Chasse aux mutants ! [Pv : Eden]

mutants dans les égouts

L’Ennui. Ce monstre plus horrible que Satan en personne. Cette hantise plus effrayante que les cauchemars enfantins. Ce virus plus contagieux qu’une grippe. Ce sentiment de gouffre, de vide, de sol qui se dérobe sous nos pieds. L’ennemi de l’Homme : l’Ennui. Et pour le commun mortel, l’Ennui pousse à la bêtise. Dans mon cas, cette vérité absolue s’applique à merveille. Et de quelle façon… Après avoir échoué lamentablement mon défi que je m’étais lancée l’autre jour, aujourd’hui, j’ai eu une toute autre idée, presque toute aussi superbe et inutile mais, néanmoins divertissante : aller attraper des rats et les lâcher dans les dortoirs. Ou dans les salles de classe. Je ne sais pas encore. Pour le moment, il faut d’abord que je trouve du matériel pour me protéger, pour attraper et surtout, il me faut des rats. Debout, devant mon lit qui est surchargé d’affaires en tout genre, je vérifie minutieusement mon inventaire tout en étant très excitée.

« Cape à capuche rouge emprunté à je-ne-sais-plus-qui : j’ai. Lampe de poche et batteries : j’ai. Bottes en plastique rouge à pois blanc : j’ai. Fromage volé à la cantine : j’ai. Deux grosses pincettes volées à la dame de service : j’ai. Bocal en plastique : j’ai. »

Il ne devrait rien me manquer à présent. Et c’est le cœur léger mais impatient, que je fourre mon kit de survie à l’intérieur de mon sac à dos bleu marine et que je m’apprête à quitter ma cabane.

« Hmm. »

Je fronce les sourcils, examine mes mains et réalise que j’ai omis un élément très important. Crucial. Vital. Des gants. Comment est-ce que j’ai pu oublier une chose aussi primordiale ? C’est que je ne tiens pas spécialement à choper un virus et tomber gravement malade. Parce qu’être malade, c’est pas très marrant. Je retourne vers mon lit et y cherche les gants de vaisselles jaunes que j’ai également empruntés aux dames de la cantine. Promis, je rendrai tout ça aux propriétaires quand j’en aurais fini avec ma petite plaisanterie.

« Ah ! Voilà ! »

Je chope la paire de gants que je range aussitôt dans mon sac et m’en vais pour de bon cette fois.

J’ai déjà repéré une entrée d’égouts près de l’entrée du pensionnat. La grille m’a l’air amovible et l’ouverture assez grande pour que je passe. En même temps, je suis tellement petite que je passe partout. Je m’échappe le plus naturellement de l’école et accoure à la grille d’égout. Bizarrement, il ne fait pas très beau aujourd’hui. Le soleil s’amuse à jouer à cache-cache avec moi, on dirait. Visiblement, l’été ne ressemble pas à l’été dans cette partie du globe. Mais peu importe puisque je serai dans le monde souterrain pour les longues minutes à venir. Je pose mon sac à terre et commence à enfiler mon uniforme de bataillon. J’ai vraiment l’air d’un petit chaperon rouge comme ça. Et j’aime bien. L’uniforme prismverien et les gants jaunes canard brisent toute l’harmonie du costume mais ce n’est pas bien grave. Je remets mon sac sur le dos et m’abaisse pour soulever la grille qui est, ma foi, assez lourde tout de même. J’inspire un grand coup avant de commencer à m’engouffrer dans ces ténèbres odorantes. Vachement odorantes. Je fais très attention à ne pas glisser et prends tout mon temps, jusqu’à ce qu’un son, ou plutôt une voix terriblement glauque, me parvienne aux oreilles.

« Ou qu'ils sont les crooocodiles-le-le-le-le ? Ou qu'ils sont les pédophileees-le-le-le-le ? »

Et ça résonne encore et encore jusqu’à ce que les échos se taisent. Et mon sang ne fait qu’un seul et unique tour. Et mon esprit semble vouloir s’échapper de mon corps, un peu comme la fois où j’ai fait les montagnes russes. Je serre de plus en plus l’échelle et commence à déglutiner avec difficulté. Est-ce que… Est-ce que les égouts de Prismver seraient hantés… ? J’atteins finalement très silencieusement le sol humide tandis que j’inspecte avec précaution, les environs, effrayée. Il semble ne rien y avoir pourtant… Ça doit être un méchant monsieur qui s’amuse à faire peur aux petites demoiselles trop mignonnes comme moi. J’attrape ma lampe de poche dans mon sac, l’allume et avance à pas feutré, tel un renard s’approchant d’un groupe de poules, prête à riposter à la première attaque. Les égouts ne sentent vraiment pas bon. Et puis, c’est vraiment oppressant comme endroit. L’eau est verte et ne cesse de couler dans un sens unique, emportant des tas de déchets en son sein. C’est vraiment dégoûtant. Il fait tellement sombre que je préfère avancer en rasant le mur, qui semble bien plus propre que le reste d’ailleurs. Je ne l’aurais jamais cru avant de venir ici mais par endroit, les égouts deviennent vraiment bruyants à cause du débit de l’eau qui est trop fort. En tout cas, ça rend l’atmosphère plus détendue. Juste un petit peu. J’avance, j’avance, je découvre, je m’arrête, je m’étonne et je reprends mon chemin. Pour l’instant, je n’ai fait qu’aller tout droit, de cette façon, je suis sûre de pouvoir retrouver mon chemin. Lampe pointée à l’avant, je suis aux aguets. Et soudain. Mon palpitant frôle la crise cardiaque. Je viens d’apercevoir un homme – ou peut-être un homme mutant – tout au bout, là-bas, juste devant un croisement. Paniquée, je regarde autour de moi, voir s’il n’y a pas d’autre présence de vie dans les environs. Rien. Alors, j’essaie de détailler l’inconnu et ça commence très mal : des cheveux bleus. C’est un mutant. J’en suis sûre. Et certaine. Et c’est l’angoisse. Qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je fais ? Déjà, il faut que je m’assure que ce truc soit encore vivant. Et ensuite, je le jetterai dans la flotte en le poussant avec mon champ de force, que ça soit vivant ou pas. Et après, je m’enfuis à la vitesse de la lumière. Ouais, je vais faire ça. Je regarde à mes pieds et découvre une canette de soda broyée. Sans réfléchir, je m'en empare et la balance de toutes mes forces sur Mutant-Bleu avant de m’accroupir dans l’obscurité, comme une grosse tapette, et d’éteindre ma lampe.
Et j’attends.

escape

A ma plus grande déception, ma plus grande désespérance, ma plus grande peur, ma plus grande frayeur : Mutant-Bleu est bel et bien vivant. Je me fais alors plus petite que je ne le suis déjà et prie intérieurement pour que ce monstre ne me remarque pas et s’endort une nouvelle fois, en oubliant le fait qu’il ait reçu une canette sur la caboche. Sauf que, bien sûr, ça ne se passe jamais comme je le veux. Au contraire, il se lève tout en manquant de tomber dans la flotte toute verdâtre. Quoique ça m’aurait bien aidé. J’ai l’impression que chacun de ses mouvements durent une éternité. Et c’est très dur pour moi de continuer à réguler ma respiration pour ne pas qu’il me découvre. Et puis, étrangement, ce mutant a parfaitement la forme d’un humain. Mon dieu. Les mutants ne sont pas aussi mutants, en fait. Il se peut même qu’ils ont l’intention de s’immiscer parmi nous, êtres humains, pour mieux nous attraper et nous contrôler ! Je ferme les yeux, joins très discrètement mes mains et commence à prier silencieusement. Priant pour mon salut, priant pour le salut de tout Prismver. Mais priant tout d’abord pour mon propre salut quand même. J’ai même presque envie de crier « Maman ! ». Un bruit de métal. Que… ? J’ouvre lentement mes paupières et regarde dans la direction de Mutant-Bleu.

« Mon dieu… Mais qu’est-ce qu’il fait… ? »

Je susurre silencieusement. Et puis, soudain, pouf, il baisse son pantalon d’un coup sec. Comme ça, normal. Je suis tellement choquée que je clos immédiatement mes paupières. Mes pauvres yeux innocents sont à présent souillés ! En plus d’être un mutant pas net, ce truc est en plus exhibitionniste. Et peut-être même pédophile ! Mon dieu, mon dieu. Je suis faite comme un rat ! Et le pire, c’est qu’il débite tout un tas de débilités complètement crétines. Pourquoi est-ce que je n’ai pas emmené Faith avec moi ? J’aurais pu envoyer un LMS à Shu pour l’appeler à l’aide. Et accessoirement lui donner matière à écrire pour sa gazette.

« …vas-y met-moi une fessé ! Enfin... pas trop fort quand même, j'ai jamais combattu d'entités démoniaques qui s'amusent à jeter des canettes... »

Une fessée ? Un mutant-pédophile-masochiste ? MAMAN. Des froissements de vêtements. Oh Dieu soit loué, cet illuminé se rhabille enfin ! Si je ressors vivante d’ici, j’amènerai une troupe de Prismeveriens et à nous tous, on exterminera ces mutants-pédophiles-masochistes parce que je suis certaine que le spécimen que j’ai sous mes yeux n’est pas le seul. Je lève une seule paupière, histoire d’être sûre que cet énergumène soit bien couvert et ressent un léger soulagement en voyant que c’est le cas. Mais je ne suis pas pour autant au bout de mes peines… parce que je crois que je me suis faite repérer… Je suis foutue, foutue, foutue, foutue. Et je suis tellement effrayée que je n’ai même pas le réflexe de m’enfuir… jusqu’à ce que mon pied droit finisse enfin par bouger de quelques centimètres. Je m’apprête alors à me lever quand, soudainement, je me prends quelque chose de plein fouet, quelque chose de tellement lourd que je finis par tomber en arrière, quelque chose qui m’a fait vraiment mal et qui me fait toujours mal. Mais pas seulement à la tête… à la poitrine aussi. Je ne rêve pas : ce type a ses sales pattes de mutant-pédo-maso posées sur ma poitrine. Il va me violé. Il va me violé. Il va me violé. Je suis foutue, foutue, foutue, foutue. J’ai les larmes aux bords des yeux et pourtant, aucun son ne daigne sortir de ma pauvre bouche asséchée. Je suis souillée comme jamais. Je suis souillée. Je vais faire la peau à ce monstre des égouts ! Je vais vraiment lui faire la peau ! Mais j’ai bien trop peur à cet instant précis, alors je ne fais rien, je tremble, je ne bouge pas d’un pouce. J’ai envie de couiner mais je n’y arrive pas. Il se lève d’un bond, me laissant à terre, comme un vulgaire trognon de pomme. Je ferme les yeux, attendant ma mort certaine tout en respirant très fort, très vite. Au revoir maman. Au revoir papa. Au revoir tout le monde. J’ai été heureuse de vivre pendant dix-sept années mais maintenant, je vais devoir y aller…

« Que... Que... J'ai... J'ai montré mon cul à une humaine de mon âge et en plus de sa que je ne connais pas ?! Mon dieu je suis maudit, j'ai une grosse envie de me jeter dans l'eau et de mourir noyé tout à coup... »

Minute. Qu’est-ce qu’il raconte ? Est-ce qu’il aurait perdu la tête ? Ou peut-être que c’est un mutant à la cervelle de moule ? Mon dieu. Mon dieu. Faite qu’il se jette dans l’eau comme un gros imbécile, s’il vous plaît, s’il vous plaît !

« Bon j'ignore qui tu es, j'ignore d'où tu viens et j'ignore encore plus ce que tu viens faire ici, bon j'ignore aussi pourquoi je suis moi-même ici mais c'est une autre histoire... Dans tous les cas tu viens de me faire flipper un grand coup, car sincèrement je ne m'attendais pas à rencontrer quelqu'un d'autre dans cet endroit dégueulasse. »

Je comprends. Tentative d’amadouer la proie, hein. Ça marche pas sur moi, sale dégénéré va ! Et c’est encore moins avec ce sourire de sadique que tu vas me mettre dans ta poche ! Je me concentre comme je le peux, rassemblant ce « don » en moi et relâche une vague de pouvoir d’une traite. Vague de pouvoir qui va repousser l’autre Mutant-Bleu, le propulsant à l’autre bout de l’égout. Vite, j’ouvre mon sac et y saisis les deux grosses pincettes pour les lancer une à une sur le gros poltron.

« GERONIMOOOOOOOO ! »

Et je me lève, chancelante, tentant de m’enfuir pour aller chercher de l’aide. Je me tiens contre le mur, le temps de retrouver toutes mes forces et surtout tous mes esprits. Sauf que. Je n’aurais jamais pensé que je me vautrerai lamentablement sur le sol dégueulasse.

« MA CHEVILLEEEEEEEE »

Et je finis en larmes, pleurant et implorant ma maman.