◀ Insomnie de la nuit. ║ CYR ║

Cette nuit-ci, il ne la passera pas parmi les morceaux de papier et l'encre de sa plume, cette nuit-ci, il la vouera à ses pensées. La brise fraîche de la Déesse obscure, régnant en maître sur les horizons, lui fouetta le visage, et quelques mèches de ses cheveux couleur paille vinrent lui gêner la vaste vue que lui offrait ce recoin de Prismver.

Le toit. Voilà bientôt quelques jours qu'il avait eu cette subite envie de s'aventurer ici ; l'envie, au fil des heures, était devenue besoin. Besoin qu'il se devait d'assouvir ; pas du même ordre que le besoin vital qu'avait les humains de se nourrir -d'ailleurs, il n'aimait pas manger, à tel point que certains pensaient qu'une anorexie naissante germait chez lui- mais plutôt de celui du caprice d'enfant. Il avait profité, sur ce, de son insomnie imprévisible afin de s'éterniser ici jusqu'à l'aube.

Assis sur la balustrade de marbre, les pieds dans le vide et la tête dans les étoiles, Shawn contemplait les alentours ; à vrai dire, ses yeux dorés ne pouvaient distinguer que formes et silhouettes ensevelies par les ténèbres ambiantes. La lune n'était pas aussi brillante que les autres nuits. Il essaya d'identifier les esquisses dansantes dans la pénombre ; parfois, il leur donna un nom, un passé et un futur, mais seulement lorsqu'il ne parvenait à reconnaître telle ou telle figure.

-Je m'ennuie.

La lassitude le prit, alors qu'un frisson violent lui hérissa l'échine. Il faisait froid. Il avait froid, lui qui était habillé d'un simple pyjama blanc cassé, semblable à ceux des hôpitaux. Il soupira. D'un mouvement brusque, imprévisible, il se pencha dangereusement en avant, le néant planant en-dessous de sa personne. Ses mains tenaient fermement la rampe ; aucun risque qu'il ne tombe, sauf si la maladresse décidait de lui jouer un mauvais tour. Peut-être y aurait-il quelqu'un, en bas, pour le rattraper? Il esquissa un fin sourire. C'était trop beau pour être vrai.
Shawn s'inclina on ne peut plus vers la surface, là, en bas, si tentante ; il n'avait pourtant aucune envie suicidaire. Loin de là. Il n'était pas ce genre de personnes à s'habiller dans des costumes dignes de funérailles, et à barbouiller son visage du mascara le plus sombre qu'il soit, ni même à proclamer une tentative de suicide quelconque à tout va. Il n'y avait que cette adrénaline hasardeuse qui lui brûlait le sang. Mais il ne fera rien. Il y avait trop de gens qu'il ne voulait décevoir, peut-être aussi qu'il ne voulait les quitter. Non, décidément, il n'avait assez de cran pour cette connerie.

Le visage tourné vers le sol, il réfléchissait. N'avait-il pas entendu un bruit? Pourtant, il ne bougeait pas ; seule sa respiration calme et régulière le faisait vibrer. Ce n'était que son imagination, rien de plus.

Peut-être finalement qu'il ne rêvait pas. Peut-être qu'il y avait bien la présence d'une deuxième personne ici. Des bruits de pas, bien distincts. Il ferma les yeux. Qui pouvait bien être cette âme errante qui se rapprochait de plus en plus? Sa cible lui était offerte ; il suffisait de le pousser.
Un cri muet s'étrangla dans sa gorge. Comprimé. Il se sentait emprisonné, tel un oiseau en cage ; lui qui s'était posé sur cette rambarde, lui qui avait eu la pensée de s'envoler, le voilà désormais dans les bras d'une tierce personne. Il connaissait cette présence. Mais déjà, il s'agita, tentant vainement de se défaire de cette emprise trop étouffante ; il n'était habitué à de tel contact. Ou alors, était-ce la panique qui le faisait réagir ainsi.

-Des envies de suicide, Shawn ? Un chuchotement qui se voulut rassurant, et une voix inattendue. Ses muscles se décontractèrent, alors qu'il détourna les yeux vers son visage.
-Cyr.

Les pensées fusèrent dans son for intérieur ; que faisait-il ici? Pourquoi ne dormait-il pas comme les autres? N'avait-il, pour cette nuit-ci, réussi à trouver une quelconque compagnie? Questions sans réponses. Troublante situation. Il ne savait comment réagir.
Détaillant durant de longues secondes ses traits fins, dont la fatigue vicieuse commençait au fil du temps à faire sa marque -il lui trouvait toutefois un certain charme, malgré son teint blême et ses cernes-, il ne prononça un seul mot de plus. Il lui adressa un sourire léger, volatil.

-Tu sautes avec moi? fit-il, une lueur amusée brillante dans le fin fond de ses lentilles dorées.

Ses doigts avaient lâché leur ferme prise ; il avait confiance en lui. Il n'allait pas le lâcher -il l'espérait. Pas maintenant, du moins. Il se laissait aller dans ses bras, en équilibre sur la bordure fragile du vide et celle de la surface. Il poussa un soupir. Nouveau frisson.

-Au moins, je ne serai pas seul.. Toi non plus.

Il balança un court instant ses pieds dans le vide. Pensait-il vraiment qu'il allait se suicider?

-Je ne compte pas le faire. finit-il par rétorquer, soudainement. Léger silence. Reste.

Les étoiles, certes biens belles, n'étaient une compagnie éternelle.