Tu es faible, tu es inutile, tu es Emir. Chaque fois qu'il ouvrait les yeux, ce genre de pensée se plantaient dans son esprit, le démoralisant avant même qu'il ne fasse un pas. Mais il ne se laissait pas abattre. Il se relevait et il affrontait les jours qui passaient, une étincelle venant toujours égayer sa journée, qu'elle soit infime ou immense. Il s'en contentait et en profitait autant qu'il le pouvait. Certes, la présence de son ange noir lui manquait affreusement, mais il n'avait pas encore trouvé le courage nécessaire pour affronter son regard rouge. Alors il l'observait dans l'ombre, se languissant des sourires que lui offrait autrefois le prince.
Ce matin ne semblait pas ordinaire. Le quotidien des rapides entrevues dans la salle de classe des D avait été brisé de sa propre initiative. Effectivement, le turc avait décidé de ne pas se présenter cette fois-là, favorisant son désir d'aller à la plage pour effleurer de ses yeux meurtris la douce étendue bleue. C'est ainsi qu'Emir glissa hors des dortoirs et s'offrit un maigre petit déjeuner, avant de quitter le pensionnat pour profiter de la ville.
Il y passa la matinée, répondant d'un sourire poli aux regards qui étaient accordés à sa personne, malgré le fait qu'intérieurement, il se pensait critiqué et jugé. Redoutant un défaut physique ou un manie inaperçue dans ses gestes, il finit par ne plus prêter attention aux passants, plongé dans ses souvenirs de bonheur. Il revoyait l'accident que subit son bras droit, observant distraitement le membre désormais artificiel. Certes, tout fonctionnait, il pouvait s'en servir comme bon lui semblait, mais, dans son esprit trop étroit pour affronter la vérité, il pensait que, sans ce saut, rien ne serait arrivé et il ne serait probablement pas dans ces rues, à déambuler comme une âme en peine.
Après plusieurs dizaines de minutes de marche, Emir atteignit son but, en d'autres termes la plage. Ses pieds le portèrent au bord de l'eau, qu'il observa silencieusement. Il devait être aux alentours de onze heures et les habitants, autant que les touristes, étaient déjà arrivés. Les voir se baigner ou jouer avec le sable aurait probablement du lui faire mal au coeur, lui faire ressentir quelque chose de négatif, comme de la jalousie ou de l'envie. Mais il les ignorait tous. Pour lui, l'eau n'était qu'un obstacle à son bonheur perdu : l'Egypte. Il ne désirait qu'y retourner avec son prince, pour sentir de nouveau cette bribe de joie envahir tout son être.
Peut-être qu'il exagérait en clamant que seul lui pouvait le rendre heureux. Peut-être qu'il sous-estimait les autres. Mais toujours était-il que, dans sa puérilité, il rejetait toute tentative de rapprochement venue des autres, se contentant de chérir ses souvenirs d'une façon étonnamment proche de Gollum avec son "précieux" anneau. Cette réflexion lui arracha un soupir de lassitude, tant il se sentait idiot.
Oubliant le monde extérieur, il laissa le liquide bleuté glisser contre ses pieds, conscient qu'il ne sentirait pas la chatouille agréable que cela aurait dû provoquer s'il n'avait pas ce pouvoir plus gênant qu'autre chose. Et il continua d'avancer, d'affronter l'eau tant que l'air perdurait dans ses poumons.
C'était décidé, cet après-midi, Sonera vaincrait sa peur. Enfin, elle essaierait. Au moins pour Nolan, ou alors juste par fierté ? Elle porta son regard sur lui et son coeur explosa instantanément. C'était comme ça depuis qu'ils étaient revenus de Venise, à chaque fois elle avait l'impression d'avoir des oiseaux dans le ventre et la tête, et son coeur partait à toute vitesse pour se faire la malle de son écrin rouge et chaud. Alors, voulant écouter le cours - littérature oblige - elle lui sourit simplement et se retourna en soupirant comme une bienheureuse. Niaise.
En fait, tant pis pour l'après-midi, son cours d'après était de la physique. Or, Soni détestait les sciences alors elle irait faire trempette plus tôt que prévu. Elle prétexta un mal de tête, comme souvent et se rendit à sa chambre pour se changer et enfiler une tenue plus fonctionnelle, moins règlementaire que son uniforme et moins voyant que ses "costumes" habituels : un slim noir et un chemisier ample, sur lequel elle rajouta des bracelets de cuir au niveau des poignets. Elle mit des croquettes et de l'eau dans la double-gamelle de son chaton et partit enfin vers la plage, priant pour ne pas se faire prendre en pleine "fuite".
Quand l'Italienne arriva en vue de la plage et de l'étendue immense d'eau, elle fut tentée de reculer, de retourner en cours et de se dire qu'elle n'y arriverait pas. C'était toujours plus facile de faire marche arrière quand on n'avait personne pour nous encourager. Actuellement, Soni était dans cette situation. Elle était venue seule pour qu'on ne voit pas sa peur. Personne ne savait à part Cody et Nolan. Rafael aussi s'il s'en souvenait... Mais les autres non. Elle savait nager, du moins elle avait appris avant sa noyade mais c'était plus fort qu'elle, elle paniquait dans l'eau.
Sonera inspira profondément et retira ses chaussures à talons compensées pour plonger les pieds dans le sable. Non seulement elle était petite, mais en plus elle s'enfonçait dans tous ces petits grains, ça n'aidait pas vraiment. Elle soupira et se dirigea vers l'eau, son coeur battant de plus en plus à mesure qu'elle voyait l'écume et l'estran se rapprocher. Allez ma grosse, ça va le faire. Elle fit un ourlet à son pantalon pour qu'il ne soit pas trempé, ça lui donna un peu de courage - ou pas. Puis elle avança lentement vers l'eau qui refluait. « Mais non t'éloignes pas là ! » Oui, Soni pestait contre un phénomène naturel et ce, à haute voix.
Quand elle s'en rendit compte, elle leva les yeux pour regarder autour d'elle et vit quelques touristes qui se promenaient sans faire attention à elle. Soupir. Personne ne l'avait vu pester. Puis un détail l'attira, du coin de l'oeil. Quelqu'un se baignait littéralement. Dans la mer du Nord. Il est complètement dingue... Mais ça l'intriguait. Alors Sonera se dirigea vers lui. Ou elle ? Elle n'arrivait pas à distinguer avec sa vue de taupe dégénérée. Evidemment, cela lui donna une excuse pour ne pas marcher dans l'eau, juste sur le sable humide.
« Il fait pas trop froid dans la mer, comme ça ? » Et elle vit de qui il s'agissait en s'approchant légèrement plus. Merde... Soni venait de faire une petite boulette, et pas des moindres. C'était Emir qui se baignait. Emir, le garçon qui parlait peu. Emir, le garçon qui avait perdu son bras et le visage marqué par un incendie, celui qui ne ressentait rien. Comme Clove. À croire que c'était un trait de caractère typique des insensibles, le handicap social. Bon, elle n'avait rien à dire, communiquer avec les morts ne l'avait pas trop aidée non plus. Mais elle venait de lui demander s'il faisait froid... Il ne ressentait même pas le froid. « Désolée, j'avais pas vu que c'était toi, de loin... HIIII BORDEL DE... ! » Soni laissa sa phrase en suspens pour ne pas partir dans un chapelet de jurons en italien. L'eau venait de lui lécher les pieds et ses fines chevilles, c'était extrêmement froid... Elle fit un bond en arrière et regarda Emir avec un petit sourire gêné.
« Désolée, je te dérange peut-être... Je peux... Partir si tu veux ? » Au contact de ce genre de caractère, Soni reprenait le sien, celui d'avant Prismver. Quand elle était renfermée sur elle-même, qu'elle parlait peu et rêvait souvent. Et elle fit mine de partir. Parce qu'elle avait peur de déranger Emir. Non. Parce qu'elle avait trop peur de l'eau, et qu'elle était trop lâche pour tenter de la vaincre. Rien que d'imaginer se baigner là-dedans lui coupait le souffle. Comme quand elle regardait des documentaires à la télé, et qu'ils montraient des images sous l'océan.
« Il fait pas trop froid dans la mer, comme ça ? »
Il n'était pas sûr qu'on s'adresse à lui. Qui voudrait lui parler ? Mais cette voix lui semblait familière. Une petite fille, manifestement. Le turc n'eut donc aucune réaction, de nouveau plongé dans ses pensées. L'eau était-elle froide ? A en juger la réaction de la présence encore non-identifiée, oui. Mais Emir ne la sentait pas. Peut-être que son corps souffrait silencieusement ? Il n'en savait rien, il s'en fichait. Cette enveloppe charnelle incapable d'être ordinaire, cette peau qui faisait obstacle aux sensations humaines, il s'en serait passé avec plaisir. Mais se souvenir des douleurs qu'il évitait ainsi lui permettait de ne pas s'écorcher vif - et son intelligence aidait, probablement.
Certains le pensaient suicidaire, d'autres ne se posaient pas la question. Mais personne ne le comprenait vraiment. Il errait dans le monde comme une âme en peine, sa seule lumière hors d'accès. A cette simple réflexion, Emir poussa un soupir de lassitude, avant que la voix ne se manifeste une nouvelle fois, manifestement plus proche.
« Désolée, j'avais pas vu que c'était toi, de loin... HIIII BORDEL DE... ! » Le reste de la phrase échappa au jeune homme, l'italien n'étant pas sa langue de prédilection. Il arqua un sourcil et se retourna, l'eau ralentissant ses mouvements. Sonera Di Gregorio. Aka celle qui le frappait gentiment dès qu'il se disait inutile, celle qui n'arriverait peut-être jamais à lui en vouloir longtemps, celle qu'il appréciait sans le montrer. Alors c'était elle qui criait présentement sa haine contre trois gouttes de liquide glacial. Une ombre de sourire éclaira les lèvres du turc, mais qui disparut bien vite.
« Désolée, je te dérange peut-être... Je peux... Partir si tu veux ? » En temps normal, il n'aurait rien dit, il aurait laissé la personne partir. Mais Sonera pouvait être cette étincelle qui le guiderait dans le noir de l'insensibilité, juste pour un moment. Elle pourrait être la fée qui l'empêcherait de s'écraser tout de suite, qui le monterait un peu avant que le gouffre l'emporte. C'était peut-être cet infime espoir qui poussa Emir à parler.
« Non, tu peux rester. » Des paroles à peine soufflées, alors qu'il sortait complètement de l'eau. Il lui lança un petit regard, mais ses yeux se redirigèrent bien vite vers ses pieds, pas par timidité mais par impression de gêner, justement. Son but n'était pas d'intimider la petite chose en face de lui, mais de transformer cette étincelle en feu d'artifice. C'était certainement égoïste mais quand une bouée de sauvetage se présentait à nous, au milieu de l'océan, on ne la repoussait pas bêtement.
Mais voilà, Emir ne savait pas du tout quoi dire pour briser ce silence. Résultat des courses ? Lui avoir demandé de rester était inutile. Il ne désirait plus qu'une chose : aller voir son prince et le remettre sur le trône de son propre esprit. L'avait-il oublié ? Le turc n'en savait rien et ne voulait pas le savoir. Il ferma les yeux quelques instants, dissipant les doutes qui envahissaient son esprit trop meurtri.
Le silence perdurait, sans qu'il ne fasse rien pour faire retomber cette atmosphère probablement pesante. Emir était l'ami du calme ambiant, il y était habitué.
C'était vraiment horrible pour Soni de retomber dans ce qu'elle était avant. Parce qu'avec du recul, elle n'avait été que l'ombre d'elle-même tout ce temps. Enfin, elle n'avait pas vécu pleinement sa vie, avait passé son temps à jouer la peste un peu "hype" tout en restant à l'écart, "l'intouchable" qu'ils l'appelaient à l'époque. Et là, à s'éloigner ainsi de la ligne d'eau et d'Emir, la jeune fille avait l'impression de retourner un an en arrière, happée par un hameçon qui la tirait au niveau du nombril. Ou peut-être était-ce simplement sa peur panique de l'eau qui la repoussait, comme si l'eau et elle étaient les côtés négatifs de deux aimants. Oui, ce devait être ça. Soni l'intouchable était enterrée et morte. Maintenant c'était une Soni Pinkie Pie qui était née, le sens de la fête et le sixième sens en moins.
« Non, tu peux rester. »
Le souffle du jeune homme se serait presque mêlé au reflux des vagues. Le courant et la mer étaient mauvais ici, en mer du Nord, alors le bruit des vagues semblait toujours tout emporter au loin. Elle se vit un instant prise par l'eau et naufrager avec pour seul radeau sa peur vers des horizons inconnus, et cela lui coupa le souffle. Emir souhaitait qu'elle reste, donc... Sonera se retourna doucement. Elle savait qu'il était assez gêné en présence d'un humain, quel qu'il soit et même si elle tentait de lui rappeler qu'il en était un, qu'il valait quelque chose, elle préférait ne pas le brusquer.
Elle le détailla de la tête aux pieds pour finalement constater qu'il n'avait rien pour se sécher, alors qu'il était là, gouttant par terre comme un linge humide. Avec le vent du nord qui soufflait, le jeune homme risquait fort d'attraper froid, alors Sonera farfouilla dans son sac à dos rayé aux couleurs de l'arc-en-ciel et en attrapa une serviette noire à motif étoilé. C'était un objet fonctionnel, alors elle se fichait bien de la tête que ça avait, tant qu'il n'y eut pas une femme nue dessus et que que le tissu était efficace pour sécher. Elle s'approcha de lui à pas léger, en souriant et l'entoura de la serviette comme elle put.
« Ce qu'il y a de bien quand je te croise, Emir, c'est que j'ai pas l'impression de me retrouver avec un chêne ancestral. Et c'est très bien comme ça. Là... » fit-elle en arrangeant la serviette autour de ses épaules. « Je sais que tu sens pas le froid mais... Voilà. »
Ma conscience me dicte de prendre soin de toi. Si Soni le lui disait, le D risquait fort de lui dire que ça ne servirait à rien, qu'il pouvait bien avoir froid, ces choses du genre. Mais c'était naturel chez elle, le besoin de materner et faire sourire les gens, peut-être à cause de ses cons de parents. Ou grâce à eux, tout dépend le point de vue où on se plaçait. Emir avait quelque chose de fragile en lui, dans son regard, dans son caractère. L'Italienne ne connaissait pas vraiment son histoire, son passé, mais la brûlure sur son visage et son bras artificiel en disaient long sur lui. Et elle voulait le protéger pour ça, même s'il n'était pas d'accord. De toute façon, elle se fichait bien d'avoir son accord ou non.
Sans s'en rendre compte, la jeune fille s'était approchée de la mer et une vague vint lécher leurs pieds, les mordre de son froid polaire et Soni recula d'un pas en grognant, en attirant Emir vers son avant à lui, puisqu'elle tenait toujours les bouts de la serviette. Consciente qu'il devait sûrement être gêné ou se poser des questions sur ses agissements étranges, elle se dit qu'elle devait briser le silence, tout aussi agréable qu'il soit, qui régnait entre eux.
« Désolée, l'eau est... » Ma phobie, elle emporte mon souffle et me brise entre ses doigts glaciaux. « Très froide. » Mensonge. Mais Sonera ne pouvait décemment pas lui dire ce qu'elle ressentait en voyant toute cette masse couleur du plomb, prête à l'engloutir au moindre de ses faux pas. Le corps d'Emir cachait un peu l'étendue d'eau immense, empêchant le coeur de la jeune fille de vouloir s'échapper, mais à chaque fois que les vagues s'approchaient, elle se retenait de couiner, se contentant d'une grimace inquiète. Et le silence roi s'était réinstallé entre eux deux, seulement briser par le va-et-vient des rouleaux d'écume.
Emir ne disait rien, ses lèvres scellées par un semblant de timidité. Non, ses joues ne seraient pas devenues rouges, peu importe les circonstances. Ou alors il n'en aurait jamais rien su. Le regard inquisiteur de l'italienne sur son corps ne le gênait même pas, seuls ses yeux pouvaient lui prouver qu'elle le détaillait. Il se demanda subitement si son corps réagissait, mais cette question s'évanouit dans la nature quand une serviette fut posée sur sa carcasse insensible. Surpris, le turc n'eut même pas le temps de repousser Sonera qu'elle enroulait le bout de tissu doux autour de lui.
« Ce qu'il y a de bien quand je te croise, Emir, c'est que j'ai pas l'impression de me retrouver avec un chêne ancestral. Et c'est très bien comme ça. Là... Je sais que tu sens pas le froid mais... Voilà. » Infime sourire de sa part. Non, il ne sentait pas le froid. Le contact de la serviette n'éveillait rien non plus. C'était donc inutile et, en un sens, il se sentait plus mal qu'auparavant. A en juger l'aspect du chiffon, c'était d'une douceur incroyable. Or cette sensation lui échappait, à l'instar de toutes les autres.
Il ne connaissait pas si bien cette petite chose aux cheveux blancs, mais l'envie de se reposer sur quelqu'un titillait involontairement son esprit. Il avait tout simplement l'impression de perdre espoir, alors qu'au fond, une partie de son esprit s'était renfermée sur elle-même. La partie la plus joyeuse, les souvenirs les plus gais... Ceux avant qu'il ne prenne conscience de son don et précédant le départ d'Anshu. C'était incroyable, en y repensant l'égyptien hantait ses pensées après plusieurs années de solitude pure et dure.
Sonera grogna subitement, arrachant un sursaut à Emir. Il déglutit et voulut se séparer d'elle, gêné par leur proximité, mais elle le tira plus encore vers elle, lui coupant tout simplement le souffle. L'étincelle le séparait du gouffre, le remontait vers la surface. En un sens, il se sentait comme un rescapé d'une noyade infernale - même si le sauvetage n'était que temporaire et partiel, reprendre sa respiration faisait un bien fou.
« Désolée, l'eau est... Très froide. » Autant un être autre que lui se serait douté du mensonge, autant le turc la crut sur parole. Visiblement, le liquide n'était pas des plus agréables et, si lui n'y voyait aucun inconvénient, il était impoli que de laisser son interlocutrice subir les morsures glaciales à sa place. Pris d'un élan de responsabilité, il déchira le lien qu'entretenait ses mains pâles avec sa serviette et utilisa ses propres doigts pour la traîner loin de l'étendue bleue, préférant éviter que ses gémissements perdurent.
« Il fallait le dire directement au lieu de rester immobile. » Ses sourcils étaient légèrement froncés en signe de représailles, comme s'il lui en voulait d'avoir enduré tout ceci pour lui. Il serra les pans de la serviette autour de son corps, même si c'était inutile. Le geste de l'italienne suffisait à le réchauffer un minimum, et sa carcasse n'avait pas à tomber malade à cause de son inconscience. Autrement dit, Emir considérait que, si lui ne voulait pas attraper froid, alors il n'attraperait pas froid. Cette façon de pensée dénuée de maturité lui semblait si normale qu'il en était tout simplement convaincu. Reprenant une profonde inspiration, il s'osa à affronter le regard de la jeune fille.
« Tu veux euh.. Aller quelque part d'autre, peut-être ? » Malgré le fait que la compagnie humaine le gênait, le turc voulait faire un effort, pour la remercier d'avoir voulu le protéger. Certes il n'appréciait pas particulièrement être chouchouté ainsi, mais c'était la nature du geste qui lui importait. Pour prouver ses bonnes intentions, il risqua un sourire en sa direction, tout simplement.
Sonera collectionnait chacun des sourires d'Emir, car on ne collectionnait que les choses précieuses et rares après tout et c'était exactement cela dans la situation actuelle. Elle ignorait pourquoi il n'avait jamais l'air très enjoué - oh selon elle, il ne faisait pas non plus la gueule H24, juste qu'il était neutre - mais elle voulait voir son visage s'animer. De couleurs, de lumière... Parfois, sans aucune modestie, elle se comparait à un peintre qui tentait d'immortaliser une scène sur une toile, qui essayait de retranscrire la lumière et qui voulait la montrer aux autres. Mais les sourires du Turc étaient pour la plupart fugaces, alors il n'y avait qu'elle qui la voyait, cette étincelle. Puis quand ils avaient décidé de faire les enfants, ça s'enflammait un peu trop vite, et ils s'engueulaient comme du poisson pourri. Mais pas là. Là, ils étaient calmes et elle réussit à obtenir un sourire.
Emir sembla gêné lorsque Soni grogna, à cause de la froideur de l'eau mais surtout à cause de sa phobie. Il sembla la croire, Dieu merci... lorsqu'elle lui sortit l'excuse de la température. Ce n'est pas qu'elle n'avait pas confiance en lui pour lui avouer sa peur, juste qu'elle en avait honte. Surtout à cause de son origine... Alors qu'il se tenait à quelques centimètres d'elle, le jeune homme brisa le contact - enfin, si par contact vous entendez les mains de Sonera sur une serviette, évidemment - et la prit par la main, sous le regard ahuri de l'Italienne. Elle n'était pas vraiment gênée, plus surprise qu'autre chose en réalité. Elle le suivit, secrètement reconnaissante de l'emmener loin de cette chape de plomb liquide qui la faisait suffoquer d'un simple regard. Pas besoin de toucher l'eau, une simple caresse des yeux suffisait à la faire paniquer.
« Il fallait le dire directement au lieu de rester immobile. » « Huh ? »
La voix d'Emir la tira tellement de ses pensées qu'elle mit un bon moment avant de réaliser ce qu'il venait de dire. Elle se trouva bête d'être si lente à la détente mais ne se laissa pas démonter par l'air légèrement mécontent du garçon et tout en observant d'un air satisfait qu'il s'emmitouflait dans la serviette, elle répondit enfin.
« Ah oui, rester immobile... Non ça allait, vraiment ! » Ca puait le mensonge à plein nez, c'en était même presque écoeurant mais elle continua tout de même. « Merci quand même de m'avoir traînée loin de l'eau. Et euh... Du froid ! Haha ! ... »
Petit rire gêné. Personne ne devait apprendre sa phobie de l'eau sinon les rumeurs et les moqueries iraient bon train. Shu, les "scoop" et tout ça quoi... Et puis elle craignait la réaction d'Emir. Si ça se trouve, il ne dirait rien, absolument rien et se contenterait de hausser les épaules, comme parfois quand elle lui parlait, ou peut-être qu'il ferait son enfant, comme d'autres fois. Sonera reporta son regard perdu dans le vide sur le D, qui la regardait en face. C'en était presque étrange, surtout avec ses yeux à lui. L'un bleu clair, l'autre plus foncé. C'est à cause de sa marque au visage ? Elle n'osait pas lui demander.
« Tu veux euh.. Aller quelque part d'autre, peut-être ? » Par pur réflexe, ils s'étaient mis à marcher le long de la plage, tout en restant à bonne distance de l'estran, qui commençait à remonter. Est-ce qu'elle voulait aller autre part ? Tant qu'elle restait loin de l'eau, ça lui convenait, et malgré le ciel menaçant et le vent froid, elle était plutôt bien ici.
Et un battement de coeur raté. Un sourire de plus à mettre sur une toile mentale.
Soni le lui rendit, sincèrement et non par obligation et lui répondit.
« Hmm... Non, marcher sur le sable, c'est très bien aussi ! Tant qu'il ne commence pas à pleuvoir ou à y avoir de l'orage, je veux bien rester ici. »
La compagnie d'Emir n'était pas désagréable, bien au contraire. Sonera appréciait le rencontrer, même s'il ne parlait pas beaucoup et n'était pas vraiment à l'aise, mais cette aura qu'il dégageait, ce calme presque olympien, ça la ressourçait en quelque sorte. Comme maintenant. Aucun mort n'était en "vue" sur la plage, le bruit des vagues au loin sonnait comme une douce mélodie à ses oreilles malgré sa peur et le silence qui régnait entre eux n'était pas pour lui déplaire. Après la voix des morts, celles de ses camarades de classe, elle savourait le silence comme elle se délectait de religieuses au café.
« Dis-moi, je peux te poser une question ? Ou deux peut-être, tout dépend si je me laisse emporter par ma curiosité. » Petit pause soupir et sourire. « Pour tout dire, je me rends compte que je sais pas grand chose de toi, sinon que tu es Turc. Et ce que je suppose par-ci par-là. »
La petite demoiselle espérait qu'Emir ne se braquerait pas face à sa curiosité, parfois un peu trop dévorante, mais pour le coup, elle ferait attention à ce que ses paroles n'aillent pas plus vite que sa pensée, pour ne pas le vexer... Elle porta son regard sur ses pieds nus qui se mouvaient difficilement dans le sable, fascinée par le mouvement des petits grains entre ses orteils. Certes, un pied c'était moche, mais dans cette atmosphère paisible et presque reposante, le cycle perpétuel du sable était hypnotisant, presque doux.
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Sujet: Sonera ✘ breath. 
Lun 21 Avr 2014 - 11:55
