Se faire remarquer ou ne pas se faire remarquer? telle est la question ♥ [Avec: Alexis ♥]

Colère. Crispation. Calme. Il fallait qu’elle se calme. Elle était revenue au Pensionnat, ce n’était pas pour rester dans le même état d’esprit qu'à New-York ! Cette année encore, elle était revenue pour son anniversaire dans sa ville natale. Mais bien sûr, comme à chaque fois, alors que le 1er août était censé être son jour, ça avait lentement glissé à une bataille entre ses parents. Ah, que ça l’énervait à la fin ! Ils n’étaient pas fichus de se tenir tranquilles les rares fois où elle venait les voir ! Obligée de s’excuser devant les autres clients du restaurant, obligée de consoler Anthony qui avait toujours été sensible par rapport à ça, obligée de dire à ses parents après coup que ce n’était pas grave s’ils referaient l’anniversaire séparément plus tard. Nan mais franchement ! Comme si « ce n’était pas grave » !

Alexis marchait dans les ruelles de la ville en se forçant à inspirer et expirer correctement. Elle tentait de profiter du climat estival et de la beauté de l’île mais rien n’y faisait. Les images de son départ anticipé tournaient en boucle dans son esprit : des mots qu’elle avait balancé à sa mère avant de claquer la porte ; des messages désolés que son père avaient passés pour calmer le jeu, sans succès ; du refus violent dont elle avait fait preuve quand il avait simplement proposer de l’emmener à l’aéroport, partant plutôt avec Arthur qui était le seul un peu près stable dans cette famille. Malgré son agitation interne, elle était surtout surprise de son absence de regret. Notamment face de sa mère. Une petite voix lui disait qu’elle n’aurait pas dû, laissant sa cyclothymie gérer à sa place alors que ses colères étaient destructrices… et injustes envers sa génitrice.

- Mais en fait nan…, se dit-elle à voix haute, J’en ai assez de regretter, de culpabiliser, pour des fautes que je n’ai pas commises… Que j’ai seulement subies. Elle s’était arrêtée de marcher, serrant les dents dans un rictus, subitement sûre d’elle-même. Hadès a raison. Il faut que j’agisse maintenant. Personne ne m’empêche de vivre comme je l’entends. Et plus personne – pas même moi – va me dire que je fais mal les choses ou que je n’aurais pas dû…

Remplie d’une nouvelle énergie, d’une envie de faire bouger les choses alors qu’elle n’avait pas d’idées précises en tête, elle reprit son chemin vers la Grande Place. Même à distance, de la musique se laissait entendre et en continuant d’avancer, elle remarqua les musiciens que beaucoup de passants ignoraient. C’était dommage. Elle s’arrêta près d’eux, prenant un peu de temps pour apprécier leur talent, ses yeux s’éclairant de la doigtée dont ils faisaient preuve sur les instruments. Subitement, son regard se détourna sur une petite fille que sa mère réprimandait. La tête de la blonde rentra machinalement dans ses épaules en voyant le coup, sa haine s’élevant subitement à l’encontre de cette mère qui lui rappelait pleinement la sienne. *Pourquoi un enfant ne pourrait pas danser en entendant de la musique ? Monde de merde ! C’est pas comme si elle gênait quelqu’un…* ragea intérieurement Alexis.

Inconsciemment, elle se dirigea vers la mère et la fille, ses poings se serrant. Elle s’arrêta quand elle remarqua dans le coin de son œil que quelqu’un s’était mis à danser. La blonde se détourna et fronça les sourcils mais oui, c’était bien M. Sylssayomayé, son prof d’Arts plastiques. Ses yeux gris revinrent sur la petite qui retrouvait le sourire en voyant la musique accompagnée de danse. Cette joie sincère et enfantine fut communicative et ses lèvres s’étirèrent à leur tour. Son regard amusé, mais aussi impressionné, revint sur M. Sylssayomayé, dont les mouvements étaient telle une pulsation de vie. Et même quand les musiciens le mirent au défi de suivre d’autres styles, le danseur improvisé s’adapta, pour le bonheur des passants qui s’arrêtaient de plus en plus.

A présent, la blonde n’était qu’une passante parmi toute une foule conquise, tous frappant des mains et riant. Pourtant, son prof sembla se lasser de danser seul car il tendit sa main dans l’assistance pour avoir une partenaire. Alexis s’arrêta sur la main tendue, quelque peu confuse, mais comprenant rapidement l’invitation. Son regard gris brilla et son sourire s’accentua : *Après tout, rien ne m’en empêche ! Je suis libre, je suis moi : qu’importe, ce qu’il pense ! Et puis… J’aime danser.* Elle glissa sa main dans la paume tendue, se laissant entraîner au centre du cercle humain. Il y eut un changement musical et elle émit un nouvel éclat de rire spontané en reconnaissant le thème Hymn of the Sea.

Elle se laissa porter par les notes inspirantes, fermant parfois les yeux, laissant la musique recréer tout un imaginaire sous ses paupières. Elle dansait sans réfléchir, et cela valait mieux, car la danse est instinct et liberté et ne raisonne pas. Al n’était pas gênée mais riait malgré tout quand elle bougeait à contre temps de son professeur ou de la musique, ou encore quand leur différence de taille se ressentait. Ils tournaient, se rapprochaient, s’éloignaient, innovaient et recommençaient. La blonde glissa à son professeur alors qu’elle tournait sur elle-même en étirant son bras gauche vers l'extérieur : « Je vous avoue que… je suis surprise que vous dansiez si bien, Monsieur ! C’est vrai que vous enseignez les arts… Mais je croyais que vous n’aviez un don que pour l’inanimé ! Mais c’est vrai qu’en y réfléchissant… Cela ne m’étonne qu’à moitié ! Vous n’avez jamais manqué d’énergie ! »

Elle, en revanche, commençait à en manquer à force de tourner, se pencher, revenir d’un petit saut, appuyant toujours d’un geste du bras ou de la tête les mouvements de son corps entier. La musique allait prendre fin et Alexis se demanda si les musiciens allaient changer de nouveau de mélodie. Avant que ce soit le cas, elle fit signe à la petite fille de venir la rejoindre, tout comme à un grand-père qui était là depuis le début, une fleuriste qui travaillait là, un adolescent qui avait délaissé son casque autour de son cou pour profiter de l'instant… S’il devait y avoir des gens au centre, cela devrait être les musiciens sans qui il n’y aurait rien eu. En faisant venir pleins de gens avec elle et M. Sylssayomayé, en les encourageant à danser et à rire avec eux, il n’y aurait qu’unité et bonheur partagée. Souvent, Alexis ignorait l’existence des autres et voulait rester seule… Ce n’était que de la fuite qui était devenu sa personnalité.  Mais elle ne voulait plus fuir. Et à cet instant, sa version enfant qui était restée intacte dans son cœur d’adulte s’échappa. Son plaisir était altruiste et se révélait dans le sourire des enfants qui tournaient autour d’elle.

3 Août 2015 ~ Grande Place ~ seagreen

©Gau