Hope for the Hopeless // Etienne

Elle avait encore cet air perdu sur le visage, le regard perdu entre sa monture et sa trousse entrouverte. Ca lui arrivait de plus en plus souvent, ces genre de blancs, ces moments de déconnexion totale de la réalité. De temps en temps, y avait cette toute petite chose qui attirait son regard et qui lui rappelait Joshua. Un simple rire dans le fond de la classe, un élève qui traverse la cour de l'école quand elle regarde par la fenêtre ou une simple pensée qui vient chambouler son esprit. Son faible sourire disparaît, ses yeux remplit d'intérêt perdent leur éclat et tout à coup, elle a l'air ailleurs.

Ca n'a échappé à personne, bien qu'on n'ose pas vraiment lui en parler. L'anglaise elle-même n'arrive pas à aborder le sujet avec ses proches. C'est compliqué. Elle s'en veut, en plus. C'est sa faute. On va ne faire que lui répéter ce qu'elle sait déjà. Plus gentiment peut-être, avec des gants, mais le résultat sera le même et sa culpabilité ne fera qu'augmenter. Les étés déprimants, ça commençait à devenir une habitude. La dernière fois, c'était quand Il était passé en S. Quand Leann avait enfin réaliser ses sentiments à Son égard. Elle soupire. Ces souvenirs ne cessent de revenir, lui donnant l'impression qu'elle ne sera jamais capable de passer à autre chose. Elle se l'était promis pourtant, après avoir pleuré toutes les larmes de son corps. Elle s'était promis de continuer ce qu'elle avait toujours voulu accomplir, de faire de son rêve d'unité entre mage et non-mage une réalité. Mais malgré sa détermination, elle semblait incapable de réaliser le moindre projet.

Projet… Soudain, elle se souvient qu'elle est en cours. L'étudiante se redresse de quelques centimètres, comme si elle se réveillait brusquement après quelques minutes assoupies. M. Casanova est toujours à son bureau, continuant d'expliquer le déroulement de la fondation de l'Europe, ses iris vertes fuyant le regard de son élève quand elle reprenais conscience. Il l'observait. Se rendant compte que son comportement n'était pas passé inaperçu, la brune se hâta de reprendre ses notes, honteuse.

Il ne fallut pourtant pas longtemps pour que son attention diverge à nouveau. Et bien que la déléguée fasse de son mieux pour faire honneur à son statut de bonne élève, elle ne cessa de rêvasser et brièvement revenir à elle jusqu'à la fin du cours. Et c'est ainsi que lorsque la sonnerie retenti et qu'elle commençait à ranger ses affaire, elle se fit interpeller par son professeur.

Elle ne peut s'empêcher de baisser la tête, honteuse, à l'appel de son professeur. Les joues légèrement rosées par la gêne d'être retenue en fin de cours pour son comportement, Leann se dirigea d'un pas presque tremblant vers le bureau de M. Casanova. Il avait cette carrure assez impressionnante, de celles qui force le respect des élèves, une sorte de charisme naturel qui résidait plus dans son regard sombre que dans sa stature, ce petit quelque chose dans son expression qui mettait au pas.

Un peu comme Joshua.

Elle ravala sa salive à cette simple pensée, s'asseyant en un geste tendu sur la chaise qu'on lui montrait. La déléguée était sur le point d'immédiatement formuler ses excuses quand elle remarqua cette petite différence dans les mots de son professeur. Ce passage discret mais néanmoins présent de son vouvoiement habituel à un tutoiement qui sonnait si étrange dans sa bouche. Intriguée, elle osa pour la première fois croiser son regard, les prunelles verdoyantes de la jeune femme rayonnant d'une curiosité soudaine.

C'est étrange pour quelqu'un comme Leann, si respectueuse de l'autorité, qui se tient à distance hiérarchique suffisante de ses professeurs. Elle est toujours resté tellement scolaire, tellement dans les droites lignes de ce qu'on lui a appris que ce genre de rapprochement soudain la trouble. Que peut-on lui vouloir? De quoi peut-il bien s'agir? Est-ce une mauvaise nouvelle qu'on veut lui annoncer sur un ton plus paternaliste? Un instant, elle se demande si ses résultats n'ont pas trop chutés, si elle va se retrouver en C. Ou qui sait, depuis le temps qu'elle a pas eu de nouvelles d'elle, peut-être que sa mère à un problème. Déjà, la paranoïa s'empare de la brune qui s'imagine le pire : hospitalisation, accident, maladie grave? Ses muscles se crispent, de son dos à ses doigts qui s'enroulent les uns autours des autres, juste là sur ses genoux.

- Souhaites tu parler de ce qui empoisonne ton esprit devant un thé ou préfères-tu un chocolat chaud?

Elle jauge l'homme déconcertée, prenant quelques secondes pour analyser son expression faciale afin de déterminer le degré de sérieux de la question. Elle l'était.  Son premier réflexe, relever ses mains, amorçant un signe de refus mal à l'aise. Ses yeux ont déjà fuient ceux de l'historien et ses jambes se sont déjà resserrées dans un mouvement de repli spontané. Mais quelque part dans son cœur, y a cette partie d'elle-même qui a besoin de se confier à quelqu'un. Quelqu'un d'autre qu'un lézard dont le comportement plus qu'aléatoire ne fait que renforcer le sentiment d'incompréhension qui envahit l'anglaise. Lentement, ses mains retombent sur ses cuisses, elle pince ses lèvres et son expression se transforme en quelque chose de plus calme. Une sorte de masque de sérénité qui cache assez mal la période difficile qu'elle vit depuis plusieurs mois.

- … Un thé s'il vous plait.

Elle n'ose pas vraiment reprendre la parole, s'exprimer dans l'immédiat.  Tout ça est resté caché trop longtemps pour qu'elle arrive à mettre les mots sur son problème. C'est sentimental, c'est assez gênant d'en parler avec un référant. A plusieurs reprise, elle ouvre la bouche, prend une grande inspiration puis la referme. Ses pupilles se baladent alternativement entre le professeur, son bureau et ses chaussures dans une danse presque régulière. C'est quand sa boisson arrive que Leann s'essaye finalement à parler.

- C'est … c'est assez personnel à vrai dire, je ne sais pas si… si c'est très pertinent d'en parler avec quelqu'un comme vous, commence-t-elle d'une voix posée. Vous avez probablement mieux à faire que d'écouter les peines de cœur de vos élèves.

Court silence. L'anglaise inspire profondément l'odeur boisée qui se dégage de l'infusion, les yeux fermés, comme si elle aillait y trouver les mots de sa confessions. Elle qui était pourtant toujours si sentimentale, elle semblait incapable d'ouvrir son cœur à qui que ça soit.

- Ca n'excuse en rien mon comportement en cours, mais … comme vous le savez sûrement, il s'est passé beaucoup de choses cette année, commençant par mon changement de don d'ami imaginaire à clairsentience, puis mon changement de filière en mars et … plus récemment je… Enfin depuis un peu plus d'un an je … je fréquentais Joshua Pierce, en 10 A Physique et…

C'est finalement plus dur que ce qu'elle pensait. Elle lâche un soupire saccadé, pense une seconde à poser la table sur le bureau et s'enfuir, puis revient finalement à ses esprits avec un comportement plus mature.

- Disons que nous étions en mauvais terme quand il est parti par ma faute. Il   … ne veut plus entendre parler de moi. J'ai dit quelque chose que je n'aurai pas dû et il n'a pas accepté mes excuses.

L'anglaise à beau essayer de se retenir, mais elle sent ses yeux qui se mettent à rougir et des spasmes nerveux sur son visage. Elle ne pleure pas, pas encore, mais elle a de plus en plus de mal à s'exprimer.

- C-c'est … C'est tout… J-je sais que c'est ridicule… et que… que je devrai pas… être dans cet état-là pour ça mais je… j'arrive pas à… je ne sais pas… si c'est juste que je continue de m'en vouloir ou … ou si j'aimerai lui en vouloir à lui… ou que je… je n'arrive juste pas à avancer…

Tu ne remarques pas son regard légèrement agacé quand tu parles, mais tu fini par réagir quand la petite créature invoquée par ton professeur se pose sur ton visage rougit par les émotions. T'as jamais vraiment aimé ses créatures, trop influencée par les Chroniques de Spiderwick dans ton enfance pour ignorer le folklore qui les entoure, assez éloigné des embellissement de Walt Disney. Alors tu plisses les yeux, rebuté par la présence de ces petites choses envers lesquelles tu es si suspicieuse. T'écoutes attentivement les mots de ton professeur, t'abreuvant de ses conseils. Il fait tellement d'hypothèse que tu ne peux même pas imaginer, des choses qui te paraissent tellement insensée, mais t'as l'impression que petit à petit, ça te fait relativiser. Si tu ne t'imagines pas ne pas l'avoir rencontré, tu n'imagines pas avoir un jour aimé quelqu'un d'autre que lui et tu trouves ces deux idées terrifiantes. Sa présence depuis six ans, bien que longtemps amicale, t'as toujours largement influencé. T'aurai jamais été la personne que tu es aujourd'hui sans lui. T'aurais jamais réussi à faire tout ce que t'avais fait, tu serai resté cette personne bien trop timide pour faire quoi que ça soit, et au fond, tu préférais probablement la souffrance que tu vivais aujourd'hui à l'idée de ne jamais l'avoir rencontré.

C'est surtout sa question suivante qui te perturbe, pourtant. Qu'est-ce que t'aurai voulu lui dire de plus? Qu'est-ce que tu te reproches vraiment? Qu'est-ce que tu aurais pu faire de plus? Tu retournes le problème, mais tout à coup, tu te rends compte que tu as déjà été au bout de tes possibilités. L'origine de la dispute venait peut-être de toi, de ton reproche sur son manque d'engagement, mais au final, t'avais fait tout ce que tu pouvais. Avais-tu réellement des regrets à avoir sur ce qu'il c'était passé ce jour-là? Avais-tu vraiment encore besoin de pleurer les décisions que tu avais prise? Ce que tu avais fait était-il si grave, méritant la punition que tu t'infligeais actuellement? Peut-être pas. Peut-être qu'après tout, tu avais toujours eu le droit de dire ce que tu pensais de son inaction, et ce même si cela ne correspondait pas à son mode de fonctionnement. Peut-être que Piercy, lui le premier, n'aurai pas dû réagir comme ça? Peut-être qu'au fond, tu n'étais pas la plus fautive de l'histoire. Peut-être qu'en fait, tu n'avais pas à pleurer.

Tu lèves mollement la tête vers Etienne qui semble avoir du mal à comprendre comment tu as pu te mettre dans cet état. Sans non plus avoir l'air sincèrement inquiet, son visage affiche néanmoins une expression tout à coup plus concernée.

- Est-il possible que tu sois enceinte et que cette situation te retourne encore plus?

La seconde d'incompréhension pendant laquelle tu te demandes si tu as bien entendu ce que tu as entendu passée, tu piques un fard. Le sujet était tout à coup devenu tout ce qu'il y a de plus embarrassant. Rouge comme une pivoine, tu passes tes mains sur tes joues brulantes et plante à nouveau ton regard sur les bottines de ton uniforme avec un bégaiement gêné.

- C-comment- euh - non - bien sûr que non! Je- j'ai encore mes études et - je - enfin non! Impossible !

Le fait qu'il évoque cette idée te déstabilise énormément. Tu te caches de longues secondes derrière ta tasse de thé, avalant presque d'une traite le contenu du mug. Le regard toujours fuyard, ça t'a tout de même donné le temps de reprendre tes esprits.

- En fait, je pense que c-c'est surtout l'enchainement des évènement qui a … enfin qui m'a tant retourné… plus que … ça. Enfin.

T'avais pas vraiment envie de parler beaucoup plus de ça. De la façon dont tout s'était précipité récemment, de ton entraînement suite à ton changement de don qui t'a fait voir de moins en moins de gens pour ne pas changer de classe, de ce renouveaux de camarades en milieu d'année suite à ton passage en droit, de la quantité de travail que t'avais du abattre pour rester au niveau, de l'impression de solitude que t'avais depuis le départ de ton ex-petit-ami. Il n'y avait finalement beaucoup trop de choses en même temps.

- Je pense que … j'ai essayé d'en faire trop pour rester à niveau, et que c'est arrivé au mauvais moment. Avec tout le travail que j'avais pour rester en B en changeant de don et spécialité, je pense que c'était un peu la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Surtout pour des bêtises comme une simple histoire de piaf, finalement. C'est bien une dispute stupide.

Tu ris nerveusement, essayant de dissiper ton malaise. Moins de temps tu resterai ici, plus vite tu oublierai cette phase de remontée émotionnelle qui venait de te saisir. Car tu savais que ce soir, quand tu regarderai bêtement le plafond dans ton lit pour trouver le sommeil, tu t'en voudrait déjà d'avoir accordé tant de pensées à ce moment, et que tu te remettrai à déprimer aussi sec.

Ta réaction excessive semble amuser ton professeur, car il a du mal à cacher le rictus moqueur qui se dessine sur son visage. Malgré tout, il t'assure qu'il ne t'aurai pas jugé. Tu en doute un instant, mais surtout tu es persuadée que toi, tu te serai jugée. Un comportement aussi irresponsable ne te ressemblait pas et tu ne te serai jamais pardonnée d'être le genre de fille à tomber enceinte pendant ses études.

Mais Etienne fini par te sortir de ton propre jugement d'une pichenette sur le nez. Une seconde, tu louches sur ses doigts, surprise par ce mouvement que tu n'as pas vu venir, perdue dans tes songes. Ce qu'il te dit rejoint finalement assez bien tes pensées. Peut-être que finalement, tu mérites mieux que de déprimer pour ça. Au final, une telle dispute n'aurait pas dû prendre de telles proportions. Une simple excuse aurait dû suffire, mais tu n'arrivais finalement pas à arriver à totalement te déculpabiliser, à être rationnelle sur ce point. T'as jamais vraiment su te montrer impartiale de toute façon. T'es naturellement trop engagée, trop portée par tes idéaux. Tu ne le sais que trop bien, mais là, ça te frappe. T'as besoin de plus de rigueur dans la façon dont tu te gères. Ton professeur à raison, finalement. Si tu raisonne de façon purement terre à terre, c'est quoi le problème? Si on te demandais conseil, tu dirais probablement qu'il ne faut pas s'en faire pour quelqu'un ayant un tel comportement. T'irai peut-être même jusqu'à aller qualifier la relation de toxique. Passer à autre chose et se dire que de toute façon, il n'est ni ta première, ni ta dernière déception en l'espèce humaine.

La dernière phrase de M. Casanova a l'air d'elle aussi, te faire aller dans ce sens. Tu n'oses pas vraiment lui en demander plus, craignant d'être déplacée dans tes propos malgré la conversation que vous venez d'avoir. Tu n'as pas envie qu'il se remémore de trop mauvais souvenirs non plus, surtout avec ta tendance à être trop influencée par les sentiments des autres. Les gens sont vraiment des cons. Des fois, tu en arrives même à te demander pourquoi tu t'en fait tant pour eux. T'as pourtant toujours été la gentille fille toujours optimiste, à croire en le meilleur de chacun, mais t'avais plus l'impression d'en être capable. 
Au fond, ça faisait un petit moment que t'avais cette impression désagréable que tu te battais pour rien, ou plutôt pour des gens qui n'en valaient pas la peine. Que quel que soit le bien que tu fasse autours de toi, tous semblaient se foutre éperdument de ton cas. Et d'une certaine façon, le simple fait qu'Etienne ne mentionne les Colombe te le rappelait amèrement. Ton poing se resserre légèrement sur le bois de l'assise de la chaise. Est-ce que les Colombes sont l'avenir? Tu n'en sais rien. On-t-elle seulement un lendemain au vu de ton état d'esprit actuel, rien n'est moins sûr. Parce que pour l'instant, tu n'as plus vraiment l'envie de mener ce combat épuisant pour n'en retirer que l'ignorance, au mieux, voir la haine des autres à vouloir les protéger.

- Alors comment voyez-vous l'avenir, exactement, vous?

Parce que finalement, tu ne savais pas vraiment comment imaginer un futur autre que celui que tu avais toujours rêvé. Alors c'était quoi finalement, le concept des Adler? C'était quoi l'idée de se dire au-dessus des lois humaines? C'était quoi la vision de ces indépendantistes de l'extrême?

- Si vous ne le voyez pas paisible, est-ce une guerre que vous imaginez? Une coupure totale du monde extérieur?

- Tu n'as pas envie de voir ma vision du monde.

Tout à coup, tu que l'atmosphère s'alourdit. Tu regrettes un peu d'avoir mis les pieds dans le plat, mais t'as besoin de savoir. Au fond, t'es tellement dans le brouillard que tu te demandes même si tu as pris a bonne direction. Tu n'es même pas ironique, ni même à l'affut de déclaration choque, t'as juste envie de savoir. T'as besoin de quelque chose de nouveau, et au fond, c'est peut-être les Adlers qui pourront te l'apporter. C'est pourtant pas dans ta nature, de tant te remettre en question, de changer ton jugement assez arrêté sur les choses, de faire des revirement à cent-quatre-vingt degrés, mais au fond, pourquoi pas? Pourquoi ne pas être une nouvelle Leann pour affronter tes problèmes? Tourner la page, passez au chapitre suivant, voire carrément ouvrir un nouveau livre et brûler le précédent sans même avoir lu le reste de son contenu. L'idée te paraître attractive. D'une simplicité sans pareille. Alors t'écoutes, parce qu'après tout, en apprendre plus ne peux pas te faire de mal.

Il te reproches un amalgame facile, et tu ne peux pas vraiment lui en vouloir. T'as jamais vraiment cherché à comprendre en détail leurs idées, persuadée que tu ne pourrais adhérer à un quelconque groupe mené par Faust ou Isalynn, mais avant tout prônant une inégalité évidente entre mage et non-mages. T'as jamais vraiment voulu t'attaquer directement au groupe adverse non plus, t'étant jusqu'à présent contentée de réagir point par points aux l'idées qui avaient été avancées par la A dans son message sur l'intranet. Et aujourd'hui, te voilà sur une chaise à te demander si finalement, elle n'avait as raison.

T'écoutes avec un intérêt certain sa vision du secret, la façon dont, selon lui, vous avez déjà toujours vécu à part. Tu songes un instant à M. et Mme. Parker et à leur parcours en dehors de prismver qui n'avait pourtant pas l'air si hors de la réalité, puis aux regards lourds des parisiens qui manifestaient à l'extérieur, aux cris de ta mère quand elle a appris et à la façon dont vous avez perdu tout contact dès que cela a été possible. Tu sais très bien qu'au fond, même si ça marche pour quelques-uns, la plupart d'entre vous ont été, sont et seront condamnés au secret. Cela voulait-il dire qu'il y avait une frontière nette à marquer? Tu n'en était pas tout à fait sûre, de la même manière que la conclusion de ton professeur amenant à dire que les non-mageia vous soit inférieur. Au fond, ce n'était qu'une mutation génétique avantageuse comme une autre, et qui irait à dire que les gens intolérant au lait sont une espèce inférieure? Pourtant. Pourtant tu te rappelles de la fierté que tu avais éprouvé après la visite du traqueur, de cette sensation d'être quelqu'un de spécial. C'est tellement simple de se sentir supérieur, de penser qu'on est quelqu'un de mieux que les autres pour un simple gène. Et sous tes airs de fille qui croit en l'égalité de chacun, t'as toujours cette pensée en arrière-plan, que tu renies un peu plus à chaque fois que tu la remarque. Est-ce que ça veut dire que tu te laisserait marcher sur les pieds? Que tu es naïve de penser que si chacun faisait l'effort d'enterrer cette idée, tout irait un peu mieux? Peut-être. Tu n'es plus sûre de grand-chose.

Il te parle de sa fille, des discriminations qui existaient et qui continuent d'exister depuis des siècles pour moins que ça. Tu ne peux t'empêcher d'être d'accord. Au fond, tu sais déjà tout ça, tu sais que ça va être dur, tu sais que personne ne croit à une intégration miracle, même pas toi. Pourtant, tu baisses la tête quand il te parle sur ce ton, quand il t'accable de ses questions. Tu sais qu'il a raison depuis le début. Ses mots s'enchainent. Pas la guerre, mais pas d'espoirs vains. Qu'est ce que tu vas faire, Leann, face à ce mur contre lequel tu te bats ?

- Je… essayes-tu à mi mots, Je crois que … que ça vaut le coup d'essayer.

Tu serres les points contre tes genoux, pleine de haine contre toi-même, contre tes doutes, contre ta faiblesse de plus en plus envahissante.

- Je crois que les détester ne règlera pas le problème que vous mentionnez, Monsieur. Vous parlez d'une solution qui fonctionne, mais vous donnez pas plus d'information sur ce que les Adlers ont en tête pour tous nous sauver de la haine.

Ta voix est faible, cassée, tremblante. T'aimerais pouvoir dire ces choses avec plus de confiance et de conviction, mais t'en es incapable. Mais dans un dernier effort, t'essayes de faire face. T'essayes de rétorquer comme tu sais si bien le faire, parce qu'il le faut. Parce que si tu ne le fais pas, qui le fera?

- Je ne penses pas que quelques élèves, sur une toute petite île, vont pouvoir amener la paix et l'unité idyllique dont vous parlez. Je n'imagine pas une seconde être capable de mener une révolution des pensées, de faire disparaître la haine. Je … Je ne suis ni si naïve, ni si égocentrique.

Tu ravales ta salive, et remonte légèrement la tête avant de te remettre bien droite sur tes jambes. Tu préfères partir tant que tu es encore digne, sur des belles paroles et le peu de confiance qu'il te restes.

- Tout ce que je sais, Monsieur, c'est que la haine que vous leur vouez ne fait qu'alimenter celles qu'ils nous portent. Et que sans essayer de comprendre leur point de vue autant que le nôtre, la guerre, vous finirez par l'avoir, que vous le vouliez ou pas. Car dans ce contexte, si ce n'est pas nous qui la commençons, ça sera eux.