Il suffit de pas grand chose... (Rose)

Curieux hasard.

Journée banale, je sors de cours de maths. L'heure était longue, mais seulement à cause du prof. En ce qui concerne le contenu, ma foi, rien de bien compliqué. Je dis ne dis pas ça à cause des facilités que j'ai dans cette matière, mais les probabilités, il faut avouer que c'est un peu abusé non ? Enfin je veux dire, on s'en sort facilement. Qu'importe. Une fois les pieds en dehors de ma salle de cours, je prends le temps de souffler un bon coup : l'heure de pause que j'ai va me permettre de me ressourcer. Après, je devrais affronter un cours de biologie. Pas que je sois mauvaise, simplement que ce n'est pas ma tasse de thé.

Dans le couloir, je m'arrête un instant avant d'aller à l'extérieur. J'aime regarder les gens qui passent, c'est un passe temps comme un autre. D'ordinaire, j'essaye de deviner les situations dans lesquelles sont les passants, leurs pensées, la journée qu'ils viennent de vivre. J'invente des vies et je m'en satisfais. Ce coup-ci, mon attention s'attarde sur deux garçons. L'un d'eux semble pressé, et discute avec un garçon à capuche. Ils n'ont pas l'air commun, ou du moins ce dernier. En effet, en y prêtant attention, l'homme à la capuche s'exprime uniquement en écrivant sur des post-it. L'idée m'intrigue, je m'approche discrètement.

En essayant d'écouter leur conversation - c'est mal, je sais bien - j'entends la dernière phrase du garçon pressé qui semble sur le point de partir. Ils ne doivent pas se connaître, car il l'interroge sur la raison de son silence. Curieuse, j'observe les réactions du mystérieux jeune homme. Il semble avoir mon âge, et malgré sa capuche je distingue des cheveux dorés et des yeux bleus, hypnotisant. Je tente de lire ce qu'il écrit sur le bout de papier avec réussite. "Je suis muet."

En regardant ces mots, mon corps se met à me piquer légèrement, mais constamment. Je découvre alors une nouvelle facette de mon pouvoir. Je ne le savais pas, mais je peux également détecter les mensonges lorsqu'ils sont écrits. Y a-t-il des conditions à cela, des limites ? Il faudra que je me renseigne. En tout cas, une chose est indubitable : ce garçon parle, ou en tout cas il en a la capacité. Ce mensonge m'interpelle : pourquoi se faire passer pour un muet ? Je n'en comprends pas l'intérêt.

Ma tête se tourne vers l'extérieur qui m'attends, un grand soleil rayonne dans le ciel, aucun nuage en vue. Je soupire, et me refocalise sur le garçon. Tant pis, j'irais dehors une autre fois ! Ma curiosité est bien trop grande, et puis ce sera toujours une meilleure occupation que de rester plantée là à ne rien faire. M'avançant alors vers lui, j'arrive par derrière sans qu'il ne me voit. Une fois à quelques centimètres de lui, je me permets d'annoncer d'une voix claire mais discrète, de manière à ce que seul lui n'entende :

- Muet, hum ? Pourtant je suis sûre que tu peux me parler.

Je le défie du regard, un sourire aux lèvres. Il n'a pas l'air méchant, alors je ne suis pas agressive. Bien que le mensonge m’agace, j'essaye de faire un effort pour paraître agréable.

Intriguée.

Ce garçon est étrange. Mes yeux tentent de sonder son être, comprendre un peu pourquoi tant de mystère. En jetant un coup d’œil au bloc de post-it sur lequel il griffonne à toute allure, je ne peux m'empêcher de penser que ce ne doit pas être pratique. Son écriture arrive-t-elle a suivre son flot de pensée ? Je me demande à quoi ressemble le son de sa voix. Silencieuse, j'essaye de l'imaginer. Un sourire discret se dessine sur mon visage, tandis que je suis du regard les messages qu'il me tend.

Lorsque je lis le premier, j'apprends son identité, et reçois en supplément un compliment. En est-ce vraiment un ? Dur de sentir l'intonation sur un bout de papier. Ma tête penchée légèrement sur le côté comme pour l'interroger, je l'observe. Ses yeux ne trahissent rien, je décide donc de laisser ça pour le moment, ce n'est pas l'essentiel. Poliment, je me présente en lui tendant la main. J'agrémente mes paroles de courtes pauses, comme si j'avais de réfléchir à mes mots. Ce n'est pas évident de parler face à un faux muet.

- Excuse-moi, je ne me suis pas présentée ; je m'appelle Rose Davis, enchantée.

J'ignore volontairement ses allusions à mon pouvoir et au compliment. Pourquoi seul lui aurait le droit de se cacher derrière le silence ? Tandis que j'attends une réaction de sa part, je le vois dégainer à nouveau son stylo pour aller fureter sur la feuille de post-it avec une certaine détermination. Je hausse un sourcil interrogateur, et attends de voir ce que je vais lire. Son message réussit simplement à me laisser perplexe. Ce gars est bizarre.

Un simple smiley à la fin du bout de feuille me fait penser qu'il plaisante, mais pour le reste... Il m'a juste l'air dérangé. Je ne comprends pas sa motivation à ne pas parler, se faire passer pour un psychopathe et surtout.. J'ai l'impression qu'il s'attendait déjà à ce que je vienne. Que ce n'est pas une surprise. Je suis à la fois intriguée et méfiante, je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre avec ce genre de personnes. Sans doute est-il très gentil, mais une petite alarme s'enclenche en moi, me disant de faire attention.

Je lui adresse un sourire poli mais sans vraiment masquer ma retenue. Dans ce genre de situations, je ne sais jamais si je dois rire ou ignorer. Dans le doute, je n'essaye ni l'un ni l'autre. Je reste simplement plantée là, à fixer mon locuteur avec un drôle de regard. Et puis qu'est-ce que ça signifie, ne pas se comporter de manière stable ? Ça n'a aucun sens. Il n'a pas l'air dément, juste provocateur. Ou alors, peut-être que j'assiste à de l'autoprotection pure et dure. Peut-être qu'il ne parle pas parce qu'il est introverti, ou quelque chose comme ça.

- Hum.. Excuse-moi mais.. On dirait que tu t'attendais à ce que je vienne, c'est perturbant. J'étais juste curieuse de savoir ce qui peut pousser quelqu'un à ne pas parler. Mais je devrais peut-être te laisser, je ne veux pas déranger..

Replis stratégique, c'est pas mal comme tactique. Je n'aime pas faire mauvaise impression auprès des autres, et je ne voudrais surtout pas passer pour quelqu'un de malpoli, mais ce garçon ne me met pas vraiment à l'aise. Je me tortille dans tous les sens comme une enfant, mes doigts se tordent en s'entremêlant, ma gêne est facilement repérable je pense. Mais la curiosité est tout de même présente, et Hoss m'intrigue autant qu'il m'intimide.

Ressaisis-toi.

Après m'être présentée, je le vois fixer ma main avec un regard étrange. Je me demande ce qui le gêne avec ça, mais j'attends patiemment en silence. Il commence alors à répondre sur un de ses post-it, je ne peux m'empêcher de penser qu'il doit en utiliser un nombre incalculable. Je lis au fur et à mesure que les mots apparaissent sur le papier, je ne sais quelle expression arborer. Tout d'abord, il dénonce mon air crispé et trop poli. Ensuite, il complimente mon prénom. Enfin, il me demande ce qu'il doit faire avec ma main.

Je souris instinctivement, bien qu'encore perplexe de ce garçon. Certes, je ne dois pas faire très envie, avec mon visage sérieux et tendu. Mais que dire, ce n'est pas de ma faute s'il me met mal à l'aise ! Je hoche les épaules en lui jetant un regard désolé, en silence. A mon tour d'être muette. Et pour répondre à sa dernière question, j'attrape doucement sa main pour la serrer dans la mienne, afin de lui montrer ce qu'il fallait en faire. Ce contact m'apaise un peu, et sa naïveté le rend plus doux à mon égard.

Toujours sans dire un mot, je ne peux m'empêcher de penser que je dois l'offenser, à agir ainsi. Je n'aimerais pas vraiment voir qu'on me fuit, alors que ce garçon n'a pas l'air d'une extrême violence, et sans doute pas si dérangé que cela. Je m'efforce donc de lui renvoyer une meilleure image de moi, lui souriant doucement, dévoilant mes dents au passage. Mais c'est trop tard, je crois bien que je l'ai vexé. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même...

Il commence à griffonner à toute allure sur un autre bout de papier, je me hisse sur la pointe des pieds pour lire par-dessus sa main. Ce que j'y vois me surprend vraiment. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'annonce que ma venue n'était pas un hasard... Le contrôle des probabilités, hum ? Pouvoir intéressant. Je reste dubitative sur le fait que je représente sa rencontre instructive du jour. C'est à la fois glorifiant et blessant d'être l'élue et le jouet. Il persiste à ne pas parler, et surtout à ne pas m'expliquer. Très bien, je ne vais pas le forcer. Lorsqu'il me demande de ne pas partir, je ressens de la culpabilité. Ce garçon n'a l'air d'être que gentillesse, et je sens une lueur perdue dans son regard. Sans doute est-il nouveau, ou étranger, je ne sais pas. Il n'a pas l'air anglais, en tout cas.

Alors que je m’apprêtais à m'excuser de mon comportement, je le vois continuer d'écrire. Ne s'arrête-t-il donc jamais ? J'attends de pouvoir lire ces nouveaux mots avant de m'exprimer. Je n'avais jamais vu un muet aussi bavard, en tout cas ! Cette pensée me fait sourire. Cela dit, mon visage redevient rapidement neutre et gêné ; alors que je commençais à me détendre, le voilà qui me remet de nouveau mal à l'aise. Pourquoi diable me parle-t-il comme s'il était schizophrène ? Enfin non, il précise que ce n'est pas son but. Mais tout de même, je ne comprends pas l'intérêt de se présenter comme trois personnes différentes lors d'un premier contact.

Il est à la fois mignon et flippant. En même temps, il me fait de la peine. C'est vrai quoi, le pauvre.. Bien que je n'entende pas le son de sa voix, je l'imagine très bien me dire piteusement que je peux partir si je le souhaite.. Non, je n'aime pas faire de mal aux gens. Et ce n'a jamais été un de mes traits de caractère. Le voyant s'excuser ainsi, je me sens obligée de ne pas le rejeter. Mais que répondre à ça ? Je réfléchis longuement avant de lui répondre, et il doit me trouver bien silencieuse tout d'un coup. Est-il possible que ce soit moi qui ait perdu ma langue, finalement ? Je me lance, hésitante, mais le son de ma voix est emprunt de gentillesse. Essayons de lui montrer que je ne suis pas ce genre de fille qui juge dès les premiers instants.

- Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser.. C'est juste que.. Je ne sais pas trop comment réagir. Tu es un drôle de personnage, des comme toi on en croise pas tous les jours..

Je marque une légère pause avant de reprendre, sentant un peu de courage m'envahir. Je lui adresse un joli sourire, plein de douceur.

- Que proposes-tu pour que l'on découvre la raison de ma venue ici ?

Bravo ma p'tite. Tu vois que tu peux être gentille, quand tu veux.