FEAT. nobodyCodage fait par ©PAINDORE sur
La nouvelle était tombée la veille, comme une évidence.
Le décès de sa mère avait attristé Tony malgré tout ce qu’il aurait pu en dire. Comme pour son paternel, sa famille disposait d’une place privilégiée au milieu de ce coeur pétrifié qu’était le sien. Pourtant, il était resté de marbre face à la nouvelle, refusant de montrer à quiconque son ressenti. Et dire que tout allait pour le mieux - pouvoir enfin sous contrôle, mental de nouveau d’acier et des sentiments qu’il pensait totalement refoulés. Prêt à se plonger de nouveau dans l’oeuvre qu’était la sienne, à s’enfermer dans son quotidien si plaisant. Mais il savait qu’au fond, il ne pouvait pas. Il était majeur, libre de partir, et plus que tout, devait reprendre la suite de ses parents. Entreprise familiale qu’il avait toujours convoitée - lui qui pensait ne toucher cette richesse que bien plus tard la voyait aujourd’hui à portée.
Qu’était ce pensionnat pour lui par rapport à tout cela ?
Il s’était refusé à penser à tout ça, à regretter ce qui n’était qu’un simple départ.
Mais il n’avait pas pu s’en empêcher, si antipathique qu’il fut.
Il pensa à Jim, à leur interminable rivalité. Il pensa à cette haine, cette admiration mutuelle. Il pensa au génie du jeune Reed, fait qu’il avait longtemps sous-estimé, voire refusé d’admettre. Aujourd’hui, il se moquait bien de sa propre fierté à l’égard de quelqu’un qu’il ne reverrait probablement jamais, de celui qu’il avait commencé à voir comme un rival. Egalité parfaite, empathie sans égale dans leur haine l'un envers l’autre - car au fond, c’est Jim qui l’avait changé. Aidé ou condamné, il avait inconsciemment, avec son pouvoir de souffrance, fissuré la carapace de pierre du géant finnois. Cet éclair de solidarité, cette ombre de sympathie qui semblait les avoir tous deux traversés dans la salle intemporelle, resterait elle aussi enfouie au fond de lui.
Et il refusait de le voir. Il ne voulait pas croiser Jim, parce qu’il savait qu’à l’instar des ténèbres qui l’habitait, la lumière de Jim était éternelle. Il savait que ce dernier était capable de mettre de côté ces différents pour leur dernier entrevu, et lui refusait d’y faire face. Lui refusait de voire cette réalité qu'il s'était construit tomber en fumée. Il fuyait, pour la première et dernière fois, fatigué de se battre, lassé de ce jeu. Il passa devant la porte du bungalow 2, impeccable dans son costume d’obsidienne, le visage fermé - s’éloignant sans remords de celui qui l’avait tout autant détruit que construit.
L’hésitation se marqua sur son visage alors qu’il s’arrêta devant la porte du bungalow 3, repensant à tout ce qu’il avait partagé ici. Il pensa tout d’abord à une Sarah déchaînée dont il gardait encore quelques marques, il y a de ça quelques jours. Sa haine, sa colère, celles d’une personne pour qu’il ne ressentait au fond qu’un mépris sans égal. Car si Sarah avait su l’amusé bien plus que d’autres n’auraient su le faire, ce n’était pas elle qui l’avait fait hésiter. C’était quelqu’un d’autre qui lui retournait l’estomac dans un sentiment tant gênant qu’incompréhensif qui semblait si proche du remord. Et Tony porta sa main à ses lèvres pour les toucher, nostalgique de toutes ces sensations - toujours tant désireux de ce qu’elle lui avait offert.
Ulysse.
Il assumait pleinement, désormais, il avait cessé de se voiler la face. Il avait des sentiments, pour elle plus qu’il n’en aurait jamais pour personne. Il avait laissé sur elle une marque éternelle, et lui pourtant, disparaîtrait en une nuit - cruel acte qu’il n’aurait cesse de regretter. C’était pourtant ce qu’il ferait, presque destiné à patauger dans la souffrance, heureux à sa façon dans cette interminable douleur. Qu’était-elle face au destin qui l’attendait ? C'était sans doute le dernier et le pire mensonge qu'il s'adressait à lui-même - car il savait au fond de lui, qu'il ne trouverait personne apte à occuper le vide qu'elle laisserait. Qu'elle était comme une dépendance.
Et ça, Tony refusait de voir cette réalité.
Fier, puissant lion, bien trop attaché à sa liberté.
Il fit volte-face, se tournant pour traverser un couloir vide et submergé par la nuit. Ses valises étaient déjà descendues dans le hall, et ce sont ces étroits sentiments qui l’avaient poussé à revenir une dernière fois ici. Il avait hésité une seconde, à ouvrir la porte pour regarder une dernière fois son visage, mais il s’y était refusé. Il l’avait encore en tête, et le génie qu’il estimait être était certain de ne pas pouvoir l’oublier. Et ça, c’était quelque chose qui ne changeait pas - cette assurance dans sa tête, et dans son apparence ; sa démarche fière et arrogante qui le transporta jusqu’au Grand Hall. Il serait faux de dire qu’il ne regretta rien, en empoignant sa valise pour une dernière ligne droite vers la sortie, mais vous connaissez Tony. Il prend les meilleures décisions, et il ne se trompe jamais. Il a toujours deux coups d'avance, et n'a cesse de prévoir vos réactions pour vous plonger dans la colère, car c'est de ça qu'il se nourrit. C’est un génie, après tout.