De la joie dans cette salle si sombre (PV Mabel)

Malédiction. Calamité. Malchance. C'était la liste de tout ce que je souhaitais éviter à ce moment précis, depuis que les cours étaient terminés. En réalité, je devais plutôt dire que ce qui me tourmentait, ce n'était pas une "chose" à proprement parlé, ni un événement, ni quelque chose dans ce style. Non. Ce que je ne voulais pas voir se trouvait être une personne physique, humaine, vivante, avec trois ans de moins que moi, avec des cheveux roses, en classe A: je nommais Mabel, alias le poney rose. Elle était si joviale, si heureuse de vivre, si niaise, si énergique - ou plutôt surexcitée à mon goût, tout simplement. Elle n'était pas méchante, loin de là, au contraire, elle était gentille; mais elle était vraiment étouffante au point où cela m'agaçait énormément. Cette fille avait pris la décision de me faire sourire, de mettre de la gaieté dans ma vie, ou quelque chose comme ça. Alors, quand elle me voyait, parfois, elle s'approchait de moi. J'avais beau lui dire avec un regard sombre que je ne désirais pas la voir, cela ne changeait rien, et elle revenait. Rien ne marchait, et ces temps-ci je me demandais comment lui échapper.

C'était pour cette raison que ce jour-là, je cherchais un endroit où me cacher, où elle ne me trouverait pas. Peut-être que si elle ne me trouvait pas durant plusieurs journées, elle abandonnerait cette idée et me ficherait la paix. Ce serait parfait, absolument parfait.
Je venais à peine de terminer les cours, et je savais déjà que je devais me méfier, que je devais faire attention à ce qu'elle ne me vît pas. Bon, ce n'était pas comme si elle me suivait 24h sur 24, mais je ne prenais aucun risque, car je la trouvais imprévisible. Je devais avouer que j'avais de la peine à comprendre pourquoi, parfois, elle venait, et d'autres fois non. Le pas discret, le regard attentif, j'errais seule dans les couloirs du bâtiment scolaire. Le silence était lourd, aucun bruit ne venait des salles de classe; c'en était étonnant d'ailleurs. Mais je me préoccupais surtout de ce qui m'entourait, de ce qui se trouvait à proximité. Aucune chevelure rose, ni personne, juste des fenêtres, des portes, et des escaliers un peu plus loin. Où se trouvait tout le monde à cette heure ? Étaient-ils tous dehors ? Peut-être, mais le vide qu'ils laissaient était impressionnant. On dirait que ce lieu fut déserté.

A plusieurs reprises, je me trouvais bête de vouloir lui échapper alors qu'elle n'était pas une stalkeuse, mais jamais vraiment envie de m'en débarrasser définitivement une bonne fois pour toute. Voir quelqu'un d'aussi heureux me rendait presque malade de jalousie, alors voilà. Je me perdais dans mes pensées, je montais et descendais les escaliers sans m'en rendre compte, je traversais des couloirs que je ne voyais pas beaucoup, et je ne remarquais même pas que je passais plusieurs fois au même endroit dans la même heure. Lorsque, soudain, je vis une porte assez étrange, et l'inscription qui se trouvait dessus indiquait qu'il s'agissait de la Salle Intemporelle. Je restai devant la porte un long moment, suite à l'hésitation d'y entrer. Devais-je y aller, ou était-ce une mauvaise idée ? Je pensais que non, alors j'y entrai discrètement, pour ensuite voir une sorte de salle dont le décor rappelait vaguement l'espace, ou plutôt le néant. La pièce était très sombre, silencieuse, calme, et même assez glauque. C'était assez compliqué de décrire cette salle si étrange pour moi. Ce n'était pas la première fois que j'y étais allée, mais à chaque fois, j'avais l'impression de redécouvrir la salle, et j'étais à nouveau impressionnée par les paysages qui m'avaient impressionnée la fois d'avant.

Le silence. Encore plus pesant que celui des couloirs juste avant. Quand j'y repensai, je me dis que c'était juste parfait pour me cacher et rester tranquille. Bien entendu, je savais qu'au bout d'une heure, je serais expulsée de cette salle, et que ce serait comme si je n'y étais pas entrée, pour la simple et bonne raison que cette salle était dotée de dons magiques, comme nous. Mais bon, au moins je serais tranquille un moment. Juste un moment. C'était mieux que rien.
Mon regard, qui ne reflétait aucun éclat de vie, parcourait la pièce, à la recherche d'un coin pour m'asseoir. Mais c'était en vain, car c'était le néant total, il n'y avait rien. Je décidai de simplement m'asseoir dans un endroit au hasard, au milieu de la pièce, fesses à terre, jambes repliées et ma tête posée sur mes genoux, qui étaient enroulés par mes bras.

Soudain, je sentis un poids sur mes épaules. Je sursautai en me demandant ce que c'était, que ce poids sortant de nulle part. Je réfléchis un instant, et me rendis compte que cela ne pouvait être qu'elle, aucune autre possibilité n'était possible. Mais j'espérais avoir tort, au fin fond de moi, un léger espoir persistait encore et toujours.

▬ ELIIISE ! Je t’avais perdue ! s'écria une voix familière.

Cette voix, cela ne pouvait être qu'elle, celle que je fuyais depuis tout à l'heure, celle que je voulais éviter, celle qui me suivait, celle qui me cassait les pieds. L'utilisation du terme "perdue" dans sa phrase démontrait bien qu'elle me suivait bel et bien juste avant. Je n'étais finalement pas une paranoïaque, j'avais juste raison de la craindre. Je levai les yeux, pour la voir, blasée, en observant ses actions. Elle tournait sur elle-même pour voir la salle en entier. Durant un instant, je me demandai si elle cherchait quelque chose - ce qui était tout bonnement impossible vu qu'il n'y avait pas besoin de détailler chaque millimètre de la pièce pour voir qu'elle était vide -, ou si elle ne connaissait pas cet endroit. La deuxième possibilité était déjà plus plausible. Elle s'avança vers moi, pour s'asseoir, l'air interrogatrice.

▬ Dis, tu sais c’est quoi cette salle ? J’en ai jamais entendu parler. demanda Mabel.

Sérieusement ? Bon, j'étais là depuis 2 ans, alors c'était normal que je la connusse. Mais, je n'avais pas envie de lui adresser la parole, encore moins pour lui parler d'une salle sombre et vide. Je souhaitais juste qu'elle partît... J'étais venue là pour écouter le silence.
Puis une idée me vint. Peut-être que si elle n'aimait pas ce lieu, elle allait partir et me laisser tranquille, enfin, pour le moment en tout cas. Je détournai le regard, ne la laissant pas apercevoir mon visage, pour cacher un sourire moqueur qui voulait naître sur mes lèvres. Le retenir était inutile, l'idée me plaisait tellement que je ne pouvais pas m'empêcher de la mettre en pratique

▬ C'est une salle sombre, magique, hors du temps. On raconte que ceux qui y restent durant une heure, disparaissent. expliquai-je, en disant le dernier mot d'une manière laissant paraître un peu de suspense.

Effectivement, j'avais fait exprès de ne pas terminer ma phrase. J'aurais dû dire qu'ils disparaissaient de la salle pour se retrouver dehors, mais cela ne servirait à rien.
Silence. Je la regardai à nouveau, avec un visage assez inexpressif, digne d'une dépressive, mais mon air donnait un effet tragique à la situation, tout cela de manière naturelle.

▬ C'est dangereux de rester trop longtemps là... tu comprends ? Je baissai la tête, pour la poser sur mes genoux, qui s'étaient repliées vers moi..Tu me devrais pas rester là continuai-je d'une voix monotone et calme, désinvolte.

Patience. Je me demandais si cela allait fonctionner. Soit, ça allait marcher merveilleusement bien, soit ça allait littéralement me retomber dessus. Comment, je ne le savais pas, mais je n'espérais pas que cela arriverait.

▬ Dis, t’étais pas sérieuse… Si ? demanda-t-elle un peu apeurée.

▬ Pourquoi est-ce que je mentirais ? répliquai-je en fronçant légèrement un sourcil.

Pour ne plus la voir, c'était la véritable réponse à cette question. Je n'avais pas envie de la voir rester ici, peu importe pourquoi. Il fallait qu'elle partît de ce lieu, et j'étais prête à appuyer mes dires précédents pour cela. Il s'agissait du meilleur moyen de la faire fuir, ayant cru à ma description de cette pièce.

▬ Tu sais... au pensionnat, il existe plusieurs pièces magiques, mystérieuses. La salle illusoire, où chaque dessin peut prendre vie, la salle des grandeurs, où les paysages deviennent plus grands et varient. Et il y a celle-là, qui est hors du temps, mais qui fait disparaître les personnes présentes au bout d'une heure. expliquai-je d'une voix monocorde et sérieuse.

Je posai à nouveau mes yeux sur elle et la vis avancer ses doigts vers mon visage. Est-ce qu'elle m'avait écoutée ? Je l'espérais vraiment, dans le pire des cas, je le répéterais, si cela pouvait servir à la faire déguerpir. Je reculai légèrement mon visage en voyant ses deux doigts arriver, mais c'était inutile, puisqu'elle parvint tout de même à les poser de chaque côté de ma bouche. Elle les remonta vers le haut, pour qu'apparût un sourire sur mes lèvres.

▬ Voilà ! Regarde, c’est mieux quand tu souris ! T’as l’air moins triste ! dit joyeusement Mabel.

Je la regardai avec mon regard blasé, sans vie, sans rien dire, juste en l'observant. Pourquoi faisait-elle cela ? Pour me faire sourire et que j'eusse l'air moins triste, moins déprimée. Ce n'était pourtant pas la première à essayer, mais c'était la plus têtue. Les autres ne tentaient qu'une ou deux phrases pour sympathiser et s'en allaient dés qu'ils comprenaient que je n'allais pas leur répondre. Le même scénario s'était répété avec elle, sauf qu'elle restait. Enfin, ce n'était pas la seule quand j'y repensais, Lhym et Aslinn aussi étaient persévérantes. Mais bon, Lhym ce n'était pas pareil, Lhym était ma meilleure amie, par contre, j'avais de la peine à supporter ce moulin à paroles d'Aslinn.

▬ Dis-moi, Mabel... Pourquoi ?... murmurai-je.

Je fis une légère pause, tout en la fixant. Étant donné que j'avais parlé, mes lèvres avaient remué et les doigts de Mabel n'avaient pas pu resté appuyés sur mes joues.

▬ Pourquoi est-ce que tu m'as suivie ? continuai-je.

Elle n'était pas partie, il était que j'essayasse autre chose.

Elle s'assit par terre, en repliant les jambes vers elle et en posant sa tête sur ses genoux. Elle avait la même position que moi, à présent. Mes iris la scrutaient, sans s'en détacher, sans regarder autre chose, juste se contenter de la fixer. Elle avait l'air si calme à présent, posée, sérieuse, et je me demandais comment cela se faisait. L'avais-je déprimée ? Ma remarque l'avait-elle rendue triste ? Je me demandais bien comment.

▬ Je… Je pense que c’est parce que j’aime pas voir les gens tristes. J’ai besoin de rendre heureux les gens, c’est un peu comme si c’était une obligation. J’y peux rien moi, mais si on ne sourie pas, on ne saura jamais ce que c’est que de voir les gens penser qu’on est heureux. Et je suis sûre qu’au bout d’un moment on oubliera complètement pourquoi on était malheureux. Donc oui, c’est pour ça que je te suis, que tu puisses connaître ça. expliqua-t-elle avec une voix mature, ressemblant à celle d'une adulte, prenant pratiquement un air philosophique.

La Mabel immature et insupportable avait l'air d'avoir laissé sa place à une Mabel plus mature, plus adulte. Cela avait eu l'effet de m'impressionner intérieurement, même si la seule chose que l'on pouvait voir de moi était quelqu'un d'impassible, dont le regard ne démontrait aucun éclat de vie, seulement du vide et de la tristesse. De la tristesse à continuer à exister sans véritable but.

▬ Ce serait magnifique si le malheur pouvait se dissiper aussi facilement... Malheureusement, je ne pense pas que ce soit aussi simple d'oublier... murmurai-je en prenant un ton mystérieux et triste à la fin de ma phrase.

Oublier. Ce serait splendide d'oublier certaines choses de ma vie, certaines douleurs. Ma phrase disait très clairement que je n'étais pas d'accord avec ce qu'elle disait. Sa naïveté me prouvait qu'elle avait une vision très simple du monde, très positive, et étrangement, je la jalousais. J'avais également envie de croire qu'il y avait du bon dans cette société. Malgré que ce que j'avais vécu ne fût pas aussi terrible que d'autres, qui avaient perdus leurs parents, avaient été battu, étaient handicapés, ou avaient connu des traumatismes abominables, mais c'était suffisant pour me faire déprimer, pour que je ne pusse plus voir la vie en rose. Seule Lhym me faisait oublier tout mon désarroi, ma dépression - Sélène aussi avait cet effet-là parfois. J'attendais une réponse de la A aux cheveux roses. Mabel secoua la tête et reprit son sourire habituel. Je vis tout d'un coup un flash accompagné d'un petit "clic", et j'eus le réflexe de légèrement baisser mon regard, sourcil froncé. Elle avait un appareil photo en main.

▬ Au fait, tu sais que tes cheveux bleus sont magnifiques ? déclara-t-elle.

Où était passée l'autre Mabel ? Disparue. Volatilisée. Partie aussi vite qu'elle était venue. La petite surexcitée était revenue pour parler de sujets plus drôles, comme complimenter ma chevelure; avec deux doigts, je pris l'une de mes mèches pour la regarder du coin de l'œil. Parfois, j'oubliais comment étaient très exactement mes cheveux; je les savais bleus clairs, mais cela m'échappait.

▬ Merci, mais... quel rapport ? répondis-je doucement mais sèchement.

Au fond, cela me dérangeait un peu qu'elle changeât de sujet aussi facilement, aussi rapidement, sans prévenir.

Mes paroles assez froides semblaient la gêner, la désespérer un peu. Elle posa sa tête sur ses genoux, tout en me regardant.

▬ Aucun ! J’essaye juste de faire la conversation. Ça marche pas, on dirait. me répondit Mabel, un peu déçue.

Ce n'était pas la première fois que l'on me disait cela, que j'étais quelqu'un avec qui il était difficile de parler, de discuter. Au début, ce genre de remarques me faisait de la peine, car j'étais fragile, et je me sentais mal en entendant des critiques, mais plus actuellement. A présent, j'appréciais même que l'on me dît cela, car cette remarque était toujours suivie de la fuite de mon interlocuteur. On me laissait ensuite tranquille, en paix, seule. Alors je ne répondis pas, je n'y trouvais aucun intérêt. La fille se coucha par terre, sur ses cheveux, et éclata de rire, sans raison. Mon regard, qui était dans le vague, se dirigea vers elle, lentement, en fronçant légèrement un sourcil. Qu'est-ce qu'il y avait de drôle ? Venait-elle de penser à une blague ? Je n'en savais rien, bien que j'en étais curieuse, je l'avouais.

▬ Dis, qu’est-ce que j’ai fait pour que tu me fuis tant ? Si tu me le dis je pourrais peut-être me rattraper. me demanda Mabel.

Je ressentis une sorte de soulagement, en entendant sa question. Elle l'avait au moins remarqué, elle n'était pas si naïve. Ce poids, qui me pesait tant allait peut-être enfin s'en aller, mon calvaire serait bientôt terminé. Je réfléchissais à comment lui répondre, comment le formuler, comment le dire clairement, pour qu'elle le comprît. Elle commença à regarder de petits morceaux de papier, les uns après les autres, et cela ressemblait beaucoup à des photos - ce qui ne m'étonnerait pas, vu qu'elle détenait un appareil photo. Puis, sans raison, elle me regarda, et me tira la langue, gentiment. Je relevai un peu la tête, qui était posée sur mes genoux, avec des yeux qui faisaient croire que j'allais m'endormir.

▬ Pourquoi... est-ce que je te fuis ? demandai-je en répétant sa propre question.

Un silence assez lourd vint régner quelques secondes, et je le laissais faire. Après quelques battements de paupières, je reposai ma tête sur mes genoux. Je sentais qu'elle allait m'écouter, attentivement. J'en avais sincèrement envie.

▬ Parce que tu me déprimes. répondis-je avec une voix un peu plus grave que ma voix normale.

Silence. Aucun tact, aucune diplomatie, juste une phrase directe, concrète. Je regardai sa réaction, calmement, sans laisser paraître une seule émotion sur mon visage. Quelque chose me disait que je devais continuer, justifier, ne pas laisser cette révélation toute seule, sans explication.

▬ Je ne t'apprendrai rien si je te disais que je ne suis pas vraiment quelqu'un d'heureux, c'est quelque chose qui se remarque assez facilement. Je n'ai aucune raison qui m'oblige à sourire, à être joyeuse, à être heureuse. Et voir des gens comme toi, qui rigolent, qui ont le bonheur, parce qu'ils ont vécu une vie sans encombre... c'est difficile d'apprécier ça... parce qu'au fond, je t'envie, je t'envie d'avoir une raison de vivre, et pas moi... C'est dur de supporter cette réalité, et de la voir exposée. continuai-je, avec une voix monocorde, en expliquant, en souhaitant qu'elle comprît enfin.

Si cela pouvait l'aider à mieux me comprendre, moins me rendre malheureuse, moins me déprimer, même sans le faire exprès, alors je ne regretterais pas de lui avoir révélé cette vérité. Mes mains se posèrent sur mes genoux, et je relevai juste un peu le menton.

▬ C'est parce que tu es ce que tu es que je t'évite. conclus-je, pour résumer.

J'ignorais, au fond de moi, si j'avais fait preuve d'autant de franchise pour la blesser, au point de lui donner envie de partir. Peut-être... peut-être qu'inconsciemment, j'avais fait cela pour la voir déguerpir, en pleurant, et qu'elle n'eût plus envie de me voir. Je voulais voir si cela avait fonctionné en la fixant, mais au lieu de voir des larmes perler ses joues, je vis son sourire enfantin toujours présent sur ses lèvres. C'était impossible pourtant. M'avait-elle écoutée, au moins ? Une réponse négative expliquerait pourquoi elle souriait après des paroles plutôt blessantes, qui expliquaient clairement qu'elle était une nuisance pour moi.

▬ Tu sais, moi aussi j'ai connu quelque chose de très dur, quand j'étais toute petite. Mais Oba-san m'a toujours répété que si je voulais arrêter d'être triste il fallait que je souries. Alors c'est pour ça que je suis tout le temps en train de sourire. Parce que j'ai suivi ses conseils et que maintenant je suis plus triste. Je sais que ces personnes seront toujours avec moi, donc j'ai aucune raison de pleurer. m'expliqua Mabel avec son air joyeux.

Je fus incapable de vraiment dire quelque chose durant quelques instants, surprise. Néanmoins, je parvenais à légèrement froncer un sourcil d'étonnement face au terme que je ne connaissais pas.

▬ Oba...-san ? demandai-je, sans vraiment m'intéresser à une réponse, ou à si elle allait répondre.

Elle avait vécu des choses tristes, dures, et elle arrivait à garder le sourire, à se contenter d'un simple conseil pour ne pas être traumatisée. J'avais du mal à y croire. Ma justification était tombée à l'eau, elle n'était plus valable, inutile face à la preuve du contraire qu'elle venait de me montrer. Elle était elle-même une preuve, et je m'étais faite avoir. Avait-elle fait cela pour me consoler, ou pour rejeter mon argument ? Tout cela pour dire qu'elle avait réussi à réussir à faire naître une jalousie plus grande, au lieu d'apaiser mes peines; elle était parvenue à surpasser son malheur, contrairement à moi. Pourquoi n'avais-je pas cette chance ? Pourquoi avait-elle le droit au bonheur ? Pourquoi étais-je si seule ? Seule... Je baissais le regard, silencieuse, incapable de dire quoi que ce soit, avec l'envie de pleurer; mais je n'y arrivais pas. J'avais seulement le cœur serré. Mabel marchait à quatre pattes, vers moi, pour me sourire.

▬ Même si tu m'aimes pas moi je t'aimes bien et je te lâcherai pas avant que tu souries. me déclara Mabel.

Puis elle me prit dans ses bras, sans demander mon avis, ni rien. Je ne savais pas quoi faire cette fois, perdue, confuse. J'étais partagée entre tant de sentiments, qui me préoccupaient plus que cette fillette aux cheveux roses, que j'oubliais presque que je n'avais pas envie qu'elle me montrât tant d'affection. Face à ce qu'elle m'avait dit, j'avais presque l'impression que j'avais l'interdiction d'être malheureuse, qu'elle ne me le permettait pas avec les raisons que j'avais évoquées. Pourtant, je n'y pouvais rien, je n'avais jamais voulu broyer du noir, mais c'était plus fort que moi. J'avais l'impression d'être faible pour une fois. Faible, et seule dans mon cas.

▬ Sourire pour ne plus être triste...? Je crois qu'il est malheureusement trop tard pour moi... Je ne sais plus quel âge tu as, mais tu es plus jeune, alors que j'ai déjà 17 ans. dis-je avec une voix si faible que l'on aurait pu croire qu'elle venait d'un mourant.

Je me dégageai doucement de son étreinte, en détachant ses bras. Un malaise commençait à naître en moi, il provenait de cette fille. Ce n'était plus du mépris que je ressentais pour elle, mais de la crainte, de la crainte de me sentir faible en face d'elle; elle allait très certainement me dire qu'il était encore possible pour moi de sourire, ou quelque chose comme cela. Si elle parvenait encore à me contredire, je verrais que j'avais eu tort, et je n'avais pas envie de penser que j'avais eu tort d'être celle que j'étais. Il fallait que je me défendisse, pour me protéger, alors je cherchais une justification. Si ce qu'elle avait vécu était moins dur que mon passé, je n'aurais aucune raison de l'envier. Espoir.

▬ Qu'as-tu vécu de si dur...? questionnai-je en murmurant.

Je souhaitais sérieusement qu'elle eût traversé un passage moins désolant que moi, vraiment.

Ce sourire si niais qu'elle possédait à longueur de journées s'éteignait, était toujours présent, mais moins. Cela ne m'étonnait pas, puisque je lui avais demandé ce qui lui était arrivé pour qu'elle eût une raison d'être malheureuse. Mon cœur de serre, comme si jamais peur, peur de ce qu'elle allait annoncer. J'étais aussi angoissée et stressée qu'un condamné qui attendait sa sentence, car pour moi, sa prochaine réplique serait semblable à une condamnation. Allait-elle me dire que je déprimais pour une raison futile, comparée à elle ?

▬ En fait… Mon papa et ma maman sont morts quand j’avais cinq ans… C’est mon oba-san qui m’a élevée et c’est elle qui m’a aidée à sourire, même si ça a mis du temps.

Je sentis un désespoir envahir tout mon être. J'imaginais la tristesse qui me rongerait si mes parents seraient morts à mes 5 ans, si j'aurais été privée de leur tendresse. Au fond de moi, à ce moment-là, je souhaitais que mon père disparût, mais je savais que s'il était décédé lorsque j'étais jeune, j'aurais été désemparée de ne plus l'avoir près de moi. Impossible de le nier. Tremblements. J'avais envie de m'en aller, de partir, de fuir cette réalité si douloureuse. Cette jeune fille était heureuse avec ce passé si douloureux. Pourquoi elle ? Pourquoi je n'en avais pas le droit ? Pourquoi le destin me détestait-il ? Pourquoi voulait-on me rappeler à quel point je paraissais misérable ? Je me fichais bien que cela avait mis du temps, selon elle, car le résultat était là, devant moi, sous la forme de la personne la plus souriante et joyeuse au monde. Elle m'avait condamnée, elle me condamnerait. Je me sentais si honteuse avec mon malheur que tout le monde considérait comme moins grave que le sien, à déprimer, je sentais qu'elle me condamnerait si elle savait la vérité. Elle me saisit les mains, sans que je ne comprisse pourquoi. Je tremblais, en me perdant dans mes pensées.

▬ Peut-être que ton problème à toi était bien plus grave, je peux pas savoir, mais tu comprends, il y a forcément quelqu’un qui pourra t’aider à sourire. C’est obligé. continua Mabel.

Non, Mabel, il ne l'étais pas... Pas avec ce bref résumé que tu m'avais fait. J'avais appris que mon père ne voulait pas de moi, mais tu me dirais que j'avais un père, au moins. La première personne qui me venait à l'esprit quand elle m'eut dit cela était Lhym. Lhym. Cette fille ne me condamnait pas par son passé. Elle était normale, gentille, heureuse, telle un rayon de soleil, sans être excessive, et elle n'avait pas vécu un lourd passé. Cette ignorance de la souffrance me mettait plus à l'aise avec elle, mais pas avec Mabel. J'avais peur avec Mabel, peur qu'elle ne découvrît mon passé pour dire que ce n'était pas si grave, qu'un sourire règlerait tout. Cela serait le coup de grâce. Et je ne le souhaitais pas, je n'avais pas envie d'être rabaissée de cette manière, je ne voulais pas être jugée. Je voulais me protéger, et pour cela, elle ne devait rien savoir...



Silence. Je relevai les yeux vers Mabel, en lui lançant un regard glacial, noir.

▬ Certes, mais cette personne, ce n'est pas toi, Mabel. répliquai-je sèchement.

Mes mains tremblantes se détachèrent des siennes, pour lui saisir son col; suite à cela je me mis debout, en levant mon bras au dessus de ma tête, en soulevant la petite fillette rose, par la même occasion. Grâce à mon pouvoir, je parvenais sans peine à la décoller du sol - sans compter que je la trouvais assez légère. Mais mon but n'était pas de m'amuser. Non. Il fallait qu'elle comprît, une bonne fois pour toute, que tout son être était une menace pour moi.

▬ Écoute-moi bien, Mabel, je me fiche bien de ton passé... Mensonge. ...et savoir le mien ne changera rien. Mensonge. Je la menaçais justement parce que je craignais que cela changeât quelque chose. Mais sache une chose, je te jure que si j'avais la moindre envie de sourire, je le ferai. Je ne parais pas triste simplement parce que j'en ai envie, ou pour me créer un style, ce serait ridicule. Non Mabel, cela ne me plaît pas de vivre sans comprendre les gens qui sont heureux. Et j'aimerais te dire que, finalement, même après cette discussion, je constate seulement que mon avis ne change pas: je ne veux plus te voir. Sache que si tu veux vraiment me remonter le moral, un conseil: ne m'approche plus. Sincèrement. expliquai-je d'une voix monocorde mais tremblante.

Je lâchait son col pour la voir retomber par terre. Mon regard devint terrifiant, peu rassurant, et j'avais envie de hurler contre elle, hurler, encore et encore pour la dégoûter de moi. Je tremblais de colère, et je n'arrivais plus à me retenir.

▬ TU AS COMPRIS ?! JE NE VEUX PLUS TE VOIR ! ALORS NE VIENS PLUS ! lui hurlai-je d'une voix colérique et méchamment.

Et sur ces mots, je me dirigeai vers la sortie de la salle, à pas lents, pour écouter sa réponse, entendre si elle me détestait ou si elle voudrait encore me pourrir l'existence.

Des pleurs. Des larmes. Des gémissements. La fillette toute joyeuse de tout à l'heure avait sombré dans le désespoir. Ces sanglots étaient les seules réponses de sa part, car elle n'avait pas la force de répondre quoi que ce soit d'autre, même pas un mot. Grognement. Cela ne servirait à rien d'attendre qu'elle se calmât, pour vérifier si je m'étais bien fait comprendre. De ce fait, je quittai la salle, sans un mot, en la laissant seule dans son tourment. Cela lui permettrait peut-être de me comprendre enfin. Solitude. Tristesse. Ce qui m'avait suivi pendant tant de temps, pour enfin devenir des éléments de mon quotidien, sans faire mon bonheur. Bien au contraire. À présent, c'était à son tour de connaître cela. Mais ses cris devenaient insupportables, horribles, dérangeants, aigus. Du silence. J'avais besoin de silence. D'un geste un peu précipité, je fermai la porte derrière elle, en entendant son chagrin qui donnait l'impression d'être inconsolable. Une fois cela fait, je m'appuyai contre la porte de la pièce que je venais de quitter.

Calme.

Le silence s'installait. Pas un bruit, seulement le silence. Un coup d'œil à gauche ; puis à droite. Personne. Aucun élève. Aucun professeur. Les couloirs étaient vides. Je pris une longue inspiration, avant d'expirer tout doucement, pour m'apaiser. C'était terminé. Je n'avais plus rien à craindre désormais. La tempête rose s'était calmée, et j'espérais qu'elle ne reviendrait plus faire des ravages. Je me redressai, en laissant échapper un soupir ; puis je repartis en direction de mon dortoir, en repensant à tout ce qui venait de se passer dans cette salle. J'avais finalement réussi à lui faire comprendre le fond de mes sentiments. Elle ne reviendrait probablement plus, elle ne m'agacerait plus, elle ne m'étoufferait plus, elle ne me déprimerait plus avec sa joie de vivre que je lui enviais tant.

Je me sentais libre, comme si je venais de me décharger d'un poids lourd, d'un fardeau, d'un tracas. Et je pouvais ressentir la joie d'avoir une âme en paix.

L'angoisse de tout à l'heure s'était peu à peu dissipé ; ainsi que la peur et mes craintes ; je retrouvais la paix. La paix. Je ne regrettais absolument pas ce que j'avais fait, ni même ce que j'avais dit. Mon choix était le bon, bon pour ma propre protection. Ma démarche était aussi lourde que d'habitude, aussi disgracieuse qu'elle avait toujours été. Un sourire se fendit sur mes lèvres, même si je me demandais...

Depuis quand... depuis quand étais-je devenue cette fille froide et cruelle ? Pourquoi repoussais-je toutes les personnes potentielles de m'aider à m'évader de cette prison dans laquelle j'étais enfermée ? Me rendais-je compte que je venais de refuser de l'aide ? Venais-je d'empêcher quelqu'un de venir me sortir de ce désespoir ? Est-ce que Mabel aurait pu être la fille qui m'aurait sauvée ? Peut-être... c'était possible... mais pour être franche, cela m'étonnerait.

Sur cette pensées, je continuais...