Lendemain d'un carnage || PV Prudence

Depuis le jour qui précédait, il n'arrivait plus à rester calme, car il avait entendu dire que quelques élèves de la classe E allaient se réunir dans l'une des prestigieuses salles des A dans le but de semer le désordre. Était-ce une blague ? Ou étaient-il sérieux en annonçant cela ? Warren n'était pas parvenu à le savoir parfaitement, ni à connaître la source de cette rumeur, et cette incertitude avait eu le don de le tourmenter chaque seconde qui suivit. Le délégué faisait partie de ces personnes bileuses, qui paraissaient très calme vues de l'extérieur, mais qui se faisaient sans cesse un sang d'encre pour tout au fond, raison pour laquelle elles sursautaient dés qu'on leur parlait. Ainsi, durant la journée entière, il observait ses élèves, et tentait de percevoir les discussions pour vérifier si certains parlaient de ce plan. Quelques-uns, seulement, mais assez pour l'alerter officiellement. Cela restait encore incertain. Perdu dans ses pensées, il ne parvenait plus à se concentrer sur quoi que ce soit, ni sur les cours, ni sur ce qu'on essayait de lui dire, ni sur les personnes qui avaient essayé de lui adresser la parole, ni sur rien. Il n'avait pas réussi à bien dormir, non plus, cette nuit-là. Les E restaient très imprévisibles, même après quatre années passées en les côtoyant, et pour cette raison, il ne pouvait pas prévoir s'il s'agissait d'une fausse alerte ou non. Malgré tout, il n'était pas allé voir s'il avaient bien exécuté ce qu'ils prétendaient faire.

Le jour qui suivit, il était simplement entré dans sa salle de classe comme à son habitude, pour ensuite apercevoir un mini-bar au milieu des pupitres délabrés. Incompréhension totale. Jamais un mini-bar ne s'était trouvé ici, jamais. Toutefois, il avait dû réfléchir quelques instants pour se rappeler de sa provenance, il avait déjà aperçu maintes et maintes reprises ce bar en allant voir Takagi à l'étage des A. C'était bien lui. Il avait directement compris qu'il avait eu raison de s'inquiéter. Les étudiants de la classe rouge étaient bel et bien allés chez les A pour mettre la pagaille. Stress. Panique. Grand stress. Grande Panique.

Immédiatement, il s'était précipité aussi vite que possible hors de la classe, en trébuchant à la sortie ; puis il reparti en courant après s'être relevé, vers le quatrième étage, le rythme cardiaque accélérant à cause de l'angoisse grandissante. Une chose était sûre: il était de toute façon condamné. Les dégâts pouvaient être ridicules ou astronomiques, Prudence n'allait pas le laisser impuni. Cependant, cette dernière allait lui appliquer une souffrance plus ou moins atroce selon la gravité des choses, donc il espérait encore ne pas subir une sentence trop grande. Essoufflé d'avoir gravi les escaliers à toute allure, il traversait les couloirs en remarquant une porte ouverte et quelque peu abîmée — c'était l'impression qu'elle donnait, de loin. Apeuré de devoir faire face au carnage, à la réalité, il ravala sa salive et continua sa marche, afin de se retrouver en face du fameux désastre.

Oh... Misère...

Le tableau tactile étaient remplis d'insultes. Les fauteuils n'étaient plus alignés comme avant, et certains n'étaient même plus sur leurs pieds. Des post-it ornaient les murs d'habitude si propres. Un ordinateur manquait parmi les machines présents sur chaque pupitre. Carnage. Il n'avait pas envie de croire que ce qu'il voyait était vrai, il voulait que ce fût simplement un cauchemar, qu'il s'était finalement endormi et que tout ceci fût un affreux rêve. Mais, il savait que tout cela était vrai. Il avança d'un pas pour entrer. Un bruit de verre. Suite à un léger sursaut, ses yeux regardèrent vers le bas, pour finalement constater qu'il venait de marcher sur des débris de verre qui baignaient sur un sol trempé. Il ramena son pied vers lui, tout en poussant un soupir saccadé, comme s'il avait tremblé tout en expirant ; puis il décida quand même de pénétrer définitivement dans le chantier. Prudence n'allait pas apprécier du tout.

Lui-même ne savait pas exactement ce qu'il fabriquait là, planté au milieu de la pièce, pièce qu'il n'avait même pas l'intention de ranger — ou du moins avant les ordres de Kerstin. Tout ce qu'il faisait, c'était de détailler chaque dégât causé par sa classe, chaque trace, chaque marque qui allait lui causer une douleur abominable de la part de la déléguée des A dans un futur proche. Puis, sans qu'il ne s'en rendît compte, une silhouette discrète passa à côté de lui, l'effleurant à peine. Du coin de l'œil, il porta sa vue sur la personne qui venait d'entrer à son tour en ce lieu ; et à peine s'était-il rendu compte de l'identité de l'arrivante qu'il écarquilla les yeux, poussant un cri d'effroi, reculant d'un bond.
Prudence de Boissieu était arrivée.
La reine des A était passée à côté de lui, sans même lui jeter un regard rempli de haine, ni même lui adresser un regard tout court. À la place, elle s'était mis en tête de réparer les quelques dommages qui étaient dans ses capacités. Warren ne disait rien, préférant rester le plus silencieux possible afin de ne pas prononcer une seule parole qui aurait le potentiel d'agacer la petite A. Ses iris suivaient chaque mouvement qu'elle effectuait devant lui en restant légèrement souriante et silencieuse, tandis qu'il ne parvenait pas à rester tranquille. Tous les deux étaient des élèves qui dissimulaient leurs émotions et leurs humeurs intérieurement ; elle camouflait sa fureur qui bouillonnait au fond ; il cachait toute l'angoisse qu'il éprouvait à l'heure actuelle. Il avait un très mauvais pressentiment. Il ignorait même ce qui l'empêchait de fuir, tout de suite, pour se cacher le plus loin possible de ce démon aux cheveux bleus pâle. Un regard glacial, venant d'elle, cela voulait tout dire.

▬ Warren Andersen. Délégué des E. Qu'as-tu à dire pour ta défense ? lui demanda Prudence, d'une voix sereine, une voix qui prouvait cependant qu'elle n'était pas d'humeur à se montrer gentille avec lui.

Gorge nouée, il n'avait même plus la capacité de trembler d'aucun de ses membres. Tout son être était comme pétrifié de terreur, face à la fillette d'une vingtaine de centimètres de moins que lui. Les mots ne lui parvenaient pas, il était incapable de plaider sa cause, de se justifier ou quoi que ce soit d'autre. Néanmoins, même s'il le voulait, il n'en aurait pas eu le temps: Prudence lui fit signe de se taire avant même qu'il n'eût commencer.

▬ Tu sais que tes élèves sont les principaux responsables de ce carnage, n'est-ce pas ? N'as-tu rien fait pour les en empêcher ? Aurais-tu participé à cette fête, même ? continua de lui reprocher Prudence.

Il était déjà au courant de tout ce qui s'était apparemment passé, et elle aussi. Il l'avait deviné en repérant le mini-bar tout à l'heure, il savait que les rumeurs qu'il avait entendues le jour d'avant étaient vraies. Mais, il n'avait rien fait malgré tout. Pourquoi ? Lui-même était incapable de l'expliquer, maintenant qu'il voyait le résultat, il se demandait pourquoi il n'était pas allé au moins vérifier durant la nuit. Peut-être qu'il aurait pu changer quelque chose, même si c'était peu probable. Mais ce vague sentiment de regret demeurait en lui, incapable de disparaître tant il s'en voulait subitement. Le doigt de la déléguée se tendit vers sa direction. C'était trop tard pour lui, il aurait dû s'échapper plus tôt. Cette sensation qui l'envahit, il la connaissait très bien, celle de sentir ses muscles se bloquer violemment, devenir faibles, si faibles qu'ils ne pouvaient le maintenir correctement debout. Ainsi, il tomba à terre lourdement sur les genoux, ses deux bras tremblants s'appuyant au sol, le souffle saccadé. Des gémissements de douleur lui échappaient, sous le rire sonnant diabolique de la reine.

▬ Tu n'as pas de chance, je suis extrêmement énervée... déclara Prudence dans son éclat de rire.

▬ Je sais que les... E sont responsables... de ce désordre... Prudence... Mais... gémit-il difficilement, sans prendre la peine de terminer sa phrase.

Arrêt net dans ses paroles. Il avouait. Incapable de nier la responsabilité de sa classe, son ton ne démontrait néanmoins pas vraiment qu'il les considérait comme fautif, responsables de cet acte mais pas fautif pour autant. Une responsabilité n'était pas forcément négative, du moins, il le voyait ainsi. Sa classe avait été très probablement jalouse des A, et il ne pouvait pas le leur reprocher. Jamais il ne serait capable de reprocher quoi que ce soit à ses chers E, la seule personne qui resterait coupable, ce serait encore et toujours Warren, même s'il n'avait pas participé, même s'il n'avait encouragé personne, même s'il ne voulait pas en discuter avec Kerstin, il assumerait jusqu'au bout. Perdant ses forces petit à petit, il jugeait qu'il devait s'en aller au plus vite, lui échapper, même sans répondre à ses autres questions. Après avoir été maintes et maintes fois la victime de son pouvoir, il savait qu'elle avait un peu de peine à le maîtriser sur une plus longue distance. Il se mit à avancer, lentement, à quatre pattes — pratiquement en rampant —, en direction de la sortie de la salle de classe, sortie qui se trouvait à proximité de lui.

La souffrance commençait à disparaître petit à petit, même si elle était malgré tout encore présente. Faible, il se sentait toujours faible. Ce pouvoir était d'une atrocité sans pareil. Les E pouvaient aussi bien lui jouer des sales tours, le frapper sans raison, le pousser dans les escaliers, lui voler son argent ; Blaze pouvait être celle qui détenait la médaille d'or à ce jeu-là, et Anshu celle d'argent, Prudence était la seule qui provoquait des malaises de ce genre.

▬ Dis-m'en plus... Qui t'as fait part de cette infraction ? continua Prudence, impatiente.

▬ Je l'ai simplement... constaté, en voyant... une sorte de bar dans notre classe... Je sais qu'il vous appartient... gémit-il difficilement.

Il ne pensait pas lui avoir fait une révélation concernant l'état de leur meuble, elle l'avait certainement déjà constaté. Le bar en question n'était pas si petit, tout le monde le remarquait assez facilement. Alors sa disparition avait dû taper à l'œil de la noble à la seconde où elle avait débarqué. Warren continuait de ramper jusqu'à la sortie, doucement, mais assez rapidement pour presque y être. Étant une personne assez lâche, il savait ce qui l'attendait s'il restait en compagnie de Prudence, et de ce fait il préférait la fuir plutôt que de continuer à supporter sa colère. Cependant, il n'était pas très intelligent non plus, au contraire, alors il n'avait pas vraiment prévu que la princesse vînt lui bloquer l'accès à la sortie.

▬ Tu oses me fausser compagnie ? Andersen, je suis vexée... répliqua Prudence.

Silence. Il n'osa pas dire un seul mot, et se contenta seulement de reculer de quelques centimètre. Mieux valait ne pas la provoquer, il le savait très bien. En tout cas, il ne sentait plus la douleur. Elle avait apparemment arrêté d'utiliser son pouvoir sur lui, du moins, pour le moment. Cependant, elle était en train d'enfoncer ses ongles dans sa paume, créant une petite plaie dans sa main.

▬ Pourquoi... tu fais ça ? demanda-t-il assez timidement.

Même envahi par la peur, Warren restait un idiot. Il avait beau tenter de faire des efforts pour ne pas agacer la reine, mais il ne parvenait pas à s'empêcher de lui poser une question inutile, sans faire vraiment exprès. Le regard que lui lançait la A n'avait rien de rassurant.

▬ Ne t'attends pas à ce que je m'excuse. Mais ça suffira pour aujourd'hui. Maintenant, raconte-moi tout ce que tu sais. Et ne mens pas Andersen, tu ne sais pas le faire correctement. continua Prudence.

Il la fixa quelques secondes silencieusement. Oui. Elle avait raison sur ce point. Il ne savait pas mentir correctement, ne cachait pas très bien son jeu. Le fait qu'on l'eût cerné aussi facilement le fit détourner le regard, honteux.

▬ Je ne sais pas grand chose à vrai dire... marmonna-t-il, peut-être pas assez fort pour se faire entendre.

Elle s'approcha de lui, le doigt coloré en rouge à cause du sang. La vue du sang le crispa, lui qui avait toujours été impressionné en voyant ce liquide vital, en film ou en vrai. Pétrifié, il laissa la déléguée tracer une marque avec la substance écarlate à contrecœur, sur sa joue, en essayant de garder son calme le mieux possible. Quand elle eut terminé, elle sortit un mouchoir pour s'essuyer l'index, tandis qu'il s'assit enfin sur le sol, en tailleur, maintenant qu'il en avait la force.

▬ Je n'ai pas beaucoup de temps devant moi... Fais-moi plutôt un résumé. ordonna Prudence.

▬ Tout ce que je sais... c'est que des élèves parlaient de semer le désordre ici, hier. J'ai juste pu voir aujourd'hui qu'ils étaient sérieux. C'est tout. lui expliqua-t-il sans réellement faire preuve de retenue.

Sourire forcé. Il ne voyait pas ce qu'il aurait pu rajouter dans ce résumé. D'une certaine manière, il était content de ne pas en savoir davantage, car il ne pourrait dénoncer personne en toute sincérité. Il détestait et ne voulait pas dénoncer les gens de sa classe ; il ne voulait pas les voir payer les frais, il préférait largement le faire à leur place, qu'il fût innocent ou non dans l'histoire.

▬ Tu sais Prudence... Tu ne devrais pas vraiment leur en vouloir. Les A ont beaucoup plus de chance et disposent de tout ce luxe, alors qu'eux, ils n'ont rien. Rire faux, rire nerveux. Son regard traversa la salle pour illustrer ses dires. Un luxe réduit en cendres restait un luxe. Essaie de les comprendre... Ne fais rien contre eux, pour cette fois. S'il te plaît. supplia-t-il, la voix diminuant à chaque fin de phrase.

Demander à ce démon de calmer sa soif de vengeance était culotté, osé. Bravoure ? Non. Warren était trop lâche pour faire preuve de véritable courage. Non, c'était tout simplement parce qu'il s'agissait...
d'un naïf.
Flinn, le délégué des B, répétait souvent que dans le fond, Prudence devait être une bonne personne, que ce n'était pas possible qu'elle fût aussi méprisable. Cet étourdi était, mine de rien, bien plus intelligent et réfléchi que lui. À la fin, après tout ce qu'elle lui avait fait enduré, même Warren continuait à le croire, était incapable de la croire pourrie jusqu'à la moelle. Peut-être qu'un soupçon de compréhension était dissimulé en elle.

Prudence demeurait en silence, ne laissant qu'échapper un grognement de ses lèvres, sans montrer le moindre intérêt à ce qu'il venait de dire. Il baissa un peu la tête, ne se sentant pas assez courageux pour rompre le silence qui s'était désormais installé.

▬ Tch'... grogna Prudence.

Sursaut. Il ne savait pas vraiment si ce son était une preuve de mépris, si elle se moquait complètement du sort de la classe rouge, ou s'il y avait une autre signification.

▬ Tu penses sérieusement qu'ils vont s'arrêter là ? Es-tu réellement leur délégué ?! répliqua Prudence d'une voix aiguë.

▬ C'est parce que je suis leur délégué que je le sais. Ce ne sont... pas des élèves très prévisibles. Peut-être qu'ils voulaient juste s'amuser et qu'ils ne recommenceront pas. déclara-t-il en plaquant sa main sur son torse, pour se désigner, et en faisant preuve d'assurance pour une fois.

Juste après qu'il eût dit cela, il s'arrêta net. Certes, il savait assez bien de quoi il parlait, les E pouvaient avoir organisé cette petite fête occasionnellement, mais que cela se reproduisît à l'avenir était tout aussi plausible. Warren en était conscient mieux que personne. Angoisse. Il craignait qu'elle continuât ses critiques.

▬ Mais... Malgré tout, tu as peut-être eu une bonne idée. affirma Prudence.

Ses deux iris vert-bleu étaient braqués sur elle, laissant paraître sur son visage une expression totalement perdue, confuse.

▬ Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda-t-il.

▬ Si les élèves de E veulent une bataille, ils viendront la chercher eux-mêmes. marmonna Prudence.

Le calme était assez présent pour qu'il pût entendre cette dernière phrase, pas très clairement néanmoins. Inquiétude. Elle s'apprêtait donc à livrer bataille s'ils continuaient. Les E ne stopperaient peut-être pas leurs délits, le mini-bar emporté était sûrement une forme de jalousie. Maintenant qu'il y réfléchissait, il y avait beaucoup plus d'indications sur un renouvellement de l'acte plutôt que l'inverse. L'inquiétude se fit plus grande encore. La reine se dirigea vers un fauteuil différent des autres, plus distingué, donnant un air plus noble que les autres fauteuils. Cela ne pouvait être que son trône, cela ne l'étonnait même pas. Posant une main sur le sol, Warren s'appuya dessus pour se mettre debout. Tout en rajustant sa cravate rouge, il regarda à nouveau Prudence, assise sur cette confortable chaise.

▬ Warren Andersen. Pour rattraper le délit de tes élèves, finis de nettoyer cette salle. Je veux qu'il ne reste plus une seule trace du carnage. ordonna Prudence.

Cet air qu'elle avait pris, ce visage plutôt serein mais sérieux, ces ordres, son ton, toute sa personne à cet instant précis lui rappela Kerstin Schneider, la CPE du pensionnat. Cela aurait été très certainement ce qu'aurait dit l'adulte dans cette situation en voyant le carnage, c'était très certainement ce qu'elle allait lui dire quand elle le convoquerait dans son bureau. À quoi bon refuser l'ordre, il devrait réparer les dégâts de toute manière.

▬ ... Tout seul ? chuchota-t-il.

La réponse serait si évidente en la connaissant, toutefois, même elle devait savoir que c'était un incompétent, un faible qui prendrait plus de temps à soulever un fauteuil tombé que de le remettre à sa place. Bon, il était habitué à réparer les pots cassés chaque semaine, mais jamais de cet ampleur, cela s'annonçait long et périlleux pour ses petits bras. Cependant, elle avait un livre en main, donc elle allait bien l'attendre.

▬ Je n'agirai pas, malgré le désir que j'ai d'arracher le peu d'honneur qu'il reste en chacun de ces nuisibles. Sois tranquille, je le serai de mon côté... Pour l'instant. prévint Prudence.

L'observant quelques secondes, indécis, se demandant s'il fallait la remercier ou tenter de la dissuader une bonne fois pour toutes de laisser les E tranquilles, il se retourna finalement vers la salle sans dire un mot ; il s'approcha des murs pour enlever toute trace de post-it. Autant commencer par le plus facile. Il regardait Prudence pour voir si elle n'allait pas avoir pitié et lui fournir de l'aide, un moment donné.

▬ Tu... risques d'attendre longtemps, Prudence. déclara-t-il avec un petit rire nerveux. Pitoyable.

Remarque inutile, comme toujours.

Un long soupir d'agacement de la part de Prudence. Celle-ci devait être désespérée par lui, par ses petits bras, son inutilité, sa faiblesse, son incapacité à faire quoi que ce soit. Il baissa la tête timidement face à ce geste, honteux d'être aussi incompétent, même si c'était elle. Sincèrement, il ne détestait pas la petite fille qui était nommée la reine des A. Ce n'était pas de la haine qu'il ressentait, juste de la peur, de la crainte face à la personnalité diabolique et lunatique dont elle pouvait faire preuve, face la soif de vengeance qu'elle avait contre lui. Un élève en A traversa les couloirs, sans jeter un simple coup d'œil dans la salle dévastée avant d'entendre les ordres de leur déléguée, et de partir les exécuter. La gamine aux cheveux bleus se releva ensuite de son trône avant de passer à côté de lui. Lorsqu'elle s'arrêta à proximité, il se crispa, tendu comme jamais il ne l'avait été, craignant ce qu'elle allait ensuite dire ou faire.

▬ Tu gagnes pour le moment, Warren Andersen. Mais tôt ou tard viendra le moment où la Reine jouera dans l'échiquier, et ce moment se rapproche à grands pas. Contrairement à toi, je ne suis pas naïve. Je sais que tes élèves n'ont pas dévasté ma salle pour le simple plaisir de faire enrager les A. Cette histoire ne fait que commencer, et les membres de la hiérarchie du pensionnat interviendront probablement. Tu as conscience de l'épée de Damoclès qui flotte au-dessus de la tête de tous les délégués ? Une seule erreur et nous perdons tous. Une seule erreur et la guerre est assurée. En échange de mon inactivité, je veux que tu parles à tes élèves. Sois ferme, pour une fois. Que ta misérable existence prenne enfin un tournant important. expliqua Prudence, en faisant des pauses quelques fois.

Durant tout le discours, il s'était tu pour écouter ce qu'elle avait l'intention de lui faire comprendre. Elle était sérieuse, et sa tirade dont chaque phrase devenait une menace, une reproche, ou encore un avertissement, parvenait à le tourmenter encore plus qu'avant. Menaçante, et malgré tout, il n'allait pas obéir à ses ordres. Ce n'était pas par esprit de contradiction qu'il n'irait pas se montrer ferme avec ses élèves, mais par un réel manque d'autorité et de courage. Le pauvre ne se considérait pas vraiment comme un dirigeant comme elle, ni même comme une forte personnalité de sa classe. Lui n'était qu'un pauvre martyr que personne ne prenait au sérieux, qui ne servait qu'à remplir le travail d'un représentant. À quoi cela servirait-il alors ? Et puis, d'une certaine manière, il n'en avait pas très envie. Trop de tolérance envers les rebelles qu'étaient les E. Pour cette raison, il se mordit la lèvre inférieur en détournant le regard. Elle se dirigea vers la porte, et il la suivait du coin de l'œil.

▬ Voilà ma sentence. Si tu t'avères inutile, Andersen, je me verrai obligée d'intervenir, en tant qu'élève. En tant que membre de ce pensionnat. En simple pion, même si cette perspective n'est pas réjouissante. Cette guerre voilée sera bientôt découverte. J'ose espérer que les S se joindront à la bataille... reste à savoir dans quel camp ils se placeront. l'avertit Prudence.

Plutôt floue, il ignorait la signification de sa menace à cet instant, s'il devait s'en inquiéter ou non. La reine agissant comme un pion au lieu de rester sur son trône, était-ce dangereux ? L'intervention des S dans cette guerre, par contre, ne le ravirait pas des masses. Excepté son ami le Ranker, les membres de cette étrange classe ne semblaient pas fort sympathiques, et le fait qu'il ne les eût jamais vus ne l'aidait pas à le rassurer à leur propos. Face au large sourire de la Française, il resta immobile et avala sa salive.

▬ Advienne que pourra. Ca ne fait que commencer, Andersen. Et tu le sais aussi bien que moi. le prévint Prudence.

Elle avait entièrement raison. Il lui avait fallu un bon moment pour comprendre, mais lui aussi avait conclu que ce ne serait pas encore terminé, que quelque chose allait suivre. Forcément. Elle disparut dans les couloirs, pour que ses élèves entrassent dans la pièce. Chaque A entrait, avec une expression laissant deviner leur mécontentement, laissant deviner leur mépris pour le délégué des E, laissant deviner qu'ils allait l'aider à contrecœur. Ne sachant pas trop où se mettre, il souriait timidement.

▬ Je... crois que je dois... vous aider. dit-il avec un léger rire nerveux.

Personne ne répondit, se contentant de le foudroyer du regard ou de se demander ce qu'était la marque de sang sur sa joue.


Ce ne fut qu'après plusieurs heures qu'ils eurent terminé de faire le ménage dans la salle des A. Un long soupir lui échappa alors qu'il regardait les élèves s'en aller les uns après les autres sans le saluer, simplement heureux d'avoir terminé cette corvée. Quand le dernier fut parti, il ne bougea pas d'un pouce, s'appuyant contre un pupitre. Il allait simplement rester là un petit moment, seul dans la salle à peu près rangée, pour réfléchir encore à ce qu'avait dit Prudence tout à l'heure. Son regard s'était instinctivement dirigé vers l'endroit où était installé le mini-bar dans le passé, alors qu'il faisait le point sur la situation, et qu'il ne pouvait s'empêcher d'essayer de faire des hypothèses sur ce qui était sur le point d'arriver. Son doigt frotta sa joue pour voir entre deux si le sang s'enlevait, et ce n'était pas le cas. L'angoisse le rongeait.

La suite se promettait d'être mouvementée.