Si mourir était une option sans contre-coup, tu l'aurais suivie. Mais tu n'es pas égoïste au point d'infliger ça à tes proches – du moins ceux qu'il te reste. L'envie de se lever chaque matin part petit à petit, le désir de reprendre une vie normale s'échappe entre tes doigts. Peut-être que tu n'es plus rien, que tu n'as plus rien, mais tu refuses de te laisser abattre. Au fond, t'es persuadée de pouvoir survivre toute seule. Et tu dois voir Nathan, tu dois affronter sa haine et l'apaiser. Comment ? Tu n'as même plus cette faculté d'absorber les émotions négatives de ton entourage. Tu regrettes presque ce don moins fatiguant, moins éprouvant en un sens.
Regard vers ta chambre. Cette chambre dévastée. Ce lieu où tu aimais te réfugier, avant. Où tu pleurais, seule ou avec Nathaniel. Ce n'est plus le dégoût qui t'anime en voyant ce carnage, mais la rage. Une haine entièrement dirigée vers le responsable, une haine qui, une fois arrivée à son paroxysme, t'avait possédé pendant une nuit entière, te poussant à aggraver le saccage sous ta forme animale.
Une haine qui, aujourd'hui, te détruit, te consume. Tu ne souris plus, tu ne ris plus. Tu n'es plus heureuse, tout simplement. Que faire ? Partir vers New York, retrouver tes parents dans cet état si misérable ? Bien sûr, pour qu'ils t'achèvent avec leur regard empli de déception, pour qu'ils enfoncent plus profondément le pieu déjà bien planté dans ta poitrine. Tu fuis de nouveau tes proches, esquivant la plupart du temps Chan, survivant tant bien que mal dans les vestiges de ton dortoir.
Le seul point qui te perturbe, c'est les choses que le coupable a dévasté. Tes mangas, particulièrement. Comment aurait-il pu savoir quoi détruire pour te faire mal ? Et, surtout... Pourquoi ne les a-t-il pas tout simplement déchirés ? Tant de questions pour si peu de réponses. Ca te déchire de l'intérieur, ça te donne envie de vomir.
Tu jettes un œil au miroir, affrontant la réalité en face. Ta tronche de cadavre délavé ne te met franchement pas en valeur. Une bonne douche brûlante plus tard, tu es assise devant la glace et tu sors le fond de teint. Masquer les cicatrices sous du maquillage relève plus de l'art qu'autre chose mais, au bout de la deuxième couche tu abandonnes et effaces tout, ton peu de patience jouant vicieusement contre toi. Un nouveau coup d'eau sur ton visage, deux traits au crayon noir sous les yeux et tu te démêles rapidement les cheveux.
Affronter le soleil est presque plus dur que de faire face à la salle de bain. Il t'aveugle, te brûle la peau. Pourtant, tu subis ça tous les jours. Juste que cette fois, tout te semble plus douloureux, tout est contre toi. Foutue paranoïa. Souffle saccadé, tu pénètres sans réfléchir dans le pensionnat, t'engouffres dans les toilettes des filles et jettes ton petit sac par terre, à côté de toi. Tu retires tes lentilles, laisses tes yeux bleus briller. Tes pupilles n'ont pas encore forme humaine, ressemblant plus à celles d'un chat qu'à celles d'une adolescente. Tu clignes des paupières, essuies les quelques larmes causées par le retirement brutal de tes verres de contact.
Sauf que c'est ce geste qui signe la mort de ton self control. En relevant les prunelles vers le miroir, tu a la violente impression de te prendre une beigne. Parce que ton esprit décide de jouer les masochistes et de te rappeler à quel point tu es seule – pas seulement dans ces chiottes, mais en général. Tu n'as pas parlé à Nate depuis son passage en S, ne parlons même pas de Nathan. Et, étrangement, tu n'as pas vu nombre de tes amis depuis une éternité. Peut-être que ton affiliation à RED a causé la perte de tes proches ? Non, Chan te soutient. Et Elise est avec toi. Elise... Tu n'es plus utile pour elle, maintenant. Tu ne peux plus soulager sa peine d'une simple étreinte, d'un simple contact.
Dents serrées, joues trempées, tu reprends la sacoche noire et fouilles à la recherche de ton paquet de clopes, aussi connu sous le nom de Saint-Graal. Tu en glisses une dans ta bouche et t'assois au fond, l'allumant sans même vérifier si tu en avais le droit. Qui s'en soucie, de toute façon ? Yeux fermés, profonde inspiration. Le tabac s'infiltre dans ta gorge, la fumée s'échappe par tes narines. Les sanglots silencieux agitent tes épaules, le crayon coule peut-être sur tes pommettes. Mais tu t'en moques, plus rien ne t'intéresse. Tu ne sais pas combien de temps passe avant que la porte ne s'ouvre mais, encore une fois, tu gardes les paupières rabattues devant les yeux, tu tires une nouvelle latte.
« J'sais pas qui est là mais j'te conseille de repartir fissa ma jolie. » Voix enrouée, ton dur. T'es pas d'humeur à entendre une nénette changer de tampon ou se refaire une beauté pendant que tu te laisses bouffer par ton négativisme.
InvitéInvité
Sujet: Re: Soutien inattendu. Dim 24 Aoû 2014 - 19:11
Si t'avais pu prévoir qu'une voix masculine te réponde dans les toilettes des filles, t'aurais pas bugué en percevant le ton, et tu te serais pas terré au fond de ton minuscule habitacle comme un animal sauvage. Pourtant, c'est bel et bien un mâle qui répond à tes menaces, par des paroles qui ne font qu'attiser ta haine envers le monde entier. « Rrrr, bah alors chérie t’assume pas ton visage dégoulinant de mascara ? Léger claquement contre ta porte, tu fermes les yeux en lâchant un infime grognement. Putain, qu'est-ce qu'il fout dans les chiottes ? T'as besoin d'un câlin ? Ca doit être cosy là d'dans en plus ~ »
Beurk, plutôt crever que subir un contact physique forcé par ce qui semble être un inconnu. Tu ne réponds pas, tu écoutes sans voir – les bruits sont assez louches, en fait. Pas un seul mouvement, juste ton souffle régulier, tes reniflements discrets. Et il reprend la parole, pendant que tu laisses ton négativisme fermenter, devenir plus fort. Tu t'enfonces dans ton noir et te replies à côté de la cuvette, genoux repliés contre ta poitrine. « Tu vas attendre que j'me barre pour sortir? Tu vas attendre que j'sorte pour te barrer ? Ton légèrement plus assuré, mais toujours presque craintif – comme si le fait qu'un individu de sexe opposé dans les toilettes, seul avec toi et porte fermée, ça t'effrayait. Ok, vu sous cet angle ouais, ça t'fait peur. Oreilles tendues, tu l'écoutes remuer dans la pièce, ce qui t'inquiète un peu. Tu ne sais pas ce qu'il fait, mais t'es persuadée que c'est pas super sain. Tu tires une latte, expires lentement la fumée. Soulagement. Haan mais quelle rebelle, elle fume dans les toilettes. Haan mais quel mâle, il traîne dans les chiottes des meufs. » Tu réponds au tac-au-tac, muée par tes propres émotions. T'as juste envie qu'on te foute la paix, ne serait-ce que quelques heures – dans une solitude complète, aussi rassurante qu'horrifiante. Tu demandes pas la lune, si ?
« Tu sors ou j'viens t'chercher? Sourcil arqué, légère curiosité ; grosse flippe. Comment ça v'nir m'chercher ? Tu te rends compte de c'que tu dis ? Merde, j'pourrais me sentir agressée et appeler au s'cours. Même si ça ne servirait strictement à rien. Persuadée qu'il bluffe, tu jettes ton mégot au fond des chiottes et t'allumes une nouvelle clope, profitant pleinement de la sensation qui en résulte. T'auras pas la force nécessaire pour déverrouiller la porte, t'façon. Arrogance, fierté, persuasion. Tes paroles en dégoulinent, alors qu'au fond, t'as presque peur.
Parce que tu l'entends sauter par-dessus les cabines, parce qu'au fond tu sais qu'il aurait aucun mal à passer la barrière entre vous. Tu t'appuies finalement contre la porte, geignant à cause de tes fesses te font mal – c'est dur, le carrelage. « Et qu'est-ce que tu compterais faire si j'sors pas ? Dire ça en déverrouillant la porte prouve que t'es curieuse – et un peu maso. Tu te relèves difficilement et tapotes ton fessier douloureux, mordillant instinctivement la cigarette entre tes dents. Beurk.
En faisant face aux miroirs, tu t'attendais à voir ta tronche ravagée par le mascara. Mais au lieu de ça, tu découvres des inscriptions écrites avec du rouge à lèvre, trois couleurs différentes. C'est bien pensé, mais après lecture, c'est pas très logique – juste assez pour que la plupart des idiotes entrant dans ces chiottes pour se repoudrer le nez y croient. Sortant un mouchoir de ta poche, tu effaces celle qui concerne Crystal, refusant qu'elle subisse quoi que ce soit parce qu'un abruti a décidé de faire chier le monde et de foutre la merde. Le reste te concerne pas, tu t'en fous – mais entoures avec ton propre stick le prénom ''Alessandra'' et ''gros cul''. Rancune immature ? Rien à foutre.
Robinet actionné, cigarette posée dans un périmètre de sécurité, et tu nettoies ton visage, jusqu'à ne plus sentir ta peau à cause du liquide gelé. T'épuises ton premier paquet de mouchoir en séchant le tout, et prends une profonde inspiration. C'est comme nettoyer une vitre d'un seul côté – l'autre est aussi sale, mais on peut pas l'atteindre si on l'ouvre pas. Ton « autre côté », c'est ton esprit, ton être. Et ça, ça se lave pas aussi facilement.
Secouant la tête pour dégager les bribes négatives – et accessoirement tes cheveux – tu te retournes et t'appuies contre le lavabo, bras croisés. Curiosité piquée à vif, tu fixes un point précis et lâches une dernière phrase. « Hm, j'l'ai quand mon câlin? »