Just another night. [Ft Nexim Cesarion]

Just another night.

C'est une soirée agréable. Il fait plutôt beau, le ciel est dégagé. L'air est doux. Je ne sais pas ce que je fais ici mais j'y suis bien. Ce n'est pas vraiment mon genre, d'aller en ville seule, sans but particulier, surtout la nuit. D'ailleurs, je ne suis pas sûre que mes parents approuveraient s'ils me voyaient là. Mais qu'importe. Je m'y sens à l'aise. Je regarde les gens passer. Ils filent tous, suivant une trajectoire inconnue. Ils ne s'arrêtent pas. Ils ne regardent pas autour d'eux. Ils sont des carapaces. Je me surprends à regarder ce quarantenaire, marié vu l'alliance qu'il porte au doigt, qui téléphone sans doute à sa femme, et qui lui ment. En me focalisant sur lui, mon corps me démange, il picote. Mon pouvoir ne trahit pas, lui. Je soupire. Pourquoi est-ce que les gens se sentent obligés de mentir ? Qu'est-ce que ça peut bien leur apporter ? Interrogation qui restera toujours sans réponse, je présume.

Je suis pensive. Mes yeux voguent sur un océan de visages. Ici, assise à la table d'un bistrot en terrasse, je regarde les autres s'activer autour de moi et je ne comprends pas. Nerveusement, je plisse le bas de ma robe bleue. J'avais envie de me faire belle pour sortir, ne me demandez pas pourquoi. J'ai donc mis cette robe ; ma préférée. Je ne sais pas ce que je m'imaginais en sortant. Ma main droite joue avec mon verre de bière. Index glissant sur le contour éternellement. Ça me détend. J'en prends une gorgée, et une grimace se dessine sur mes lèvres. Je ne savais pas vraiment quoi commander, et ne voulant faire perdre du temps au serveur, j'avais pris la première proposition sur la carte : une bière blonde dont le nom ne me revient pas. Je n'ai jamais vraiment bu, ce n'est pas dans mes habitudes. Et je crois que je n'aime pas cette boisson. C'est âpre, l'arrière-goût est assez infect, et en plus ça donne envie d'aller aux toilettes. Mais comme je n'ai rien d'autre à faire, je la bois quand même.

Je dois avoir l'air désespérée. Seule dans un bar. Face à ma bière. Les yeux dans le vide. A regarder les gens passer. Les autres jeunes doivent avoir des activités plus intéressantes, je parie. En ce moment j'aimerais bien sortir plus, avoir l'air plus  cool. "Foutue crise d'adolescence", m'a répondu mon père lorsque je lui en ai parlé. Je suppose qu'il a raison, ce doit être l'âge. Je soupire. Pourquoi ça ne se passe jamais comme dans les films ? Normalement, il devrait y avoir un garçon pour venir s'installer à ma table et on passerait une très bonne soirée, il m'aiderait à me retrouver et ce serait une happy end. Mais bon, je suppose que c'est pour ça que les films sont des fictions. Ça arrive jamais, ce genre de choses. Pas vrai ?

[[HJ : J'ai essayé de faire ce que je pouvais, je me rattraperai sur le prochain !]]

Would be interesting ?

Mon verre de bière à la main, les choses commencent à bouger autour de moi. J'observe un groupe de personnes, un peu plus loin. En plissant les yeux, je crois reconnaître des élèves du pensionnat et la soirée devient alors pour moi un peu plus intéressante. Ce n'est pas grand chose, certes, mais mon ennui commence à se faire tel que voir des visages familiers m'amuse. Il me semble que le garçon de gauche est un A, et que les deux autres sont des B. Je ne connais pas leur prénom, mais j'ai le souvenir de les avoir déjà vu quelque part. J'essaye de me rappeler où, lorsque l'un d'eux regarde alors en ma direction. Les deux autres l'imitent, tour à tour. Instinctivement, je tourne la tête, faisant mine d'observer ailleurs. Pourvu qu'ils ne m'aient pas remarquée...

Après quelques secondes, je reconcentre mon attention sur les trois garçons. Plus discrètement, cette fois. Je me demande bien pourquoi ils me regardaient. Peut-être par pur hasard ? Je n'en ai pas l'impression. Ceci dit, je serais étonnée qu'ils me connaissent. Ils ont l'air plus vieux, peut-être dix-huit ou dix-neuf ans, et je ne vois pas pourquoi mon nom (ou mon visage) leur dirait quelque chose. Je sens mes joues rougir à cette simple idée, c'est ridicule.

La scène évolue, il y a de l'action ! Deux des garçons ont l'air de se bagarrer : celui qui semble le plus vieux, le A, vient coller son front à l'un des B. Sa posture est intimidante, je pense qu'à la place de l'autre élève je me sentirais écrasée. Cependant, il n'a pas l'air d'être un mauvais type, il donne l'impression de défendre quelque chose. Les deux ne doivent pas s'apprécier beaucoup, mais ils sont trop loins pour que je ne les entende, c'est dommage.. J'aimerais bien savoir ce qu'il se passe. Oui, la curiosité est un vilain défaut ! Mais que voulez-vous, il faut bien se divertir quand on est plongés dans un ennui profond. Seule à la terrasse d'un bar. Une bière à la main.. Alors que je n'aime même pas ça. Soupir. Je sirote le contenu du verre, presque malgré moi. Peut-être qu'il serait temps pour moi de rentrer ? Je ne sais même pas pourquoi je suis venue ici. Pas dans mes habitudes, tout ça..

Alors que je me motive mentalement à partir, j'ai perdu de vue la scène des étudiants du pensionnat. Lorsque je regarde à nouveau en leur direction, ils ne sont plus là. Mince, j'ai loupé le dénouement final.. Ça m'intrigue. Si je recroise le garçon intimidant un jour et que j'ai l'occasion de lui parler, il faudrait que je lui demande ! Quoiqu'il me prendrait pour une fouine, et puis il ne me reconnaîtrait même pas. Mauvaise idée, ma p'tite. Il faudra me contenter de rester sur ma faim !

Je me perds à nouveau dans le dédale de mes pensées, lorsqu'une grande forme apparaît soudain juste devant moi. Temps de réflexion, je suis quelque peu surprise et un peu déboussolée. Je regarde qui est l'intrus à ma table, et mes yeux s'écarquillent brièvement. Peut-être que je pourrais poser mes interrogations plus rapidement que prévu, c'est le A qui s'installe. Question rhétorique, il me demande s'il ne gêne pas ; cependant, vu la manière dont il prend ses aises, ma réponse ne doit pas lui importer beaucoup. Je tente quand même ma chance, il serait malpoli de ne pas lui répondre..

- Euh bonsoir.. Non, non ! Tu ne déranges pas.

Je le toise de bas en haut. Pas très poli, certes. Mais qu'importe, je suis intriguée par ce qui est en train de se dérouler. Je me demande si c'est un pur hasard ou une drôle de coïncidence. Et puis je pense au groupe d'étudiant. Leur regard vers moi. La bagarre. La disparition des deux autres, et puis son arrivée ici. Quelque chose me laisse penser que ce n'est pas vraiment surprenant. Je ne sais pas vraiment comment réagir.. J'observe mon locuteur. Grand, imposant, mais pourtant pas dans le genre d'une masse de muscles. Plutôt fin, mais qui sait sans aucun doute se faire respecter en cas de besoin. Une force tranquille. Ce qui me fascine, ce sont ses yeux. Bon sang, ces yeux ! Ils sont rouges, comme deux grands rubis ; c'est captivant. Quand je les regarde, j'ai l'impression de voir un passé chargé. J'y vois de la tristesse, peut-être même de la crainte, et de la rancœur. Mais le sourire qu'il m'offre contraste cet air torturé, il donne envie de le regarder encore et encore. C'en est presque hypnotisant. Ceci dit, la bière ne doit pas vraiment aider non plus ; je sens une légère chaleur due à l'alcool s'insinuer en moi petit à petit.

- Ce serait indiscret de te demander ce qu'il s'est passé avec les deux autres garçons ? Oh, excuse-moi, j'en oublie le principal : je m'appelle Rose. Et toi ?

So bad to lie.

Le voilà qui s'installe à la table, tranquillement. Aucune once de doute en lui, je l'envie presque. J'aimerais bien avoir l'air aussi sûre de moi.. Il donne l'impression d'être à l'aise, comme s'il était seul. Ceci dit, donner l'impression et être réellement sont deux choses distinctes. Cette pensée me fait doucement sourire, car je me demande de quel côté mon locuteur se situe. Je pense qu'il doit vraiment l'être. Ou alors, c'est qu'il joue très bien le jeu ! Mon pouvoir ne me sera d'aucune utilité là-dessus, si je peux détecter les mensonges lorsque les gens ouvrent la bouche, impossible de décrypter leurs gestes. C'est dommage, ce serait très intéressant..

Zut. Il vient de me griller en beauté, et maintenant il va me prendre pour une sans gêne qui dévisage les gens - n'est-ce pas ce que je suis, après tout ? - ou pire encore.. Peut-être qu'il va croire que je suis de ce genre de fille, groupie dès le premier regard sur un garçon pas trop mal - car d'un point de vue objectif, il faut avouer que mon inconnu est plutôt mignon - et qui s'imprègne de son visage. Non, non. Je ne veux pas qu'il pense ça de moi ! Je dois corriger sa pensée maintenant, avant qu'il ne me prenne pour ce que je ne suis pas. Cependant, je ne sais pas vraiment comment m'y prendre, c'est délicat. Si ça se trouve, je me fais des films et ce pauvre garçon n'a aucun a priori sur moi ; je vais donc lui en donner en ouvrant la bouche. Devrais-je donc me taire ? Je pense trop.

Je pense tellement que j'ai laissé passer ma chance de parler, puisque c'est lui qui intervient. Je crois que je l'ai mis mal à l'aise, en évoquant ce que j'ai vu avec les deux autres élèves.. Je n'aurais peut-être pas dû. Enfin de toutes façons, maintenant c'est trop tard. Son embarras est plus qu'évident, et surtout communicatif. Je commence à m'en vouloir d'avoir abordé le sujet. Mais la curiosité est trop forte, je veux vraiment savoir. Il me dit qu'il n'aime pas donner ce genre de spectacle, qu'il s'appelle Nexim, ou plutôt Nex. C'est joli comme prénom. C'est mystérieux. Ce n'est pas courant, ou en tout cas je n'avais jamais entendu avant. Je me demande d'où ça vient ?

- Excuse-moi, tu ne veux peut-être pas en parler.. C'est joli comme prénom, ça vient d'où ?

Un milk-shake vient altérer un peu notre discussion. C'est drôle, je ne pensais pas qu'un garçon plus âgé prendrait une boisson comme celle-ci. A présent, en plus de ne pas aimer la bière, je me sens presque coupable d'en avoir commandé une. Je regarde mon verre, pose mon doigt sur son contour et joue avec. J'attends la suite de l'histoire, car je suis persuadée qu'il y en aura quand même une. Après une gorgée de son milk-shake, il reprend la parole, sourire aux lèvres. Il me raconte que les deux autres garçons voulaient me ramener chez moi, mais que lui voulait s'en charger. La dispute serait venue selon lui du fait qu'il aurait des idées pas vraiment nettes, et que les autres élèves voulaient me protéger. Mon corps me picote soudain, de manière assez violente. C'est le signe qu'un mensonge plutôt énorme vient d'avoir lieu. Me mentir ? C'est décevant. Il a l'air plutôt gentil, je ne pensais pas que ce serait son genre.

Je le laisse cependant continuer, perplexe et curieuse d'entendre la suite. S'enfoncera-t-il dans son mensonge ou rectifiera-t-il le tir ? Et surtout : pourquoi fait-il ça ? Pourquoi se faire passer pour un pervers dégénéré ? Je me demande quel est son objectif en venant s'asseoir ici. Quand il me raconte sa version des faits, il y met la bonne intonation, le bon rythme de phrase ; un parfait menteur, en somme. Il doit le faire souvent, pour savoir aussi bien s'y prendre. Il sirote sa boisson pour laisser une pause dans son récit, ne se rend pas compte qu'il faudrait arrêter son massacre ici. C'est assez amusant de regarder quelqu'un s'empêtrer dans son mensonge sans qu'il ne le sache. On finit par y prendre un certain goût, même si pour ma part je suis surtout contrariée dans ces cas-là. Il poursuit enfin. Alors, il me dit qu'ils ont eu raison d'essayer de le retenir. Essaye-t-il de me faire peur ? Trouve-t-il cela plaisant ? Il prétexte ensuite qu'il veut savoir ce que je fais ici à cette heure, qu'il se sent gamin avec son milk-shake. Cette fin de phrase m'a l'air un peu moins hypocrite, mais il la ponctue d'un rire qui démontre que je me trompe.

Je ne sais pas vraiment quoi répondre à tout ça. Je dévisage Nexim longuement, en silence. J'ai envie de lui faire sentir ce remords, ce doute. Qu'il se demande pourquoi je ne réponds pas, peut-être même qu'il se remette en question, ne serait-ce qu'un bref instant. Je tente de comprendre son regard. De comprendre l'intérêt. Pourquoi. Je soupire lentement, avant de reprendre une gorgée de ma bière. Légère grimace que j'essaye de masquer du mieux possible. Comme je n'ai pas l'habitude de boire de l'alcool, je sens qu'il monte assez rapidement. C'est ridicule : presque bourrée avec une simple bière. Je tente de le masquer comme je le peux. Second soupir, regard planté dans le sien, et c'est parti.

- Erreur. Je n'aime pas vraiment qu'on me mente, à vrai dire. Il fallait me le dire si tu ne voulais pas me raconter ce qu'il s'est passé. Quant à la bière et au motif de ma présence, je ne trouve pas que tu mérites de les connaître, dans l'état actuel des choses. Reprenons, si tu veux bien : pourquoi m'avez-vous regardé tout à l'heure et que s'est-il passé ?

Mérite.

J'observe le garçon aux yeux carmins, qui semble plongé dans ses pensées, suite à ma question. Peut-être ai-je soulevé un point sensible ? Mordillement de lèvre instinctif, je n'aime pas mettre les gens mal à l'aise. Son regard est ailleurs, comme s'il avait renoué l'espace d'un instant avec ses origines. Le personnage assis en face de moi s'enveloppe chaque fois plus de mystère, il me rend curieuse. Il n'a pas l'air comme les autres. J'attends patiemment qu'il reprenne la parole, me sentant légèrement coupable de cet état dans lequel il se trouve.

Après quelques secondes, il semble retrouver ses esprits et me répond. «Il vient de l’Égypte, sa seule particularité ici c'est qu'il est quasi-unique, la bas ça passe inaperçu, mais chut, c'est un secret. » L'Egypte. Sa réponse me laisse un peu rêveuse, ce doit être un bel endroit. La terre des pharaons, de la grandeur et d'empires inoubliables. Je visualise les pyramides, les palais somptueux, le soleil et la chaleur qui s'incruste sur les peaux. Cette origine rajoute du charme à mon locuteur. Lorsqu'il me parle de secret, il provoque en moi cette réaction physiologique : je souris. Léger, doux, comme pour une réponse silencieuse. J'acquiesce d'un signe de tête, avec beaucoup de pudeur dans mes yeux. Je ne me permets qu'un seul commentaire, que je veux faire sonner comme emprunt de respect et avec une certaine pointe d'admiration. Un seul petit mot.

- L'Egypte..

Je sirote une autre gorgée de ma bière, qui descend rapidement. Je suis contente qu'elle soit bientôt finie. Et maintenant ce fameux mensonge. Ma réponse, ou plutôt ma tirade, qui a l'air de le laisser coi. Il ne doit pas avoir l'air qu'on lui réponde de cette manière, car il manque de s'étouffer avec son milkshake. Son regard incrédule et stupéfait me fait rire doucement, avec une teinte d'ironie. Puis, son expression faciale évolue pour atteindre l'amusement, puis la malice, avant d'osciller entre une lueur de mécontentement et finalement le calme. Je fixe ses traits, attendant sans rien dire qu'il s'exprime. Je veux savoir quels sont ses arguments, et surtout la vérité. Il ferme les yeux, et m'explique enfin.

Lorsqu'il parle, je l'écoute assidûment. Dans sa voix, il veut faire naître une pointe de culpabilité chez moi. Il me demande comment j'ai fait pour savoir qu'il mentait. J'hésite. Vérité ou laisser planer un peu le mystère ? Il a l'air déboussolé, le pauvre. Il ne doit pas avoir l'habitude d'être coiffé au poteau ainsi. Sûrement le genre d'homme à s'en sortir la plupart du temps. Je souris à cette pensée, et tente d'imaginer son comportement avec les filles. Se sert-il de mensonges pour les conquérir ? Ou fait-il appel à son charme mystérieux ? Peut-être les deux. Je secoue la tête discrètement, comme pour m'infliger une claque mentale. Je ne vois pas pourquoi je dévie sur ce sujet-là, c'est ridicule.

Avant de lui répondre, je termine ma bière et lève la main en direction d'une serveuse pour lui faire signe de venir. Je sens que la soirée ne fait que commencer, et j'ai envie de me laisser aller un peu dans l'ivresse. Pour avoir du courage. Pour m'amuser un peu. Pour ne pas être celle que je suis d'habitude. Peu importe pourquoi. Je lui redemande de me resservir une bière. C'est agréable, cette sensation dans le corps. C'est à la fois doux et étrange. Rapidement, la serveuse revient avec un autre verre, je la paye et la remercie en souriant. Petit signe de tête en accompagnement. Je regarde Nexim, pour déceler une quelconque réaction chez lui. Il est dans l'attente. C'est assez plaisant, d'avoir quelqu'un suspendu à ses lèvres. Un sentiment que je ne connais pas forcément, mais auquel je pourrais prendre goût rapidement. Gorgée de boisson. Sourire presque provocateur à mon égyptien. Puis choix d'action. Je prends enfin la parole, avec une certaine envie de jouer.

- Tout le monde a ses trucs non ? J'ai le mien aussi. Infaillible, d'ailleurs !

Clin d’œil, je veux piquer sa curiosité. Et maintenant j'attends. Sa réaction. Peut-être sa frustration ? Ou alors sa colère. Ce ne doit pas être le genre de garçon à qui on devrait se frotter. Mais j'ai envie, ce soir. Changeons les habitudes.