Aujourd’hui, je suis une pierre qui roule. Qui coule.
Je suis à la limite de devenir ermite. Seule. Dans ma chambre. Dans le noir. Ecoutant la pluie ruisseler sur les carreaux et le vent tirailler les chevilles de la fenêtre. C’était un de ces jours comme ça, que l’on qualifie de désastreux ou de tout simplement pire que moisi. Un de ces jours qui avait commencé de manière détestable. Un de ces jours où tu reçois une lettre de la personne qui rend ta vie si amère. Oh, au début tu crois rêver, tu espères le contraire, et c’est uniquement quand tu vois les jolies boucles de ses lettres et que tu sens la haine inonder ta bouche, que tu constates au plus profond de ton être hideux l’efficacité de ces simples trilles lancées au vent : Angélique.
Ma chère demi-sœur.
Ma chère demi-sœur que je hais de tout mon être sombre et tordu.
C’est elle la fautive. C’est elle qui me rend laide, consciente que je souffre rien qu’en entendant son prénom cristallin. J’ai parcouru sa lettre avec les poings serrés et les lèvres meurtries par le crissement de ma propre haine. C’était comme ça. Génétique. Je n’avais pas besoin de mon don pour comprendre que chaque point sur les « i » était gonflé d’une pâte bien trop sucrée pour être réelle.
C’est la tête remplie d’injures et d’insanités que je suis allée en cours. Et c’est la tête toujours aussi farcie de dégueulasseries que je suis revenue dans ma chambre, que je me suis roulée en boule sur mon lit, une tasse de thé à la menthe dans une main et mon portable dans l’autre.
J’avais besoin de lui parler. Lui. Cet être si inestimable à mes yeux. Mes doigts ont tapé frénétiquement sur le clavier tactile :
« Papa je te hais. »
Envoyé. Une demi-seconde s’écoula. Puis le vibreur. J’avais failli attendre.
« J’entends l’appel d’une chouette en détresse ? »
Soupir exaspéré. Je réponds aussitôt, rentrant dans le vif du sujet.
« D’où elle sait que je suis ici ? »
« Je ne pouvais pas lui cacher éternellement. Tu connais ta mère. »
Justement non. Non, je ne la connaissais pas, et non il n’aurait jamais dû lui dire pour cette histoire de pouvoir et de pensionnat reculé. J’avais la douce impression d’avoir été trahie. Alors que je n’avais rien demandé.
« Fume, ça ira mieux après. »
Ou la preuve que mon père est un père indigne. Il est le premier à m’enlever mon argent de poche pour me forcer à arrêter de fumer, et le premier à me dire d’en tirer une quand il sait que je ne peux être calmée. Incohérent et complètement immoral. Exactement comme moi. Et c’est tellement frustrant !
« Père indigne. »
« Fille ingrate. »
Je me surprends à sourire malgré moi. Parce que voilà. Il est la seule personne qui peut tirer du bon de cette rage que j’ai en moi. Je ferme mon portable et boit ma tasse de thé d’une traite. Le liquide me brûle la gorge, mais j’aime ça. Je ferme les yeux . Et entend des pas se rapprocher.
La lumière m’aveugle, et j’entends quelqu’un parler.
Quelqu’un. C’est si peu dire. J’avais reconnu sa voix dès la première lettre qu’il avait prononcée.
- ...pourquoi ta pas allumé la lumière ? T'es en mode " so emo trop dark" ? Cette voix irritante et irritée, cette voix et ce langage de cas social arriéré gonfle mon cœur d’une nouvelle sorte de rage, plus douce mais toujours si amère. Je ne dis rien. Ecoute le bruit de ses pas et observe sans regarder.
-Bon. J'vais m'sécher. Jusqu’à ce que je me prenne un Objet Volant Non Identifié en pleine tête. Un objet mouillé. Je pousse un grognement et m’enlève cette chose visqueuse de ma face. Ca sent la pluie, la clope, le furet, le parfum de filles, la testostérone et le total irrespect. Bref, ça sent Marwin. Et la fille. Et Marwin.
Je suis à deux doigts de faire une crise de jalousie hystérique.
Et bah oui. Je suis nerveuse moi. Faut pas me pousser à bout. J’envoie bouler la boule visqueuse vers la porte de la salle de bain. Je serre mon portable dans mes mains. Il sort, ses cheveux secs et irrésistiblement mal peignés. Il s’assoit à côté de moi, non conscient de mon état pseudo névrosé et de mes yeux explosés qui montrent clairement que le premier qui me touche, je le bouffe.
- C'est qui qui ta écris ? =3 J’ouvre la bouche pour enfin parler. Puis plus de portable. La pluie ça me gèle le cerveau, faut juste pas m’énerveeeeuh …
- Brandon ? Oui Brandon ? Brandon, mon doppledanger masculin qui est capable de communiquer avec moi par la pensée et que je keaffe du bifteck haché de manière purement amicale. Brandon qui est reparti en Angleterre. Brandon dont je ne verrais plus le visage pâle.
- ....tu te le fais ? Plaît-il ?
- Ta déjà couché avec lui ? …… SKDQSDKQSDSQD
Force des fleurs la force des fleurs la force des fleurs la force des fleurs la force des fleurs la force des fleurs la force des fleurs la force des fleurs. MAIS PUT*IN DE BORDEL DE M*RDE QU’EST-CE QU’IL ME CH*E CE PUT*IN DE GLANDU DE DROGUE DE CASSOS QUI ME CHIER SDSDFSDFSDF CONNARD TROUDUC ANALPHABETE TROGLODYTE CAPITAINE HADOCK OUAIS !!!
Ne dis rien Sarah Edwige. Ne déblatère pas tout ce que tu peux dire sur l’homme en face de toi et ses conquêtes. Ne crie pas, ne mords pas, SURTOUT NE MORDS PAS, comporte toi en être parfaitement civilisé et normal qui ne pique pas de crise psycho-nerveuse à cause d’une lettre, d’un peu de pluie et d’une accusation totalement délirante. Respire. Voilààààà. Tu connais Marwin, et tu sais que sa jalousie maladive est encore pire que la tienne. Sois clémente. Maintenant sors une belle réponse qui dissipera tous les doutes qu’il peut avoir à ton sujet. DI-PLO-MA-TIE.
-Va . Te. Faire. Foutre.Diplomatique en effet. Je m’applaudis là. Je reprends avec un air tout à fait blasé, qui masque la colère qui coule dans mes veines depuis ce matin.
-Contente de savoir que tu me prends pour une catin Mr le Proxénète.Cette phrase je l’ai crachée.
Comme un liama sauvage. Crachée avec toute ma mauvaise humeur et mon mauvais caractère de pâle et maigrichonne adolescente. Je plante mes yeux dans les siens, avec une lueur de défi et d’acharnement. Féroce. Croisement de regard. Puis tout retombe. Mon regard s’adoucit, je soupire avant d’avaler une goulée d’air et de dire doucement en battant l’air de mes mains:
- Je suis juste de mauvaise humeur.Comme si ce n’était pas visible à des kilomètres. Mais j’étais face à Marwin. Et Marwin était celui qui ne voyait rien, jamais rien. Ni le regard que je lui donnais, ni les blessures que je portais, ni la haine coincée dans ma gorge, ni mon état semi-erratique, ni ma jalousie dévorante. Adressée à toutes les filles que tu te tapes, pour assouvir un défi minable lancée avec Silver. Il ne voyait rien. Il était complètement aveugle.