now it's over 15000 ▬ ewan

Si t’avais peur ?
La question ne se posait même pas. Tu t’étais souvent fait zigouiller par ce genre de types : provocateur, sans limite, rapidement vexé. La plupart des gars de cette île avaient toutes les raisons du monde de t’exploser la gueule, toi, tu préférais te foutre de la leur. Seulement, il y avait une énorme différence entre se faire éclater par des mecs costauds et la même opération des mains d’un troll - ou d’une espèce non indentifiée dans le même secteur d’horreur. Ah, ça, il était flippant : dents de traviole, regard méchant… des cheveux plus ou moins coiffés, et une voix sortie tout droit des films Batman de Christopher Nolan. Très franchement, t’avais moyennement apprécié ces films - comme la plupart des choses américaines à budget astronomique, mais le détail t’avait marqué. Tu revivais les frissons de la première fois, le premier volume - en compagnie d’Ashley, allongé sur ton lit si confortable.

Tout était là, à l’exception du confort, ce qui rendait ça d’autant plus désagréable. Ah et, une autre différence, c’est que tu n’avais jamais imaginé que Batman puisse s’extirper de l’écran pour t’en coller une bonne - qui soit dit en passant, t’avait bien remis les idées en place. Eh ouais, un gaillard d’un mètre soixante-quinze ne peut pas se défendre contre les gars, il faut donc te calmer et arrêter là ce jeu de provocations inutiles. ...C’est ce que tu aurais pu te dire, seulement, la morale était toute autre : Batman n’abandonne jamais. L’affreux n’avait pas abandonné. La conclusion c’est que, la prochaine fois que tu casserais les couilles d’un type, tu t’efforcerais d’attendre au moins le lendemain qu’il se calme. Et, au passage, d’éviter de traîner avec des potes qui auraient la mauvaise idée de réagir de façon héroïque.

Quelle plaie.
Si encore ce n’était que ça - mais il avait fallu qu’une autre nouvelle te tombe sur le dos.

Deux heures. Retenue, en compagnie du bien aimé bossu qui avait daigné te refaire la face. Très sincèrement, t’avais pensé à protester, mais tu ne doutais pas une seule seconde de l’inutilité de tes mots face à Nemesis O’Connor. Sauf, peut-être, si tu avais envie de voir ta peine se doubler. D’autant que, quand on fait face à quelqu’un de dix centimètres de plus que le type qui vous a battu, on évite de trop se faire remarquer. Enfin, ce n’est pas comme si la peur t’avait déjà empêché de faire quoi que ce soit - à ton sens, c’était un moteur, et c’est bien pour ça que tu te retrouvais là aujourd’hui. Les leçons d’éthique ne rentraient jamais, peut-être parce que ces heures de colle répétitives ne figuraient pas sur le dossier scolaire.

Bref, c’était le sourire ironique et les regards emplis de sous-entendus qui t’accompagnaient dans cette épreuve emmerdante. Tu te doutais non seulement qu’il ne ferait rien devant le pion, mais aussi qu’il avait eu le temps de se calmer. L’embrouille avait quand même eu lieu il y a de ça deux jours - ce samedi matin, tu te sentais plus en forme que jamais. Toute ta classe avait entendu parler de l’embrouille, tes potes s’étaient bien foutus de la gueule de ce bout d’humanité et toi, tu n’avais plus aucune pitié pour lui. Ressembler à rien, c’était loin d’être un sujet de plaisanterie - seulement, à ton sens, la nourriture ne l’était pas non plus. T’étais peut-être pas le type raisonnable du monde, mais pour le coup, t’estimais pas avoir commencé les hostilités.

- Détends-toi mec, c’pas comme si tu pouvais devenir plus moche.

Provocation incessante. C’est murmuré, alors que tu t’assois à un bureau sous l’oeil attentif de Nemesis. En réalité, t’as pas l’intention de faire ce travail, comme t’as pas l’intention de lui foutre la paix. Dommage pour lui.