Personnal Responsabilty || PV. Nemesis

Mes doigts glissent. Le papier. Le braille. Les yeux clos, je lis la liste des personnes présentes à cette réunion, la main tremblante.

Parce-que j’ai entendu sa voix. Nemesis. Je suis certain de l’avoir reconnu. J’ai également senti le trouble de son ton. Perturbé. Je suis ici depuis une semaine, et je ne découvre l’intégralité du personnel qu’aujourd’hui. Et je suis certain qu’il en fait parti. Mes sens ne me trompent pas.

Il est assez loin de moi, sur la gauche, un rang devant. Je dirais qu’il est à cinq chaises de moi. J’identifie les voix qui nous séparent. Celles que j’ai déja entendu ou non. Et en même temps, je continue de faire courir mes doigts sur le papier.

Ca y est.

⠨⠝⠑⠍⠑⠎⠊⠎ ⠨⠕’⠨⠉⠕⠝⠝⠕⠗ ⠤ ⠨⠎⠥⠗⠧⠑⠊⠇⠇⠁⠝⠞

Je frissonne. Non... Non, pourquoi, qu’est-ce que... ? « Mr Crane, est-ce que ça va ?» Je sursaute, relevant inutilement la tête vers la source auditive, adressant un sourire se voulant confiant. «Oui oui. Je. Ca va.» Non ça ne va pas. Mes mains sont prises de spasmes. J’ai chaud. Je sens mon coeur qui serre, alors que de lointains souvenirs refont surface. Le souffle de Josh. Mon cri. La voix de Nemesis. Le silence. Les pleurs d’Alessandrä. Un violent frisson me parcoure et je me retiens à grande peine de me lever. Je m’efforce de rester assis, d’écouter attentivement, mais la concentration n’y est plus. Et sitôt que la réunion s’achève, je me lève, et me faufile dehors aussi vite que mon handicap et la foule me le permet. J’aurai d’ailleurs juré le frôler au moment de passer la porte. Son odeur. Sa présence. Je les connais bien, trop bien, le temps ne les a pas oublié. Nemesis et moi nous sommes découverts au plus profond de notre intimité. Je connais sa peau, son odeur, son souffle, sa voix, tout. Tout ce qu’une personne peut dégager, mais dont vous n’avez pas conscience. Je frissonne et file directement à mon cabanon.

Les cours de l’après-midi se sont bien passés, dans l’ensemble. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser à Nemesis. Il était surveillant ici. Nous allions devoir nous fréquenter... Comme avant. Non, non. Tout serait différent à présent.

Je me demande si Alessandrä sait. Si elle l’a déja croisé ou non. Elle n’a pas pu venir à la réunion de ce matin. Et lorsqu’elle l’apprendra... ? Que se passera t-il... ?

Mon coeur est toujours serré, particulièrement au moment ou mes doigts viennent s’écraser sur la porte, frappant trois coups. Ce devrait être son studio, à Nemesis. J’espère ne pas m’être trompé. J’attends. On pose un objet à l’intérieur. On s’approche. On ouvre. C’est lui. Il est stupéfait, je l’ai entendu à son inspiration. Il ne dit rien. J’entre, le poussant; je ne veux pas lui laisser le choix. Ma mâchoire est tendue. Je me mord la lèvre, me retournant vers lui après avoir repéré d’un coup rapide de canne blanche les différents éléments présents autour de moi.  Je. Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi est-ce que je suis venu le voir ? J’ai de la haine pour lui. De la rancoeur. Mais le retrouver m’a également procuré un manque, ce. Ce quelque chose qui me fait mal au coeur. Et finalement, je suis là, face à lui, ayant fait irruption chez lui sans même réfléchir à comment j’allais aborder les choses. Finalement, les mots viennent tout seul. «Ca fait une semaine que je suis ici. Tu le savais forcément. Pourquoi tu n’est pas venu à moi ?» Mon ton est dur, ma tête est baissée, mais ma mâchoire serrée, et mon poing s’est refermé sur ma canne avec force. «Alessandrä est là aussi, tu sais ? Tu comptais nous éviter le plus longtemps possible ? Tu croyais vraiment que je pouvais ignorer ta présence parce-que je ne peux pas te voir ?» J’ai maintenant la boule au ventre, car sa présence me rappelle, et me rappellera toujours, inévitablement, la mort de mon meilleur ami. Et il ôse nous fuir. Je frissonne. Lâche. Je retiens ce mot sur ma langue, serrant les dents.

Il soupire. Se déplace. Je reste immobile, le laissant me passer à côté pour faire quelques pas. Il saisit quelque chose en verre. Il avale. Repose le verre. Y fait couler un liquide. Odeur de whisky. «Oui, j’étais au courant. Et oui, je comptais vous éviter le plus longtemps possible. Je n’ai jamais prétendu que ta cécité était un prétexte pour que tu ne me remarques pas. Mais j’aurais préféré que tu m’ignores.» Je déglutis. Je sens ma gorge se nouer légèrement. Il se déplace, revenant vers moi. Je ne sais comment réagir face à ce qu’il m’a dit. C’était prévisible. Trop, prévisible. C’est tellement lui, cette réaction. Sa fuite est tellement logique. A quoi est-ce que je m’attendais ? Qu’est-ce que je venais chercher, là ? «Pourquoi es-tu venu, Abel ? Pour remuer le couteau dans la plaie ? Cette situation te met aussi mal à l’aise que moi, voir plus. Alors pourquoi t’infliger ça ?» Une boule s’empare de mon ventre. Je déglutis de nouveau, me tenant debout, immobile, alors qu’il s’asseoit à côté de moi sur le canapé. Un canapé vieilli, d’après le bruit. Mais l’odeur de cuir indique la bonne qualité de ce dernier. Je reste immobile, tête baissée. J’ouvre les yeux, inutilement. Rien de plus qu’un muscle en mouvement. Aucune différence. Pourquoi suis-je venu ? Parce-qu’il m’arrive d’être impulsif. Parce-que j’avais besoin de lui parler. Besoin de sentir de nouveau sa présence. «Parce-qu’on a plus dix-huit ans, Nemesis.» Je dois l’admettre. Et je dois l’accepter. Refermant les yeux, je met ma canne blanche en mouvement. Canapé. Ses jambes. La table basse. J’avance. Ma canne tapote, glisse. Mes doigts effleurent le comptoir stratifié de la cuisine.  Je repère l’endroit où la bouteille s’était reposée. Je la touche. «Je n’ai pas envie de t’ignorer. Je n’en suis même pas capable.» C’est ce que je peux conclure de la situation actuelle. Mes pas m’ont mené ici d’eux-même, je n’ai pas pu tenir une journée entière.

Ma main s’empare de la bouteille. Je la porte à mes lèvres, laissant une longue gorgée dévaler ma gorge, brûler tout sur son passage. J’entrouvre les lèvres, reposant la bouteille sans néanmoins la lâcher. Oui, je me suis servi seul. Il me doit bien ça. Chauffé par l’alcool, je cherche mes mots. Non, je cherche à éclaircir mes pensées. Tout s’embrouille. Tout s’est emmêlé toute l’après-midi dans mon esprit. Je ne veux pas reparler de Josh. Moi aussi, je voudrais oublier. Mais comment oublier alors que je suis de retour ici ? Comment oublier alors que Nemesis, que je n’ai pas vu depuis six longues années est là, dans cette pièce ? Je pose ma canne contre le comptoir, m’appuyant sur ce dernier de mes coudes, faisant tourner la bouteille sur le plan de travail, entre mes deux mains.

«... Excuse-moi de t’avoir frappé. La dernière fois qu’on s’est vu. Tu n’est pas venu à son enterrement, mais finalement, j’aurai fais la même chose si tu y étais venu.»

Souvenirs. J’avais débarqué à son cabanon. Le dernier jour d’école, et lendemain de l’enterrement. J’avais pour lui une haine sans nom, lui qui n’était pas venu l’honorer une dernière fois. J’étais entré, un peu comme aujourd’hui, sans lui laisser le choix. J’étais en larmes. Fou de rage. Et sitôt trouvé, je lui avais écrasé mon poing dans la figure. Deux fois. Je l’avais insulté. Je l’avais maudit. Et j’étais parti.

«... Je suppose que je suis la seule personne ayant pu te frapper sans avoir de représailles. Merci de m’avoir épargné.» Je porte de nouveau le goulot à mes lèvres. Chaleur. Je suis calme. Ce qu’il m’a dit à légèrement dénoué le noeud de ma colère. Parce-qu’il est honnête. Parce-qu’il est lui-même. Je frissonne. «On a partagé trop de choses pour que je t’ignore Nemesis. ...Je n’ai pas ta force, et tu le sais.» Allusion à cette nuit, passée ensemble. Je cille.