breakfast and confidences

La nuit a été longue. Tellement longue. Agitée aussi. Tu n'as pas beaucoup fermé l'oeil de la nuit, revoyant la scène dans ta tête à chaque fois que tu fermais les yeux. Tu te mets vraiment dans tous tes états pour pas grand chose ma pauvre. Qu'est-ce que ça sera le jour où quelqu'un viendra te dire qu'il t'aime. C'est donc la tête dans le brouillard, au radar, que tu quittes la chaleur de ton lit. Tu bailles à t'en décrocher la mâchoire et tu sors de ta chambre. Le calme règne. Tu n'as même pas entendu les autres rentrer. L'ont-ils seulement fait ?

Les cheveux dans un état chaotique -encore plus que d'habitude j'entends- tu ne prends même pas la peine de chercher à y mettre un peu d'ordre quand tu pars à la salle de bain. Coup d'oeil dans le miroir. Quelle tronche. On voit que t'as mal dormi. Et on voit que tes yeux sont bouffis. T'as vraiment la tronche d'une nana qui vient de se faire jeter en beauté. Ce qui est naturellement loin de la vérité. Tout ça pour un simple baiser. Pauvre petite chose que tu es.

Tu quittes la salle de bain après avoir aspergée ton visage d'eau fraîche, et tu rejoins la cuisine. Personne. De toute façon, c'est presque assez rare pour toi de croiser quelqu'un le matin. Soit t'es la première, soit la dernière. Les extrêmes, toujours. Tu te diriges vers le frigo, en sortant les différents aliments nécessaires à l'élaboration du petit déjeuner. Crème de marrons, oeufs, bacon et jus de fruits. Tu poses le tout sur la table, te hissant ensuite sur la pointe des pieds pour attraper un verre et une tasse. Tu mets en marche la cafetière avant de prendre une poêle, la posant sur le gaz. Un petit déjeuner copieux pensez-vous ? Non non. Juste que les cuisiniers se font rare dans ce bungalow. Heath étant le plus difficile en matière de petit déjeuner, tu préfères éviter qu'une odeur atroce parfume les lieux parce qu'il aura pas été foutu de se faire cuire ses oeufs et son bacon. La tête dans le cul ça pardonne pas le matin.

Te voilà donc en train de faire cuire les tranches de bacon dans la poêle, fenêtre entrouverte. Les tranches de bacon sont rapidement prêtes si bien que tu casses les oeufs par dessus qui frétillent instantanément. Tu bailles une nouvelle fois avant d'arrêter le gaz et de verser le contenu de la poêle dans une assiette que tu déposes sur la table. Tu entends du bruit, sûrement Heath. Et comme à chaque fois que tu lui prépares le petit déjeuner, tu poses la grande salière à côté de l'assiette. Pour l'emmerder.

Tu prends donc place de ton côté, ton verre de jus de fruits à portée de main. Une brioche entamée trône sur la table tandis que, déjà, tu étales ta crème de marrons sur une tranche épaisse de cette viennoiserie. Une jambe ramenée contre ta poitrine, l'autre posée au sol, tu ne lèves même pas la tête quand Heath débarque. La relation est presque plus tendue qu'avant, même si aucune dispute n'a éclaté depuis un petit moment. Et surtout, parce que la veille fut étrange.

« Bonjour. » Tu désignes la cafetière sans relever la tête vers lui. « Le café est prêt, t'as plus qu'à te servir. »

T'aurais pu agrémenter le tout d'un "sans en foutre partout, porcinet". Mais non. C'est franchement pas le moment d'envenimer les choses. Déjà que ça risque d'être le jeu du chat et de la souris avec Artus, ne va pas non plus plomber l'ambiance du bungalow. Tu prends sur toi, respectant le fait qu'Heath ne veuille visiblement plus aucun contact avec toi. C'est peut-être mieux ainsi. Peut-être a-t-il réalisé que t'étais finalement qu'une gamine pitoyable et revêche.

Le petit rituel matinal de Heath ; téléphone en main et torse poil. On change pas les bonnes habitudes. C'est loin de te déranger. En Amérique, les mâles sont bien plus souvent torses nus qu'autre chose. C'est donc chose habituelle pour toi. Même si, par respect, tu n'iras jamais regarder son torse avec insistance. Ni même lui demander d'enfiler quelque chose. Il fait ce qu'il veut et t'es pas sa mère.

L'ambiance est encore quelque peu tendue, tu le sens bien. Inutile donc d'engager une quelconque conversation qui, d'un moment à l'autre, pourrait vite dégénérer. Et t'as pas besoin de ça. Tu es calmée depuis la veille, même si tu en restes encore quelque peu ébranlée. Mais tu as repris du poil de la bête. Du moins... suffisamment pour ne rien laisser paraître sur ton visage encore un peu endormi.

Heath te remercie pour le déjeuner et le café puis va s'installer à sa place attitrée. Tu ne dis toujours rien, levant enfin le nez pour regarder par la fenêtre. Il fait beau malgré quelques timides rayons de soleil. Tu attrapes la petite cuillère en bois de ton pot de crème de marrons, l'enfournant dans ta bouche avant de le refermer. Si Heath a son petit rituel de geek décontracté, toi aussi tu as le tien. A savoir que tu utilises toujours des cuillères en bois pour la crème de marrons. Et pour cuisiner aussi accessoirement. Mais c'est une autre histoire. Tu attrapes ton verre de jus de fruits pour le finir, portant le récipient à tes lèvres.

« Alors tu sors avec Artus y paraît ? Shu a été gentille, crois-moi, t’aurais pu déguster. »

Tu recraches ton jus de fruits sur ce malheureux torse découvert -la faute à pas de chance- avant de tousser, cognant ton buste de ton poing fermé. Tu lèves la tête vers Heath, sourcils froncés, désabusée. Il aurait lu dans tes pensées cet espèce de fouineur ? Non. Il a évoqué Shu. Elle aurait lancé une rumeur sur toi ? Quelle espèce de sale gamine. Oeillade vers son torse. L'assiette a été épargnée par un hasardeux miracle. Tu te lèves, attrapant le rouleau d'essuie-tout, le posant près de lui.

« Désolée. »

Tu marques une pause, le regard ailleurs, agacée qu'une gamine écervelée t'affiche de la sorte. Toi qui a horreur d'être le centre d'attention d'une quelconque personne. Toi qui aime la discrétion. Maudite Shu. Tu pousses un soupire, te massant les tempes.

« Je ne sors pas avec lui. Tu devrais arrêter d'accorder autant de crédit aux racontars d'une enfant psychologiquement dérangée. »

Alors pourquoi ressens-tu le besoin de te justifier ? Tu le réalises un peu trop tard et émets un grognement avant de te lever, débarrassant tes couverts. Appuyée contre l'évier, tu regardes par la fenêtre, te mordant la lèvre inférieure. Tu fais volte-face, appuyant tes reins contre l'évier, mains sur le rebord de ce dernier. Ton regard se pose finalement sur lui.

« Tu t'es senti obligé d'évoquer le sujet ? Ou t'aimes juste remuer le couteau dans la plaie ? T'es vraiment... »

Tu ne termines pas ta phrase, poussant un profond soupir avant de t'éloigner, allant t'installer dans le canapé. Malheureusement pour toi, la configuration des bungalows veut qu'il n'y ait aucun mur séparant la cuisine du salon. Tu attrapes un coussin que tu loges contre ton ventre, puis tu ramènes tes jambes contre ce dernier, tes bras entourant tes genoux. Pourquoi Heath a-t-il soulevé le sujet ? Il sait pourtant que la veille était loin d'être idyllique. D'autant plus qu'il a carrément rejeter tout contact avec toi. Le réconfort, il doit pas connaître. Ou alors vous vous êtes tellement pris le bec qu'il te déteste amicalement.

« Et si tu veux des détails, tu les demanderas à Shu. Puisqu'elle sait tout mieux que tout le monde, et que tu crois toutes les conneries qu'elle raconte. »

Dire que tu ne voulais pas aggraver votre relation. C'est foutu. Il ne veut plus de contact, tu l'engueules. Paix et amour les enfants hein. Vie de merde.

Tu ne comprends pas sa réaction. Comme si t'aurais sauter de joie pour un truc pareil. T'as toujours été discrète, alors que tu te trouves quelqu'un ne changera pas qui tu es. Enfin, c'est pas non plus comme si quelqu'un était en mesure de te supporter non plus. Tu finiras probablement seule, enterrée dans une bicoque de bois au fin fond de la forêt, entourée des bêtes probablement aussi sauvages que toi. Et il sait tout ça. Il sait que t'es farouche, que tu supportes pas les contacts physiques. Alors pourquoi diable a-t-il pensé à un seul instant que tu rirais d'un truc pareil ? Quel abruti.

Le voilà parti dans sa chambre. Pas pour longtemps, tu l'entends déjà revenir. Merde. C'est vrai, t'as caressé l'espoir de pouvoir aller t'enfermer toi aussi dans ta chambre. Mais non. Tu serres tes jambes contre toi, fermant les yeux. Pourquoi Lys n'est-il jamais là quand tu en as le plus besoin. Tu te mords la lèvre avant de détourner la tête lorsque Heath revient avec ses cigarettes. Encore une fois, t'es loin d'apprécier la fumée de cigarette, odorat animal oblige. Mais t'es pas en droit de dire quoi que ce soit. C'est autant chez lui que chez toi ici. Et encore, il est là depuis bien plus longtemps que toi.

« Et j’suis vraiment quoi ? Depuis quand tu te retiens ? Va au bout de ta pensée j’suis plus à ça près tu sais. »

Tu clignes des yeux, levant la tête vers lui. Son ton a changé. Quelque chose s'est vraiment brisé hier soir. Cette fragile amitié a visiblement volé en éclat. Ta gorge se noue, sans que tu parviennes à expliquer pourquoi. Peut-être que tu tenais à lui plus que tu ne le pensais. C'était amusant, quelque part, vos disputes. Tu secoues la tête, poings serrés avant de te lever. Il a raison ; depuis quand tu te retiens ?

« Aller au bout de ma pensée hein ? C'est marrant de t'entendre dire ça alors que t'es en mesure de lire ce qui se passe dans ma tête. Ah oui, tu le fais pas exprès. Parce que t'es bien trop occupé à passer tes journées avec ton portable ou ton ordinateur pour apprendre à mieux maîtriser ce putain de don qui nous pourrit la vie ! »

Et c'est incapable de t'arrêter que tu poursuis. Les nerfs lâchent, le coeur bat vite. Il y avait longtemps que tu ne t'étais pas laissée entraînée par tes émotions. A fleur de peau. Cette fois, c'est vraiment fini.

« Tu veux que je te dise ce que je pense hein ? T'es vraiment qu'un égoïste doublé d'un hypocrite ! Tu dis que je suis sauvage, mais regarde-toi dans un miroir avant de critiquer ! Espèce de gamin ! »

T'as parfaitement conscience que t'es loin d'être mieux que lui. Mais toi tu te caches par derrière de faux semblants. T'as beau être discrète, on sait comment tu es. Ta main tremble, t'as une envie terrible de le gifler. Et c'est quand il se retourne enfin que, sans avoir le temps de saisir quoi que ce soit, tu romps la distance qui vous sépare et ta main part, s'écrasant sur sa joue.

« Ton foutu masque de pseudo truand, de malhonnête, je le déteste. Je déteste la manière dont tu te comportes. Tu me reproches mon côté farouche, mais quand je prends enfin sur moi pour faire un pas vers toi, tu m'envoies promener comme tu chasserais une poussière d'un revers de main ! »

Tu t'écartes, t'éloignant de quelques pas, assez pour imposer cette distance qu'il souhaite tellement. Que tu as toujours imposée entre vous, finalement. T'es en grande partie responsable de ce qui se passe. Tu le sais, il le sait. Tu pousses un soupire lassé. Tu es à bout. Trop d'émotions en si peu de temps.

« Je me demande vraiment si t'es capable d'être honnête envers toi-même. A défaut de l'être avec les autres. »

La dispute a éclaté ; c'était inévitable. Vous avez chacun un caractère bien trempé. Mais ce n'est pas comme les disputes que vous avez déjà eu. Cette fois c'est l'implosion émotionnelle, le ras-le-bol général. Et personne n'est là pour vous séparer, ni pour tenter de calmer le jeu. Cette fois c'est sérieux, et ça fait très mal. Tu dis des choses blessantes, et ça ne fait qu'alimenter la discorde entre vous. Tu pousses Heath à bout. Et bientôt, c'est lui qui éclate.

« Ta gueule ! »

Tes poings se serrent tandis que ton regard soutient le sien. Tu ne dis plus rien, le laissant poursuivre sur sa lancée. Parce qu'il en a des choses à dire, tu le sais, tu le sens. Il s'éloigne de la fenêtre après l'avoir refermée rapidement et brusquement. Et il te fait face de nouveau. Ça vire au règlement de comptes.

« T’sais quoi ? J’suis tellement égoïste que j’ai fondé Entropy ! Et oui c’est moi le leader qu’on veut écraser ! J’mets ma scolarité en danger pour qu’on ait un système plus égalitaire ! Oh, tu sais quoi ? Prudence m’a attaqué aussi ! Je me mets littéralement en danger pour des centaines d’élèves qui, comme moi, “pourrissent la vie des gens” avec leur don ! Tellement égoïste que je les aide tous dans l’ombre, sans m’en vanter, en me prenant Prudence et Nemesis dans la gueule juste pour améliorer leurs études, et les aider à décrocher un job en sortant d’ici ! »

Tu tombes des nues. La bouche entrouverte, tu clignes des yeux, sourcils légèrement froncés. Heath, le leader d'Entropy ? Qu'est-ce que c'est que cette blague ? Non, il ne ment pas. Il est tellement remonté qu'il déballe maintenant tout ce qu'il a sur le coeur. Comme tu l'as fait, partiellement cependant. Tu repenses à votre discussion au MacDo. Il disait que c'était Drew Bolton le leader, et tu as clairement montré que tu doutais de cette affirmation. Finalement tu avais raison. Mais jamais tu n'aurais pensé que ce soit Heath la source de ce mouvement de rébellion. Et, trop ébranlée par cette information, tu ne penses même pas à répliquer. Il s'approche de deux ou trois pas, plantant son regard perçant sur toi. Tu le soutiens malgré la surprise encore présente.

« Et j'suis honnête ! »

Il semble sur le point de craquer. Peut-être pas à la limite des larmes, tu doutes qu'il se le permette, surtout devant toi. Comme tu n'as pas voulu qu'il voit les tiennes. Mais on dirait qu'il s'est débarrassé d'un poids. C'est peut-être dur, et risqué apparemment, d'assumer son rôle de leader. Surtout si ce fameux Nemesis est tout de suite à la porte, prêt à bondir. Tu te mords la lèvre. Quel bordel.

« ... J’suis honnête avec Joach. Avec Gautier. Avec Charlie. Ashley. »

Tu fronces les sourcils, presque offusquée. Il n'a même pas cité Lys. Tu n'es pas concernée, mais tu ne peux pas t'empêcher d'être blessée pour ton cousin. Non, il l'a juste oublié. Hein, c'est juste un oubli, pas vrai Heath ?

« Les autres, vous pouvez aller vous faire voir ! Tu m’aimes pas ? T’aimes pas le fait que j’traîne sur le pc et que je mente pour m’en sortir ? Bah tu sais quoi ? BAD NEWS c’est ce que je suis, tout ça, alors fais avec ou ignore-moi ! »

Ton coeur se serre. Lys et l'autre gorille ne comptent donc pas ? Tu fermes un bref instant les yeux. Si Lys l'apprend, il sera certainement blessé, lui aussi. Tu te sens tellement mal à l'aise pour lui. A son tour de prendre la fuite, allant s'isoler dans sa chambre. Tu pousses un profond soupir, le coeur battant. T'avais jamais eu une dispute aussi violente avec quelqu'un. Tu te masses les tempes, t'asseyant sur le canapé, songeuse.

Et maintenant tu ne sais plus quoi faire, tu ne sais plus quoi dire. Tu te laisses tomber au fond du canapé, soupirant, mains sur les yeux. C'est tellement puéril de s'être énervée de la sorte Hannah. C'est ta faute, c'est toi qui l'a cherchée cette dispute. Toi et personne d'autre. Heath s'en est pris plein la tronche, tu l'as sorti de ses gongs. Juste parce qu'il a évoqué le sujet. Franchement Hannah, tu dramatises et t'exagères vraiment trop. Et après on se demande pourquoi t'as pas d'amis. C'est pas avec un comportement comme le tien que ça arrivera. Maintenant tu culpabilises.

Et poussée par une force étrange, te voilà devant sa porte, main levée, prête à toquer. Non. Tu vas trop loin Hannah. Tu soupires, faisant volte-face pour t'appuyer finalement contre la dite porte, sans bruit. Ton crâne se pose lui aussi contre le bois et tu regardes le plafond. Peut-être est-ce que c'est le destin. Peut-être qu'il n'y a aucun moyen pour vous de vous accorder. Peut-être vaut-il mieux que tu quittes ce bungalow. Que tu coupes définitivement les ponts avec lui. Tu redresses la tête, soupirant. Tu sais qu'il t'a entendu.

« Ecoute Heath, je suis désolée. Ne crois pas que je joue à l'hypocrite. Je pense tout ce que j'ai dis. Mais... je reconnais que c'était... déplacé de ma part de te dire tout ça. Et partiellement erroné. » Tu te redresses. « Dans le fond, tu ne me connais pas plus que je te connais, même si tu as un avantage que je n'aurais jamais. » Tu fermes les yeux un bref instant, te décollant de sa porte. Coup d'oeil vers cette dernière. « Je ne dirais rien par rapport à Entropy. » Tu peux bien faire ça.

Tu t'éloignes donc sans rien ajouter. Et, à ton tour, c'est dans ta chambre que tu élis refuge. Fenêtre ouverte, tu grimpes sur le rebord. La hauteur est tellement pitoyable que même un enfant de 5 ans ne se ferait pas mal en sautant. Ton agilité animale te permet de te hisser sur le toit du bungalow. Un peu risqué, mais pour un écureuil pour toi, rien de bien alarmant. Tu as grimpé des arbres bien plus haut. Et c'est toujours en hauteur que tu te réfugies quand les émotions sont trop fortes. Jambes ramenées contre toi, bras les entourant, ton menton est posé sur tes genoux.

« A trop vouloir qu'on me foute la paix, j'en viens à blesser les autres. Un second don naturel il semblerait. Quelle plaie. »

Tu dissimules ton visage entre tes bras, soupirant. Non, tu ne le détestes pas. Tu n'aimes simplement pas son côté malhonnête. Le truand hein ? Maintenant c'est fini. Seule la haine. Ou l'ignorance, qu'importe. L'un fait autant mal que l'autre. Dois-tu considérer que vous êtes des étrangers ? Probablement. Tu t'en veux d'avoir ruiné cette fragile amitié. T'as fait des efforts pour Lys. Puis finalement pour Heath en lui-même. Mais c'était pas assez. Et maintenant c'est fini.

Perchée sur le toit, tu te sens bien. Détachée du reste, à l’abri de la connerie humaine, à l’abri de ta propre connerie. La légère brise te force à relever la tête, ce qui n’aidera pas à mieux démêler tes cheveux. Il faudra bien t’en occuper à un moment donné d’ailleurs. Coup d’oeil au soleil. Il n’est pas encore l’heure d’aller en cours mais, déjà, des élèves passent, sans te remarquer. Les lieux en hauteur sont tes refuges. Comme tout écureuil qui se respecte. Suffisamment haut pour être inaccessible aux quadrupèdes, et assez bas pour échapper aux serres acérées des aigles. Tu soupires, te surprenant à penser que tu aurais mieux fait de rester en Amérique, loin de tout ça. Tu t’es précipitée car Lys est là. Jamais tu n’aurais imaginé que ce serait si dur avec les autres. Chez toi, par delà l’océan pacifique, on se moque bien de toi. Ils connaissent ton caractère depuis l’école primaire. Personne n’a donc cherché à t’approcher. C’était sans compter sur les spécimens prismveriens. Ta tête reprend sa place entre tes bras.

Un bruit t’interpelle alors. La voix d’Heath te parvient. Tu hésites un moment avant de soupirer. Relever la tête serait affronter ses yeux, sa haine, ses reproches. Une nouvelle dispute. Parce que ça vous mène toujours là. Et lorsque tu entends le bruit familier de l’écorce de l’arbre que l’on touche, du murmure des feuillages secoués, tu relèves la tête, intriguée. Et tu vois alors Heath qui essaie de grimper dans l’arbre. Tu hausses un sourcil, perplexe. Il espère vraiment pouvoir y parvenir en s’y prenant de la sorte ? Tu le vois alors tomber et tu secoues la tête, menton posé sur tes bras genoux. C’était inévitable. Des élèves se sont arrêtés, se moquant un peu de lui. Tu les observes, dirigeant ensuite ton regard sur ton colocataire. Pourquoi les laisse-t-il faire ? Tu ne comprendras jamais ce mec, c’est un fait. C’est alors qu’il te regarde, son regard noisette croisant le tien.

« Tu vois ? J’suis même pas foutu de grimper sur une branche, y’a tout qui nous oppose, TOUT. »

Tu fronces les sourcils, te mordant la lèvre. Pourquoi est-ce qu’il se sent forcé de remuer le couteau dans la plaie ? Pourquoi ne dit-il pas clairement qu’il te hait et qu’il ne veut plus rien avoir à faire avec toi ? Tes ongles se plantent dans ta peau et tu soupires, grommelant et détournant la tête. C’était sûr qu’il n’y arriverait pas, vu comme il s’y prenait. Pourquoi il faut qu’il te foute ça dans la gueule ? Chacun ses limites quoi. Et c’est là que ça arrive.

« J’ai... Je t’aime bien. ... j’crois que j’t’aime même plus que bien, Hannah. »

Tu écarquilles les yeux avant de tourner la tête vers lui. Oui tu as été trop loin. Oui tu pourrais faire des efforts avec les autres. Oui tu devrais être plus ouverte, plus expressive. Mais est-ce que t’as mérité un truc pareil ? Sa vengeance est bien cruelle. Se foutre des sentiments des autres, de mieux en mieux. N’est-ce pas lui qui a dit, ce fameux jour au skate park, que tu n’étais pas du tout son genre ? Alors pourquoi dit-il ça ? Tu déglutis, il va rajouter quelque chose.

« J’ai ptet bien un crush. Il a fallu que ça tombe sur toi, la fille la plus sauvage de mon entourage, et puis moi, le type le moins doué pour les histoires de coeur… »

Ta bouche s’entrouvre légèrement. Tu tombes de haut. Jamais tu n’aurais pensé entendre ça un jour. Que ce soit de lui ou de quelqu’un d’autre. Tu en avais oublié les quelques élèves présents. Qu’il te dise tout ça, c’est une chose. Qu’il le fasse en présence d’inconnus, c’en est une autre. Il te quitte du regard et tu sens le rouge te monter aux joues. T’as jamais été aussi gênée de ta vie. Depuis la veille en tout cas, avec Artus. Mais là… Tu es complètement perdue. Incapable de dire quoi que ce soit. Même pas le remballer, rien ne parvient à sortir de ta bouche.

« Bref... désolé si j’comprends rien, et si j’fous toujours tout en l’air... J’suis comme ça. »

Tu l’entends s’adresser aux autres sans distinguer ses mots, complètement perdue dans tes pensées, choquée par ses mots. Jamais on ne t’avait dit de telles choses, vraiment. Tu ignores totalement comment réagir. Ton coeur bat vite. Artus, et maintenant Heath ? Si c’est une blague, jamais tu ne pourras le pardonner au brun, jamais. Même une baffe serait bien insuffisante. Et pourtant, il semblait si sincère. Il est peut-être malhonnête, mais pas au point d’inventer un mensonge pareil juste pour faire souffrir. Tu refuses de le croire. Déjà parce que Lys ne se serait jamais lié d’amitié avec un mec pareil, et aussi parce que tu sais, au fond de toi, qu’Heath n’est pas si sournois qu’il en a l’air. Il y a du bon en lui. Et ça ne fait que te perturber un peu plus.

Et lorsque tu sors enfin de ton choc émotionnel, tu te laisses glisser sur le toit, le ventre à même les tuiles. La tête presque en bas, dans le vide, tu réalises qu’il n’est plus là. Tu te mords la lèvre, te redressant, assise au bord du toit. Le danger ? Peu importe, t’es un écureuil. Tu passes ta main dans tes cheveux indisciplinés. Il aurait presque été facile de l’ignorer après une dispute. C’est presque naturel pour toi d’ignorer les autres. Mais là, comment est-ce que tu dois te comporter ? Comme d’habitude ? Ça va être difficile. Tu secoues vivement la tête avant de rejoindre ta chambre par la fenêtre.

Tu regardes la porte de ta chambre, massant ta nuque. Tu entrouvres la porte pour jeter un coup d’oeil, apercevant alors le dos d’Heath. Tu te refermes discrètement et rapidement la porte, collant ton dos contre. Tu soupires. Voilà que tu te comportes comme une gamine. Tu te diriges vers ton armoire, en sortant un t-shirt large et un pantalon. Tu t’habilles rapidement et tu enfiles des convers’ que tu ne lasses pas, comme d’habitude. Coup d’oeil dans le miroir. Les cheveux. Les discipliner maintenant serait mission suicide. Alors tu te contentes de les peigner rapidement avec tes doigts, les réunissant ensuite en un chignon destructuré, négligé.

Tu inspires puis tu sors de ta chambre, réalisant alors qu’il peut, à tout moment, capter tes pensées et comprendre que t’es abasourdie par ses mots et que t’en bien incapable de trouver le courage de dire quoi que ce soit. Pour le coup, la franche Hannah elle est bien loin, terrée dans son nid d’écureuil pour laisser place à la timidité. On devine facilement que tu l’es, puisque tu ne fais jamais le premier pas. En vrai tu te caches derrière ton agressivité par peur de trop t’attacher aux autres. Perdre un être cher est très douloureux, et c’est pas quelque chose que tu aimes ressentir. Comme beaucoup de personnes, naturellement.

Heath ne bouge pas. Peut-être qu’il ne t’a pas entendu. Ou qu’il ne veut simplement pas te voir, faisant la sourde oreille. Tu te masses la nuque, te dirigeant finalement vers la porte d’entrée, ta main se posant rapidement sur la poignée. Tu ouvres la porte qui grince légèrement, mais tu ne sors pas tout de suite. Tu relèves la tête vers lui, sourcils légèrement froncés par l’incertitude. Tu déglutis, détournant déjà le regard pour éviter de le regarder dans les yeux.

« Je… enfin tu… non rien. Oublie. »

Tu sors rapidement du bungalow, fermant la porte derrière toi. Qu’est-ce que t’aurais pu lui dire, de toute façon ? Que depuis le début il t’a fait croire que t’étais pas son genre alors que non ? Que tu lui en es presque reconnaissante de ne pas avoir été un boulet dragueur et envahissant ? Ou même encore que ses sentiments te touchent, bien qu’inattendus ? Ce genre de choses, ces sentiments, t’y connais rien. Mais vraiment rien. Tu veux pas risquer de provoquer une énième dispute. Et si Heath dit vrai sur ce qu’il ressent, ou ce qu’il pense peut-être ressentir, qui sait, il vaut mieux lui épargner ce genre de réactions. Jouer avec les sentiments des gens, c’est un truc que tu peux pas faire. T’es trop honnête, incapable de mentir. Et c’est dans cette optique que tu t’arrêtes, faisant demi-tour.

Tu reviens sur tes pas, une sensation étrange te dévorant les entrailles. Tu ouvres la porte, laissant ton sac tomber au sol. Tant pis pour les cours, t’es une bonne élève. Un retard ou deux ne fera pas de mal. Tu cherches Heath du regard. Tu trouves bien vite ses yeux noisettes, et tu ne le laisses pas parler, enchaînant tout de suite, profitant de cette lueur de courage.

« Qu’est-ce que je suis sensée dire ? Qu’est-ce que je suis sensée faire ? Comment est-ce que je dois me comporter ? Dis-le moi Heath. Dis-le moi. Parce que je suis totalement perdue, et je ne sais pas quel chemin prendre. Alors dis-moi ce que je dois faire. »

Quitter le bungalow ? Ne plus lui parler ? Faire comme si de rien n’était ? Tu as besoin de savoir. Car tu n’as jamais vécu ça. Et que si tu t’écoutes, tu fuiras, encore et encore. Mais tu ne peux pas fuir éternellement. Il faudra un jour s’attacher à des gens en gardant à l’esprit qu’on peut les perdre un jour. Ce qui rendra vos moments que plus importants.