loup & sorcière — aiden

Si elle pouvait être plus terrifiée que ça, Frida en serait sûrement morte.
Seulement voilà. Une fois qu'elle avait balayé les alentours du regard, constatant l'obscurité, la froideur, sa solitude et imaginé tous les scénarios possibles de son atroce et douloureuse mort, elle avait fini par reprendre son calme. Elle avait tant accumulé de peur que Frida avait fini par ne plus la ressentir. Du moins, physiquement - car si elle ne tremblait même plus, elle n'en restait pas moins terrifiée par les circonstances. Elle déposa sa tête contre l'arbre contre lequel elle était assise et ramena ses jambes près de sa poitrine. Avec un soupir, elle songea à toutes les choses délicieuses que son excursion ici lui faisaient manquer - entre autres, de la bonne nourriture, la chaleur d'un lit pour lui faire oublier sa fatigue. Oui, il avait fallu qu'elle décide de sortir en début de soirée après une journée remplie - mais pour sa défense, elle n'avait pas vraiment décidé du scénario.

Le cœur du problème, c'était Aiden. Du moins, Frida aurait voulu rejeter la faute sur lui, mais il s'était montré bien trop aimable pour qu'une accusation comme celle-ci fut sincère. Ok, ça ressemblait carrément à l'un de ces mangas shojo ringards qu'elle se refusait d'apprécier dans lequel l'héroïne cherchait à en savoir plus sur celui qui avait volé son cœur. Le problème, c'est qu'en dehors de l'admiration pour quelqu'un qui l'avait aidé dans ses devoirs de musique - et qu'elle était simplement curieuse de ses étranges sorties nocturnes. Étant donné son pouvoir (elle n'avait rien fait de moralement répréhensible pour en apprendre la nature, elle s'était juste renseignée auprès de l'administration en empruntant une apparence qui convenait) elle supposait que ses habitudes animales reprenaient le dessus de temps à autres, mais les pouvoirs avaient disparu.
Était-il nostalgique ? Elle avait du mal à l'imaginer. En tête des choses qui lui faisaient envie, la possibilité d'être coincé dans un corps de chien ne figurait pas dans la liste de Frida.

Ce type était bizarre. À la longue (c'était peut-être un effet secondaire du fait de se retrouver assise dans la forêt, dans le noir de la nuit, mais elle n'était pas sûre) elle avait fini par s'en moquer - elle voulait juste rentrer. Elle ne savait pas où il était parti, puisque d'ordinaire il privilégiait la bibliothèque pour calmer ses nerfs, et elle était au bord de la panique. Bon, ça suffit, semblait dire son corps. J'ai atteint un tel point de ridicule que j'ai décidé de ne plus écouter tes ascenseurs émotionnels idiots. Au final, elle était dans un tel état de bouillon sentimental qu'elle ne fut pas plus surprise que ça d'arriver devant une maison hantée (ce n'était qu'une maison vue de l'extérieur, mais elle savait qu'elle était hantée lorsqu'elle arriva devant, c'est l'une des raisons qui fait qu'elle est hantée). Au final, elle ne fut pas davantage surprise de voir Aiden devant celle-ci.

"Qu..Qu'est-ce que tu fais-là ?!" demanda-t-elle comme si tous les malheurs de sa journée tenait à l'affront qu'était sa présence ici. "Je comprends rien, d'habitude c'est la bibliothèque !"

Entre le ridicule et la honte, la frontière est mince. C'est peut-être pour ça que Frida éprouvait les deux sans arriver à définir précisément ses sentiments. Elle n'avait jamais prétendu être une experte en la matière bien sûr, mais lorsqu'une fois qu'elle se retrouva devant Aiden elle comprit qu'elle n'avait aucune idée de ce qu'elle faisait là - et que l'éventualité d'une curiosité téméraire lui parut ridicule au milieu d'un décor aussi effrayant -, elle fut incapable de trouver quoi lui répondre. Bien sûr, elle aurait pu cligner rapidement des yeux pour les embuer et fondre en larmes afin d'obtenir une certaine réticence à l'idée de se faire crier dessus - voire même, si la personne est dans un bon jour (ce qui ne semblait pas être le cas d'Aiden), se faire raccompagner, et si elle n'était pas certaine que ça n'arriverait pas, elle aurait peut-être envisagé l'éventualité. Au contraire, elle balaya les alentours du regard, se résolut une ultime fois à la terreur qu'elle devrait affronter et se dit qu'au fond, quoi que lui dise Aiden, le chemin de retour serait encore plus effrayant. Avec les gens, une transformation en Mike Tyson la tirait généralement d'affaire - mais non seulement les pouvoirs avait disparu, mais cette technique ne marcherait sans doute pas avec les animaux.

Elle aimait se réfugier dans ses pensées, comme pour éviter de se concentrer sur le présent qu'elle avait à affronter - mais lorsqu'elle prit conscience de cette pensée, la dernière lui sembla durer un instant horriblement court, bien qu'elle ne manque pas d'humour : Mike Tyson avait-il peur dans les pires endroits ou rêvait-il d'être quelqu'un d'autre ? Elle ne put s'empêcher de sourire, mais s'empressa de l'effacer lorsqu'elle leva les yeux vers lui pour ne pas lui donner l'impression de se moquer de lui - Frida avait beau prendre la situation avec légèreté, elle ne voulait pas d'ennui. D'un côté, prendre tout cela au sérieux revenait à admettre toute la peur qui la parcourait et elle s'y refusait. Elle était professionnelle dans l'art de contourner la réalité - et le mensonge allait de pair avec.

"La forêt est à tout le monde, non ?" déclara-t-elle d'un ton cassant en le toisant d'un air insolant.

Elle soutint son regard durant quelques instants. Les batailles du regard, elle n'avait aucun problème. Être coincée dans une forêt, en revanche, était un problème qui se réglait avec des moyens tout autre que le peu de culot qu'elle osait présenter.

"Je suis perdue." grommela-t-elle.

Comme une révélation honteuse, elle rougit légèrement et tourna la tête. Elle avait beau essayer d'agir comme une grande personne, elle restait jeune et incapable de se débrouiller seule dans la nature. Plus elle y pensait, plus Frida trouvait stupide l'idée d'avoir suivi un inconnu dans la forêt. De loin, Aiden lui semblait plus gentil, ouvert, épanoui - comme un A sociable, un senpai digne de confiance qui l'aborderait avec gentillesse et patience. Maintenant qu'il lui adressait la parole, elle sentait une froideur aussi sincère qu'elle ne lui semblait pas destinée - et l'injustice de ce comportement la frappa avec cruauté. Elle savait bien que les personnes que l'on admire nous décevaient toujours parce qu'on n'en connait rarement les défauts - bien qu'elle n'éprouve pas vraiment de l'admiration pour Aiden, plus une sorte de reconnaissance obsessionnelle -, mais elle n'y était pas préparée.

"On est où? C'est quoi cette maison?"

Elle fit quelque pas en direction de la Maison Hantée et posa le bout de ses doigts sur le bois de la porte, laissant aussitôt un frisson la parcourir. Cet endroit ne la rassurait pas - et entre la curiosité brûlante d'une visite et la peur déjà à son apogée, Frida ne savait que penser.