Et si je m'incrustais ?

Tartiflette s'amusait bruyamment dans un coin du bureau, au 5ème étage, alors qu'il jouait avec les mignonnes peluches que Ruthel lui avait offert. Il faisait tant de bruit qu'il empêchait le directeur de regarder les Super Nanas sur son bel écran plat. Or, les Super Nanas était un de ses dessins animés préférés, avec les Mystérieuses Cités d'Or, dont il connaissait le générique par coeur et le chantait souvent à tue-tête dans les couloirs, ainsi que Bob l'Eponge. Il rêvait d'aller chasser les méduses avec un petit filet à papillons parfois. Ca serait sûrement moins ennuyeux que de rester là et faire tout un tas de paperasses.

En pensant à cela, l'homme blond jeta un œil blasé vers la pile d'arbres en fine tranche qui attendant sur son bureau et soupira, comme un mort pousse son dernier râle d'agonie. Parce que c'est un peu ce qu'il était : mort. S'il ne faisait pas tout ça, la CPE allait lui secouer les puces, s'il le faisait, il aurait le cerveau tellement éteint qu'on pourrait l'interner pour cause de légumisation intensive. Il décida de mêler l'utile à l'agréable : Ruthel irait dans une classe au hasard, quelques bout de papier à signer et lire sous le bras, et y travaillerait tout en embêtant le prof qui donnait court.

Ce qu'il fit donc rapidement, éteignant sa télévision. La première salle de classe sur laquelle il tomba en descendant d'un étage fut celle des 7B. Bon, bon, bon, ce n'est pas un mauvais hasard ! J'aurais pu tomber chez les A hihihi ! Il ne prit même pas la peine de toquer à la porte et rentra en trombe dans la classe, laissant la professeure qui donnait son cours interdite, l'espace d'un instant.

« Coucouuu les jeunes ! Comment allez-vous ? Enfin, ne me répondez pas, écoutez donc cette délicieuse demoiselle qui vous donne une leçon de... Leçon. »

Ruthel balaya ses propres paroles d'un geste de la main en rigolant tout seul comme un gamin bienheureux, ce qu'il était dans sa tête. Il repéra la petite Selphie, placée dans le fond de la classe pour des raisons d'accessibilité pour elle et son fauteuil roulant. À côté d'elle, il y avait une table et une chaise libre. Tiens, un élève absent ? Je demanderai de qui il s'agit plus tard ! C'est très très mal de sécher ! Il s'installa, chaussa ses petites lunettes pour y voir plus clair - en fait, ce n'était que pour le style car ses yeux se portaient très bien - et se retourna vers elle.

Malgré son handicap, il trouvait qu'elle avait beaucoup de courage, à sourire ainsi. Ruthel souriait parce qu'il aimait les gens et pour cacher sa solitude, elle souriait pour contrer son fauteuil roulant. Il avait beau être plus âgé, cette petite n'en était pas moins plus forte que lui, moins lâche aussi. L'homme avança ses doigts fins vers sa joue et la lui tira doucement en souriant, oubliant pour un instant ce qu'il était venu faire ici.

« Alors dis-moi, ma petite Selphie, il est intéressant ce cours ? Tu apprends bien tes leçons ? »

En écoutant la professeure d'une oreille distraite, Ruthel comprit qu'il avait atterri dans le cours de littérature. Oh, il aurait préféré histoire des arts... Mais c'était un art aussi, la littérature, après tout. Certains auteurs avaient le pouvoir de tenir le directeur en haleine pendant un temps incroyablement long, pendant lequel les gens pourraient presque le voir sérieux, concentré et calme. C'était d'ailleurs un des rares moments où il était comme ça... La petite voix de Selphie le tira de la leçon donnée et il sourit à son assertion.

« En effet, tu ne serais pas en classe B... Mais tu sais, certains élèves sont en A ou en B grâce à leur don, pas leur talent. Ca fait de toi un être remarquable hihi. »

Certes, Ruru donnait des compliments comme il donnait des cookies mais parfois, ça lui arrivait de les penser et pour le coup, il était sincère. Certains des élèves du pensionnat étaient nés avec Wikipédia dans la tête ou avaient la science infuse, ils n'avaient pas vraiment de mérite d'être là. Alors que certains travaillaient dur pour se maintenir. Il eut une pensée pour Jim Reed. On lui avait appris que son don avait changé, à cause d'un élève inconnu dont le don était de... Changer le pouvoir des autres. Pauvre Jim qui maîtrisait ses probabilités à la perfection, auparavant.

« Vous en revanche, vous semblez avoir du mal avec vos devoirs ! »

La voix de la jeune fille le tira de ses réflexions pour le moins amères et vilaines, pour le genre de personne qu'il était et il ne put s'empêcher de soupirer en regardant les quelques dossiers qu'il avait emmené. Le front de Ruthel tomba lentement contre la table et l'homme se mit à rire doucement.

« En effet, j'ai un peu de mal. Je devrais lire les notes qu'on m'écrit, signer des contrats et des factures et pourtant, je suis incapable de me concentrer. Surtout dans mon bureau, avec Tartiflette qui est en train de faire des bêtises avec ses jouets. »

Ruthel prit un dossier au hasard - celui qui semblait très fin, beau hasard - et l'ouvrit. D'accord, c'était un rapport d'un de ses "espions" traqueurs qui parcouraient le monde à la recherche de monomagéia. Donc c'était intéressant. Il laissa Selphie écouter son cours quelques instants et se concentra sur le contenu de la lettre. C'était son envoyé spécial en Amérique du Sud, qui avait constaté quelques petits débordements dans certaines villes. Quand il eut fini de lire, il s'écria, heureux comme un enfant le jour de Noël « Parfait parfaiiiit tout ça ! »

Tous les regards se tournèrent vers lui et il tenta de se faire tout petit sur sa chaise, malgré son mètre quatre-vingt-quinze. Il fit signe à la prof de recommencer à parler et se racla la gorge discrètement en souriant d'un air abruti. Oui, c'était un enfant naïf et gêné ce petit Ruthel...