Courir toujours plus loin (PV : Drew)

ft : Drew

Le soleil déclinant menace de faire disparaître toute luminosité. Les derniers doigts de lumière diurne grattent la voûte céleste, saignant le ciel aux quatre veines. Laissent de longues traces rouges orangées derrière eux, preuves de leur ultime passage avant de céder face à la beauté froide de la lune. Il ne fait ni particulièrement chaud, ni particulièrement froid. C’est une chaleur intermédiaire comme tu les aimes, de celles qui permettent de rester dehors aussi longtemps que les muscles le supportent et de se livrer à toutes les activités que l’on veut. Cette paire d’heures bénies des dieux est celle que tu choisis invariablement pour t’entraîner, courir aussi loin que le périmètre de sécurité le permet et parfois le dépasser de quelques centimètres, par jeu, par esprit de contradiction, par rébellion à peine poussée. Tu es heureux, ces deux heures-là, les jambes pensant toutes seules, le cerveau se gorgeant d’oxygène à cette époque soutenu par un parfum floral et d’humus humide. Même la pluie semble joyeuse et clapote gaiement au rythme de tes foulées, te chuchotant d’indicibles encouragements. Oui, tu aimes particulièrement cette ambiance estivale annonçant le renouveau du Printemps, le Maître incontesté et incontestable de la Nature, le Père de la verdure et des animaux.

Tes nouvelles baskets couinent agréablement sur le lino des couloirs, bruit attestant de leur nouveauté. Tu as usé jusqu’à la moelle les anciennes, datant d’un peu plus de trois ans. Tu as eu de la chance d’arrêter de grandir des pieds depuis tes 16 ans, pouvant dès lors te permettre l’achat d’onéreuses chaussures de sport sans que ta mère y voient un gouffre financier. Tu apprécies à sa juste valeur le tissu brillant, les lacets encore blancs, les semelles dénuées d’une quelconque trace de boue. En rentrant ce soir, crevé mais satisfait, nul doute qu’il en sera autrement. Tu t’attends à les brosser amoureusement, satisfaisant ton toucher sur la douceur du revêtement waterproof et sur le caoutchouc du revers. Tu es un maniaque lorsqu’il s’agit de tes baskets et tu le revendiques haut et fort au besoin. Tu ne te permettrais pas de rater ne serait-ce qu’un tir à cause d’un matériel défaillant. Hors de question. Il n’y a qu’à voir ton regard en coin fusillant les lacets rongés jusqu’à la corde de tes coéquipiers pour comprendre à quel point l’entretient de ton équipement te tient à cœur.

Enfin le sol de dalles fait place au goudron de la route qui s’efface devant la suprématie du gravier, puis du gazon. Bientôt ce sont des herbes hautes qui t’entourent de toute part, caressant tes jambes à demi nues recouvertes d’un pantalon de sport taille trois-quarts. Tu t’enfonces paisiblement dans les bois bordant le parc, tes pas prenant petit à petit l’allure qui leur est coutumière.

Le silence des arbres, le chant du vent et celui plus doux du feuillage exacerbent ton ouïe, charmée. Ton souffle s’adapte à cette mélodie à la fois terrestre et aérienne que rien, sauf les oiseaux, ne troublent. Un véritable paradis sur terre. Ton Eden.

Le parcours a été maintes fois parcouru en tout sens et c’est à peine si tu ralentis ton allure afin de contourner rochers, souches mortes et autres obstacles sylvestres. Toute ta concentration va dans la plante de tes pieds, remonte le long de tes cuisses, serpente sur ton ventre, s’imprègne de tes poumons se soulevant délicatement avant de s’épanouir sous ta bouche exhalant de petits nuages éphémères. Tu es comme un poisson dans l’eau, t’adaptant parfaitement à ton habitat naturel.

Soudainement, tu tiques, perdant une nanoseconde ton souffle. Ton pied droit se fait incertain, à peine un millimètre, alors que tes oreilles captent un bruit inédit : celui d’une respiration tout près, peut-être juste derrière toi ou cachée à ta droite. Tu préfères ne pas activer ton pouvoir pour ne pas dépenser inutilement ton énergie et te focalises davantage sur ta course, gardant tout de même une parcelle de ton esprit pour cibler cette présence dérangeante.