Abyssum abyssus vocat. [Discours de sanction]

En passant dans le grand hall pour aller au réfectoire, chaque élève pouvait constater l’étendue des dégâts. Le lustre brisé à terre, les murs peinturlurés de rouge, tout était sens dessus dessous. Et il n’y avait pas que les élèves qui observaient cela. Ruthel aussi, empruntant le chemin pour donner son discours, contempla longuement ce qui était l’entrée fière et puissante de son cher pensionnat il y avait quelques jours de cela. Que n’aurait-il pas donné pour retourner en arrière et écouter les propositions d’Entropy et de ceux qui voulaient l’égalité des classes. Mais l’heure n’était plus aux regrets, elle était à la colère.

Le directeur avait beau être le plus gros chamallow du monde, il n’en restait pas moins un homme fier et avec un coeur. Or des élèves s’étaient attaqués à son rêve d’enfant, son pensionnat si durement rénové. Oh oui, ils avaient trouvé le point faible de la tête de l’école. Ils avaient bien compris que si les fondations ne tremblaient pas d’un centimètre, alors il fallait s’attaquer à la tête. Comment un corps pourrait-il fonctionner sans son chef ? C’est donc plus que remonté que Ruthel pénétra à l’intérieur du réfectoire, où il avait demandé expressément que les tables soient poussées contre les murs, afin d’accueillir le plus d’élèves possibles. Bien sûr, les principaux concernés ne viendraient sûrement pas mais l’homme en avait assez de se cacher dans son bureau, constamment rassuré par Kerstin qui lui disait qu’elle s’occupait de tout avec fermeté. Maintenant, lui aussi agirait fermement.

RED voulait de l’opposition, souhaitait voir réagir Ruthel ? Il allait réagir et pas dans le sens qu’ils souhaitaient. Bien sûr, il ne pouvait décemment pas les virer ou le feu aux poudres n’en serait que plus ardent mais ils comprendraient. Même Anarchy se trouvait dans leurs rangs, elle qui était pourtant si adorable. Il se sentait déçu mais n’y pouvait rien, un directeur ne devrait pas être si mou et copiner avec ses élèves.

L’homme grimpa sur l’estrade en bois spécialement préparée pour lui, Tartiflette à son côté et fixa les élèves qui s’étaient amassés devant. Déjà, il y avait des gens, c’était mieux que ce à quoi il s’était attendu. Il inspira un grand coup pour évacuer le trop-plein de tension qu’il sentait gonfler dans sa poitrine et parla enfin, se fichant bien des regards tantôt accusateurs, tantôt étonnés, tantôt encourageants. Il parlerait en qualité de directeur et de celui qui avait reconstruit le pensionnat de ses propres mains.

▬ Bonjour à vous tous, merci d’être présents ici. Malgré le message de l’administration sur le panneau dédié, j’ai tenu à venir devant vous et à vous faire part à la fois des punitions et de mon sentiment quant à ceci. Si vous avez des réactions, j’aimerais que vous les gardiez pour la fin, afin de ne pas m’interrompre. Je souhaiterais éviter au possible de devoir vous congédier de la salle.

Petite pause pour la forme. Ruthel s’attendait à recevoir des tomates pourries ou autres objets plus dangereux, il y était préparé mais un bout de tissu arriva rapidement et s’écrasa mollement loin devant l’estrade. Le gamin qui l’avait lancé reçut un regard avenant du directeur qui lui montra la sortie “ou Tartiflette t’accompagnera”. Le petit sortit, penaud, et le calme reprit possession du réfectoire.

▬ Bien, maintenant que nous nous sommes compris, je peux commencer. Dans la nuit, des élèves dont je citerai le nom plus tard ont été pris la main dans le sac en train de vandaliser mon pensionnat, débuta-t-il en insistant bien sur l’appartenance des locaux, et je tiens à dire que je suis extrêmement déçu de ce comportement. Certains ne se rendent pas compte du changement que cela impliquerait, si le système du pensionnat devenait tout autre et “égalitaire” comme certains se plaisent à dire. J’ai laissé parler Entropy, je jugeai que leurs réclamations étaient légitimes, tant que leurs actes ne dépassaient pas ce qu’ils ont été. Mais RED a dépassé les bornes. Je ne suis certes pas l’homme le plus ferme ni le plus crédible pour vous tenir ce discours mais Heath Ackland, Joach Källström, Pythagore Hemelrijk, Azura Fernandez, Gautier Everfield et Jacklyn Babylonn ont découvert la méthode moins douce semblerait-il. Si briser le pensionnat est le moyen que vous avez trouvé pour obtenir gain de cause, ne vous attendez pas à de grands changements. Les ruines ne serviront personne, une fois qu’elles seront installées. Ni les A, ni les E. Je ne vous renverrais pas du pensionnat car j’estime que vous êtes en droit d’accéder encore à l’enseignement dont on vous dispense mais attendez-vous à des représailles de notre part. Par “nous”, j’entends l’administration et moi.

Ruthel s’arrêta quelques instants de parler, reprenant son souffle et jaugeant l’assemblée ici réunie. Certains professeurs s’étaient invités, de nouveaux élèves étaient arrivés mais pas ceux attendus, évidemment. Ou alors ils se cachaient parfaitement bien. Sur le pupitre préparé pour son petit speech, qu’il aurait préféré ne jamais donner, on lui avait installé la liste des punitions générales à donner ainsi que le nom des collés. Ces noms étaient déjà affichés mais le directeur souhaitait les répéter ici également. Pour les sanctions générales, les protestations iraient bon train et se répandraient aux oreilles des concernés comme une traînée de poudre, à laquelle Ruthel s’apprêtait à mettre le feu. Nouvelle inspiration.

▬ Pour commencer le festival des représailles, je vais annoncer le nom des collés, avec la date et les heures. Pour les trois semaines à venir, de 8h à 18h et ce tous les jours - exepté le dimanche,- les instigateurs de RED seront collés, c’est-à-dire encore une fois, Heath Ackland, Joach Källström, Azura Fernandez, Jacklyn Babylonn, Gautier Everfield ainsi que Pythagore Hemelrijk. Leur présence sera obligatoire, sous peine d’alourdissement des sanctions. Il en est de même pour les suivants, collés de 8 à 18h, du lundi au samedi de la semaine prochaine. J’ai nommé Anarchy Scarlet, Nathan Richardson, Orwenn Goodwin, Artus Meyers et Charlie Bennett. Ceci concernait les sanctions plus ou moins individuelles.

Et maintenant, Monsieur le Directeur allait attaquer avec le nerf de la guerre. Toujours d’un sérieux et d’un calme plutôt impressionnant pour toute personne acclimatée à la bonhomie habituelle du grand blond, Ruthel s’éclaircit la gorge afin de bien se faire entendre - et se préparer à toute objection, sans Honneur s’il vous plaît, - même s’il trouvait ces sanctions trop abusées.

▬ Concernant la sanction générale, cela ne s’applique qu’aux six membres de RED. Premièrement, Gautier est démis de ses fonctions de président du club de basket. Ensuite, tous seront privés de basket ou de toute autre activité, qu’il s’agisse d’un club, d’une sortie ou d’une fête de Jim. Et enfin, les réparations pour les dégâts causés demanderont certainement beaucoup d’argent, nous avons décidé que le pensionnat ne payera plus la part des charges des bungalows des six. Ils auront donc à payer de leur poche eau, électricité et chauffage.

Murmures dans l’assemblée. Bien sûr, ces sanctions étaient très restrictives mais elles ne visaient que les principaux membres de RED, ceux qui avaient publié leurs avis dans un blog. Ruthel entendit même un “ET LES AUTRES ALORS HEIN ?”. Les autres, c’était les A, les B et les C ayant probablement participé à la petite sauterie au rez-de-chaussée. De ceux-là, Kerstin avait tu les noms et le directeur n’y pouvait rien, même s’il avait eu quelques échos d’autres personnes. Il ajouta tout de même quelque chose, pour taire les imprécations.

▬ Pour ceux que vous nommez “les autres” et qui seront prochainement pris à s’opposer violemment à RED, provoquant également de la casse, seront également sanctionnés. Les élèves qui pourraient aider à réparer les dégâts mineurs sont les bienvenus, évidemment et ce, peu importe votre classe. J’aimerais ajouter que malgré ma déception et même ma colère envers les responsables de ce chaos, je suis prêt à m’entretenir avec eux, seuls à seuls, dans mon bureau.

“Seuls à seuls”, ce qui voulait dire sans aucune autre personne de l’administration, pas même Kerstin. Elle était trop dure et trop conservatrice et Ruthel souhaitait entendre les élèves réfractaires en toute honnêteté et non poussés par cette femme pourtant compétente.

▬ Sur ce, je vous laisse. J’ai encore des cookies de la discorde à préparer !

Vous pensiez que Ruthel serait sérieux jusqu’au bout ? Il l’était mais il ne voulait pas partir sur une note aussi acide. Les punitions énoncées allaient encore alimenter la vague rouge, il le savait. C’est donc ainsi qu’il quitta le réfectoire.

Le dos droit, l’air sérieux et Tartiflette le talonnant de près. Plus sérieux qu’on ne l’avait jamais vu.