Go away, let me alone, i hate you.

Casque sur les oreilles, remuant ma tête en rythme, mon pied battant le rythme et mes doigts tapotant la table, ma main gauche écrit, chiffres après chiffres, calculs après calculs. Regard, calculatrice, stylo. Pour demain, on a des exos de probabilités, mais comme d’habitude quand c’est le cas, moi j’ai le droit à un autre programme tout particulier. Parce-que, les probas, il me suffit de lire la question pour que la réponse exacte me vienne en tête, alors la prof s’est adapté et je le droit à un menu spécial géométrie.  Bon, j’ai quand même fait l’exo de probas, en plus, juste histoire de. Mais bon, c’est comme rédiger quelque chose que tu lis, ça a franchement aucun intérêt. La géo c’est forcément plus difficile, mais là, en l’occurrence, j’ai pas de mal. J’ai rarement du mal de toute façon, les maths c’est ma matière par excellence. Quand j’ai pas 19,5 ou 20, c’est que j’ai 21 ou 22.

Alors je me laisse distraire. Assis à l’étage, je regarde en bas, me remuant toujours au rythme de ma musique. Et mes yeux tombent sur la rouquine. Non, pas Ashley... C’est Fani. Je la regarde d’en haut, quelques instants, faisant tourner mon stylo entre mes doigts, pensif. Je repense à notre soirée en boîte. A la façon dont j’ai baissé les armes. A la façon dont elle a craqué, et fuit.

Je ne sais pas quoi en penser. Est-ce qu’il faut continuer le jeu, ou accepter qu’on pourrait totalement être de bons potes. ... Cette simple pensée me fait grimacer. Non. Parce-que, même si ce soir là j’me suis rendu compte de certaines choses, elle continue de m’insupporter.

... Et de m’obséder, aussi. J’ai été au tableau plus d’une fois, aucune vision. J’ai été squatter avec Crystal, elle m’a à peine regardé. Elle ne joue plus. Elle a abandonné. Alors j’ai fais de même. Ca fait genre deux semaines que j’ai pas cherché à l’emmerder ou quoi que ce soit. C’est moins drôle. Beaucoup moins drôle. Je pourrais recommencer, tout en sachant que je vais volontairement faire chier quelqu’un qui n’en a pas envie. Et ça, ça me ressemble pas. J’suis un distributeur de sourires, pas de haine. Mais ça me manque. Parce-que, quelque part, j’apprécie Ulysse pour tout ça. J’apprécie notre relation, elle me défoule, et je suis un grand joueur; jouer avec elle était intéressant. Mais là, c’est juste devenu vide. Ennuyant. Et l’ennui est mon plus grand ennemi. Je cale mon stylo entre mes dents, me levant en pivotant, fouttant toutes mes affaires dans mon sac, stylo jeté en dernier. J’passe mon sac sur mon épaule, et me met en route vers les escaliers. Ma main remet en place mon tee-shirt I ♥ Berlin tandis que mon autre main se glisse dans la poche arrière de mon skinny noir. Je marche vers elle, pose mon sac sur sa table. Ah, elle est dans les maths aussi. Un coup d’oeil sur ses probas. Un sourire. Je m’assied alors face à elle, laissant mon casque autour de mon cou, et pose mon coude sur la table, ma joue sur mon poing fermé, tête penchée. Un demi sourire taquin aux lèvres, je la fixe alors qu’elle lève ses yeux de biche sur moi. Remarquez, j’ai pas dis bitch, y’a du progrès. J’observe ses yeux si particuliers, quelque part entre le violet et le rouge. Et je reste silencieux. Parce-qu’en vérité, je me suis même pas encore vraiment décidé. Paix, ou nouvel assault. je sais pas. Qu’importe, tant qu’il y a quelque chose. Elle se lève, s’éloigne, sans un mot, sans un regard de plus. Mes yeux restent rivés un instant à l’endroit où elle était assise, tandis que mon sourire s’affaisse. Je jette un oeil vers l’endroit ou elle va, puis saisie son stylo, et de là ou je suis, je corrige l’erreur qu’elle a fait dans ses probas.  Elle était vraiment pas loin, mais c’était faux.

Soupirant, je me lève finalement pour la rejoindre. Elle range son livre, vrille son regard vers moi et s’apprête à repartir, mais je tend mon bras devant elle, posant ma large main sur la bibliothèque, lui barrant la route. Je la fixe. J’essai de lire en elle. Une lueur, un geste, un signe, des probabilités. Mais c’est toujours pareil. Toujours ce 50% indéchiffrable. C’est bien trop perturbant. Et c’est peut-être parce-qu’elle est le seul mystère pour moi que je m'intéresse autant à elle.

« Ne me dis pas que ça ne te manque pas. j’te croirais pas. »

Je la dévisage, esquissant un demi-sourire étrange. Je suis à la fois agacé, amusé, mais aussi déboussolé. C’est quoi ce nouveau rôle qu’elle se donne là ? La gentille, la craintive ? Encore des aspects que je ne lui connaissais pas. Alors, pour lui donner tord, je me redresse, libérant le passage. Parce-que,  elle a eu la satisfaction de me voir venir jusqu’à elle, et je ne voudrais pas qu’elle croit que je lui porte plus d’intêret que ça.

... Même si c’est le cas. Je plisse les yeux, la dévisageant, hochant doucement la tête de droite à gauche.

« A quoi tu joue ? »

Ce serait plus simple qu’elle me jette comme avant, ou qu’elle continue de me fuir comme elle le fait depuis quelques temps. Mais là... Je suis dépourvu face à ce nouveau personnage. Et puis, son ton mielleux m’écoeure, ses yeux de biche, sa façon de jouer l’innocente... C’est répugnant. Répugnant parce-que je sais que ce n'est qu'un masque. Qu'au delà, c'est une vraie salope, et qui plus est, une salope en grand manque d'affection. Je croise les bras, passablement agacé par ce comportement auquel je ne m'attendais pas, je dois l'avouer, laissant mon dos s’appuyer contre l’autre rangée, tandis que j’y appuie également un talon, jambe pliée.

« T’a décidé d’arrêter de faire ta chieuse ? Tu t’es rendue compte que je finissais toujours par gagner ou bien ? »

Petite piqûre de rappel de notre soirée, de laquelle elle est partie en rage. C’est ta gentillesse qui me débecte, qu’elle m’avait dit. Mmmh, alors c’est là ma meilleure arme. Et il faut croire qu’aujourd’hui, elle aussi joue la carte de la gentillesse, aussi peu probable que ce soit... Non... vraiment, Fani ? Tu veux jouer à la gentillesse contre moi ?

« Je t’ai corrigé ton résultat de  question 7. C’était pas 65,45 mais 65,46. »

Et elle minaude, et elle fait sa niaise, son innocente.  Moi je ne souris même plus. Oui, je suis joueur... Mais là... Je ne sais plus comment jouer. Parce-qu’elle va totalement dans mon sens dans un duel ou l’on est sensé s’affronter. C’est comme... taper dans un mur. Aucun intérêt, à part de faire mal. Et je me fais mal, parce-qu’elle se fout de ma gueule. Susceptible ? Oui. Définitivement. Elle s’approche de moi, lève ses grands yeux dans les miens. Moi, je reste impassible, bras croisé, le regardant de haut. Et oui, le dédain, le mépris se lisent probablement dans mon regard. « T'es vraiment trop fort Jim. » ... Picotement le long de la nuque. Je lève les yeux au ciel et soupire, me redressant pour partir.

Ca ne m’amuse pas. C’est presque déloyal. Parce-qu’il y a eu un changement d’adversaire d’un duel à l’autre, et là, à part lui faire le plaisir de se foutre de ma gueule, j’arrive à rien. Parce-que la gentillesse est l’arme fatale. Et elle me l’a volée. J’peux pas être gentil face à ça. Sa fausse gentillesse me débecte. Non, vraiment, ça ne m’amuse plus. Je préfère encore qu’elle m’ignore plutôt qu’elle joue à ça. Pourquoi j’ai été la chercher... Sérieux, encore une fois, j’aurai mieux fait de fermer ma gueule.

Je passe devant sa table, saisi mon sac et vais m’asseoir loin, à un autre bureau. Je ressort mes affaires - ce sera toujours plus intelligent de faire ma géo que de passer pour un con auprès de cette pétasse. Agacé, légèrement touché dans mon égo (qui, malgré moi, est quand même monstrueux), je ressort mes affaires, ouvre le livre, mon cahier, et me remet dans mes maths. Tête appuyée sur mon poing, coude sur la table, j’essai de me remettre dedans mais me rend compte que ça fait trois fois que je relis la même phrase, mon stylo tournant dans ma main. Je pousse un soupir, replace mon casque sur les oreilles et rallume ma musique. Parce-qu’il n’y a qu’en musique que j’arrive à me concentrer.  Je ferme les yeux quelques secondes, essayant d’oublier ce qui vient de se passer, et combien cette fille m’agace.

« Bah alors Reed » Je tourne à peine le cou, mes yeux clos se fronçant. « On arrive plus à se concentrer sur ses maths ? On est vexé ? Je croyais que ça te manquait tout ça... »  J’ouvre les yeux, faisant tomber mon regard lourd sur les chiffres de l’énoncé, que je fixe. Je claque des dents nerveusement, et relève la tête, soupirant. Je me tourne, la cherche des yeux, balayant l’ensemble de la bibliothèque du regard. Elle est cachée ou quoi c’te vici....

Mon coeur se serre violemment, tandis que mon regard s’est fixé sur un point. Une personne. Il est là, avec sa tignasse blanche, y’en a pas quinze ici. Je brûle sa nuque du regard, alors qu’il est dos à moi. j’arrive pas à détacher mon regard de lui. C’est comme un cauchemar vivant. Et je m’en rend pas compte. Je me rend pas compte que je suis tendu, totalement crispé, et que ça se voit. Je le fixe, le regarde se déplacer. Il marche dans le couloir à côté duquel je suis assis, et fatalement, marche vers moi. Eléctrique. Je le suis des yeux. Il n’y a plus aucune trace de Jim Reed. Il n’y a plus qu’un mec jaloux de l’ex de son copain. Un mec qui frapperait à la simple pensée de ce qu’ils on pu faire ensemble. Et Mike pose son regard sur moi en passant. Il faudrait être aveugle pour ne pas lire la haine qui nous transcende, nous transperce l’un l’autre. Mon coeur s’est arrêté de battre, et j’ai tout oublié. Mes maths, la bibliothèque. Même Ulysse. Ma haine contre elle n’est rien, tellement rien à côté de ce que j’éprouve pour lui.

Je le quitte du regard alors qu’il s’éloigne. J’ai la gerbe. Je desserre les doigts, me rendant compte que j’ai totalement écrasé ma feuille d’exo entre mes doigts. Violence. Détend toi Jim. T’es pas violent. T’es pas violent. Mais merde, il n’y a qu’une seule et unique chose capable de me faire sortir de mes gonds. Et ça se voit. Ca s’est vu, plus que clairement. J’inspire avec force, me laisse tomber au fond de ma chaise,  tête baissée, et monte mon son à fond dans mon casque. J’inspire profondément, faisant mon possible pour chasser son visage de mon esprit. Pour chasser leur couple de mon esprit. Pour chasser la douleur qui me perfore le coeur, quand j’y pense. Yeux clos, je m’efforce de faire le vide. C’est rien. Il est juste passé. Morgan est à moi, désormais. Eux deux, c’est terminé.

« Quel dommage que tu ne saches pas contrôler ta haine Jim T. Reed … » Allez, parfait, comme si voir la gueule de l’autre me suffisait pas, faut qu’elle s’y remette. « Ce type là c'est un ami de Morgan non ? » Un violent frisson me parcourt l’intégralité du corps. Non. Elle l’a pas vu. Elle l’a pas vu, pitié. Agitant nerveusement mon pied, j’essai de monter encore plus le son de ma musique en tournant la molette qui est sur le fil de mon casque. Ca m’explose les oreilles. Rien à fouttre, je veux que ça recouvre sa voix dans ma tête. « Oh je vois... c'est plus que ça.. Ce pourrait-il que ce soit son ex ? » Je sers nerveusement les poings, faisant craquer mes articulations, battant le rythme au sol, et serrant les dents. Je fais mine de lire mes maths, mais de temps à autre, discrètement, mes yeux se lèvent, à la recherche de cette salope.

« Oh Jim encore une personne que tu as rendu malheureuse en ne pensant qu'à ton propre bonheur... » Rien à foutre. Mais alors rien à foutre. Il peut bien crever la bouche ouverte, je lui pisserai dedans. Alors, son nom résonne dans mon esprit. Comme un claquement, à la fois sec et mielleux. Je me craque le dos, nerveux. Allez, ça suffit les conneries. Je jette mon casque sur mon bureau, abandonne toutes mes affaires. Il est hors de question que je la laisse jouer avec ça. Tout, mais pas ça. Ca ne m’amuse plus. Je les vois, se tenant la main, se regardant, heureux. Ce n’est qu’un picotement. Je marche le long des allées, mon regard foudroyant toute personne s’y trouvant. Elle a pas le droit de faire ça. J’ai déja toléré qu’elle pénètre mon esprit, je ne tolérerai pas qu’elle utilise ce genre de visions.

Elle se prend pour qui, cette connasse ? Qu’est-ce qu’elle croit, qu’elle peut violer l’esprit des gens comme elle veut ? Va te faire foutre, Bitch. C’est ce qu’on a de plus intime, et j’en ai marre que tu salisse le mien.

Je la vois. Regard de vipère. Je m’approche, pénétrant dans le petit couloir que forment les deux rangées de livre. Calme toi Jim. Calme toi. Tu es exactement en train d’entrer dans son jeu, regarde comme cette salope jubile. Calme toi, ça lui fait bien trop plaisir. Les lèvres de Morgan et l’autre se frôlent, dans mon esprit. C’est pas grave. C’est rien. Je les ai vu s’embrasser plus d’une fois. Et moi, j’ai été bien plus loin que ça avec Morgan. je cesse d’y penser, de peur qu’elle n’ait accès à mes pensées, même si je sais que c’est impossible. Je suis face à elle, respirant profondément, la fixant. Calme. Calme.

« Joue pas à ça avec moi. Tu crois me connaître, mais c’est pas le cas. Alors je t’avertis juste, et une seule fois : arrête ça de suite. »

Je la brûle du regard, fais demi-tour. Arrête maintenant Ulysse. Arrête avant qu’on se déclare réellement la guerre.

Mon dos heurte avec force l’étagère, faisant trembler celle-ci alors que quelques livres tombent de part et d’autre de mon corps, s’écrasant à terre alors qu’elle fond sur moi, me crachant son venin à la figure. C’est fini. Fini du semblant de taquinerie qu’il y avait entre nous, fini la pseudo amitié qui transparaissait. Il n’y a plus que mépris, mépris et haine. Je la fixe, mes yeux bondissant entre les siens, alors que mon torse se soulève sous ma respiration plus forte, qui s’accélère. Et plus elle parle, plus je serre les poings. Si c’était un mec, je l’aurai frappé. Là. Maintenant. Parce-que j’en suis à deux doigts. Mâchoire serrée à m’en faire péter les dents, je la laisse me saisir le col, essayant d’ignorer les frissons et picotements qui me bouffent, bouffent chaque parcelle de ma peau.

Et puis les visions reviennent. J’en ai rien à battre, t’entends ? Je m’en... Je... Je lève les yeux au plafond, mes sourcils se courbant, inspirant plus fort alors que je sens mon esprit se faire littéralement violer. Mes oreilles sifflent dans un vacarme ahurissant, mes tempes battent, un mal de crâne grandit, grandit, et les visages de Morgan et Mike ensemble, leurs lèvres qui s’embrassent, leurs corps qui s’enlacent. « Arrête... » Mes mains se posent sur sa taille, j’essai de la pousser mais mon corps n’obéit pas à mon cerveau. il est totalement enchaîné, comme fouetté, écartelé; comme torturé. Parce-que c’est là toute la puissance dévastatrice d’une des meilleures élèves de l’école,  qui veut faire du mal. Morgan qui pleure. Morgan qui souffre. Mes yeux se ferment, alors que je gémis de douleur tant j’ai la sensation que ma tête va exploser. Je n’ai jamais ressenti une telle douleur. Mais mon coeur, c’est mon coeur qui saigne au passage. Parce-qu’elle maîtrise trop bien son don, et l’applique avec beaucoup trop de hargne. Elle m’insuffle un sentiment de jalousie, réel. Et sa puissance magique est telle qu’elle arrive à me persuader que ce que je vois est vrai.

Morgan souffre. Morgan n’est avec moi que pour se consoler. Morgan fantasme encore sur Mike. Morgan l’aime encore. Morgan le veut.

« Arrête... » Je l'implore, désormais. Mes mains tremblent désormais sur sa taille, ma gorge est nouée, et mes yeux humides. Et j’ai mal, j’ai terriblement mal, autant au coeur qu’au crâne, alors que mon dos se courbe, presque agité de spasmes. Le plafond devient flou, je peine à garder les yeux ouverts. Je transpire. Le contact, physique et mental, se brise. Mes chaînes se brisent, et je titube, m’accrochant à l’étagère comme je le peux, faisant tomber des livres, m’agrippant au bois, dos à elle, en gémissant, le souffle court. Jamais, jamais je ne me suis senti si mal. Je tremble. J’ai envie de vomir. Je pose mon front contre le bois, haletant. Je n’entend même pas ce qu’elle dit. Je lutte, je lutte de toutes mes forces pour ne pas m'effondrer.