Undisclosed curiosity Δ Indy ♥

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Après avoir écrasé son mégot dans le cendrier de verre, il porta son gobelet à ses lèvres, l’air pensif. Assis sur un des fauteuils qui meublaient la salle des profs, jambes pliées contre son torse, il resta un moment à sentir le café lui brûler la langue dans cette amertume qu’il aimait tant. C’était un peu la scène habituelle, le tableau classique – le truc qui se fondait dans le décor. Il savait déjà que bientôt, toute personne rentrant dans cette pièce ne serait plus en mesure de le remarquer. Que bien vite sa respiration se mélangerait au ronronnement de la machine à café – et qu’on ne se rendrait compte de son existence que sa voix s’élèvera dans les airs, timide.

C’était là son quotidien d’humain fantôme.
Et c’était dans ses moments, dans les bras de la solitude, qu’il se sentait le plus à même pour réfléchir.

Et il était déjà parti dans son monde lorsqu’ il posa son verre en équilibre sur son genou pour se munir de quoi écrire. Griffonnant dans son carnet tout ce qu’il avait pu observer cette après-midi chez ces élèves si particuliers. Ce qu’il avait pu comprendre du don de Jacklynn – de quelle manière la fumée changeait-elle de structure ; ce qu’il avait pu comprendre de celui de Charlie – il était clair que les émotions n’étaient pas le seul moteur de ces changements de température ; et comme un espion, observateur hors du monde, il notait notait.

Parfois, entre deux phrases, il se demandait à quoi cela pouvait bien lui servir, de se donner tant de peine. D’autant que ç’aurait pu être considéré comme incorrect, malsain. Mais lorsque le bruit de la mine grattant le papier arrêtait de résonner dans l’air, il sentait l’angoisse envahir ses paumes. Plus que des notes, ces mots étaient devenus pour lui un moyen de prouver qu’il existait.
Qu’il meure, comme tout humain, c’était une chose. Qu’il meure, en ayant toujours tout observé de loin, sans jamais se mêler, sans jamais oser se forger un avis, c’en était une autre.

Au moins, il y aurait toujours ces notes pour prouver qu’Edgar Clayton était bien là. Sur cette planète, dans ce pensionnat, dans cette pièce.
Elle était simple la raison au final, mais elle lui plaisait bien. Tout autour de lui était déjà bien assez compliqué comme ça.

La porte s’ouvre, et il sursaute – rattrapant le gobelet juste à temps – sorti de sa rêverie qui lui avait inconsciemment mangé beaucoup de temps. La tête tournée, il a ce fameux tic de vouloir remettre ses lunettes en place – réalisant toujours trop tard qu’il porte des lentilles lorsqu’il est au pensionnat. Ses yeux s’agrandissent alors qu’il remarque qui vient d’entrer.

Et une boule d’appréhension vient lui écraser l’estomac – ce qui est stupide, après tout.

Terry a grandi, Terry n’a plus peur de l’Homme qui vient de passer la porte. Après tout, il est comme tous les autres, tout fait d’un sang et d’un cœur qui meurt si facilement. Après tout, il ne peut même plus le voir.

Pendant un moment, il a l’idée de se taire et d’attendre que tout ça passe – de prier pour qu’Indy ne remarque pas sa présence. Mais après être resté une minute en silence, et l’avoir observé de la tête aux pieds, il se rend compte d’à quel point tout ça est ridicule. Et il se rend compte qu’il a envie de lui parler, à Indy – bien que la raison du pourquoi et comment lui soit encore floue.

« Bonjour. »

C’est doux, agréable, jamais offensant ou agressif.
Terry ne se lève pas, ne bouge pas de sa position, où il reprend son café entre ses deux mains – pour les empêcher de trahir le malaise qu’il ressent lorsqu’il est avec d’autres personnes. Ses orbes d’un vert profond errant sur les contours en plastique de son verre. Malaise – oui. Et encore plus avec lui. Avec lui, lui et tout ce mystère qu’il apporte – toutes ces questions qu’il soulève, tout ce flou qui l’entoure. Tout ce changement.
Irrégulier. Imprévisible.

Scientifiquement dérangeant – fascinant.

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HEY THERE

Il les connaissait, ces couloirs. Des années à errer ci et là pendant que, dans les classes, les cours se déroulaient sans lui. Des années à sécher. Des années à répondre aux profs, à provoquer les surveillants. Des années à emmerder les plus faibles et à draguer les jolies filles. Ah, elle avait été belle, sa jeunesse à Prismver.

Le bout des doigts frôlant le mur. Mur crépit, bois, porte, mur, bois, affiches, mur de nouveau. Le silence, régulièrement troublé par des pas d’élèves errants. On chuchotait sur son passage, probablement inconscients que son ouïe fine captait bien des choses. Le nouveau cuistot, oui, mais surtout l’aveugle. « Ca doit être horrible. » Pas tant que ça. « Il fait pitié. » Certainement. « J’préfererai mourir. » Ca peut s’arranger. Indiana avait toujours eu cette animosité envers les réflexions stupides. Le besoin de faire fermer leur trop grande bouche aux gens, la nécessité de leur faire comprendre à quel point ils ne faisaient la plupart du temps que chier des mots. Il en avait la force, avant. Il en avait le pouvoir. Maintenant ? Terminé. Quoi que.

- J’ai pas besoin de mes yeux pour te botter l’cul gamin, éloigne toi d’ce chien.

Il y avait bien des façons plus aimables de leur faire comprendre. Il n’en avait simplement pas envie. L’âme rebelle, Indy finirait inévitablement vieux croûton agressif dans son fauteuil roulant, à écouter du rap à fond dans sa chambre de maison de retraite. On ne se refait pas, paraît-il. A quoi bon. A quoi bon faire des efforts pour plaire, à quoi bon essayer de s’intégrer parmis cette grosse meute que sont les Hommes ? Il y en a toujours un pour vous aimer, et toujours un autre pour vous haïr. Alors, à quoi bon ?

Et pourtant, il en faisait, des efforts. Depuis sa cécité, Indiana avait ressenti l’inévitable exclusion que subissent absolument tout les handicapés. Alors c’est ça, d’être éjecté du système ? Coup de tête balayette, et on est ignoré, évité, oublié ? Nice. Voila de quoi le rendre encore plus con et aigri qu’il ne l’était. Mais l’évidence s’était pourtant imposée à lui: il avait intérêt à faire des efforts, si il voulait s’en sortir.

Le besoin des gens. Horrible, horrible sentiment que de se sentir comme un poid lourd pour quelqu’un. Ca avait été dur, au début. Difficile pour sa fierté. Sa trop grande fierté.

Et puis, William était arrivé, ou plutôt, William s’était mis à l’aimer. Et tout avait changé. Pendant quatre ans, il n’avait plus eu ce sentiment désagréable. Quatre ans pendant lesquels son âme soeur avait réussi à le convaincre: il n’était pas un poids.

... Et, qu’en était-il désormais... ?

Période trouble. Rupture difficile, rapprochement incontrôlable, séparation ambiguë. Move on. Oui, mais comment ? Vivre ensemble malgré leur rupture avait été une évidence pour eux. Parce-que William avait toujours été là, et qu’il lui affirmait l’être jusqu’à son dernier souffle. Juste... pas de la façon dont Indy le souhaitait.

La belle affaire.

Enfin arrivé. Il lâcha le harnais du superbe Berger Suisse qui le guidait au quotidien, et ce dernier vint aussitôt renifler l’inconnu. Comme pour juger, surveiller, s’assurer qu’il ne représentait aucune menace pour son maître. Ce dernier effleura du bout des doigts la table centrale qu’il contourna. Il semblait savoir où il allait; seule sa main se tendant légèrement devant lui trahit le fait qu’il n’avait pas encore parfaitement enregistré la distance séparant la table de la machine à café. Une main glissée dans sa poche, il entreprit d’en sortir sa pièce tandis que sa seconde main vint toucher la surface de la machine; tâtonner, trouver les boutons, la fente pour la pièce. Il y inséra cette dernière et ses doigts glissèrent le long des boutons; il semblait les compter.

- Bonjour.
- Yup.

« T’en a mis du temps, mec. » L’habitude qu’on mette du temps à l’aborder. Ses doigts pressèrent le troisième bouton, et la distribution de thé se mit en route. A en juger par les bruits de pattes et de reniflements de Milky, et par la voix du jeune homme, il le situait du côté des fauteuils, près de la fenêtre. Thé dans une main et canne blanche dans la seconde, il avança vers l’inconnu, le bout de sa canne tâtonnant son avancée, jusqu’au fauteuil juste à côté de Terry. Il s’y assied alors et le chien s’installa à ses pieds, allongé, sage. Gobelet calé entre les genoux, l’aveugle saisit son paquet de cigarettes et en enfila une entre ses lèvres, partant à la recherche de son briquet dans sa seconde poche.

- J’suppose que ça vous gêne pas que j’fume vu qu’vous venez d’éteindre la vôtre. ... Z’avez du feu ?

Une main tendue, paume au ciel, histoire de ne pas se louper. Yeux clos, il saisit son gobelet pour une meilleure tenue.

- On s’connait pas, je crois. Indiana, j’suis le nouveau cuistot’.

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Il avait toujours voulu avoir un chien - mais la cruauté du sort avait fait qu’il en était allergique. Il esquisse une grimace alors que le berger suisse vient droit vers lui, sentant qu’il ne va pas tarder à éternuer. Malgré ça, il ne peut pas s’empêcher de lui caresser la tête – et un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Douceur et simplicité.

Le bruit des pas qui se rapprochent le sort de sa rêverie, et il relève la tête pour voir Indy s’installer à côté de lui. C’est vrai qu’il ne peut plus le reconnaître.
Pendant un instant, Terry reste immobile, à fixer cet homme qui autrefois avait été une part de ses cauchemars. Dans ses souvenirs il était plus grand. Plus agressif, imposant. Maintenant, Terry peut voir qu’il y a quelque chose qui est parti, quelque s’est délavé – sans arriver à mettre le doigt dessus. La nervosité le commence à le ronger, et il sort son briquet de sa poche pour aller allumer la cigarette qui pend à ses lèvres avec une nonchalance feinte. La vérité, c’est qu’il avait peur du contact avec lui. La vérité c’est qu’il est si dérangé qu’il va se fumer une autre cigarette – besoin incontrôlable et incontrôlé. Un silence s’installe, marqué par le cliquetis du briquet qui s’enflamme.

On s’connait pas, je crois. Indiana, j’suis le nouveau cuistot’.

Terry retient un petit rire, qui se transforme en toussotement poli. Il se demande s’il ne devrait pas faire comme s’ils étaient inconnus. Après tout, c’était vrai qu’ils ne se connaissaient pas – leur relation n’ayant été jusque là coups et bleus, insultes et larmes. Boule dans la gorge. A ce souvenir, Terry tire une grande latte, basculant sa tête en arrière sur le dossier du fauteuil.

Ca va aller. Il avait toujours été doué pour réprimer les choses déplaisantes.

« Edgar. Edgar Clayton. » Ca ne servait à rien de lui mentir. Il n'y avait plus de haine entre eux. Juste du vide, un vide immense pour un nouveau départ. Et quelque part, Terry était certain qu’Indy avait oublié, oublié jusqu’au nom de ce gamin pitoyable qu’il s’amusait à torturer. Une fois de plus son regard glisse sur le visage de l’aveugle - essayant d’y lire quelque chose. Quelque chose de concret. Mais le voile opaque qui recouvrait ses pupilles - autrefois si vives - ne faisait que renforcer le mystère qu’il représentait. Il oublia bien vite l’idée de lui serrer la main – voilà qui aurait fait tâche. C’était déjà assez awkard comme ça.

« Et elle, elle s’appelle comment ? » - ajouta-t-il avec un bref coup d’oeil vers le chien qui s’était assis aux pieds de son maître. Il n’était pas vraiment intéressé par le nom du chien - canis lupus - mais il n’avait pas trouvé meilleure idée pour continuer la conversation, et pour combler ce blanc qui durait beaucoup trop longtemps. Ennuyant, Terry.
Pas très original - mais dans tout ce qu’il avait étudié, il n’avait jamais eu besoin de l’être.

Il joue avec sa cigarette, tire sur sa manche, cache comme il peut son malaise – gardant la tête bien droite, et les yeux bien fixés sur l’homme qui lui avait pourri son adolescence. Oui, il ne baissera plus les yeux. Il n’aura plus à baisser les yeux, car il n’aura plus jamais son regard à soutenir. Au fond, il trouvait ça un peu triste.

Jamais il ne pourra montrer à quel point il a changé – du moins essayé.

« Tu …» Pas de vouvoiement, il fut un instant surpris de son audace - « Comment tu vas ? » Ca ne te fait pas peur de vivre dans un monde d'un noir abyssal ?
Si triste. Tellement triste.

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Réminiscence

Roulement. Claquement. Le bruit du briquet retentit près de ses lèvres et il amorca un léger mouvement de recul, surpris, avant de rapidement comprendre et tirer sur sa clope pour l’allumer.

Toujours s’annoncer à un aveugle. Voila un geste du quotidien, le plus banal qui soit, mais qui, fait à un aveugle, à un autre impact. Il ne voit pas le briquet approcher. Il ne s’attend pas à ce que la flamme surgisse sous son nez. Il ne s’attend pas à une tape amicale sur l’épaule, ni à une étreinte, ni quoi que ce soit. Le monde, pour un aveugle, doit être strict, ordonné: il n’y a aucune place pour le hasard, pour l’imprévisible. C’est pourquoi il est difficile d’évoluer avec les autres, ceux qui ne savent pas. Ceux qui n’ont jamais appris.

Soit 99,99% de la population.

- Thanks.

Le jeune homme - qui d’après sa voix devait avoir dans ses âges - se présenta. Indy se contenta d’acquiescer de la tête, ne témoignant aucun signe de reconnaissance. Et pourtant, il l’avait prononcé, ce nom. Clayton. Entre les lèvres d’Indiana, il avait dû lui sembler terrible, au pauvre Terry. « Hey Clayton, c’est leur de la branlée. » « Alors Clayton, t’a bien un peu de thune sur toi hein ? » Il l’avait prononcé encore et encore, ce nom, ignorant son prénom, ignorant tout de lui. Il n’avait que faire de sa personne, de qui il était, de ce qu’il aimait. Pour Indiana, le jeune Indiana, Clayton n’était qu’une crevette parmis d’autres. Le petit qui bégaye, le p’tit qu’on frappe pour lui piquer sa thune, celui à qui on renverse le sac, celui à qui on explose le casier.

Juste pour passer le temps. Un, parmi beaucoup d’autres.

Mais ce nom, il l’avait oublié. Oublié les victimes, oubliés les traumatismes causés - il n’en avait eu que faire. Son voyage avait été préparé, et puis il était parti. Tant de choses découvertes, tant de gens rencontrés. Aux yeux d’Indiana ce n’est pas de l’eau qui avait coulé sous les ponts, mais bien des océans. Et Clayton, comme beaucoup d’autres choses, avaient été balayé de sa mémoire.

- Milky. C’pas moi qui ai choisi.

Le chien leva la gueule verse son maître, attentive, avant de se réinstaller dans la même position, gueule au sol. Le silence revint dans la salle, silence pendant lequel Indiana fumait tranquillement, détendu. Bien plus que ne l’était son voisin. Il l’entendait se remuer, il entendait les tissus se froisser, sentait du mouvement en continu; lui était vautré dans son fauteuil, fesses bien basses, affalé. Serein. Le silence ne l’avait jamais gêné; il faisait parti de ces trop rares personnes qui savaient se passer du piapiapia auquel venaient inévitablement les gens pour simuler l’assurance.

- Tu... Comment tu vas ?

Oui, il l’avait noté. Le tutoiement. Et parce-qu’il était un homme un minimum vif d’esprit il en conclu que, peut-être, ils se connaissaient. Cette voix ne lui disait pourtant rien. Et sa façon de gesticuler avait quelque chose d’insupportable. Si ils avaient été proches, il se serait présenté d’une autre manière, l’aurait abordé différemment. Non, là c’était juste Edgard Clayton, le mec qui décidait de le tutoyer. Et puis, Indy était conscient qu’on ne demande pas “comment tu vas” à un parfait inconnu. Aussi, au lieu de répondre, il se contenta de laisser tomber sa tête en arrière, sur le dossier du fauteuil. Yeux clos, il lui fallu une seconde pour cacher ses paupières sous son poignet; le soleil éclairait son visage, brûlant ses yeux meurtris. Un instant.

- Clayton...

Est-ce que ça ne lui disait vraiment rien ? Ce mot, prononcé en un souffle, il lui paraissait naturel. Naturel qu’il le prononce. Comme une vieille habitude.

- Clayton... On a étudié ensemble nan ? T’étais dans ma classe ?

Curiosité. Clayton, Clayton, allez Indy, un effort. Que ta bonne mémoire te soit utile. « Hey mec, y’a le petit bègue de Prism, tu te souviens ? Il est devenu prof, je l’ai croisé aujourd’hui. » Et encore une fois, c’est en pensant à William que le déclenchement se fit.

- Aaaaaaaah ! "Clay-easy-to-handle”. [Signifie: Argile facile à manipuler]

Sourire furtif. Réminiscences de bons souvenirs passés entre potes, à rire de bon coeur, à jouer les durs, à flatter son égo, à impressioner les filles. Et, enfin, la maturité de l’adulte fit mourir ce sourire.

Mais il ne s’excusa pas. Et il ne le fera probablement jamais.

- T’étais une sacré tafiole.

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Et voilà, bingo, bien sûr qu’il ne se souvenait pas de lui. Terry étira un sourire amer, tapotant sa cigarette afin d’en faire tomber quelques cendres. Il se sentait principalement soulagé, mais aussi déçu. Peut être un peu en colère. Blessé dans le peu d’amour propre qu’il pouvait avoir ? Et perdu. Toujours perdu dans tout ce qu’il pouvait ressentir – tout ce qui lui donnait ce goût étrange en bouche. Ce type dépassait les limites de sa compréhension. Il se doutait bien qu’il l’aurait oublié, pourtant il aurait voulu croire le contraire. Et ces contradictions dans sa logique l’inquiétaient fortement.

Le temps passe, et le silence reprend ses droits – ses droits que Terry connait sur le bout des doigts. Il ne se souvenait pas qu’Indy aimait le silence, mais maintenant qu’il y pensait, cela devait bien compléter le tableau. Le mec au prénom qui en jette, à la carrure imposante, avec plein d’amis – mais qui aime la tranquillité pour se donner un air cool. Oui, ça collait définitivement.

Changeant de position pour se ré-asseoir de manière à peu près correcte sur le fauteuil, Terry alla poser son verre vide sur la table, clope entre deux doigts, avec un bref coup d’œil pour l’horloge qui pendait au mur. Il avait fini sa journée, et son café. Il n’avait plus rien à faire ici. Et il avait même disparu de la mémoire de l’aveugle. Il n’avait donc plus rien à dire.
Pourquoi ne pas juste partir et revenir un autre jour, lorsqu’il aura changé ? Après tout, il est connu pour ça, Indy, alors pourquoi ne pas juste partir ?

Clayton... On a étudié ensemble nan ? T’étais dans ma classe ? Ou pas. Terry haussa un sourcil, remettant sa cigarette entre ses lèvres – le sang commençant à s’accélérer dans ses tempes. Est-ce qu’il allait se souvenir ? Est-ce qu’il allait s’excuser ? Dire quelque chose ? Non, bien sûr que non. Tout ce qu’il offre, c’est un surnom sorti d’une autre époque et une constatation si véridique qu’elle en est cruelle. Facile à manipuler – c’est vrai qu’il l’était, et qu’il a peur de toujours l’être. Terry rigole doucement, Terry avale sa salive.

« J’ai toujours admiré votre capacité à trouver des surnoms. Et c’est bien tout ce que j’admirais chez vous. » Il prend son temps, ne montrant aucune faiblesse, aucune peur, aucun stress. Il se perd un instant dans des souvenirs confus – comme celui où Indy et son groupe avaient piqués ses affaires de sport pour les mettre dans la poubelle. Tellement d’ingéniosité en matière de mesquinerie. C’était beau, mais c’était révolu. Terminé.

Il n’y avait pas que le tabac qui semblait être cendres dans cette pièce.
« Et toi, tu étais beaucoup plus impressionnant avant. La cécité te donne un air vraiment …. vulnérable. »

C’est le maximum qu’il puisse faire Terry, c’est le plafond de sa méchanceté. Et déjà, il se sent coupable d’avoir médit sur l’handicap qu’est le sien – alors que l’handicapé en question - a été - et semble toujours être le plus gros des connards. La haine et la rancœur de Terry sont faibles – il n’est pas de la race des démons cruels et impitoyables. Tout ce qu’il pouvait ressentir à l’égard d’Indy s’était déjà estompé depuis bien longtemps. C’est seulement de temps en temps qu’elle revient, la haine, comme une amie de longue date, et qu’elle vient faire cracher à Terry des choses qu’il ne pense pas. Pas toujours.

« Je ne savais pas que tu aimais la c-cuisine. » L’hésitation était discrète, mais il savait qu’elle serait remarquée. Terry n’avait pas assez pris son temps. Il avait baissé sa garde, et les foutus mots en avaient profité pour attaquer. Un bégaiement presque ironique, presque échappé pour montrer que oui – c’était bien Terry qui se trouvait ici. Plus fort, plus grand, mais toujours le même bègue pas foutu de tenir un discours correct.

Ses mains se serrèrent en poings blanchis sur les accoudoirs, alors qu’il cracha une volute de fumée. Non, ils n’avaient jamais eu une bonne relation – ni même de relation tout court. Est-ce que ça pouvait vraiment changer ?

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Réminiscence

- Et toi, tu étais beaucoup plus impressionnant avant. La cécité te donne un air vraiment …. vulnérable.
- No shit Sherlock.

Dédaigneux, affalé, l’aveugle à l’air arrogant tendit le bras au dessus de sa tête pour toucher la fenêtre. Il en découvrit rapidement l’ouverture, y jetant son mégot d’une pichenette. Cendrier ? Flemme de le chercher ou de le demander. Prismver avait toujours été sa poubelle géante, et les choses n’avaient visiblement pas changé sur ce point. Il s’étira bras en l’air, baillant à gorge déployée sans retenue. Le silence s’installa de nouveau, pendant lequel il cala son pied sur son genou, ses mains croisées dans sa nuque.

- Je ne savais pas que tu aimais la c-cuisine.
- Oh ta gueule Clayton.

Rire. Un sourcil haussé, il renifla, poursuivant avec dédain.

- T’a vraiment envie qu’on parle de mes goûts et de ma carrière ? Come on...

Il secoua la tête, se redressant pour se pencher en avant, coudes sur les genoux.

- Tu devrais m’ignorer, te foutre de ma gueule, me mépriser...

Cette fois il soupira, secouant la tête, désabusé.

- Putain c’est pas marrant la maturité. A moins que tu sois resté une mauviette ?

Il tourna le visage vers lui, comme curieux, ne pouvant naturellement pas le regarder. Un sourire amusé, presque moqueur, naquit sur ses lèvres.

- T’a encore peur ? Est-ce que tu me crains encore un minimum, Clayton ?

Haussement de sourcils, air curieux; tout cela semblait l’amuser, comme si il faisait allusion à de vieilles blagues entre amis. S’en était, sauf qu’Edgard n’était pas un ami, et surtout la victime des dîtes blagues - qui n’avaient rien de drôle, rien de positif.

- Bah, au moins tout ça t’a fais pousser les couilles nécessaires pour devenir prof, tu vois y’a du bon dans l’histoire.

Et il étendit son bras avec vigueur vers Edgard, heurtant son épaule dans une tape” amicale.” Il l’avait déja tapé, ce corps. A de maintes reprises, et pas qu’un peu. Il y avait eu cette fois, dans les vestiaires. Edgard avait refusé quelque chose à Indy, il était incapable de se souvenir quoi. Indiana l’avait plaqué contre les casiers et avait abattu son poing sur son visage, à deux reprises. Violence. une violence animale. Il était probablement difficile de croire qu’elle étai encore là, quelque part à l’intérieur de ce corps rendu “vulnérable” par la cécité. Amusé, l’aveugle ne rapatria pas sa main tout de suite; il tâtonna brièvement le bras du professeur, pouffant d’un rire léger.

- Woaw dîtes donc, y’a un minimum de muscles dis-moi.

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Il suffit de quelques minutes pour que quelque chose se crée. Dans la pièce, une étincelle se crée, cherchant à enflammer – à exploser. Mais la tension ne se monte pas seule. Il faut toujours être au moins deux – et Terry, dans son impeccable transparence, refusait d’alimenter les flammes.

Il était bien trop occupé à regarder Indy changer de visage du tout au tout. Pourtant, quand il y pensait, il n’y a avait presque rien entre le moment où il était entré, plus ou moins poli, et celui où i lavait découvert à qui il s’adressait. C’était lui qui l’avait fait changer ainsi de comportement ? Soudain curieux, il se pencha au dessus de son siège – bien content que l’aveugle ne puisse pas le voir – et pencha sa tête sur le côté. Ecoutant en silence ce qu’il disait, souriant même faiblement.

Jusqu’à ce qu’il le touche. Avant même qu'il puisse anticiper, cette main était sur lui. Elle arrive, la fameuse tension.

Terry n’aimait pas être touché. Le contact physique avait toujours était pour lui quelque chose d’effrayant – pire même, repoussant. Ce n’était pas le fait que les mains étaient des nids à bactérie – quoique ceci aurait pu suffire - mais quelque chose d’autre. Ancré tout au fond de son ventre – le rongeant peu à peu. Non, il n’aimait vraiment pas ça – il y avait ce sentiment d’être la proie, le traqué. Et encore plus lorsque parmi tous, c’était cet homme qui le faisait. L’espace d’un instant, l’envie de violence vint lui emplir les sens – avant de retomber, doucement, tout doucement. Toujours poli, toujours doux – il repousse cette main sur son bras. Le soulagement qu’il ressent alors lui donnant presque le vertige.

Y’a un minimum de muscles dis-moi.
« Merci. » Terry et l’ironie, c’est pas encore tout à fait ça, mais il fait ce qu’il peut.

Qu’on le traite de couard si on veut, pour lui un homme courageux a toujours été celui qui ne fuyait pas lorsqu’il avait peur. Ni devant ses convictions, ni devant ses devoirs. Celui qui ne cédait à ses pulsions sous aucun prétexte.

« Et toi, c’est ce que tu veux ? » Il reste bouche fermée, à remettre maladroitement sa manche en place – avant de continuer. « Tu veux que je me moque de toi ? Désolé, j’en suis in-incapable. Te mépriser ? Je n’en vois même pas l’intérêt. Et t’ignorer ? Ca m’est bien impossible. » Un sourire se compose sur ses lèvres alors qu’il jette sa cigarette dans le cendrier, passant une main dans ses cheveux.

« Et non, je n’ai plus peur de toi, Indiana Peters. » C’est vrai ça, il n’a plus peur du lui. Plus comme avant. Il sait que jamais plus il n’ira se faire frapper sans raison, que jamais plus il retrouvera ses affaires déchirées, son casier défoncé. Il croit. Il n’est pas sûr que toute trace de crainte à son égard aie disparue – et c’est ce doute qui le pousse à continuer la conversation. Lui qui n’aime pas tellement parler, qui se trouve déjà bien trop bavard. Lui qui n’a pas détaché son regard un seul instant du brouillard mystérieux qui nimbe les pupilles d’Indy.

« Je voulais j-juste de demander quelque chose. Qu’est ce que ça t’apportait, tout ça ? »

Le ça, le fameux ça qui avait détruit, forgé à coups de poings et brisé Terry à maintes reprises. Le ça qui n’avait jamais eu de réponse. Le ça qui l’obsédait. Pourquoi ça, pourquoi es-tu comme ça ?

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- Et toi, c’est ce que tu veux ?

Demi-sourire n’apportant aucune réponse, Indiana lui ficha la paix pour détourner la tête, haussant les épaules. Non, il ne le voulait pas spécialement. Il aimait être dominant, il préférait imposer que subir, inspirer la peur plutôt que de se faire marcher dessus. Mais avec ce gars là, il n’y avait pas grand chose à craindre. Quoi que, quel était son pouvoir déja ? Impossible de s’en souvenir.

- Tu veux que je me moque de toi ? Désolé, j’en suis in-incapable. Te mépriser ? Je n’en vois même pas l’intérêt. Et t’ignorer ? Ca m’est bien impossible.
- Tu es faible. Ou mature, au choix.

Nouveau haussement d’épaules, il porta son pouce à ses dents, venant ronger son ongle de façon brève.

- Et non, je n’ai plus peur de toi, Indiana Peters.

A moitié vrai. Indy sut aussitôt ce qu’il en était: il n’avait plus peur des coups ou des bassesses qu’il avait autrefois subit. Mais il craignait encore, quelque part, quelque chose. Edgard ne sachant lui même poser le doigt dessus, Indiana ne le pouvait pas non plus. Mais cette vérité lui arracha un faible sourire satsifait, tandis que sa langue glissait sur ses dents; d’accord, il fallait l’avouer; il aimait toujours qu’on le craigne un minimum. Peut-être était-ce pour compenser la vulnérabilité pointée du doigt par Edgard.

- Je voulais j-juste de demander quelque chose.
- Mmh ?
- Qu’est ce que ça t’apportait, tout ça ?

En voila une bonne question. Indiana se l’était posée plus d’une fois, et comme toujours...

- Pourquoi chercher à comprendre. Pourquoi toujours chercher une explication rationnelle à toute chose... ?

Il se leva trouvant rapidement la table du bout des doigts pour y appuyer son fessier, faisant désormais face à Edgard. Il croisa les bras et les pieds.

- J’aime penser que ça ne m’apportai rien, que c’était injustifié, insensé et totalement absurde. Est-ce que ça pose un problème à monsieur le scientifique ?

Brof de bio, ou quelque du genre. C’était ça, que lui avait dit William. Et ça ne l’étonnait absolument pas.

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Beaucoup d’arrogance, beaucoup de sourires. Beaucoup de ces choses qui lui donnaient cette envie de passer au scalpel le cerveau de l’aveugle – de lui ouvrir son crâne. Et Terry se penche en avant alors qu’Indy s’assoit face à lui, comme si cela allait l’aider à comprendre. Il tend l’oreille, se fait silencieux – toujours à l’écoute. Oh, il ne s’attendait pas à ce qu’il lui donne vraiment LA raison - ç’aurait été d’une bien fade rapidité – mais il espérait un petit quelque chose qui l’aiderait à faire le tri dans ses pensées.

Pourquoi chercher à comprendre. Pourquoi toujours chercher une explication rationnelle à toute chose... ?

Il se força à serrer les lèvres pour ne pas rire – d’un de ses rires faibles et un peu hésitant. Qu’est ce que c’était que cette question ? Déroutante, inattendue. Il n’arrivait pas à le suivre – Indy lui faisait quelque peu perdre pied. Mais c’était ce qu’il cherchait. S’interroger sur tout et rien était tout ce qui lui donnait la sensation d’exister.

« C’est ce que les Hommes font. Trouver une explication, n’est ce p-pas plus rassurant ? Qu’il y en ait une ou non, c’est la poursuite de la connaissance qui nous permet d’avancer. Et cette même connaissance qui nous rapproche de la perfection. » Qui nous rapproche de Dieu. Un souffle file de ses lèvres et ses yeux se mettent à briller – perdus dans toutes ces possibilités que le monde offre. Tant d’hypothèses pour tant de questions, et le voilà qui se sent devenir encore plus petit – insignifiant.

Mais il ne baissera pas la tête pour autant – si heureux d’être un de ces hommes cherchant à décrypter la grande énigme qu’est l’univers. Monsieur le scientifique

« Fier de l’être. F-fier de trouver des problèmes là où personne d’autre n’en voit.» Sa voix s’anime, se teintant d’une présence qui d’habitude se fait discrète. Ah la fierté, c’était un concept tellement flou pour lui. Tête écrasée contre le sol, humilié – à l’époque, la fierté n’était qu’un immense vide à ses yeux. Inexistante quand le fait même d’exister lui avait paru être une honte. Pourquoi, pourquoi était-il comme ça, le petit Terry ? Les questions avaient été sa seule accroche, son seul secours. Les questions l’avaient rendu vivant.

Alors il vivait pour les questions. Au fond, tout ça n’était qu’un simple rapport de cause à conséquence.

« Alors je trouverai bien une raison à tes actions. Une que t-tu ignores peut être toi-même. » Il était maintenant bien trop près de lui, et recula pour se rasseoir dans le fond du fauteuil, retrouvant son habituelle nervosité. Paumes moites. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas autant parlé. Mais il en avait ressenti le besoin – l’envie urgente de répondre à cet homme, de le comprendre. Ce qui le surprenait et l'effrayait tant à la fois.

Malgré les années, il fallait bien l’admettre, l’aveugle gardait une emprise sur lui. Quelque chose dont il ne pourrait jamais vraiment se débarrasser. Une toile à jamais enroulée autour de son esprit.

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