You've got bad taste, you know that ? [Ow1]

Emily Smith. Sexe féminin, 8ème année, classe C. Filière Arts Visuels (Cinéma). Pouvoir : Encore inconnu.
Introvertie, peut-être de par sa très petite taille. Réservée, mais en réalité très sociable. Très gentille, mais un peu puérile malgré quelques rares moments matures. Conserve un côté très féminin et romantique, de par son affection particulière pour les romans et films à l'eau de rose. Rêveuse. Se laisse facilement emporter dès que le sentiment amoureux est présent – bien que, dans son cas, il s'agirait plus d'être amoureuse du sentiment amoureux. Un engouement, donc, en fonction de qui répond de ses rêves qui se détachent de la réalité. Désillusion ? Possible. Besoin d'affection ? À voir en fonction de son comportement auprès de potentiels prétendants … voire prétendantes. Comme si n'importe qui pouvait lui convenir.
Stupide.

Assise à sa table, seule, bien après les cours. Personne pour la déranger. Un moment seul, où elle pouvait être elle-même. Faire ce qu'elle seule fait. Les yeux dorés de Jonas retracèrent les lignes qu'elle venait tout juste d'écrire. Rien ne manquait sur cette fiche – le profil d'Emily Smith était enfin fait, après quelques jours d'observation et de conversations diverses avec la jeune fille.

Une nouvelle rencontre à la bibliothèque, alors que le soleil descendait doucement à l'horizon : Jonas lui était venue en aide pour récupérer un roman, en haut d'une étagère. N'était-ce pas là l'un de ces moments parfaits, l'un de ces moments romantiques que toutes les filles innocentes et idéalistes rêvent de vivre ? Cette question, Jonas en eut une réponse positive, alors que cette autre étudiante, qu'elle ne connaissait même pas, eu un score de plus de soixante à peine Jonas lui dit “Tiens. C'est bien celui-ci que tu voulais ?”. Était-ce sa voix qui faisait cet effet ? La fatigue ? La situation ? Le fait qu'elle soit bien plus grande, qu'on aurait pu la prendre pour un homme à côté d'elle ? Peu importe la raison, Emily faisait partie de ces quelques filles qui, étrangement, avaient un score plus élevé que la moyenne neutre de cinquante et maintenaient ce score – voire même augmentaient, sans en avoir conscience.

Clac – Jonas ouvrit son classeur, et y plaça sa nouvelle fiche bristol parmi les autres, toutes soigneusement arrangées en fonction de l'année, de la classe, et enfin par ordre alphabétique. Clac. Elle soupira.
Flap. Jonas tourna les fiches, une par une. Il y en avait au moins une bonne centaine – un nombre conséquent, lorsque l'on remarque que l'écriture de la rousse est très fine. Flap. Un peu trop, maintenant qu'elle le réalise : plus elle en ajoute, plus se retrouver devient difficile. Peut-être devrait-elle changer de classeur ? Réadapter son rangement ? Trier les notes ?
Flap. Un nom lui sauta aux yeux, alors qu'elle descendit dans les classes de la 8ème année, jusqu'aux profils de la classe E. Un nom qui lui revenait souvent – mais ce détail n'est pas étonnant. L'homme à la tête des “Colombes”, celui qui prend plein la poire depuis quelques temps et qui a, du point de vue de Jonas, sans doute pas assez de matière grise dans le cerveau pour réussir quoique ce soit. Un homme comparable à un politicien écrasé par l'opinion publique : opinion qui, bien évidemment, est aussi instable que de l'eau bouillante.

“Baxter, hein.”

Était-ce du dédain ? Du mépris ? De la pitié ? … De la compassion ? Nan, pas possible. Owain, c'est son pote. Non, pardon. Son “pote”. Ils s'entendent bien … Du moins, en surface. Toutes les relations sont comme ça, tout le monde est comme ça : un iceberg, donc seule une partie infime est visible. Le reste, ha ! Qui sait, peut-être qu'en vrai, Owain et Jonas ne s'aiment pas. Qui sait, peut-être que derrière les quelques conversations légères, ils s'en mettent plein le nez, que l'un a envie de défigurer l'autre ! Mais non. Non, c'était beaucoup plus subtil que ça, malheureusement.

Owain Spark Baxter. Sexe masculin, 8ème année, classe D. Filière Arts Visuels (Cinéma). Pouvoir : Captain Obvious. (Sérieusement, il pouvait pas prendre un nom plus débile ?)

Un crétin ahuri à première vue. Un génie à première vue. Un crétin de génie ahuri. S'il est intelligent, il est aussi très con. S'il est doué, il est aussi très mauvais. Un paradoxe sur pattes, qui a pour seule qualité ses compétences sociales et sa curiosité. Sa capacité à réussir à se sortir de problèmes soulève beaucoup de questions. Il est quelque chose, mais en même temps l'opposé. Du coup, sur cette même logique, il est aussi inoffensif que dangereux, et donc à éviter si possible. Qui sait toute l'étendue de son pouvoir ? C'est aussi astronomiquement cheaté que débile.

Voilà une fiche qui remonte à un moment déjà – avant l'explosion, si les souvenirs de la Sharp sont bons.
Cela lui valut de soupirer de nouveau, sortant alors son stylo à bille, retirant la fiche du classeur, pour écrire en vitesse quelques lignes.

Update.
Récemment devenu plus important dans le groupe des “Colombes”. C'est à quel point ce mec est exténuant dans l'idée qu'il peut, sans efforts, éviter les problèmes ou quoi … alors que d'autres triment et se tuent à petit feu de l'intérieur. Enfin.
Une plus grande activité venant de lui est possible. Possible également qu'il y ait à le fréquenter plus souvent dans le cadre d'actions pour la cause de paix que les Colombes mettent en avant. Il est donc nécessaire de faire encore plus attention autour de lui – et de ne surtout, surtout pas utiliser ça.

Sur le dernier mot, Jonas appuya plus fort sur la mine, prononçant un peu plus l'importance de “ça”. Oui, ça … ça. Malheureusement. Difficile pour elle de mettre un nom dessus. Elle en avait bien mis un, par sarcasme, mais, après réflexion, ce nom était plus blessant qu'autre chose envers sa propre vie – ainsi elle apprit le regret, dans sa forme la plus pure.
Elle voulut relire ; mais voilà qu'une envie lui prend. Une envie bien humaine, une envie physique, découlant d'un certain malaise que son corps pouvait ressentir. Le genre de choses handicapantes, lorsque l'on est autant concentré dans une tâche. Énième soupir, et certainement pas le dernier. La protagoniste de sa propre vie ferma son classeur de notes, et le mit en coin, contre le mur – elle ne pouvait pas faire plus protagoniste que ça, à être assise à la table, au fond, côté fenêtre. Un aspect ironique, qui ne manquait pas de tiquer le peu de patience qu'elle a déjà.

Sortant de la salle d'un pas lent, c'est une fois la porte franchie qu'elle reprit son allure habituelle en public. Mais cette allure n'allait pas durer longtemps.

“Hm? Qu'est-ce que tu fais là, toi ?”

Revenant des toilettes, Jonas vit, à quelques mètres de sa salle de classe, une petite tête ronde familière. Une tête si petite, et bien évidemment inhumaine, mais tellement adorable ; celle de sa lézarde. Voilà une heure que celle-ci s'était éclipsée ; aussi la B se demandait où elle pouvait bien être passée.
Ses petits yeux ronds suffirent pour arracher à Jonas un sourire sincère, alors qu'elle s'approcha et lui tendit son bras pour monter. Pas besoin de mots pour se faire comprendre, ni de manières : la seconde où la main de la rousse fut à proximité, voilà que Mercury grimpa, monta le long de sa manche, et s'installa confortablement sur son épaule.
Une fois assurée que son animal, petit mais puissant, était à son aise, la Sharp reprit son chemin vers sa table, le coeur léger.

Mais nous ne serions pas là à vous raconter tous ces détails anodins de sa vie, s'ils n'avaient pas d'importance. Cela ne serait pas suffisamment drôle, s'il n'y avait pas une coquille quelque part. Et cette coquille, elle était à sa table – elle envahissait son espace, sa bulle. Sa bulle, dont elle était si habituée à y être confortable, qu'elle ne réalisait pas qu'à tout moment, elle pouvait éclater. À commencer par des regards. Très gênant, comme moment, tandis que son sourire s'effaça pour laisser place à une neutralité déconcertante. S'ensuivit ensuite le début d'une conversation, qui déplaisa fortement l'anglaise.

“... J'apprécie que tu me trouves dangereux, ça flatte mon égo.”

Dégage, voilà le premier mot qui traversa l'esprit de Jonas. Dégage avant que je défigure ta gueule avec ce qui me sert de chaise, qu'elle voulait lui cracher au nez. Un pic de colère, voilà ce qu'elle eut intérieurement. Elle bouillait de l'intérieur, voulut exploser comme un volcan ; et peut-être que Mercury sentit cela, glissant dans la poche de son uniforme.
Mais seul un rire léger sortit de sa bouche. Non, elle ne va pas s'énerver. Pas maintenant.

“De quoi parles-tu, voyons ? commença-t-elle. Mais très vite, elle cessa de rire, et reprit un air neutre – évitant le regard du blond. À quoi bon jouer les innocentes ? Comme elle l'avait bien écrit, Baxter est un “crétin de génie ahuri”. Elle ne connaît pas toute l'étendue de son pouvoir, mais, premièrement : elle se doutait que cela ne servait à rien de jouer avec le feu. Deuxièmement, si elle venait à insister et nier les faits qui étaient présentement évidents … Elle n'aurait que des problèmes. Et ça, c'est à éviter. Oh que oui. Après tout, c'est en ça qu'il est “dangereux”. Il est imprévisible. Et Jonas n'aime pas les imprévus, elle n'aime pas être prise au dépourvu. C'est source de problèmes. Et il est inutile de détailler plus longtemps. Que j'aimerais dire, mais … Très clairement, je doute que cela serve à quoique ce soit.”

D'un pas léger, presque détendu, Jonas s'approcha de sa table, et, par la même occasion, Owain. Passant sa main le long des chaises à sa portée. Un léger sourire, peu prononcé, qui cachait la morsure qu'elle s'infligeait à sa langue. Des secondes pendant lesquelles elle jaugeait le blond – pendant lesquelles elle réfléchissait, hésitait.
Elle ne savait pas quoi faire. Elle paniquait de plus en plus à chaque seconde. Elle flippait, comme un gamin culpabilisant par rapport à ses bêtises. Comme un gamin pris en plein flag' d'en faire une. Elle bloquait, se crispait intérieurement, et faisait de son mieux pour que cela ne se montre pas.

S'en servir. Ou ne pas s'en servir. Savoir, ou ne pas savoir. Quoi donc ? Pourquoi faire ? Quel but ? Lui dire d'oublier, de se taire ? De pas faire attention ? Que c'est une blague ? Oh, le charmer, peut-être ? Donc les choix ? Pourquoi pas les chiffres, aussi, pour bien s'assurer que tout se passe bien ? Cette foutue jauge aussi serait pas mal, pour une fois, non ? Sinon, pourquoi pas tout d'un coup ? Non, non. Mauvaise idée. Faire tout ça n'apporterait que des problèmes. Presque plus de paracétamol dans le sac aussi, la dernière fois qu'elle a vérifié. Il y a aussi un devoir sur lequel elle se doit de  travailler pour avoir la perfection à ce niveau. Pas le temps de se casser la tête avec les gens. Mais là il y a lui comme problème. Il risque de tout balancer, vu comment il est con et imprévisible. Est-ce que les pourcentages fonctionneraient, déjà ? Est-ce que s'en servir peut avoir une quelconque utilité ? Ça serait pas du gâchis, tout simplement ? Mais en même temps, la jauge peut servir ! Mais s'il n'y a que ça, ça revient pas à aller à l'aveuglette ?
Bon sang !

Le temps est écoulé. À peine un mètre les séparait. Au final, Jonas n'a rien fait – mais hésitait. Aussi la jauge s'affichait étrangement – floue. Elle était là, sans être là ; aucune réelle information, et elle sentait ses oreilles brûler.
Alors elle tendit la main. Elle ne réfléchit pas.

“Rends-le moi.”

Il y eut un instant pendant lequel l'un des sourcils de la rousse se fronça. Son petit sourire, lui, s'était effacé à l'occasion.
Ok, cet homme est un abruti et sa tête lui revient encore moins que précédemment. Un salto arrière tendu ? Et puis quoi encore ? Porter un tutu rose en le faisant ? Avec Despacito en fond – ou  n'importe quelle autre musique qui tape sur les nerfs ? Oh, pourquoi pas lui mettre un coup de pied, à l'occasion ? Jonas voulut lui arracher le classeur des mains, mais là encore, cet idiot s'évitait une situation peu confortable en gardant le classeur contre lui. Désagréable. Mais elle se dit qu'il pouvait demander pire – comme faire ses devoirs à sa place, au mieux. Mais non. Apparemment, seules des idées stupides lui venaient en tête, même lorsque l'occasion de se venger ou quoi pouvait se présenter.

La B voulut soupirer, et alors qu'elle s'apprêtait à répondre, voilà qu'Owain fut plus rapide qu'elle.

“nah.”

'J'vais l'buter.'

Jonas perdit patience, bien qu'elle essaya de raisonner – et d'éventuellement prendre des cours de yoga. Ah, prendre cette chaise à ses côtés lui tentait bien. Un joli dossier en bois, bien fixé sur de belles barres en métal, solides. Elle aurait joué à lui fracasser les os et le crâne, tout comme Owain jouait – sans doute inconsciemment, de son point de vue – avec ses émotions. Bien sûr, elle ne montra pas cela. Pas aussi facilement.

Owain. Ce mec débile et, dans un sens, parfait opposé de Jonas. Enfin, était-il vraiment débile ? Une question qui est souvent venue en tête de la rousse, pessimiste comme elle est. Mais au vu de son comportement – de son point de vue, il semble être le genre de type à se marrer dès que quelqu'un dit un mot comme “pipi” ou “caca”, c'est l'âge mental qu'elle lui donne – cela penchait en la défaveur du jeune homme. Il est idiot. Il est idiot et joyeux. Et c'est en ça qu'il énerve Jonas.
Des quelques conversations qu'ils ont pu tenir, Owain a toujours été ce garçon compétent, sans grands efforts, dont les quelques problèmes semblaient moindres. Il semble vivre sans souci – et c'est le fait de s'en sortir aussi bien, aussi naturellement, qui frustre la Sharp. Elle qui met tant d'efforts pour faire ce que lui parvient à accomplir sans même y penser. N'est-ce pas injuste ? Le fait qu'il soit qu'en D, alors qu'elle se trouve en B, est d'autant plus irritant. Officieusement, elle est à un niveau supérieur. En vérité, elle serait comme son égal. Un exemple de comparaison qui lui fait penser et comprendre à quel point le monde est bien injuste, et déséquilibré.

Et ce déséquilibre, il se manifeste dans la colère passive qu'elle a pour le blond ignorant, jusqu'à aujourd'hui. Quelle plaie, que de devoir, semblerait-il, négocier avec lui ! Parce que oui, en plus de ça, elle se faisait entraîner dans le rythme de cet imbécile !
Enfin, imbécile, pas tant que ça, tout compte fait. Lui même comprenait la situation très gênante – et qui méritait des explications – dans laquelle ils étaient, et c'est en cela qu'il lui avoua ses intentions. Cependant.

“Ce serait de mauvais goût que de t'attaquer pour ensuite mentir, dit-elle avant de marquer une pause. Même si je dois bien avouer qu'en effet, je suis légèrement irritée.”

Sourire.
Un bel euphémisme que voilà. Allait-il le percevoir ? Peut-être. Au delà de l'irritation, c'était une colère pure et dure que Jonas avait. Mais tout n'était pas que mensonge et politesse. Au delà de son euphémisme sur son émotion actuelle, Jonas pensait véritablement que la possibilité qu'il avait précédemment soulevée était de mauvais goût.
Certes, Jonas est superficielle. Elle est fausse en surface, mais ses principes et valeurs restaient les mêmes – juste mis sous leur meilleur jour. Et … sans qu'elle en soit consciente, il y avait une raison à pourquoi elle refusait de montrer ce classeur à qui que ce soit. La culpabilité. La peur du jugement, aussi – alors qu'elle même se permet de juger, mais nous ne détaillerons pas ce point. Quiconque ayant un minimum conscience des erreurs qu'il commet se sent coupable à ce sujet – aussi, inconsciemment, Jonas sait qu'elle est irrespectueuse en écrivant de telles choses sur les autres, surtout ceux qu'elle n'aime pas. Une jolie bourde donc que de l'avoir laissé ici, pensant que, le temps de quelques minutes, personne ne viendrait, et encore moins y toucherait.
La bourde de Jonas s'est ensuivie de celle d'Owain. Elle ne l'a pas respecté dans son identité, il ne l'a pas respectée dans son intimité. Ça, elle se devait bien de l'admettre. Donc non, elle ne serait pas allée jusque là.

La distance se creusa entre Jonas et son classeur, tandis qu'Owain lui proposa un marché. Une proposition qui lui valut un regard … interrogateur. Quoi ? C'est … C'est tout ? C'est … presque rien ! Elle qui croyait vraiment qu'il allait lui demander un truc plus sérieux, comme “expliquer pourquoi un tel classeur existe”, quelque chose du genre !
Évitant le regard du blond, Jonas se gratta le lobe d'oreille.

“Hmm ...”

Ce qu'Owain lui demandait était vraiment rien - enfin, si le pouvoir de Jonas était pas aussi compliqué. En fait, il est tellement compliqué qu'il lui faut un carnet, et des pages entières de notes, pour connaître les moindres détails et subtilités. Ça, et des années d'expérimentations sur plein de gens, qui, aujourd'hui, doivent sûrement la voir d'un mauvais oeil, sans vraiment avoir de quoi l'accuser.
Se posant sur le rebord de la table, jetant un regard furtif vers le D : Jonas réfléchissait. Il ne semblait pas vouloir revenir sur sa parole. “Tu m'en dis plus sur ton pouvoir”, hein ? Il est vrai qu'elle n'a jamais vraiment dit quoique ce soit à ce sujet au Baxter. En fait, si lui a fait part du sien, Jonas, de son côté, est toujours restée vague. “Un pouvoir psychique”, qu'elle pouvait dire. Avec des excuses comme “Le décrire prendrait trop de temps”, ou “C'est plus un pouvoir qu'il faut avoir pour comprendre”.
Bien sûr, il ne s'agissait là que d'excuses pour ne pas avoir à le faire.

Et elle ne le fera pas vraiment là non plus.

“Très bien. De toutes manières, ce n'est pas comme si nous n'avions pas le temps. Et comme tu l'as si bien dit, il n'y a personne pour écouter.”

Tirant la chaise d'une table adjacente vers elle avant d'y prendre place, Jonas racla légèrement sa gorge. Puis elle commença.

“Comme j'ai déjà pu le dire une fois, mon pouvoir est psychique. Plus précisément ... Une nouvelle pause, pendant laquelle elle fuya le regard d'Owain avant d'y revenir. Une pause pendant laquelle elle chercha les mots. Il me permet de faire apparaître dans mon champ de vision des indications. Principalement des choix. Et ces choix … C'est juste différents choix possibles pendant une conversation, tout simplement.”

Doucement, Jonas déglutit. Elle venait d'y penser : jamais il ne lui est arrivé d'expliquer son pouvoir ainsi – ou alors elle n'en gardait pas forcément le souvenir.
Ahhh, la plaie.

'Of course it wouldn't be that easy, huh.'

La réponse de la B ne faisait qu'attiser la curiosité de Baxter, semblerait-il. Un mauvais choix, donc – mais elle n'y pouvait pas grand chose. Certes, c'était un mauvais choix. Mais de toute, peu importe ce qu'elle aurait dit, le choix aurait été mauvais pour elle.
Son pouvoir, c'est pas d'obtenir des choix qui lui facilitent la vie. C'est d'obtenir des choix pour commencer une relation romantique, nuance. Des choix pour être aimée – qu'ils soient superficiels par rapport à sa personnalité ou non. Un pouvoir qui la modelait, selon l'image de la parfaite petite amie pour son prochain.
Pas de place pour ce qu'elle est vraiment. Juste l'autre, et uniquement l'autre, dans son égoïsme le plus profond. Se laisser consumer par la passion d'un être qui se laisse, petit à petit, porter par ses sentiments. C'est ça, son pouvoir. Faire de sa vie une blague. D'où le nom ! Les seuls bons côtés de ce pouvoir, qui jouaient en sa faveur, sont qu'ainsi, elle peut être aimée des autres - et donc s'éviter des problèmes avec eux.
Mais elle ne voulait pas se lancer dans cette direction avec Owain … Tout simplement parce que si elle avait déjà précédemment essayé d'appliquer son pouvoir sur lui, au final, le rendu était juste catastrophique. Un cas incompréhensible, qui était au dessus de ses statistiques. Un cas comme celui de …
Enfin. Toujours est-il qu'une chose était certaine : essayer de comprendre pourquoi son pouvoir “buggait” avec Owain est similaire à se demander ce qui est venu en premier entre l'oeuf ou la poule. C'est en ça qu'il est dangereux, ce con. Il est de ceux qui brisent toutes les règles de son pouvoir. Il est de ceux sur qui Jonas n'aura jamais le contrôle sur – avec qui il y aura toujours le risque de problèmes.
Parce qu'il est con. Et que c'est cette connerie qui le rend intelligent, l'enfoiré.

“Tu poses trop de questions ...”

Une réponse calme, pour une conversation qu'elle considérait inutile. Inutile … Pour elle, là encore. Elle avait l'impression d'être à un interrogatoire. Interrogatoire dont elle n'en tirerait rien. Un interrogatoire pendant lequel le cop (qu'il soit good ou bad, difficile de savoir) qui se chargeait d'elle tirait ses interprétations du peu qu'il savait. Des interprétations vagues, qui se voulaient autant vraies que fausses de par leur manque de certitude. Une confirmation donc de ce qu'il est : un “génie”. Un foutu paradoxe sur pattes.
Et voilà qu'un sentiment familier se manifesta en elle.

L'ennui.

Et mélangé à la colère, cela faisait un très mauvais ménage. Un si mauvais ménage, que Jonas ne faisait même plus attention à Mercury dans sa poche. Elle perdait patience, elle qui, déjà, en arrivait au bout – et attendait impatiemment les vacances pour se ressourcer. Elle se contenait de plus en plus difficilement, elle qui, depuis tout à l'heure, se trouve dans une mauvaise position, et doit se justifier, auprès de (probablement) l'une des pires personnes imaginables pour s'expliquer.
Son regard se posa donc sur Owain. Neutre. Désintéressé par ce qui peut arriver par la suite - tant que cette conversation ce termine, que cette heure maudite s'achève. Mais ce désintérêt conservait de l'irritation – une sorte de colère froide, irraisonnée même, qui se manifesta en sa main. Et cette main voulait tout dire, en attrapant le blond par le col.

“Qu'est-ce que tu veux savoir, très exactement ? Parce que j'ai l'impression que même si je viens à te répondre, là, tu vas poser encore plus de questions, même hors-sujet. Léger sourire. Vide. Donc si tu me dis ce que tu veux vraiment, peut-être alors que je serais plus honnête avec toi.”

“Ah.”

Jonas lâcha doucement le col d'Owain. Venait-il tout juste de lui répondre sérieusement ? N'était-il pas également le premier à lui parler ainsi, et à appuyer là où ça fait mal, depuis pas mal de temps ? Lui, parmi tous ?

Hey.

Car oui, ce qu'il venait de dire faisait mal -  même si, de son côté, Jonas n'était pas mieux, à l'insulter de son fort intérieur. Mais elle n'avait pas le recul pour réaliser ça – et ne l'a toujours pas. Aveugle, la Jonas. Aveugle de ses torts – mais quand il s'agit des autres, elle est la première à critiquer. Et comme le disait si bien le D, elle le pense, mais n'en dit rien. N'est-ce pas là quelque chose de paradoxal, de critiquer les autres lorsque l'on va soit-même commettre des erreurs ?
Mais peut-être était-ce ça qui la blessait. Le fait que même en essayant d'être irréprochable, elle avait toujours quelque chose qui méritait des reproches.

Tu veux dire quoi là, par intentions ?

Avant même qu'elle ne puisse dire quoique ce soit pour lui répondre, ni même se remettre en question, voilà qu'Owain fit sous entendre qu'il abandonnait la conversation – qu'il n'avait aucun gain dans cette histoire, et ce, en lui redonnant son classeur. C'était donc aussi simple que ça ? Jouer avec ses nerfs, pour qu'il abandonne ? Est-ce qu'il venait de la critiquer pour ses torts, la critiquer qu'elle ne dise rien, pour ensuite couper court à la conversation sans même lui laisser le temps de s'expliquer ?

Crac. Quelque chose se déchira en Jonas, qui ne reprit pas son classeur, non. Elle ne tendit même pas la main pour le récupérer. Non, depuis tout à l'heure, depuis qu'il prononça un certain mot, Jonas voulait dire quelque chose. Cependant, “dire” ne reste que le pauvre euphémisme d'un terme beaucoup moins sympathique. “Gronder”, ou, plus familièrement, “gueuler” seraient plus appropriés.
Mais avant cela, elle soupira. Longuement. Expirant un bon coup, vidant ses poumons – vidant ses propos de toute superficialité restante, pour cet instant, là, précis. Expirant le masque verbal qu'elle s'était imposé, soufflant et laissant s'évaporer dans les airs le masque facial qu'elle portait.

“Tu me sors que mes intentions t'ont blessé, que je suis pas honnête avec toi. Soit. Ok. J'ai rien dit, j'admets. Et si ça t'a blessé, désolée aussi. Mais. Faut pas faire le con, non plus.”

Une grande inspiration. Elle voulut reprendre, mais s'ensuivit alors qu'une pause. Quelque chose la bloquait, dans la gorge. C'est quoi, ça, encore ? Un effet secondaire de son pouvoir ? Jonas leva le nez vers Owain – qui, pendant ses reproches, s'était baissé vers le sol, à côté. Droit dans les yeux … Avant d'activer son pouvoir. Pas de choix – elle s'était déjà mis en tête que ce serait inutile. Pas de statistiques à la même occasion. Mais elle voulait voir ce nombre, cette barre qui importaient tant.

––– 58 … 57%.

Sa gorge bloqua encore plus, aussi elle baissa de nouveau sa tête. La dernière fois qu'elle lui avait parlé, il était à 62. Maintenant, 57. Étrange. Trop étrange. Incompréhensible, aussi. La neutralité se situe à 50. Une amitié encore très basique, à 60. Il ne volait pas plus haut que 62 encore récemment, aussi, en seulement quelques minutes, voilà qu'il se trouvait en dessous. Juste comme ça. Mais en même temps, il n'allait pas plus bas. Pourquoi ne pas la détester maintenant, s'il était si blessé ? Pourquoi ne pas juste – Oh, puis zut. Pourquoi réfléchir, alors qu'elle devait dire quelque chose – alors qu'elle commençait à sentir les maux de tête se manifester ? Quelle idée d'avoir hésité aussi tout à l'heure …

Elle inspira un grand coup – ignorant la pointe qui se fit sentir dans sa poitrine, et soupira de nouveau. La Sharp évitait le regard du blond – et s'en éloignait également, croisant ses bras, se reposant sur le dossier de sa chaise. Tout pour que ces sensations désagréables s'apaisent.

“Je disais donc, vu que j'ai dit que je serais honnête, reprit-elle, fronçant des sourcils. C'est quoi que tu me sors là, que mes “intentions” t'ont blessé …? Mes intentions ? Je t'ai même pas encore dit pourquoi je tiens ce classeur – tu m'en laisses même pas le temps. Sheesh, et après c'est moi ?”

Alors garde ton petit cul sur cette chaise, qu'elle sous entendit alors.
Sur ces mots, elle jeta un coup d'oeil sur l'objet en question. Son regard s'endurcit – de même qu'elle voulut vite continuer, ne pas lui laisser le temps de répondre comme il ne lui a pas laissé le temps ; et ce, en lui lançant une pique. Rancunière comme elle est, cette rousse.

“Même si, pour le coup, ça m'a apporté exactement ce pourquoi il existe, et qu'il est censé m'éviter. Des problèmes.”

Fuyant toujours le regard de l'autre Colombe, Jonas porta, cette fois-ci, son regard vers la fenêtre, l'extérieur. Ses yeux se perdirent dans le ciel, et sa conscience un peu aussi, raison pour laquelle son regard s'adoucit. Une douceur qui était totalement opposée à la conversation actuelle. Une douceur qui était simplement due à la vue qui était beaucoup plus agréable que le visage de son camarade, en fait. Malpolie. Et pour couronner le tout, voilà qu'elle se mit à croiser ses jambes, pour balancer en avant et en arrière celle au dessus.
En cet instant, elle était comparable à sa mère durant sa jeunesse. Elle se tenait mal, était malpolie, et surtout complètement déconnectée des autres de son âge. Ça, et les cheveux roux.

“Y a des choses que tu sais, mais que je sais pas, Owain. Ça va dans l'autre sens aussi. Y a des trucs que je sais, toi non. Et ce que je sais, c'est que les gens apportent que des problèmes. Et je veux pas de problèmes. Alors avec “ça”, je fais en sorte d'en avoir le moins possible, tout en restant passe-partout … ”

Évidemment, ce n'était pas tout. Il y avait bien un point de départ à cela – qui a tout commencé, des années auparavant. Un point qui, avec le temps, s'est effacé dans son inconscient, avec une grande partie de son empathie. Mais elle est comme ça, Jonas.
Tout ce qui lui fait mal, tout ce qui la blesse, tout ce qu'elle ne peut contrôler, elle l'évite. Une vraie enfant, celle-là. Une enfant edgy et sensible qui se la joue désintéressée, voilà ce qu'elle est.

Elle le sait. Même, ça fait partie des choses qu’elle a conscience qu’Owain sait. En fait, tout le monde sait ça. Des problèmes: c’est ça qui font la vie. Et c’est ça qui dépasse Jonas —c’est ça qui l’irrite. Plus simplement, ça la blesse. Mais là encore, l’assume-t-elle? Assume-t-elle être une grosse victime, une grosse fragile de la vie? Une gamine incapable de se sortir les doigts du cul et d’assumer ses faiblesses, ses erreurs — quand bien même elle seule, ainsi qu’une infime poignée de gens, sont au courant de ces choses qui lui sont embarrassantes?

Pas maintenant. Pas ce jour-là, pas devant le Baxter. Dommage! Une prochaine fois, peut-être.

De toute, il aurait été difficile pour elle d’avoir une étincelle en ces instants. Owain lui-même l’avait remarqué, semblerait-il — comme quoi le D n’était pas aussi stupide que la rousse pouvait le penser. Le teint de Jonas devenait blanc. Ce qu’elle avait pris comme de la douceur, de la légèreté : n’était-ce pas là simplement la baisse de tension quant à la situation, mais aussi, et se présentant d’une étrange façon, des symptômes liés à une trop grande utilisation de son pouvoir? AH. Moment de réalisation pour l’anglaise, lorsque l’américain lui fit la remarque. Merde. Maintenant qu’il le dit, c’est vrai qu’elle a un peu mal au crâne. Pas au point de s’écrouler, mais elle était un peu fatiguée.
Était-ce à cause de ses hésitations de tout à l’heure? Possible. Pourtant, ce n’est pas comme si elle l’avait utilisé à tout son potentiel. Après tout, sur lui, cela revient à pédaler dans le vide: elle n’avancerait pas.

“Je vais bien, faut pas en faire un drame non plus.”

Il la questionna ensuite sur son pouvoir. La possibilité de l’utiliser? Des raisons de le faire? Lui, une menace qui la pousse à utiliser son pouvoir? Hah! Elle est bonne la blague. Passant sa main sur son visage, se grattant la tête — arrangeant sa position qui, jusque-là, était similaire à sa mère durant sa période de rébellion.

“... T’as pas bien compris ce que t’as lu, j’ai l’impression. Une pause dans ses propos, pendant laquelle elle expire comme un soupir. Premièrement. Je ne l’utilise pas sur toi.

Il lui semblait plus facile d’exposer les choses ainsi. Non pas qu’elle le considérait bête à ce point, mais plutôt qu’elle ne voulait pas, elle, se casser la tête avec ça.

“Deuxièmement. Quand j’essaie, ça sert à rien, tout se fiche en l’air— me demande pas pourquoi, moi-même j’en sais rien, ça vient de toi. Troisièmement.”

Une énième pause, pendant laquelle son regard partit en coin pendant son hésitation. Oh, et puis zut.

“... C’est justement à cause des deux premiers points que t’es “dangereux”. Parce que t’es une source à problèmes que je peux pas remédier. Point. Ça éclaire certaines choses?”

Un air condescendant, de nouveau: qui était non pas la conséquence d’airs supérieurs de sa part, mais plutôt d’un sarcasme et d’un manque d’intérêt pour les manières et les normes sociales — révélateurs de la “vraie” Jonas. Enfin ; est-ce là véritablement un trait propre à qui elle est vraiment, et pas un trait visible peu importe la face qu’elle montre? Difficile à dire.
Mais là encore, ce n’est pas elle qui en fera l’effort de réfléchir dessus. Fini de jouer les élèves “prim and proper” avec Owain.
Il veut qu’elle soit honnête, qu’elle ne se braque pas? En veux-tu, en voilà.