas devant Jim. Elle devait lutter pour ne pas qu’il l’abandonne. Pour ne pas qu’il la considère comme un cas désespéré.

D’un bond, elle se redressa et se releva. Saisissant au passage une bouteille, elle l’inclina au niveau de ses lèvres et laissa encore une fois le liquide couler dans ses entrailles. Certes, il la rendait violente mais Jim était un de ses ingrédients qui faisait que l’eau devenait vin, que le vinaigre devenait miel. Non, ce n’était pas un Dieu, c’était peut-être juste sa composition chimique et la sienne qui, quand elles étaient mêlées, devenaient folles et entrainaient des réactions en chaînes différentes des habituelles. Enfin bref, peu importe. Elle ne voulait pas se laisser assombrir, pas ce soir.

« - Des fois, je me demande si tu n’es pas un peu fou. »

Les mains sur les hanches, elle le regarda avec insistance. Puis elle tira la langue, lui envoyant du sable dessus avec un coup de pied. Selwyn avait envie de jouer. Jouer à chat, à cache-cache. Elle avait envie qu’il lui raconte des histoires d’horreur autour du feu. Qu’il lui parle de ses voyages, de toutes les contrées qu’il a pu visiter, des gens qu’il a pu rencontrer. Elle voulait que Jim la fasse voyager. Qu’il la guide comme le ferait un grand frère. C’était un frère qui lui faisait goûter à la décadence, à l’émancipation, un fan de musique, un homme aux mœurs libertines mais un frère quand même. Peut-être ne la voyait-il pas ainsi mais elle, c’est comme ça qu’elle le percevait. Elle s’est cramponnée à lui, à leurs petits rendez-vous hors du temps. Mais beaucoup trop fière pour l’avouer, elle se taira sur la nature de ses sentiments. Certes, on a qu’une famille mais une fois qu’on l’a, normalement, c’est pour la vie. Du moins, c’est ce qu’elle espérait désormais.

“      Blue Pacific    ”

 Jim T. Reed  

“ I still watch as she's runnin' away
So she was born to live this way
Bad man's gonna take her away. ”

« - Un fou heureux m’dame. »

Ah, le bonheur ! On pourrait en remplir des pages entières de dissertation dessus. Il est ce pourquoi les gens se battent.  Ce que les gens recherchent. Ce qu’ils désirent jusqu’au dernier souffle. Mais personne n’a jamais su l’expliquer clairement. Tout le monde déverse des banalités insignifiantes à son sujet mais jamais personne n’a pu décrire le goût qu’il laisse sur les papilles. Peut-être que Jim y arriverait. Qu’il dégage une aura heureuse qui est peut-être – pour le plus grand plaisir de tous -  contagieuse.

Riant aux éclats, il se mit à lui courir après. Et riant aux éclats, elle essayait de lui échapper. Sa robe virevoltait au rythme de ses mouvements. Ses cheveux ondulaient sauvagement. Et elle criait, non pas d’effroi ou de colère, mais de joie. Ce son s’engouffrant hors de ses lèvres étirées en sourire lumineux était comme une liqueur sucrée, une douceur enveloppant son cœur comme un nuage de brume. Elle ne fuyait pas les ombres non, elle poussait le bonheur à la suivre, à la poursuivre. Il était le chat et elle la souris. Et un jour, elle tomberait dans ses griffes, elle l’espérait.

« - Gagné. »

Elle était à terre. Elle avait été capturée et pourtant, elle souriait, Jim à quelques centimètres à peine de son visage. Son regard d’asphalte plongea dans les marbrures dorées du sien. Un éclair se mit à scintiller. Il y avait comme un arc-en-ciel au fond de ses prunelles. Elle en fut éblouie. Elle voyait ça comme une incarnation magique. Et comme une gamine, elle était émerveillée par ce phénomène. Elle ferma les yeux et inspira profondément cette fragrance d’iode mêlé à son odeur masculine.

« - Jim... » Ses paupières se soulevèrent et laissèrent découvrir un regard submergé de paillettes. « - ... Cap ou pas cap… »

Elle se releva et saisit les mains du garçon pour qu’il fasse de même. Puis elle recula lentement, son regard toujours suspendu au sien. Le vent agitait ses cheveux. Elle se tordait le bras derrière le dos pour attraper le bout de la fermeture éclair.  La lumière du soleil couchant l’enveloppait comme d’une aura chatoyante. Puis elle s’arrêta, jeta un bref regard vers l’étendu parée de reflets dorés avant de se retourner vers le blond et de lui lancer d’une voix enjouée :

« - … De te baigner tout nu dans la mer ?

C’était stupide mais elle avait toujours eu cette envie qui lui pesait sur le cœur. Elle ne l’avait jamais vu avant d’arriver à Prismver. Elle avait entendu parler des poissons, des vagues, de l’écume. Ziiip. L’ombre tombait peu à peu. La plage était déserte et même s’il y avait eu des gens, l’obscurité cachait doucement ses bêtises. La nuit était son alliée ; elle en faisait partie, elle l’avait domptée.

Tournée face aux vagues, le visage balayé par les embruns, la robe tomba à ses pieds. Elle retira ensuite ses sous-vêtements qui s’écrasèrent également sur le sable. Ouvrant grand les bras, elle se cambra légèrement pour savourer la caresse du vent sur sa peau. Sa crinière d’ébène vint chatouiller ses reins, camouflant un peu son dos meurtris par les cicatrices de son enfance, laissant deviner un corps particulièrement frêle et fragile. Pendant un instant, elle se dit que c’était de la folie. Un fou heureux, m’dame. Elle ferma les yeux. Elle pleurait presque et le visage de Drew lui apparut et se peau se mit à frissonner. Elle n’avait jamais osé imaginer se retrouver nue face à lui pourtant, elle le faisait avec Jim. Elle le faisait avec Jim parce qu’il était comme un membre de sa famille. Parce qu’avec lui elle se sentait invincible. Pas de la même manière qu’avec Drew. Jim n’était pas un chevalier. Il était le fou du Roi, celui à qui rien n’échappe mais qui échappe à tout. Le blond était un refuge, l’insouciance qui la poussait à réaliser ses rêves sans se préoccuper des conséquences. Avec Drew tout aurait été plus intense, plus vivace peut-être mais il aurait été celui qui veille, qui gronde. Or à cet instant, c’était Selwyn qui venait de lâcher les rênes. Les vagues qui venaient lécher ses orteils frappaient maintenant ses cuisses. L’eau était froide par cette nuit de fin d’été mais peu importe ce sentiment de liberté était grisant ! La jeune népalaise faisait face à cet horizon infini et son cœur battait la chamade. Elle plongea tête baissée et ressortit quelques secondes plus tard, rejetant ses cheveux en arrière. Parce qu’elle aimait Drew. Elle aimait Jim. Et Jared. Elle les aimait tous et ses cauchemars ne l’atteignaient plus parce qu’elle se sentait invulnérable et pour la première fois de sa vie, pleinement vivante.

“ Never gonna stop 'til the clock stops tickin'
Never gonna quit 'til my leg starts kickin'
I will follow you and we'll both go missin'
No I'm never givin' up 'til my heart stops beatin'
Never lettin' go 'til my lungs stops breathing
I will follow you and we'll both go missin'
No I, And we don't even know where were going
But I'm fleeing with you and I'm glowing ”

“      Fruit de la Passion    ”

 Jim T. Reed  

Le vent caressait sa peau nue. La chair de poule commençait à y galoper. Et des frissons de liberté. Ses yeux d’encre la brûlent, le sel joue sur sa langue et l’iode lui pique le nez mais son cœur bat. Elle le sent cogner dans sa poitrine. Refermant les paupières, elle se laisse bercer par la complainte marine. Son père lui avait promis de lui faire découvrir. De faire du bateau même s’il avait le mal des transports. Ils adoraient tous deux se promener des heures dans les aquariums. Pour se moquer de la tête de certains poissons. Pour coller leur nez contre la vitre et faire des grimaces aux locataires. Pour rester bouche bée, le cœur palpitant alors que les requins approchent leur mâchoire meurtrière des faibles palissades de verre. Ils s’asseyaient face à cet océan artificiel et parlait de leurs rêves, de leurs souhaits. Enfin, il la faisait parler et l’écoutait attentivement. Il lui faisait des promesses qu’il n’a jamais eu le temps de tenir. Il lui faisait entrevoir un bonheur lumineux que la mort avait englouti avec lui. Un avenir un peu plus lumineux que son enfance qui lui avait été cruellement arraché en même temps que ce lien si intense. Le lien du sang. Quand son cœur paternel a cessé de battre, c’est une partie de sa jeune âme qui a été réduite en volute de fumée, en une plaie encore béante qui saigne et suinte de pue.

Claquement dans l’eau. Elle se retourne vers la source. Ses lèvres se fendirent en un rictus discret ; il ne savait résister au défi qu’on lui lançait, comme elle. Elle chercha du regard quelques secondes le lieu d’où pourrait surgir le garçon. Les gouttelettes projetées par ses cheveux platine lui brûlèrent la peau. Ses prunelles vinrent se perdre à la surface de l’eau afin d’effleurer le reflet de son corps et de savoir s’il avait entièrement joué le jeu. Et effectivement.

 « Je suis cap de tout Selwyn. En revanche, je dois avouer que je ne t’en pensais pas capable. »

Elle esquissa un léger sourire, rabattant ses cheveux détachés sur sa poitrine, pour la camoufler un petit peu. Certes elle était nue. Avec lui. Dans la mer. Seuls. Dans la pénombre. Loin de tout. Elle n’a jamais vraiment réfléchi au fait qu’elle pourrait attiser un quelconque désir (surtout vis-à-vis de Jim). Personne ne s’intéressait à elle jusqu’à ces derniers temps. Elle a été le sujet de moqueries. De brimades. Elle n’avait pas d’amis mais elle s’en fichait parce que la solitude était son quotidien depuis sa plus tendre enfance.

Elle était fusionnelle avec son père, en conflit nucléaire avec sa génitrice et en territoire –plus ou moins-  neutre avec les autres gamins. Elle s’est toujours débrouillée seule, elle a fait ses propres expériences et en a payé les conséquences, aussi colossales fussent-elles. On ne lui avait jamais parlé de sexe, d’alcool ou de drogues. Elle a toujours été l’unique soldat, à la fois général et assassin, face à cette armée qui lui fonçait dessus. Elle ne pouvait se permettre de laisser trembler ses jambes alors elle se refermait, elle s’emprisonnait, s’encloitrait dans un monde irrationnel, sombre et stéril. On l’avait abandonné avec sa folie destructrice pour seule compagnie dans ce monde cruel. On l’avait enfermé le temps qu’elle reprenne le contrôle de son pouvoir, pour ne pas qu’elle arrache davantage de vies et ne cause davantage souffrances. Et par la minuscule fenêtre, elle regardait la mer. Elle s’inventait des histoires, elle dessinait dans la poussière. Puis il y a eu le petit Drew qui lui a appris à vivre différemment. Puis il a disparu, elle a vécu, il est revenu. Elle a rencontré Jim et Jared et les autres. La vie a commencé à ressembler à autre chose qu’un gouffre sans fond où elle attendait que la mort vienne la saisir. Elle a pris des couleurs et particulièrement avec Jim.

« - C’est la fin d’un cycle. Je devais le conclure ainsi. C’était une promesse que je m’étais faite. Et j’ai décidé que tu en serais le témoin.

Sur les derniers mots, sa voix se brise, la gorge serrée dans un étau de métal froid.La fin de l’obscurité qui t’étouffait ? Ses paroles sont ésotériques, vagues, floues tandis que son regard survole l’horizon et les rides dont se pare cette étendue pacifique. Dans ses prunelles, les lueurs du soleil couchant vacillent. L’eau salée qui ruisselle de sa crinière d’ébène vient cueillir dans son sillage les rares larmes qui échappent à son contrôle. Levant le menton, elle fixe le ciel paupières fermées, imagine les étoiles et adresse une prière silencieuse à celui à qui elle doit tout.

Aujourd’hui, je crois que je commence à goûter au bonheur.