[D]amnation • [S]empiternelle

And I won't cry for yesterday

C’était un jour comme un autre. Réveil. Soupir. Tristesse. Elle prenait une douche pour effacer les traces de sa lutte contre les cauchemars. Elle s’habillait mais tous ses vêtements étaient devenus trop grands. Elle fuyait son reflet dans le miroir. Les joues creusées et les yeux vides, elle prenait le chemin du bâtiment principal. Des fois, elle croisait Hamish, lui adressait un sourire fatigué. D’autres fois, elle entrapercevait Jared et changeait alors subitement de trajectoire. La cloche retentissait et elle allait se fondre dans l’obscurité d’un coin de la classe. Ses mains prenaient vaguement des notes du cours tandis que son esprit virevoltait dans les méandres de ses souvenirs. Elle n’avait plus dessiné depuis des semaines. Plus depuis qu’elle avait brûlé tous les dessins de Drew durant cette nuit, sous les yeux de Selphie. L’odeur du whisky lui brulait encore les narines.

Des coups frappés sur la porte. Un léger regard en coin. Nemesis, à la fois bonheur et anxiété. Ses yeux s’accrochèrent aux siens pendant qu’il parlait. Ils s’accrochèrent désespérément pour ne pas sombrer. Pour ne pas exploser. Ses pupilles étaient la commande de l’ultime  détonation, le fil rouge ou bleu, celui dont on ne sait pas s’il faut le couper ou à tout prix le préserver. Ses dents saisirent sa lèvre inférieure. Pression. Métal. Ses poings se serrèrent. Son cœur s’électrisa, sursauta, mourut, renaquit, explosa, implosa. Des nausées, des larmes, de la joie, trop de sentiments. Puis soudain l’angoisse. Et… Et, et si c’était un rêve ? Saisissant son stylo à pleine main, elle se l’enfonça sur le haut de sa main. Elle ne réussit pas à contenir son cri lorsque le sang gicla sur sa feuille. Mais dans ce cri, une ultime certitude.

Drew est bel et bien de retour.

Elle veut être la première. Avant Anshu. Parce qu’une fois qu’ils se seront retrouvés, elle n’aura plus sa place. Peur. Angoisse. Crainte. Elle ne veut pas que le même schéma se reproduise. Si Drew est bel et bien vivant, elle refuse que sa renaissance soit synonyme de déclin. Elle est sa gardienne. Elle le restera toujours. A la vie, à la mort. C’était une promesse de gamin mais quand on est enfant, on se rattache à l’espoir. À l’infinité, à l’appel de l’aventure. Et alors qu’elle court vers la gare, un immense sourire illumine son visage. Comme une enfant, elle baigne dans l’espoir de retrouver le Drew qu’elle avait connu. Celui qui lui avait fait saisir sa deuxième chance. Celui qui l’a pris un jour jadis par la main et qui l’a trainé derrière lui à la conquête du monde. Elle se revoyait à 12 ans, à jouer avec lui, à oublier son passé, à se contenter de laisser battre son cœur, chauffer ses muscles, laisser l’air inonder ses poumons. Effacés les derniers mois, les souffrances, les cicatrices. Drew n'est pas mort ! Nemesis avait annoncé son retour aujourd'hui. Elle ne savait pas l’heure mais elle s’en fichait. Elle attendrait.

Le crépuscule commence doucement à tomber. Le ciel se peint de nuances or et rose. Et sur le quai, Selwyn attend. Immobile telle une statue de marbre, elle attend. Fière, droite, les mains dans les poches, elle attend. Elle attend depuis des heures mais que représentent-elles quand on a espéré ce moment pendant des mois ? À l’intérieur, elle bouillonne. À l’extérieur, elle est sereine, le regard perdu dans la contemplation des herbes agitées par le vent. Puis un grondement. Son cœur fait un bond dans sa poitrine. Puis deux, trois, des centaines. Il cogne si fort. Ses poings se serrent. Elle recule d’un pas tandis que la machine de fer s’approche. Son souffle se fait plus saccadé. Les volutes de fumée agitent ses cheveux sauvagement. Elle prend une grande inspiration, se redresse. Les portes s’ouvrent. Une main apparait sur la rambarde de métal. Elle cille. Battement de cils. Toutes les cellules de son organisme vibrent dans un même frisson. Il n’y a plus de douleur. Plus de froid. Plus de faim. Il n’y a plus que son regard à la flamme ardente qui distingue sa silhouette dans le brouillard. Les lueurs dans ses pupilles d’orage se mettent à danser dans un ballet endiablé ; le sort a été levé. Et voilà le magicien.

Il est encore plus beau que dans tous ses souvenirs. Il est encore plus Drew que tout ce qu’elle avait pu imaginer. Tous ses masques se brisent un à un, les miettes sont emportées par le vent. Et les yeux emplis de larmes, elle sourit. Un sourire qui résumait à lui seul toutes les souffrances qu’elle avait vécue, tous les chagrins qui l’avaient assailli mais également tous ceux auxquels elle avait survécu pour se tenir droite face à lui. Le regard vif, ardent, plus vivant que jamais. Une panthère.

«  - Tu l’avais perdu. Je suis venue te le rendre. »

Elle tend sa main. À l’intérieur, le pendentif que lui avait confié Corentin. Pendentif qui les liait l’un à l’autre. Artifice inutile certes, mais symbolique. Et plus les secondes s’écoulent, plus elle a du mal à contenir cette vague de sentiments. Ses poumons sont pris de spasmes. Les sanglots assaillent sa gorge. les larmes commencent à rouler sur ses joues. Une, deux, plus un flot ininterrompu contournant les reliefs de son sourire que rien au monde ne pourra jamais venir effacer.

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 Réminiscence.  

Un sourire. Un sourire qu’elle avait longuement rêvé. Un sourire de ces sourires qui s’effaçaient quand cet homme peuplait ses cauchemars. Un sourire qui cicatrise les blessures. Un sourire qui intime l’espoir. Un sourire qui effraie les démons. Un sourire qui lui donne de la force. Qui lui donne envie de sauter, de hurler, de danser. Mais c’est silencieusement qu’elle laisse tomber son collier dans la paume ouverte de sa main. C’est silencieuse qu’elle essaye de contenir son trop plein d’émotions. Elle sent d’ailleurs son pouvoir s’agiter, faire crépiter dans ses yeux des lueurs de pure énergie. Mais elle est incapable d’articuler le moindre mot, de peur se briser en mille morceaux, comme l’équilibriste qui anticipe le moindre de ses pas sur son minuscule fil.

Leur regard se croise. La même étendue d'asphalte. Sérénité. Un lac de pétrole où le soleil rayonne. Il arbore un regard apaisé. Plus de violence. Plus de sang. Son cœur se serre. C’est encore plus puissant que tout ce qu’elle avait imaginé. Et ce sourire. Quel sourire. Drew renait.

Contact. Docile, elle se laisse faire. Elle sent sa chaleur peu à peu envahir tout son corps. La pression agréable de ses lèvres près de son oreille. Et quelques mots. Sa voix percute, électrise, fait trembler ses tympans. Tout ce qui lui avait manqué est de nouveau à sa portée. Comme si les cieux lui offraient un présent. L’occasion de mener à bien la mission qu’elle s’était confiée. Le protéger. Comme une lionne. Et ce jusqu’à sa mort, sa mort à elle.

Néanmoins, elle ne peut s’empêcher de songer à Anshu. C’est certainement celui qu’il a le plus envie de revoir. Pourtant, elle se souvient de la chanson qu’elle lui avait chantée. Elle se souvient qu’à ce moment-là, ils s’étaient engagés. Mais Drew est mort. Il revit certes mais est-ce que ça compte encore, tout ce qu’il s’est passé précédemment ? Son désir le plus cher était de se retrouver au creux de ses bras d’homme mais elle ressentait une certaine gêne. Elle ne sait plus comment considérer leur relation. Il est à Anshu, le Prince lui a très bien fait comprendre mais si Drew a changé alors…

Elle laisse tomber sa tête contre son épaule. La joie laisse la place aux craintes, aux angoisses. Particulièrement celle de le perdre encore une fois. Justement Selwyn… Elle se libère de son étreinte et sèche ses larmes, du revers de sa main bandée. De légères traces de sang la maculent et les larmes viennent s’y mêler. C’était le prix à payer.

Elle lève alors les yeux vers lui. Il fallait qu’elle profite de ces quelques heures de sursis. Il fallait qu’elle profite du Drew sevré d’Anshu. Car elle en était certaine, il replongera. Elle ramassera les pots cassés bien évidemment mais pour l’instant, elle veut cesser de souffrir. Elle veut vivre, pleinement, comme ils le faisaient enfants. Elle veut s’illuminer. Illuminer cet homme. Elle veut lui montrer quelque chose. Quelque chose qui date de leur enfance. Quelque chose qu’elle a toujours regretté de ne pas pouvoir faire. Une pensée qu’elle a eu, sur la plage, lors de la fête de Jim. Mais elle hésite. Car il est surement encore faible. Et elle aussi. Mais, ils sont seuls sur le quai… Ce serait comme une cérémonie. Un hommage qu’elle lui rend. Un remerciement. Le signal de son renouveau sur ces terres. Même si c’était particulièrement niais.

«  - Drew. Fais-moi confiance et ferme les yeux. »

Sa voix est ferme, cristalline, impérieuse. Elle saisit ses mains dans les siennes et tremble. Elle a peur que ce soit un échec. Mais voilà des années qu’elle s’entraine. Inspiration. Elle ferme les yeux à son tour et brise les cadenas retenant son pouvoir. Celui-ci se mit alors à siffler dans ses veines, jusqu’à devenir une agréable mélodie. Elle le guida dans ses mains, dans ses pieds et sa peau se mit à fourmiller. Elle espère qu’il ressent lui aussi toute la force et la douceur de cette puissance qui se déploie. Ses sourcils se froncent légèrement ; concentration. Puis les crépitements se font plus intenses, tout autour d’eux. Serrant un peu plus ses mains dans les siennes, elle soulève lentement l’écran de ses paupières. Un sourire fend ses lèvres tandis qu’elle lui demande d’ouvrir les yeux à son tour.

Et tout autour d’eux, des particules en suspension, comme autant de gouttelettes d’eau traversée par le soleil. Autour d’eux et dans les champs bordant la gare. L’alliance de sa puissance et celle du garçon avait abouti à ce spectacle. Des centaines de lueurs miroitant dans le crépuscule. C’était encore plus grandiose que ce qu’elle espérait. Si ton pouvoir te fait peur, alors trouve quelque chose de beau à faire avec. Voilà le résultat, Drew. Des gouttes de pure énergie qu’elle parvenait à faire léviter. Elle le regarde de nouveau, le cœur virevoltant dans sa poitrine.

«  - Bon retour à Prismver, monsieur Bolton. » murmure-t-elle.

Éclat. Serrant plus fort ses mains dans les siennes, elle concentre toute sa puissance en un point puis le fait exploser. Chacune des gouttes éclate alors sous le coup de la déflagration dans une pluie de particules dorées. Celles-ci se mêlent à leurs cheveux noirs comme le jais. Une pluie d’étoiles. Elle lui sourit encore et encore, se noyant dans les profondeurs de ses iris. Puis, à bout de forces, elle se laisse tomber sur les pavés du quai avec un petit rire. Elle voulait qu’il se souvienne de cet instant. Des émotions qui lui ont transpercé le corps. Pour ne pas oublier qui il est.

Magnificence.

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 And now, it's time to leave and turn to dust.

Et ce sourire s’efface, son sourire si agréable. Si réconfortant. Elle le regarde disparaitre, se noyant dans l’obscurité nocturne. Les secondes défilent, inlassablement, avec une lenteur frustrante. Elle sent son regard glacé lui brûler la peau. Ses muscles se tendent alors que le silence s’éternise. Sa gorge est prise dans un étau qui se resserre. Encore. Encore.

L’homme descend de son piédestal. Il vient capter le regard du chaton effrayé. Des yeux plus noirs que l’espace. Empli d’autant d’étoiles que de démons tapis dans l’ombre. Frisson. Serrant les poings, elle affronte ce regard. Franc. Dur. Hypnotique. Son visage s’approche. Son souffle vient tendrement effleurer ses joues. Le cœur cogne dans la poitrine, prit de folie. Il est électrisé. Prisonnier d’une cage.

Contact.

Ses lèvres contre les siennes. Chaleur. Douceur. Un ballet lent. Long. Elle accompagne ses mouvements. Elle se fond dans ce baiser. Elle arrête de penser, se concentrant sur cette sensation grisante. Grisante et à la fois déchirante. Car c’est le poison qui parsème ces lèvres masculines. L’amertume qui envahit sa bouche. Ses doigts sur sa peau. La glace, qui brûle. Sa peau fourmille. Ses cellules tremblent. Son cœur se désintègre lentement, au rythme de la danse. Le chant se modifie jusqu’à devenir une plainte langoureuse. Le murmure de sentiments à qui on intime de se taire. Elle le sait. Elle le sait depuis le début mais elle a préféré croire en l’espoir. Parce qu’elle vivait dans le chagrin depuis des jours, des semaines, des mois. Ses démons démolissent à nouveau les palissades que cet espoir avait bâties. L’Ombre pénètre, elle commence à tout ravager. Elle met le feu à ses organes. Elle fait exploser les vaisseaux. Elle déchire les tissus. Elle est la mort, elle est les ténèbres.

Ce baiser est un baiser d’adieu.

Abandon. La caresse du vent sur ses lèvres abandonnées. Sa mâchoire se serre et se desserre, contenant les sanglots. Les cris. La colère. La déception. La désillusion. Une seule larme perle. Une seule et unique. Une goutte d’océan. Les pleurs de l’orage de ses prunelles. Elle essaye, elle essaye de garder en mémoire son sourire, de graver cette image rassurante sur ses paupières. Pour ne pas que les cauchemars prennent leur place. Mais c’est déjà trop tard. Les traits se déforment, la réminiscence se fait farouche et s’envole vers un lieu inaccessible.

Spasme. Ses paupières se soulèvent et ses iris se laissent capturer par les siennes, proie se présentant comme offrande. « C’est terminé, Selwyn. » Un, deux, trois. Fracture. « Il a mon coeur. Il l’avait avant l’accident. Et il l’a toujours. ... Et je ne veux pas qu’il le lâche. » Elle ne cille pas. Elle le sait déjà. Elle le sait au plus profond de son âme. Elle n’a plus sa place. Drew renait et Selwyn est out. Drew renait aux côtés d’Anshu. Selwyn peut s’éteindre, il ne viendra pas.

« Ne cherche pas à me protéger, Selwyn. Ne cherche plus à veiller sur moi. Je ne veux plus que tu penses à moi. C’est terminé. » Un, battement de cil. Deux, battement de cœur. Il recule. Un grand froid envahit son pauvre corps meurtri. Elle le regarde. Elle veut affronter la Bête. Elle veut le pénétrer. Le glacer. Lui laisser une cicatrice. Elle ne veut pas baisser les yeux. Elle veut se montrer forte. Elle ne veut plus être le chaton qu’on se doit de protéger.

« Je veux que tu m’oublie. Qu’on ne s’adresse plus la parole. Qu’on ne se porte plus un regard. » Rompre tout lien ? Ahah. Est-ce pour la protéger ou se protéger lui-même ? C’est si pitoyable de lui demander une telle chose. « Promet-le moi. » Elle a envie de rire. Un de ces rires nerveux qui dissimule un flot de sentiments obscurs. Négatifs. Destructeurs. Mais elle se tait. Elle laisse son regard parler pour elle. Un regard féroce. Un regard puissant. Un regard ardent. Un regard d’autant plus intense que troublé par les larmes. Des larmes qui ne couleront pas. Un soupir s’échappe d’entre ses lèvres. Un seul et unique soupir en réaction à toute la violence de sa déclaration.

«  - Je ne ferai rien de la sorte, Drew. »

Le constat tombe, sans préavis, sans réclamation possible. Elle se relève, se dressant face à lui. Statue de marbre. Déesse inaccessible et impitoyable. Son visage est impassible. La nature s’est tue. La nuit est là, protectrice, s’inclinant devant sa Reine. Selwyn est fragile, Selwyn est cristal, Selwyn est sensible mais Selwyn est impératrice. Féline. Captivante. Sulfureuse. Elle fait un pas, plantant fermement ses prunelles dans les siennes.

«  - Je n’ai pas encore payé ma dette. »

Ses mots murmurés sont aussitôt portés par le vent, portés à ses oreilles. Sa crinière d’ébène s’agite, la rendant que sublime. S’il aime Anshu, elle empêchera celui-ci de le détruire. Elle luttera tant que ses jambes la porteront. Elle sait qu’elle n’aura jamais le cœur de Drew. Les mots qu’il venait de prononcer lui le confirmait. Ils signaient leurs adieux. Ils signaient leurs adieux en tant que « couple » si seulement ce mot avait eu une quelconque signification un jour. Dans ce cas, ce serait également pour eux une renaissance.

Elle ne l’abandonnera pas.

Jamais.

Elle ne veut pas qu’il subisse ce qu’elle a vécu.

Ainsi, elle se détourne, brisant l’étreinte de leur regard. Elle fait quelques pas, en direction de la sortie. Elle marche les yeux mi-clos, tentant de contenir encore quelques minutes la douleur qui l’assaille. Parce que la tâche sur son bandage a grossi. Parce que sa blessure s’est rouverte mais aussi parce que son cœur vient de voler en éclat. Des paillettes de verre.

Je n'ai pas de famille, Drew. Je n'ai personne qui m'attend à la sortie de ce pensionnat. J'ai perdu père et mère. Tu crois vraiment que je vais abandonner si facilement mon meilleur ami, l'être à qui je tiens le plus au monde ? T'es con, putain.

Des paillettes qui viennent se loger dans chaque parcelle de son organisme.

Belles.

Scintillantes.

Aiguisées.

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