War.

« Ramènes-toi dans ma chambre dans un quart d'heure. C'est pas une proposition, faut qu'on parle sérieusement. » T'as pas mal galéré à écrire ce lms, mais surtout à l'envoyer. Tes doigts tremblent encore, comme si ce que tu faisais était mal. Deux minutes plus tard, un tendre message pour ton petit protégé. Sa réponse plutôt froide t'inquiète légèrement mais tu n'y penses pas. Tu vas devoir user de ton don avec force et concentration, donc tu dois toi-même te calmer.

Ton but principal ? Parler à Cody, parler à Nathan et les forcer à rester dans la même pièce un bon moment. Évidemment tu te placerais entre les deux à une distance respectable et tu empêcherais tout contact physique. Si tu n'as pas été toi-même victime d'une agression sexuelle, tu en comprends la gravité. Mais c'est un élan d'égoïsme qui te pousse à faire ça. Tu veux pouvoir rester neutre, ne prendre aucun parti sans ressentir cette culpabilité amère qui te poursuit depuis la nouvelle publique.

Déglutissant nerveusement, tu caresses du bout des doigts ton chat. Les autres sont partis en ville, tu es toute seule. Et cette solitude se fait pesante, le silence te torturant plus qu'un long discours sur ton attitude puérile. Parce qu'elle te permet de réfléchir, de retourner le problème, de regretter. Ce que tu fais est mal putain. Tellement mal que tu te dégoûtes toi-même.

Les cigarettes sous ton lit semblent t'appeler, mais tu n'y touches pas. Pas encore. Pourquoi les avoir achetés ? Masochisme, sans aucun doute. Assise sur le matelas, tu attends jusqu'à ce que l'on frappe à ta porte, te jetant presque dessus pour l'ouvrir. Nathan. Revoir sa tronche te couperait presque le souffle. S'il ne s'était rien passé, tu lui aurais sauté au cou, qu'il soit d'accord ou non. T'aurais recouvert son visage de baisers, comme une gamine de trois ans avec son grand frère. Mais là, ton visage s'assombrit, et tu lâches un simple « Entre. »

Peut-être que tu es trop rancunière. Mais tu t'en fous. Te retournant en laissant simplement la porte ouverte, tu lui indiques le lit d'un vague geste et t'y installes toi-même, tendue comme un string. C'est à toi de faire le premier pas et tu n'as que très peu de temps. Cody va certainement arriver dans peu de temps. Quel merdier...

Avant de dire quoi que ce soit, tu prends une profonde inspiration et dégages toutes les pensées qui n'ont aucun rapport avec la discussion qui va venir. Par exemple, ta récente rupture avec Eryk. Ou ta soudaine peur de Nathan. De quoi t'as peur pauvre conne, il t'as jamais rien fait, ça va pas commencer aujourd'hui. Tu expires lentement ton souffle et plies les jambes, te plaçant pour être en face de lui. Nerveusement, tes doigts tripotent ton jean.

« Donc... Salut. J'suis désolée mais j'suis pas vraiment d'humeur à taper la causette tranquille, alors j'te demanderais pas comment tu vas. J'vais aussi tenter d'être assez brève... » Légère pause, ton regard faiblit. « J'sais pas ce qui s'est passé, j'me passerais sans problème des détails. Mais je sais que t'as pas été propre, Nathan. C'est pas à moi d'enfoncer le couteau dans la plaie... » Tu reprends ta respiration. « Ce qui me dégoûtes, c'est que t'as pas cherché à te confier à quelqu'un. »

Sous-entendu : à moi. Tu fixes tes mains, retenant des larmes de dégoût. C'est pas le moment d'être faible. Rassemblant ton courage et ton self-control, tu laisses un léger silence s'installer, avant de poursuivre. « Comme je le disais, c'est pas à moi de faire ça. C'est à lui. »

Toc toc. Encore une fois, un poing frappe la porte. Tu te lèves sans plus rien dire et va ouvrir la porte... Pour trouver un Cody dans un piteux état. Ta bouche s'ouvre mais rien n'en sort, tu écarquilles les yeux. Sans voix, tu observes la petite créature tremblante, souillée. Reste calme. Putain. De. Merde. Dents serrées, tu jettes un regard au rouquin derrière toi. Non. Pas lui. Tes pupilles retournent vers le petit. « Cody.. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Entre euh.. Putain, j'ai tout foiré cette fois. »

Tu te mords la lèvre inférieure, lui prend délicatement la main et l'entraîne vers la salle de bain, sans même cacher la présence de Nathan. Lui lançant un regard meurtrier, tu craches. « Toi. Ne bouge pas d'un millimètre, ou tu le regretteras. »

Et tu sors tout ce que tu trouves dans ta boîte de pharmacie, installant Cody sur un petit siège. « Attend chou, je vais nettoyer tout ça. Dis-moi.. Qui t'as fait ça ? » Sous-entendu : qui va finir avec la mâchoire explosée ?

Pauvre conne. Tu t'attendais à quoi ? A ce qu'ils se câlinent et fassent la paix d'un coup ? Non, bien sûr que non. En sortant du coton et du mercurochrome, tu réfléchis, tu regrettes tes actes. Mais c'est trop tard Anarchy, t'as merdé, assume maintenant. Tes doigts tremblent légèrement en tapotant le plus doucement possible les plaies du petit rouquin. Tu te mords la lèvre inférieure sans rien dire, sans rien montrer, jusqu'à ce que le prénom de l'accusée tombe.

▬ « Tu sais, cette fameuse Alessandra qui se tient avec Nathan... »

Tu en perds le souffle un instant. Fouillant dans ta mémoire. Alessandra. Cette putain de A. Cette salope qui pourrit la vie du pensionnat entier. La colère s'installe, sans que tu ne la retiennes, sans que tu ne la repousses. Tu serres les dents après avoir repris ta respiration, et poursuis tes soins. Le coton imbibé de sang et d'alcool vole jusqu'à la poubelle, quand le liquide écarlate ne coule plus, tu places un pansement sur son arcade sourcilière, ton coeur se serrant égoïstement en voyant la gravité de ses blessures. Cette chienne l'a blessé, elle le paiera salement. Très salement.

Attrapant délicatement ses doigts pour les serrer entre les tiens, tu le regardes droit dans les yeux, ton regard plus déterminé que jamais. Plus orageux que jamais. Et plus que tout, plus inquiet que jamais.

▬ « J'te promets Cody, elle regrettera. Elle va s'en mordre les doigts, jusqu'à ce que je les arrache. » Pas un sourire, juste ce rictus crispé sur tes lippes abîmées. C'est dur, de se dire que tu as échoué. Partout. T'as plus rien, même pas d'amour propre. Même pas d'amour tout court. Tu le redresses et lui embrasses le front, évitant tout contact avec ses marques. Et enfin, tu te retournes vers Nathan, l'air grave.

▬ « J'ai pas envie qu'on se prenne la tête à trois. J'ai pas envie d'avoir peur de toi. Mais j'ai l'impression que tout ça va arriver. Nathan. Putain Nathan, j'ai aucune idée de ce qui t'as pris mais t'as foutu en l'air la vie de ce pauv' gamin, j'espère que t'en as conscience. » Une pause de dix secondes, le temps de rassembler tes pensées. « On va mettre les choses au clair. Ca va faire mal, mais faut crever l'abcès. Tu m'as déçue Nathan, t'imagines pas à quel point. J'pensais que t'étais un bon, j'les emmerdais tous à brailler que t'étais qu'un connard, que t'allais m'la foutre à l'envers. J'dis pas que maintenant je les crois, alors tais-toi et écoute c'que j'ai à dire jusqu'au bout. »

Tu t'avances vers lui après un dernier regard vers Cody, lui intimant le silence par ce simple coup d'oeil. T'as été la première à commencer, si tu finis pas très vite t'auras plus le courage de continuer, de retenir le flot de larmes qui fait briller tes yeux.

▬ « Je sais que c'est égoïste d'avoir fait ça. Je sais que j'aurais du vous laisser vous démerder, vous parler tous seuls. Mais j'en a marre que tout parte en couilles. Alors j'veux plus que deux des personnes que j'aime le plus soient comme ça.
Je dirais pas que j't'en veux pas. Je t'en ai voulu à mort Nathan, à mort. Mais je t'en veux plus trop, j'ai compris que c'était pas mon affaire, que ça me regardait pas. Et pourtant j'continue à pourrir vos vies en vous forçant à parler. J'suis une salope, hein ? Réponds pas, c'est une question dans l'vide j'ai déjà la réponse. » Tu reprends ta respiration et t'achèves toute seule. « Je pourrais pas te détester, j'en ai trop chié pour que tu m'apprécies. Alors maintenant tu vas me faire le plaisir de t'excuser sincèrement, de parler sincèrement et d'arrêter de prendre Cody et moi pour des pigeons. »

Ton regard se durcit mais le reste de ton expression s'adoucit. T'es indécise, tu sais pas du tout comment te comporter. « Et aussi. Arrête de vouloir me protéger. Grâce à ton côté de protecteur à la con, j'ai tout foutu en l'air. Laisse tomber, j'sais me démerder quand j'suis dans la merde. Franchement, en essayant de bien faire tu m'as carrément enfoncée jusqu'au cou. »

Tu te plantes devant lui et serre les dents. Allez, termine Anarchy. Termine en beauté. Ton bras se lève. Main ouverte, mine glaciale. Tu lui colles une baffe. La plus grosse que t'as jamais donné. Un sanglot t'échappe, tu le ravales aussitôt. Et tu ne baisses pas les yeux, tu le fixes.

▬ « Et ça c'est pour refoutre tes putains d'idées en place. »

▬ « Je sais ce que j'ai fais. Je sais que dire que c'était un accident et que j'étais complètement saoul ne résoudrait rien. Je suis une merde, un minable d'avoir fait ça, si je pouvais remonter le temps je le ferais sans hésiter et... Je n'ai jamais voulu qu'Alessandra te frappe, je lui avais même dis comme j'ai fais à Anarchy de ne pas s'en mêler, je... Tout est de ma faute.
▬ Je sais que tu ne lui aurais pas demandé quelque chose de tel. Si tu l'aurais voulu, tu serais venue le faire toi-même. »

Si tu n'avais pas vu cette larme, roulant sur la joue du rouquin, t'aurais pas réagi aux mots de Cody. Si tu n'avais pas senti ton propre coeur se serrer si violemment qu'il t'en coupa le souffle, tu n'aurais rien dit, tu l'aurais laissé cracher sur Nathan. Mais tu l'as vu et tu l'as senti. Son regret. Sa culpabilité si puissante que tu as l'impression d'avoir commis la faute toi-même. Tes genoux te lâchent subitement, ta respiration devient inexistante pendant un instant qui semble infini. Tu les regarde tour à tour, te mordant la lèvre. Et tu t'assois sur le lit, reprenant ton calme.

C'est toi qui a décidé d'ouvrir la plaie, alors c'est à toi de la refermer. Tant pis si ça met dix ans ou dix secondes. Tant pis si ça te transperce le coeur, tant pis s'ils te détestent tous les deux. Tu veux qu'ils arrêtent, que toutes ces emmerdes cessent. Alors tu te redresses sans te lever, consciente que tes jambes tremblantes ne pourront pas te porter. Tu fixes Cody. A son tour, n'est-ce pas ? Après avoir gueulé sur Nathan, autant le faire sur lui.

▬ « Co'. Tu sais qu j't'adore. Tu sais que tu m'es précieux. Tu sais que te voir comme ça c'est assez douloureux et rageant pour que j'aies envie de vous laisser tous les deux ici et d'aller faire bouffer le bitume à la salope qui t'as fait ça. Mais tu sais aussi que c'est ma faute s'il est là. Que c'est moi qui ai décidé égoïstement de vous réunir. J'en ai marre de ces conneries, j'en ai marre que tout aille de travers. Pour nous, pour vous. Pour toi. » Tu fermes les yeux. « J'sais qu'en ce moment, c'est plus que dur pour toi. Tu dois aussi en avoir assez, pas vrai ? Mais c'que tu sais pas, c'est ce qui se passe dans sa tête. » Tu pointes Nathan du doigt. « Moi si. Je sais ce qu'il ressent. J'ai jamais senti un regret aussi grand. Une culpabilité aussi profonde. Il est presque aussi traumatisé de lui-même que toi. Il est presque aussi détruit que toi. Je sais, c'est salaud de comparer coupable à victime. J'accuserais pas l'alcool, j'accuserais ce con-là de t'avoir fait ça. »

Tes doigts pianotent sur tes cuisses, tu cherches tes mots. « Mais tu vas pas dire que ce truc à la joue et aux yeux rouges, c'est exactement le même mec que celui qui t'as fait ça. Tu vas pas me dire qu'il a le même regard, qu'il a la même attitude. Réfléchis cinq minutes, Cody. Et dis-moi c'que tu vois, quand tu regardes les différences entre les deux types. »

Peut-être que tu t'y prends mal, peut-être que t'enfonces Nathan plus qu'autre chose. Mais tu préfères agir en essayant de changer les choses que les regarder répéter un discours pré-fait. Tu fixes le blessé droit dans les yeux, puis lui indique l'autre. Pour qu'il fasse ce que tu lui as dis. Pour qu'il comprenne que les belles paroles de ton frère sont pas des mensonges.

Au pire, tu pries pour que ton don s'active, quand tu en auras besoin. Est-ce que j'ai fait le bon choix ? On verra.

Pauvre conne. Cette voix dans ta tête, cette conscience dans ton esprit qui t'insulte, qui te frappe moralement, qui te donne tout simplement envie de te jeter d'une fenêtre, en espérant t'envoler. Un long silence s'installe, un long silence qui te poignarde, qui te fait réfléchir à tes propres paroles. Tu l'abats alors qu'il est victime, tu l'accuses alors qu'il a subit. Idiote, idiote, idiote. t'es un monstre Anarchy, un monstre qui bouffe cette petite chose jusqu'à l'avoir brisé inconsciemment. Comment ne pas se haïr quand tout notre être nous souffle ça ? Tu serres les poings, enfonces tes ongles dans tes paumes. Savoure cette infime punition.

▬ « Je ne vois rien. » Le jugement s'abat, t'écrasant avec la force d'un ouragan. Tu ne ressens plus tes propres émotions mais celles autour de toi. L'amertume de Nathan n'est rien face aux sentiments de Cody. Tu l'as vexé Anarchy, tu l'as vexé et il enrage, parce que son seul soutien l'a abandonné. Probablement que tu étais un de ses derniers espoirs, et tu lui as pourfendu la gorge. bravo Anarchy, tu as réussis à empirer les choses.

Entraînée par ton instinct, tu le rattrapes en courant et enroules tout simplement tes bras autour de lui, le serrant contre toi. Tu tentes de lui faire comprendre, de lui prouver que tu es avec lui, que tu n'as jamais voulu faire ça. Que tu n'as jamais voulu le rendre ainsi. Le voir dans cet état est une chose, être consciente d'en être la cause en est une autre. Mordant ta lèvre inférieure, tu plaques tes mains sur ses épaules et le retourne, lui offrant un baiser sur sa joue blessée.

▬ « Co'... Pardonne-moi. S'il te plaît. »

Et tu t'enfuis lâchement, tu retournes dans ton dortoir où t'attend Nathan. il est temps d'abattre la vérité, il est temps de blesser quelqu'un d'autre. Mais en entrant, en le voyant, ce n'est pas un monstre que tu vois. C'est ton frère, le deuxième mec pour qui tu tuerais probablement, pour qui tu sacrifierais n'importe quoi. Nathan Christopher Richardson, une des personnes les plus importantes dans ton existence.

Tu ne pleureras pas. Tu ne pourras pas lui faire encore mal. Tu l'as trop fais aujourd'hui, tu as blessé tant de gens en quelques phrases. Et tu vas recommencer. Mais plus tard. Alessandra paiera bientôt ses actes, elle regrettera d'avoir touché au visage de Cody. Tes mains salies par quelques gouttes de sang attrapent le paquet de clopes sous le lit, tu te redresses et te plantes face au rouquin. Yeux grands ouverts, mine fermée.

▬ « Toi aussi, pardonne-moi. j'aurais pas dû faire tout ça. J'suis désolée. » Et encore une fois, tu l'enlaces et le presse contre ton coeur. Tu les aimes tous les deux, tu veux les protéger tous les deux. Et tu le feras, qu'ils le veuillent ou non. Tu seras forte, peu importe ton état émotionnel. « Laisse-moi m'occuper d'Alessandra. T'en as assez fait, c'est à mon tour de réussir quelque chose. »

Et tu le lâches. Tu actionnes ton briquet et tires une latte. Il est trop tard pour regretter, poussons le vice jusqu'au bout.