rawrrr •• soni'

La vache il va me claquer entre les pattes il est malade keskispasse ? Voilà ce qui était passé par la tête de Soni quand elle avait vu Léo débarquer devant sa salle de classe. Il était fier le Remington, il venait jamais la chercher, alors qu'est-ce qu'il avait ? Il voulait se prendre la tête, encore ? Ouais, ça devait être ça, comme bien souvent en fait. C'était presque devenu leur sport favori, se gueuler dessus. Enfin généralement, elle arrivait à garder son self-control, il faisait "level up" sa patience, elle gagnait des points de calme à chaque niveau passé avec lui. Mais ça n'avait pas empêché Sonera de lui sourire quand elle l'avait vu, tant pis si c'était pour que ce trait mince disparaisse plus tard dans l'après-midi.

Elle aurait préféré dormir, mais Soni accepta quand même de rentrer aux dortoirs avec Léocade. Si au moins ça pouvait lui passer un peu sa mauvaise humeur, ça serait cool. Pas un mot entre eux. De toute façon, si l'un des deux avait ouvert la bouche, ça aurait risqué de péter devant tout le monde. Or, l'Italienne tenait à son image de gentille petite poupée, même si elle en était loin au final. Une fois dans la cabane de Léo, il lui annonça simplement qu'il n'y avait personne et qu'elle pouvait rester. Enfin "squatter". Bon bah dans ce cas, je vais squatter, pour le meilleur comme pour le pire. Surtout pour le pire m'enfin.

Sonera jeta son sac à terre à côté du canapé, croisant les doigts pour que sa 3DS ne soit pas cassée dans son magnifique lancer olympique et observa Léo partir dans la salle de bains et s'y enfermer. Parti se calmer, se mater dans le miroir pendant sa déchéance, plus que certainement. Elle s'allongea sur le canapé en position fœtale en ayant enlevé sa veste d'uniforme moche, dévoilant ainsi son corsage blanc. C'était pas vraiment confortable en étant allongée mais elle s'en fichait un peu, elle se préparait à ce qui risquait probablement de suivre.

Pendant les minutes qui suivirent, Soni guetta un bruit, un sanglot, n'importe quoi qui aurait pu lui indiquer ce que faisait Léocade dans sa salle de bains. Ce type était tout ce qu'il y avait de plus irritant quand il décidait de faire sa tête de con mais mine de rien, elle s'inquiétait pour lui, c'était plus fort qu'elle. Mais ça, elle ne lui dirait pas. Pas folle la guêpe, elle connaissait son ego et elle ne voulait pas le faire gonfler un peu plus.

Puis le loquet de la salle de bains fut déverrouillé. Il sortit enfin. Pas trop tôt, j'ai failli m'empaffer. Et comment... Soni manquait encore cruellement de sommeil, les cernes sous ses yeux en témoignaient, ce qui la rendait passablement nerveuse et réceptive à toutes sortes d'émotions. Elle ne se releva même pas pour le regarder et le vit s'affaler sur le canapé du coin de l'oeil. Allez, brise le silence, vous allez pas rester comme des cons à vous regarder en chien de faïence là ! Et pourtant, ça aurait peut-être mieux valu. Et pour lui parler de quoi ? Des morts ? Johanna ? Des cours ? Soit c'était un sujet chiant, soit un sensible.

« Tu t'sens mieux ? T'as besoin de parler ? »

Question banale, mais c'était mieux que rien. Son ton était neutre et ne laissait pas transparaître son inquiétude, normalement. Soni n'était pas vraiment douée pour cacher ce qu'elle ressentait mais là, elle jugea que ça sonnait bien. Son petit coeur battait plus que de raison dans son coffre rouge et chaud, parce qu'elle savait, elle se doutait que ça ne se passerait pas bien. Sauf si Léocade s'était vraiment calmé, mais ça, c'était comme croire au Père Noël. Tu passes un temps où tu t'émerveilles, tu te dis que c'est la plus belle chose qui soit et finalement tu te rends compte que c'était que des conneries. C'était ça, ce qu'elle vivait avec le A. Mais Sonera continuait de croire qu'il avait un coeur, ce gamin trop fier. Elle voulait le croire.

Alors elle se releva et s'assit en tailleur en travers du canapé, pour pouvoir l'observer, le couver de son regard bleu - oubli de lentilles rouges ce matin-là.

Quelle connerie de lui avoir demander s'il voulait parler. Pourquoi Léocade Remington, brillant élève en A, aurait-il besoin de parler après tout ? Soni se demandait vraiment comment elle faisait pour le supporter, à force, elle qui était pourtant si hargneuse quand on la titillait un peu trop. Le soupir du jeune homme lui en dit long sur son état. Surtout, le prendre avec des pincettes. C'était plus facile à dire qu'à faire avec Léo. Son petit rictus donne des envies de meurtre à Sonera, mais elle se retient, elle continue de l'observer, encore et toujours. Envie de meurtre ou juste envie de lui balancer dans la face une ou deux vérités.

« - Tu t'prends pour ma psy ?
- Nan pour ta mère. » Ca sort tout seul, du tac au tac.

C'est au tour de Soni de sourire en coin. Pas le mignon amusé, plus le mauvais amusé. Brillante idée de lui demander s'il veut parler. Jamais il n'avouerait qu'il voulait parler, elle le savait bien. Ou alors il fallait qu'il soit drogué et bourré, sous la torture, peut-être que là, il supplierait de parler. Bien sûr qu'elle voulait se prendre pour sa psy, lui demander des honoraires exorbitants à chaque fois, l'entendre geindre sur ses problèmes avec sa soeur, avec Johanna, avec lui-même. Haha, quelle grosse blague. Ce mec était une blague sur pattes, mais Sonera l'appréciait, grâce à un miracle de la Nature. Les morts ça crée des liens forts, il faut croire.

« J'ai pas le courage pour être ta psy, je risquerai de t'envoyer dans la mer du Nord avec un rocher au pied. »

Elle siffle entre ses dents en l'observant, alors qu'il se relève. Les yeux bruns de l'Italienne ne sont plus les abysses rêveuses habituelles, ils sont aux aguets, ils sondent Léo. Frappera, frappera pas ? S'énervera, s'énervera pas ? Elle l'apprécie pour ça en partie, parce qu'il est insaisissable, elle ne s'ennuie jamais avec lui. Elle le fixe directement dans les yeux, soutient son regard dans une sorte de combat mental. Lequel des deux n'aurait plus de patience ? Lui, si fier, si gâté, Remington ? Ou bien Soni, si tolérante et pourtant si hargneuse ? C'est là que son lit lui manque déjà.

« Alors vas y, qu’est-ce que tu me diagnostiques ? C’est quoi qui cloche chez moi ? »

Tu tends le bâton pour qu'on te frappe Remington, t'as l'air d'aimer ça, sale masochiste. Le sourire de Sonera s'étend sur son visage, ligne fine et mauvaise comme une vieille cicatrice. Léo préparait son propre bûcher sans en avoir conscience. Ou peut-être que si, peut-être qu'il aimait vraiment se faire engueuler. Ce qui clochait chez lui ? Etait-ce de la colère ? De la haine envers les autres, ou même envers lui-même ? Elle n'en savait rien, il fallait juste qu'il s'exorcise, quitte à ce que ce soit elle qui prenne. On est maso à deux, mon chou. Elle s'approcha du visage pâle du jeune homme, à tel point que leur nez se touchaient presque et elle souffla sur les braises pour allumer le feu qui brûlait en lui.

« Toi. Ta putain de carapace. Le doux cauchemar que tu envoies à chacun. C'est qu'un cauchemar hein. Un jour on finira par se réveiller, quelqu'un ici, qui verra Léocade Remington sous son plus beau jour. Le vrai. »

Et je veux que ce soit moi. Tout était dit dans un murmure, les yeux dans les yeux, avec la puissance d'une déclaration d'amour à mi-mots. Sauf que c'était loin d'être ce sentiment. Sonera ne détestait pas Léo, au contraire, juste que ça ne s'appelait pas de l'amour, ce qu'ils vivaient. Amitié vache, très vache plutôt. Et ça recommençait à les prendre à la gorge. Elle creusait doucement l'armure du A, par égoïsme, intérêt, amitié, appelez donc ça comme vous voudrez, parce qu'elle voulait voir s'il avait un coeur. Comme un scientifique qui disséquerait une espèce inconnue. Avec un sourire impudent, l'Italienne vint passer doucement son pouce sur la mâchoire de Léo.

« La consultation est gratuite, je suis dans un bon jour. »

Faux. Mais il ne le savait pas. Jouons avec le feu, brûlons-nous.

Peut-être que Soni abuse en sortant tout ça à Léo, peut-être que c'est méchant et ça la tracasse un peu dans le fond, dans son petit coeur tout mou. Juste un peu, parce qu'il le cherche bien aussi, il semble presque vouloir qu'on le frappe, qu'on le secoue un peu. Il sème le vent et il récolte la tempête. Et cet ouragan qui se prépare s'appelle Sonera, il fait à peu près 1,45m à deux ou trois centimètres près et il se fout des conséquences sur l'instant.

Ca ne lui plaît pas qu'elle le touche, à Remington. Tant pis. Au point où ils en sont, Soni s'en contrefout totalement, de ce qui lui plaît ou pas, il faut juste qu'il apprenne à fermer sa gueule. Elle commence à sentir la colère lui griffer les entrailles et elle aime pas vraiment ça, mais encore une fois, tant pis. Parce qu'il n'aura que ce qu'il mérite, ce gosse trop gâté.

« Et donc toi tu crois être la seule parfaitement éveillée ? »

Il n'a apparemment pas compris. À son tour, elle lâche un rire bref, comme un mauvais soupir et s'adosse au canapé.

« - Nan, j'ai pas la prétention d'affirmer ça. La preuve, je suis en train de cauchemarder.
- T’es pas la première à me déblatérer ce genre de discours. J’sais pas ce qui m’a prit de te poser cette question stupide. »

Soni soupire en se massant l'aile du nez. Elle n'allait pas rouvrir sa gueule là-dessus, Léo savait déjà ce qu'elle en pensait. Il avait besoin de parler, le problème c'est que sa carapace de merde l'empêchait de s'ouvrir aux autres et il refusait obstinément de faire tomber le masque qu'il posait sur sa petite gueule faussement angélique, faussement sarcastique, faussement tout... Un petit sourire presque satisfait naît sur les lèvres fines et rouges de Chanel de l'Italienne. Il fume, il est sur les nerfs et elle, elle jubile. C'en est presque maladif ce jeu, et pour l'instant, c'est elle qui mène la danse, ça lui plaît. Pour l'emmerder, Sonera a presque envie de lui piquer la clope du bec et en tirer une bouffée, mais elle n'aime pas le goût de la cigarette. Alors elle se contente de le fixer.

«C’est pas une thérapie avec une petite salope trop arrogante pour se rendre compte qu’elle se plante qui va me bouleverser, hein. »

Petite pointe de colère qui vient lui couper la respiration l'espace d'un instant. Juste une petite et à nouveau son sourire en coin qui revient fleurir sur son visage de poupée. Il pensait vraiment l'atteindre avec des vulgarités pareilles ? En fait ouais, c'était bien le cas, parce que Soni, elle est susceptible mais là, elle se doute qu'il fait ça pour ne plus parler de lui, pour sauver encore son masque pendant quelques temps encore. Elle inspire profondément mais discrètement.

« Parce que tu penses que je veux être ta thérapeute, mon chou ? » Ouais, c'est le cas, mais ça, tu sauras jamais. « Et en quoi la petite salope trop persévérante que je suis se plante ? » Keep calm and don't insult him. « Je me trompe sur le fait que t'es qu'un petit abruti trop gâté, immature et qui veut faire croire à tout le monde qu'il est un bel enculé ? Oooh mais tu sais, tu en es un. Ingrat avec ça, si c'est pas mignon. » Raté.

Sonera se repenche vers lui et lui tapote la joue, avant de retourner à sa position avachie. Que le spectacle commence, les lions sont lâchés. Ils se jaugent et se sautent à la gorge tour à tour, verbalement pour l'instant. Elle croise les doigts pour ne pas en venir aux mains, parce qu'elle sait qu'elle n'aura aucune chance. Son rythme cardiaque s'accélère encore un peu alors que son esprit est aux aguets, prêt à répondre "calmement" à tout ce que Léocade pourra sortir. Sauf que dans le fond, Soni est déjà blessée. Même pas par lui, juste parce qu'elle lui a sorti ça. Mais aucune excuse ne franchira le seuil de ses lèvres. Pour le moment, du moins.

Pourquoi est-ce que Léo se comporte comme ça ? Pourquoi c'est une tête de con ? Pourquoi... Pourquoi Léo en fait ? Soni se le demande bien. Parce que ce gars, c'est quand même une sacrée entité, un monument érigé en l'honneur de l'hypocrisie et du fake total. Ca commence à la fatiguer, tout ça et elle pensait avoir les nerfs pour supporter ça. Sauf qu'apparemment, ce n'est pas le cas. Sa patience se fissure petit à petit et elle ignore ce qu'elle fera l'instant d'après. Même la seconde qui suit, l'Italienne ne sait pas comme elle réagira. Tout dépend de sa propre résistance et du foutage de gueule de Léocade.

Quand elle approche sa main de sa joue, elle est tentée de la lui griffer jusqu'au sang. Peut-être qu'en-dessous, il y a le vrai Léo ? Peut-être qu'il porte seulement un masque, après tout. Dans sa tête, Soni se voit lui arracher son masque de peau sauf qu'en réalité, ça se passera pas comme ça. Elle le sait. Elle a beau monter sur ses grands chevaux et faire la grande gueule, elle a pas les couilles. Ou elle les aura, et ça finira qu'elle se bouffera les doigts à cause du regret. Et Léo continuera de sourire comme un con parce que tout ça c'était qu'un jeu. Ca tourne dans la tête de la blonde, ça tourne un peu trop et elle croit devenir folle.

▬ Plutôt sympa comme portrait, on est d’accord.
▬ Je trouve aussi.

C'est simple, froid et efficace. Ces trois mots lui ont juste arraché la bouche. Sonera se recule jusqu'au bras du canapé, le plus loin possible de Léo. Sa fumée pue, elle lui irrite les yeux, au même titre que sa présence. Ce qu'elle veut, c'est juste dormir et le moelleux du canapé l'appelle, alors qu'elle arrive à se détendre très légèrement, la tête contre le coussin. Son regard océan est fixé sur Léo. Qu'est-ce qu'il va lui sortir après ? Qu'elle est conne ? Que ça sert à rien de demander, elle aura jamais rien ? Elle le sait déjà tout ça, mais elle s'entête. Elle veut juste dormir... Tout ça, ça se balance trop dans sa tête, comme un vaisseau qui tangue trop au gré de la mer en furie.

▬ Mettons que t’as raison sur toute la ligne. Ça change quoi ?

C'est vrai ça, qu'est-ce que ça changeait, que Léo soit un petit enculé, un gosse de riche ingrat ? Est-ce qu'il l'était vraiment ? Ou est-ce que c'était seulement "pour le public". Parce qu'il était comme une star, il entretenait son image, il y tenait le petit Léo. C'était s'abaisser au niveau de la plèbe que de se dévoiler, c'était trop salissant. Oui c'était ça. Ca devait être salissant de se retrouver entaché par la vérité. Alors qu'est-ce que ça changeait ?

▬ Elle est conne ta question. Trop ouverte. Alors je vais te répondre précisément. Pour moi, ça changerait rien. J'me fous de qui tu es ou qui tu prétends être. Je reste pas avec toi pour ton apparence de sale gosse. En fait j'sais même pas pourquoi je reste avec toi, c'est con hein ? Mais je reste. Tu me divertis. Pour toi non plus au final ça change pas, puisque je te décris celui que tu montres.

Soni se lève du canapé, n'ayant pas spécialement envie de rester le cul vissé au canapé, surtout à côté de Léo. Elle n'est pas dégoûtée de lui, ne le déteste pas non plus parce qu'après tout, elle n'est pas étrangère à ce qui est en train de se passer, avec son entêtement à la con. Elle marche sans but dans la pièce, se fichant bien de regarder autour d'elle pour admirer le décor. Elle se met à rire, un brin hystérique et darde ses pupilles sur le mec blasé qui fume sa clope, posey dans l'canapey.

▬ J'crois que je devrais arrêter au Père Noël. Tu changeras jamais. T'as trop bien endossé ton rôle, Léo. T'as fini par devenir aussi faux que celui que tu prétends être... Petite pause réflexion. Bordel c'est débile ce que je dis. C'que ça change ? Parle pas de changement, tu veux bien ? Ca te va pas. Des fois j'ai l'impression que tu tends le bâton pour qu'on te frappe avec. T'es trop compliqué comme mec, je sais même pas pourquoi je me prends la tête avec toi sérieux !

Et voilà. Les nerfs de Soni lâchaient. Le ton était monté d'un cran, l'hystérie un peu aussi et elle commençait à être illogique. L'énervement à l'italienne dans toute sa splendeur. Tous ces petits gestes qui trahissent ses origines et sa colère sont là. Encore un peu et elle pourrait voir le sourire triomphant de Léo. Elle savait qu'il aimait ça, jouer avec les gens. Manipulateur. Encore un peu et elle serait capable de lui sauter à la gorge sans vergogne et le frapper avec ses minces forces. Ce qu'il adviendra ensuite ? Sonera est incapable de le prévoir, parce que ses pensées ne sont plus vraiment cohérentes.

Si. Elle sait ce qui va se passer. La porte passe dans son champ de vision. C'est une bonne solution. Non, pas envoyer la porte dans la gueule de Léocade, même si ça aurait pu. Elle prit son sac, se retenant tant bien que mal de le frapper. À quoi bon ? Mais sa raison s'est fait la malle quelques minutes plus tôt. Son regard océan se pose sur celui de jeune homme et prise d'une pulsion, elle saisit son menton entre ses doigts fins et s'approche de son visage. Nez contre nez, leur souffle se mêle et elle observe chaque trait de son visage. Il est beau Léo mine de rien, mais c'est pas ça qu'elle voulait faire. Soni réduit encore la distance entre eux et plutôt que de l'embrasser, lui mord la lèvre rageusement et se barre, sans demander son reste.

La porte claque derrière elle, à la place de sa main qui aurait pu gifler la joue de Léocade. À la place, un goût de sang lui roule sur la langue et se mélange à sa salive. Le sang de Léo. Elle s'essuie la bouche et sans même se retourner, file se réfugier sous sa couette, l'ordi sur les jambes, à mater Death Note pour passer le temps et sa colère.