outside // ivy

Un dernier coup d'œil à l'écran lui semble nécessaire pour s'assurer que tout n'est pas une vaste blague. À vrai dire, ça n'y change rien. Il n'existe pas la moindre preuve que son rendez-vous ne sera pas un monumental fiasco. Elle s'en rend compte à mesure que les tic de l'horloge passent, inhabituellement forts, résonnant dans sa tête comme une mélodie dominante. Ce matin, elle a fait quelques efforts. Ce matin, elle s'est traînés sous la douche, a coiffé ses longs cheveux orangés, gris foncés pour elle en une frange simple que ses larges lunettes arrondies aident à retenir. Un t-shirt confortable, un pantalon sans spécificité et cette horrible veste claire aux oreilles de chat. Mauve, paraît-il, elle n'en sait rien - elle n'en sera jamais sûre. Les couleurs sont, à ses yeux, comme les sentiments humains, un concept vague et abstrait qu'elle n'a jamais pu observer en toute franchise et qui ne sera jamais aussi concret que les données informatiques qu'elle aime tant. Elle n'en attend pas grand chose, plus grand chose - achromate des sentiments, observant ce monde en noir et blanc comme si toute humanité en avait été chassée. Si seulement tout pouvait se colorer, ne serait-ce qu'un instant, comme une preuve qu'il lui était possible d'être différent.

Si seulement, si seulement elle sortait de cette chambre sombre autrement que pour éviter d'y crever, prenait plaisir à franchir la porte de ce coffre-fort. Et pourtant, malgré les circonstances, elle se sent ployée. En dépit de sa raison, de ce qui semble se présenter comme étant une matinée agréable, elle ne peut s'empêcher de se questionner. La lumière du jour l'oblige à rabattre sa capuche sur son visage et le reste du corps longe les murs, se fondant dans les ombres desquelles elle aimerait ne pas sortir. Le soleil tape, aujourd'hui. Ce doit être le début d'après-midi, mais elle aimerait pouvoir l'affirmer avec certitude - ce qui s'avère difficile quand on est incapable de lever les yeux pour observer le ciel. Elle n'est même pas certaine de la date - c'est Ivy qui lui a rappelé le rendez-vous, la tirant de son univers renfermé et détaché du reste du monde.

Zoe se sentirait presque mal à l'idée d'imaginer les espoirs de ses parents qui l'envoyaient ici mais de toute façon, aucune école n'a jamais marché. Il serait naïf de leur part de croire que Prismver serait différent - sans compter qu'elle ne les avait plus sur le dos, à présent. Si elle prenait la peine d'observer les sujets des devoirs, même sans avoir révisé le programme, elle monterait facilement en C mais il lui semblait qu'elle avait d'autres priorités comme le fait de rencontrer des gens au magasin de jeux vidéo. Cela dit, ironiquement, cette tâche semblait être d'autant plus difficile que d'assister à un cours quelconque - mais Zoe se connaissait suffisamment bien pour s'être préparée à la tâche. Elle avait mémorisé l'itinéraire par cœur plusieurs jours à l'avance et lorsqu'elle entra dans la petite boutique et s'aventura entre les rayons, davantage pour échapper au regard du vendeur comme des nouveaux arrivants.
Elle voulait la voir, mais en même temps, ça lui faisait peur. Pour elle, ce genre de pensées, c'était l'une des rares parts illogiques de son esprit.

C'est pas facile, elle le sait. C'est même tout le contraire. Sa respiration saccadée marque le rythme de ses pas, son visage tourne en tout sens, nerveux, cherchant la raison de sa venue. C'est le pire, l'attente. C'est ce moment qui touche au bout et durant lequel tout pourrait s'écrouler si elle ne parvenait pas à ses fins. Zoe a peur de l'échec, de sa propre maladresse, de tout ce qui compose les mauvaises parties de sa personne. Parce que Zoe est intelligente, mais pas absolue pour autant. Zoe a ses défauts, elle est imparfaite.

Et elle n'est qu'une petite fille, vraiment petite, une rouquine à lunettes qui doit lever les yeux et qui reste dépendant de ces verres. Comment pourrait-elle surplomber le monde si elle ne peut pas le regarder sans ce qu'il a créé ? Elle connait ses limites, ce qui la rend humaine. Elle sait ce qu'elle déteste, ce qu'elle est incapable d'affronter, ces moments d'ambiance, ces doutes, l'extérieur auquel elle ne peut faire face. Zoe respire, trouve enfin le visage d'Ivy et son visage se radoucit, perd un peu de cette tension qui détournerait ses pensées si elle restait plus longtemps dans cette indécision. Zoe sait, elle a toujours su, mais elle est certaine de la réalité de la situation que lorsque la voix d'Ivy s'élève, baignée dans le stress qui se traduit par cette phrase trop longue, par ce ridicule qu'elle comprend mieux que quiconque tant elle est influencée par ça. Elle respire, prend le temps d'observer Ivy à travers ses lunettes qui, maintenant comme en ces nombreuses situations, lui apparaissent comme étant une protection.

- S'écraser dans un café...? interrogea-t-elle, perplexe. Pourquoi pas, oui.

Elle lui sourit.
Elle semble un peu fantômique avec son teint, ses grandes lunettes et sa petite silhouette mais son sourire est sincère. Dans ces moments, elle semble vraiment humaine. Dans ces moments, cette image de hackeuse renfermée, de fille d'intérieure, surdouée inhumaine et si différente d'autrui. Dans ces moments, elle est la fille semblable à d'autres, la fille qui semble si proche de se faire des amis. Elle n'a aucune idée de ce que veut dire l'expression mais elle lui sourit et lui offre le signe timide de la suivre jusqu'au rayon de ses jeux préférés.

- Je préfère les jeux sur console. Ici, Skyrim. Et Breath of the Wild... J'ai beaucoup de temps alors j'aime les open world et l'exploration. J'aime aussi le farming, je ne suis pas très douée pour le PVP et les jeux de groupe...

Elle parle d'une voix calme, presque éteinte. Sa timidité écrasante, elle passe d'un pied sur l'autre, se penche d'un côté sur l'autre, mal à l'aise. C'est le cas en permanence mais la situation est différente quand l'écran n'est pas entre elle et les gens. Pourtant, elle est toujours là. Cette boule au cœur, ce stress dominant, impossible à balayer. La détente n'est pas une option, juste une utopie dont elle est incapable de se débarrasser. Elle a le courage de porter sa main à son sac pour sortir son exemplaire d'Alice Madness Return. Bien qu'il date de l'époque de la PS3, il a toujours été dans ses favoris, et ça ne risque pas de changer.

- Il n'est pas dans les genres que je préfère, mais il a toujours été mon préféré. Si tu veux, je te le prête.