since you've gone away
Ca fait combien de temps que tu es là, Leann? Combien de temps que tu regardes désespérément cette ligne d'horizon, les yeux encore bouffis par tes sanglots, les joues dégoulinantes de tes pleures. C'est ta faute, tout ça. Tu en as bien trop conscience, et te voilà sur le quai de la gare, incapable d'en assumer les conséquences. Ca fait des heures que tu trembles, incapables d'agir, incapable de faire le moindre mouvement si ce n'est ce tremblement qui te parcours de haut en bas. T'as même arrêté d'essuyer les larmes qui perlent le long de ton visage rougit par la honte et la culpabilité. Comme ça, en te voyant sur le banc, on pourrait croire que tu t'es calmée, que ça va un peu mieux. Tu ne fais plus que haleter, essayant de retrouver un soupçon de souffle après tout ce temps que t'as passé à vider la moindre goutte d'eau de ton corps dans un chagrin dont tu n'es pas prête de te remettre. Mais ce vide, il n'est qu'apparent. A l'intérieur, c'est de pire en pire. A l'intérieur, ça brûle, ça hurle et ça continue continuellement de le supplier de te pardonner. A l'intérieur, tu lui dis toujours que tu t'es emportée, que ce n'est pas ce que tu voulais dire. A l'intérieur, il y a toujours son regard froid qui te juge une dernière fois avec toute la méprise que tu n'aies jamais été donnée de voir dans ses yeux azurés, avant qu'il ne décide que tu ne vailles même plus la peine d'être regardée. A l'intérieur, il y a son silence dévastateur, puis
la scène qui se rejoue en boucle.
Ca aurait pu être une belle journée, ce dernier vendredi du mois de juin. Il faisait beau, mais pas trop chaud pour un jour d'été. T'aurai voulu profiter de ton début de vacances, mais tu savais que ce n'était pas possible. En fait, ça faisait un moment que tu n'avais pas eu l'occasion de profiter de quoi que ça soit, mais ça ne te dérangeait plus. En semaine, tu enchaînais cours et révisions à longueur de temps. C'était plus de la mise à niveau qu'autre chose, à vrai dire, mais tu le prenais plutôt bien. Tu y voyais un intérêt que t'avais complètement perdu dans tes études de médecine, et ça te mettait du baume au cœur. Tu travaillais jour et nuit sur ce que tu avais à rattraper, tu voulais être la meilleure malgré ton retard. C'était important pour toi, de te montrer capable et digne de la faveur qu'on t'avait faite de te laisser changer de section en cours d'année. Puis il y avait le travail le week-end. Le Thousand Sunny était un endroit convivial malgré tout et t'étais bien contente de toujours avoir ton poste là-bas pour avoir de quoi vivre. Ce n'était pas comme au Spirit Dove, c'est sûr, mais t'étais quand même reconnaissante d'avoir ce job. Puis à côté de ça, y avait les Colombes. Pas que vous organisiez quelque chose de particulier, mais il commençait à y avoir pas mal de monde dans le QG et tu savais que plus il y avait de monde, plus il y avait de chance qu'il se passe quelque chose de mauvais, et honnêtement, tu ne voulais pas que l'image de ce groupe que tu avais fondé soit salit par une idiotie d'un petit nouveau. Alors tu étais aux côtés de tous ceux qui arrivaient, ceux qui en avait besoin, et même de ceux qui n'avaient rien demandé. Puis enfin PUMA. C'était plutôt calme depuis Avril, mais il y avait cette pression de tous les côtés. De la Vice. Des élèves. De dehors. De ce que t'avais vu. Des cris des manifestants qui faisait écho dans ta tête à chaque fois que tu pensais à Paris. Puis, même si tu ne doutes pas un seul instant que la distance puisse vous séparer, y a aussi le fait que ça soit votre dernier été ensemble, sur l'île. La fin de ses études, un peu d'appréhension dans l'approche de votre future relation à distance. Il y avait tellement de choses que tu cachais derrière ce sourire, ce simple sourire que tu avais adressé à Joshua quand il était passé au travers du mur de ta chambre en ce début d'après-midi.
Vous passiez beaucoup de temps ensemble, même si ce n'était pour pas grand-chose, pour pas rater une miette de ce qu'il vous restait à vivre si proche l'un de l'autre. Il s'était installé sur ton lit, avec un livre sous les yeux, t'observant tourner avec acharnement les pages du code civil. Puis y a un moment ou vous avez dû commencer à discuter. Tu ne sais pas trop comment, c'est confus dans ton esprit. Faut dire qu'il y a plus beaucoup de choses qui y fonctionnaient encore normalement, mais la suite, tu t'en rappelles clairement. Peut-être le ton désagréable de ta voix à ce moment-là qui fend le silence de ce bungalow virtuel qui a pris place dans ta mémoire ? Ou peut-être parce que c'est là que tout a merdé. T'entendais le début de conversation comme un écho lointain dont tu ne distinguais que quelques mots entre le flot de tes souvenirs décousus et ce battement de cœur qui résonne dans chaque parcelle de ton corps. "…Travail... Encore ?" "…Colombe… Et toi, hein ?..." "…t'en fais trop…" "…Non, mais toi pas assez…" Puis tu le vois hausser les épaules, comme si la scène était tout à coup au ralentit. Et pendant que ses épaules se lèvent, tu vois, lentement, très lentement ton propre visage changer de forme. Tes yeux qui se plissent, tes sourcils qui se froncent et la bouche qui se retrousse avant de s'ouvrir pour lâcher ces mots, ce stupides mots.
Si c'est pour ne rien faire, tu peux tout aussi bien partir. Sur le moment, tu ne réalises pas toute l'ampleur de ce que tu viens de dire. C'est parti tout seul, mais tu ne le pense pas un seul instant. Tu savais pertinemment que tu ne t'imaginais plus vivre sans lui un seul instant, qu'il était devenu indispensable à ton équilibre, à toute ton existence. Tu savais à quel point t'avais besoin de lui. C'était devenu un besoin, ses baisers sur tes lèvres, ses caresses dans tes cheveux, son parfum jusque dans tes draps, sa voix qui te murmurais toujours les mots qui savaient te réconforter quand ça n'allait pas. Jamais, jamais tu n'aurai voulu qu'il parte. C'est quand t'as planté ton regard dans le sien que t'as réalisé à quel point tu avais merdé. Ses prunelles s'étaient obscurcis tandis que sa moue nonchalante avait pris une connotation bien plus sévère.
Tu baisses les yeux, dégageant de ta bouche honteuse de ses propres propos un premier "Piercy… Je suis désolée" noyé dans un torrent de début de phrase incompréhensibles. Ce n'est pas de que tu voulais dire, il devait le savoir, mais c'est comme ça avec les mots. Si facile à dire, impossible à reprendre. Il ne prend même pas la peine d'attendre la fin de ton bégaiement et c'est une pluie de reproches qui sortent froidement de sa gorge. Il a rarement été aussi froid avec toi, pas depuis ce qu'il s'est passé au clocher, quand il avait violemment enfoncé sa main dans ton estomac pour te montrer à quel point il pouvait être dangereux. A quel point il avait eu peur de te blesser quand il ne contrôlait plus vraiment ce qu'il faisait. Pourtant, aujourd'hui, il a tout le contrôle du monde. Il est glacial, certes, mais il n’y a pas la moindre tracer de colère dans sa voix. Juste ces mots qui baignent dans un gigantesque marrais de déception et d'agacement. Tu béate face à ses mots. Il y a bien des moments où tu essayes de prononcer quelque chose, mais tu en es incapable. Tu sens la pulsation de ton cœur qui résonne, tu t'entends à peine penser. Puis y a ton ventre qui se resserre, tout ton intérieur qui se retourne, t'arrives à peine à respirer normalement. Alors répondre ? Impensable. Ces propos te submergent, comme une vague gigantesque. Tu n'es pas sûre de bien comprendre ce qu'il te dit, mais y a des mots qui résonnent plus que d'autres.
"
Vraiment ?" Non, bien sûr que non, pas vraiment, pas c'est ce mot qui a fait exploser le court silence qui a suivi ta stupide, si stupide remarque.
"
Tu ne me connais vraiment pas, au final, hein ?" Même si t'avais pu, tu n'aurais pas su quoi répondre. T'avais envie de te convaincre que si, mais au final, tu te mettais à douter. Qu'est-ce que tu savais de lui au final, hein ? Qui t'étais vraiment à ses yeux ? Qu'est-ce que tu avais fait pour mériter cette place à ses côtés ? Rien, Leann. Rien, à part avoir toujours été ce boulet incapable de maîtriser ses émotions, incapable de faire quoi que ça soit par soi-même, incapable de quoi que ça soit. Tu te sentais tout à coup tellement inutile, et incapable d'arriver à te convaincre du contraire. Regarde-toi dans un miroir ma grande, tu n'as pas ta place avec quelqu'un comme lui. Tu n'es pas faite pour quelqu'un comme ça. Tu n'es personne, derrière tes grosses lunettes et ses grandes jupes démodées. A quoi tu t'attendais, Leann ? A quoi tu pensais ? Est-ce que tu as vraiment cru une seule seconde que c'était ton happy end ? Que derrière ce baiser qu'il avait déposé sur tes lèvres tremblantes le soir de Noël, c'était la fin des inquiétudes. Oh, douce enfant, à quel point peux-tu être naïve ?
"
Ton histoire de Colombes est ridicule de toute façon." Tu aimerais ne pas être blessée par sa remarque, t'aimerai te dire que ce n'est qu'une personne de plus qui te le dit, mais que ça ne t'empêche pas de croire en ton projet. T'aimerai être forte, pour une fois putain, être forte et laisser ses mots couler sur une barrière imperméable autours de toi, mais t'en es incapable, parce que cette fois c'est lui. Lui qui te le dit, lui qui t'a toujours supporté, lui que tu pensais toujours derrière toi. Ca fait mal, Ca fait tellement mal. Tu sens ton cœur qui s'écrase, qui se renferme encore un peu plus dans ta poitrine alors que tu ravale tes premières larmes de la journée. "Tu sais que je ne supporte pas les gens qui s'affichent comme tu le fais.
"
Tu sais que je ne supporte pas les gens qui s'affichent de toute façon." C'est de plus en plus dur de supporter ce qu'il te dit, et qu'importe à quel point t'essaye de rester digne, de rester calme, y a tes yeux qui rougissent, ta bouche qui se tords, et tes mains qui essaye de cacher ton visage qui a blêmi. A l'intérieur, tu le supplie d'arrêter, tu l'implore de te pardonner, mais y a toujours aucun son qui arrive à sortir de ta bouche. Putain, Leann, qu'est-ce qu'il t'a pris ? Ce n'est pas ton genre de t'emporter comme ça, mais sa réaction, elle est carrément au-dessus de l'entendement. Tu n'arrives même pas à comprendre comme une si petite phrase peut avoir de tels effets. Tu n'arrives même pas à appréhender pourquoi il a l'air de tellement te détester maintenant. Et si… Et si au final tout ceci ce n'est qu'une excuse ? Qu'une simple excuse pour se débarrasser de toi ? Parce qu'au fond, peut-être qu'il en avait juste marre, non ? Marre de toi et de tes pics sentimentaux, de ta présence quasi constante pour quoi au final ? Tu te rends tout à coup compte du point auquel tu n'y connais rien à ce que c'est qu'une relation. Qu'est-ce que ça a changé, concrètement, le fait que vous sortiez ensemble, hein ? Il vient te voir de temps en temps, un peu plus qu'avant. C'est juste une présence un peu plus fréquente, et quelques baisers de temps à autre. Toi, tu sens ce bonheur rien qu'en le sachant près de toi, t'entends le battement de ton cœur qui s'accélère dès que sa main effleure ta peau, tu vois tes joues inévitablement continuer à rougir quand il te complimente, même après plus d'un an. Mais au final, qu'est-ce qu'il ressent à ton égard, lui ? Il ne supporte pas les gens dans ton genre, tu entends ? Il ne te supporte pas. C'est ça, ce qu'il pense de toi. Ca fait pourtant des mois que t'as commencé cette histoire. Ca fait des mois qu'il n'en dit pas un mot. Alors s'il est capable de te cacher pendant des mois qu'il te déteste, se pourrait-il qu'au final il ne t'ait jamais aimé ?
"
J'agis dans l'ombre, si j'ai des trucs à faire, je les fais, mais pas de façon aussi ouverte. Tu devrais le savoir." T’agite la tête de bas en haut. Tu te rappelles de cette soirée où vous vous étiez retrouvé en cachette dans la salle de cours des B, ou vous aviez eu une discussion tellement similaire. Tu lui avais demandé de prendre part, s'il voulait vraiment montrer qu'il avait quelque chose à faire du sort des E comme il te le répétait si souvent. Puis il avait lâché ce petit sarcasme qui t'avait tellement agacé, au point que tu l'ais giflé. Mais il avait juste souri, à ce moment-là, juste attrapé ta main, juste dit qu'il était de ton côté, mais en secret. Il avait dit qu'il quitterait le WIP si tu le désirais. Qu'il était désolé d'avoir joué avec tes sentiments. S'excuserait-il aujourd'hui d'avoir joué avec tes sentiments depuis si longtemps ? Allait-il te dire que finalement vous auriez dû en rester à cette époque où vous n'étiez que de simples amis ? Toi, tu commences à te poser la question. Pas que tes sentiments s'effacent, non. Pas que tu ne ressentes plus la même chose, mais tu te dis que tu souffrirais probablement moins en reniant ce que tu ressentais pour lui, continuant à lui vouer cet amour à sens-unique, que s'il en arrivait à te dire que finalement, tout ce temps n'avait été que mensonge.
"
Mais bien, si tu veux que je parte, je m'en vais." Il y a eu d'autres mots entre les deux, mais tu n'arrives pas à t'en souvenir. T'étais trop occupée à te recroqueviller dans un coin de ta tête. Pourtant, ça, ça te réveille. T'arrive à articuler un "Non" à peine audible, un "Non" qui arrive à peine à s'échapper de ta gorge. Il pose ses mains sur ton matelas, puis il se relève d'un coup brusque. T'as peur, Leann. Tu n'as jamais eu aussi peur. Plus peur que quand tu t'es retrouvée dans le monde parallèle d'Hadès. Plus peur encore que quand la main de Joshua tenait tes organes, prêt à te les arracher et laisser tes restes choir sur le sol de la place du clocher. Parce que s'il part, s'il
part, tu ne sais pas si t'arrivera à t'en remettre. Tu n'arrives plus à te retenir de pleurer. Tu te lèves juste derrière lui, tu te précipites pour le rattraper, mais à la seconde où t'essaye de rentrer en contact avec lui, il phase. Il se sert de son pouvoir sans aucun regret, s'il s'agit de te tenir à distance, et tu ne t'y attendais pas. Tu restes immobile quelques secondes, figée dans cet élan arrêté.
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Piercy, s'il te plait. Lui aussi, il s'arrête. Il ne te fait pas face, mais tu imagines déjà l'expression sur son visages, tu vois ses traits tirés et le jugement dans son regard.
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Piercy, c'est pas du tout ce que je voulais dire, tu le sais très bien. S'il te plait, écoutes moi.-
Je sais exactement ce que tu vas dire, Leann. Tu te figes, encore un peu plus. T'essuie la pluie qui coule sur ton visage, faisant de tes reniflements la seule chose qui interrompt le silence dramatique de la pièce. Tu détestes quand il t'appelle par ton prénom. Il ne t'appelle jamais par ton prénom. C'est tellement formel, Leann. Entre vous, ça a toujours été des surnoms un peu ridicules que vous avez mis tant de temps à assumer en public. Ca a toujours été Piercy et Pelote. Toujours.
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Tu vas me dire que t'es désolée, que ce n'est pas ce que tu voulais dire. Tu vas me dire que tu t'es emportée et que tu n'aurais pas dû, que c'est le stress que tu vis en ce moment. Que tu es tellement désolée, que tu ne veux pas vraiment que je m'en aille. Tu vas t'attendre à ce que je dise que je comprends, que tu es pardonnée, mais non. Non, Leann, je ne comprends pas. Tu mets toute ton énergie dans ces histoires, tout ça pour quoi ? Qu'est-ce que vous avez fait, avec vos badges et vos drapeaux ? Rien. Et ce n'est pas que toi, c'est vous tous. Les Colombes, les Adler et tous les autres, c'est la même chose. J'ai quitté WIP pour toi, Leann, parce que tu trouvais ça trop passif, mais je croyais que ce jour-là t'avais compris comment je procédais. Et il se trouve que malgré le temps qu'on a passé ensemble, tu n'as finalement rien compris du tout. Tu te laisses emporter par tes émotions, t'es incapable de réfléchir la tête froide. Je le savais déjà, tu sais ? Quand t'as refusé de me croire cette fois-là au clocher, ou à Noël quand t'as vidé ta coupe de champagne sur cette fille. Mais je pensais… je ne sais pas ce que j'ai pensé, mais je me rends compte que j'arrive pas, Leann, j'arrive pas à me dire que c'est normal. Tu te rappelles cette fois où tu m'avais dit que de toute façon, je ne devais probablement pas avoir de sentiments ? Ça aussi, c'était une de tes réactions à chaud qui m'a blessé, mais à l'époque ça venait pas de la même personne. Je peux accepter d'entendre ça de la bouche de n'importe qui, me dire que ce n'est pas quelqu'un d'important, que de toute façon, j'en ai rien à faire de son existence, mais toi, Leann. Toi, t'étais censée être différence. T'étais censé être - Tu ne le laisses pas finir sa phrase parce que toi aussi, tu sais ce qu'il va dire cette fois. Et tu ne veux pas entendre ces mots, non, tu veux pas entendre ce qu'il a à dire. Tout mais pas ça. C'était juste une erreur, juste une simple petite erreur. Pourquoi il réagissait comme ça ?
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Non, non, non, s'il te plait, s'il te plait Piercy, ne dis pas ça. Je t'en supplie. Je voulais pas, je voulais vraiment pas dire ça, et encore moins te blesser. T'es, t'es la personne, tu sais, j'ai besoin de toi, Piercy. Je t'aime, tu sais ? Tu veux que je laisse tomber les Colombes ? PUMA ? J'abandonnerai tout, s'il te plait, ne t'en vas pas, j'ai trop besoin de toi. Hey. Piercy ? Non, non, ne t'en vas pas ! Il a arrêté de t'écouter, se contentant de passer à travers le mur, comme à son habitude. Là, là t'as vraiment peur. Tu cours comme tu n'as jamais couru jusqu'à la porte, attrapant à la va vite une paire chaussure au passage. T'es même pas habillée convenablement. Tu t'enfuis avec cette vieille blouse longue et un short en dentelle. Oui, toi, tu pars en short, ceux que tu portes en pyjama en été, quand il fait bien trop chaud pour le reste. Tes oxfords mal enfilées battent le goudron du sol du pensionnat.
Ah, oui, c'est vrai. Depuis le banc de la gare, tu t’échappes un instant des souvenirs de cette après-midi pour poser ton regard perdu sur le cuir brun de tes souliers. Tu n’as même pas pris le temps de les lacer. Après tout ce que t’as couru, tu te dis que c’est bien une chance que t’ais pas trébuchée. De la chance. Un sourire amère fend ton visage pâle. Chance. Comme si. C'était censé être l'un de vos derniers jours ensemble, et regardes ce que t'en a fait, Leann. T'es vraiment la pire. Comment t'arrives à tout foutre en l'air comme ça ? Vous auriez pu être heureux, tu sais ? Tu t'es vite monté la tête, t'as peut-être un peu dramatisé sur le moment parce que les disputes c'est tellement rare entre vous deux, mais tu sais que ça aurait pu marcher malgré la distance. C'est encore plus dramatique au final. J'imagine que tu ne veux pas vraiment le savoir, de toute façon. Tu dois être bien heureuse que je ne sois pas là pour t'en faire la réflexion. Au final, même si j'ai toujours agi comme un con, même si tu m'as toujours détesté, même si j'ai souvent agis comme le pire des ami imaginaire qu'il soit, j'aurai aimé que ça fonctionne, entre vous deux. Parce que vous étiez adorable, vous étiez purs, vous aviez ce genre de relation saine. Ce n'était pas obsessionnel, c'était pas du je-m'en-foutisme, c'était juste vous, comme un vieux couple dès la première seconde, et je crois que c'est la plus belle première histoire d'amour que t'aurais pu avoir, Leann. Tu la méritais, pourtant, ta happy end. Tu méritais tout ça, putain, et ça me fou tellement les boules de plus pouvoir être là pour te le dire. Parce que pour une fois, j'aurai pu être cette personne à tes côtés, j'aurai pu te filler un coup de main, à un moment où tu as tellement l'impression d'être seule. Et alors que tes épaules se remettent à trembler en te disant que ni Sonera, ni Lhym, ni Alwine, ni toutes les personnes sur qui tu comptais le plus ne sont là pour t'aider à surmonter cette épreuve, je ne peux que te regarder t'écrouler à nouveau dans la suite de souvenirs de cette triste histoire, impuissant.
Il a refusé de t'ouvrir la porte. T'as tambouriné dessus un moment, mais t'as rapidement compris que ça servirait à rien. Un instant, tu regrettes mon existence à tes côtés, parce que t'aurai pu me demander de surveiller à l'entrée pendant que tu veillais de l'autre côté du bungalow. Tu ne voulais pas le rater, mais là, tu savais pas comment faire. Tu n'avais personne à qui demander. Personne à qui appeler à l'aide. Alors t'es restée là, comme une abrutie, assise devant son dortoir, recroquevillée sur toi-même. Tu ne sais pas trop combien de temps t'as passé là, à attendre, mais d'après mon estimation, ça faisait un peu plus d'une heure. L'après-midi touchait lentement à sa fin quand il a passé le seuil. Un instant, il a dû être surpris de te retrouver là, mais il ne l'a montré qu'en un soupire.
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Leann. Tu sors de tes pensées obscures dans lesquelles je n'ai même pas envie de m'aventurer, avec un regard plein d'espoir. Tu te lèves en sursaut, les yeux toujours aussi rouges derrière tes verres couverts de buée. T'es tellement obsédée par son visage que tu ne remarques pas de suite la valise derrière lui.
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Joshua… Joshua s'il te plait. Si ce n'est vraiment que cela qui te dérange, je te promets que je changerais. Je te promets que je quitterai les Colombes, même PUMA si tu veux. Je ferais tout ce que tu veux. Puis t'a entendu le bruit des roulettes, et t'as compris ce qui était en train de se passer. Il n’allait pas avoir l'autorisation de partir, hein ? Son année était finie pourtant, ce n'était plus un étudiant à Prismver. Est-ce qu'il pouvait vraiment l'empêcher de partir ? Tu pinces ta lèvre inférieure, comme à chaque fois que tu paniques. T'essaye de retenir une nouvelle vague de larme de t'emporter.
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Ton départ… ce … ce n'est pas avant la semaine prochaine. C'est interdit de sortir de l'île. -
Mon autorisation était à compter de la fin des cours, coupe-t-il sèchement. -
Tu ne peux pas partir. T’essaye de reprendre derrière tant de froideur mais tu n'as même pas l'impression de parler à la même personne que t'as toujours connu. Alors t'es confuse, tu ne sais pas trop sur quel pied danser, comment parler à cet inconnu sous le masque de celui que tu aimes.
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Parce que t'as promis, tu te rappelles ? "Et même si on finissait par rompre, je ne te laisserais pas tomber". C'est ce que t'avais dit à Noël, t'avais dit que tu ne me laisserais pas seule et que si Prismver fermait on vivrait ensemble. T'avais dit que … t'avais dit que … Tu sens le goût salé de tes pleures sur le bout de tes lèvres. Tu ne t'es même pas rendu compte que t'avais recommencé à chouiner. Tu te martelais qu'il fallait que t'arrêtes, que ça allait l'énerver plus qu'autre chose, mais tu n'arrivais pas à retenir ton chagrin. T'essuie maladroitement son visage du revers de ta manche, suivant au petit trot le brun qui a continué à avancer malgré tes remarques.
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Je vais arrêter de pleurer, regardes. Je vais arrêter, alors s'il te plait ne t'énerves pas. T'essaye de te faire discrète sur le chemin, parce que tu ne veux pas qu'il te reproche d'attirer l'attention sur lui. C'est plutôt calme, pour un début d'été, d'ailleurs, et t'es plutôt rassurée à l'idée de pas avoir à affronter le regard des autres. T'as perdu toute traces du début de confiance en toi que t'as eu tant de mal à acquérir ces derniers mois avec lui. Ça me fait mal de te voir comme ça, putain. Si ça tenait qu'à moi, je lui mettrais mon poing dans sa sale face pédante, mais je peux même plus. Puis je sais que t'arriverais quand même à m'en vouloir si je le faisais. T'es trop gentille, Leann, putain. Tu ne vois pas que ça sert plus à rien ? Si. En fait, si, tu le vois, mais tu n'arrives pas à l'accepter. Tu n'arrives pas à t'imaginer à nouveau sans lui, et ça te terrifie. Parce que ça fait trop longtemps maintenant qu'il est là, d'une façon ou d'une autre, et parce que ça fait trop longtemps que tu n'as pas pensé à un futur où t'es seule comme aujourd'hui. T'aurai des gens pour toi, pourtant, si tu voulais. Mais t'es trop paniquée pour y penser, trop paniquée pour t'en rendre compte. Tu n'as pas pensé à Joy, ou à Colton d'ailleurs. Tu n'as pas pensé à Orion ou Alexis. Tu n'as pas pensé à Allyson. Ces gens, ils seraient là pour toi si tu leur demandais. Ils seront là, pour toi, même si tu ne le sais pas encore.
En fait, la seule personne à qui tu penses dans ton entourage, c'est Aiden. Tu te revois prendre sa chevalière, lui donner tous ces mots d'encouragement, lui dire que l'amour ça vaut toujours le coup, quoi qu'il arrive. Tu te revois en train de te demander dans un coin de ta tête comment tu réagirais à sa place pendant que l'autre te répétait qu'à toi, ça ne t’arrivera pas, ou dans tellement longtemps. Puis tu te demandes à ton tour si tu vas réussir à être plus forte que ça. Si tu vas pouvoir garder ces choses qu'il t'a offerte. Est-ce que tu supporterais ton propre reflet portant les lunettes qu'il avait fait réparer pour toi ? Est-ce que tu accepterais ton image avec le collier qu'il t'avait offert pour ton anniversaire ? Là, dans ton état, tu n'en es pas sûre.
Vous êtes presque arrivés au niveau de la gare et t'es terrifiée. Comment tu vas faire s'il part, hein ? Comment tu vas faire ? Tu couvres tes yeux avec tes doigts tremblants, arrêtant ton pas fuyard.
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S'il te plait, dis-moi au moins quelque chose. Il soupire, stoppant sa marche dans un mouvement net. Le cliquetis de sa valise sur le goudron s'arrête en même temps qu'il se tournes vers toi, te fixant de son regard bleu glacier. Il y a peut-être une pointe de regret dans son action mais il se garde bien de montrer quoi que ça soit de toute façon, et ce n'est pas après avoir parcouru toute l'île au rythme de tes pleurs qu'il va finalement t'écouter et faire demi-tour. Tu le sais. T'espère, un peu, au fond, mais tu n'es pas si naïve.
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Leann, écoutes. C'est juste pas possible. Tu t'en rends bien compte, non ? Je ne suis pas une personne qui peut avoir ce genre de relation. Je ne sais pas avoir ce genre de relation. Je ne comprends pas. C'est juste trop m'en demander, j'suis pas capable de te donner ce que tu veux, et quoi que tu fasses, je ne pense pas que tu sois capable de le faire toi non plus. Ca rimerait à quoi de te forcer à te changer, hein ? Ca apporterait quoi qu'on fasse semblant d'être quelqu'un d'autre juste pour quoi, au juste ? -
… Pour être heureux, ensemble ? T’essaie de trouver quelque chose, mais au fond, même toi t'arrives pas à te convaincre. Presque pas à te convaincre. Parce que t'as envie de croire, vraiment, plus que jamais. T'as envie d'être la fille si naïve, si facile à berner que tout le monde semble penser que t'es, mais t'es trop réceptive à sa logique froide et implacable. Sa te blesse tellement, tellement d'entendre cette voix au fond de toi qui te dis qu'il a peut-être raison.
Il agite mollement la tête de gauche à droite avant de te tourner à nouveau le dos. L'écran de la toute petite gare de Prismver indique le prochain train à 17h45, dans cinq minutes à peine. Tu le suis jusqu'au quai, quand il montre son autorisation de sortie au chef de gare. T'as rien sur toi, pour le convaincre de te laisser passer, mais étonnamment, il te laisse accéder jusqu'aux voies. Peut-être parce qu'il sait que t'as la cravate de Staunton, ou peut-être parce que t'as l'air trop désespérée pour tenter quoi que ça soit, ou alors parce qu'il pense que ce désespoir dans tes yeux c'est celui d'une petite amie un peu trop aimante qui dit aurevoir à celui qu'elle aime.
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Dis, on … on continuera à s'écrire? -
Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. Tu dis pas un mot. Il y a juste tes lèvres qui tremblent, qui essaye de dire quelque chose, mais qui n'arrivent pas à trouver quoi. Qui n'arrivent pas à formuler la moindre bribe de phrase issue de la tempête qui fait rage dans tes idées.
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Mais on se reverra, j'imagine. Alors tu t'approches, tu fais juste un pas vers lui, au plus près de l'anglais. Tu te mets sur la pointe des pieds, et tu lèves ton visage vers le sien, tes mains sur ses hanches, où elles avaient tellement l'habitude de se caller.
-
Je peux ? Silence. Tu prends son absence de réponse pour un oui et tu te dresses encore un peu plus sur le bout de tes pieds, yeux clos, avant de pouvoir poser tes lèvres sur les siennes une dernière fois. Et avec toutes les larmes sur ton visage, tu te demandes au final, s'il n'a pas phasé pour éviter ton baiser. Quand tu réouvres les yeux, il a pris un pas de recul et il s'apprête à tourner les talons. Il y a le sol qui commence à gronder à l'arrivée du train et le bruit de la machine qui s'approche de vous. Tu n'as pas le courage de le regarder monter, parce que tu sais à quel point ça briserait ce qu'il reste de ton cœur.
Puis quand t'entends le sifflet du chef de gare, quand t'entends le moteur du train qui se remet à gronder, quand tu sens le bourdonnement qui précède le départ, tu te dis que t'aurai pu, juste pour cette fois, même si c'est égoïste, peut-être que t'aurai pu utiliser ton pouvoir sur lui, juste pour te rassurer, juste pour t'assurer qu'il y avait bien un peu de tristesse dans son geste, un peu de regret dans son départ, et toujours un peu d'amour dans son cœur.
Il commence à faire nuit, et je dois bien reconnaître que je commence à m'inquiéter de te voir toujours là, immobile sur ton banc, Leann. Je ne suis pas le seul, d'ailleurs, parce qu'il y a le chef de gare qui s'approche. Il a enlevé son képi, et il avance vers toi avec le pas le plus prudent que t'ai vu chez un inconnu.
- De Laine, c'est bientôt l'heure du couvre-feu, il faut rentrer.
T'es surprise qu'il connaisse ton nom, et c'est ça qui te fait lever tes prunelles dans sa direction. Peut-être qu'au final, ce que t'as fait, ça t'a au moins valu ça. Pas la reconnaissance, parce que ça, tu t'en fou, mais l'attention des gens, la compassion des non-mages, et un peu, ne serait-ce qu'un peu de bonne volonté de leur part qui fait que celui-ci, il veut pas qu'il ne t'arrive du mal. Alors tu lui adresse un maigre sourire et un faible merci avant de te diriger mollement vers le pensionnat.
Peut-être que t'as intérêt à continuer, finalement.
Peut-être que c'est la seule chose que tu puisses encore faire.