Let me go... Let me gooo ! Can't hold it back anymore ! [PV Trent]

Qui eut cru qu’un destin incroyable l’attendait ? Qui, vraiment ? Personne, pas même elle. Parce que ce n’était pas ce qui l’attendait, tout simplement. Sonera ne croyait pas à ça, loin de là. Elle passerait les concours du conservatoire de Paris, y rentrerait aisément avec les chaleureuses félicitations de sa nonna, avec une pensée pour son grand-père en imaginant qu’il serait toujours là à ses côtés, ne serait-ce que pour lui parler. Et puis elle finirait violoniste soliste en résidence à la Scala de Milan, ou encore au philarmonique de Prague même si elle ne parlait pas un mot de tchèque. Ils étaient juste réputés. Tout ça sous les applaudissements de sa grand-mère et son frère et avec la présence de son grand-père. Jamais ses parents. Elle n’en avait pas besoin, elle vivait sans eux depuis ses douze ans et même avant, ils n’avaient jamais vraiment été là. En bref, rien de bien hallucinant comme destin pour qui s’en donnait les moyens (et les avait).

Sa famille, Soni se l’était trouvée à Prismver, malgré les tensions qui régnaient depuis quelques mois. Zephiriel était son adorable petit frère, Ashkan son grand (ou petit, ils ne savaient encore pas trop) frère, Anarchy était sa soeur… Bref, pas besoin de parents, c’était trop surfait. Et en parlant d’Anarchy, la blondinette était encore fourrée avec elle, une fois de plus. Elles traînaient dans les couloirs du rez-de-chaussée en racontant des conneries, comme à leur habitude en fait.

▬ Eh Zelda, un jour tu veux pas être ma peluche juste pour une nuit ?
▬ Wow stop, ça sonne comme une proposition de yuri là… Et si je suis un tigre, tu veux toujours ? répondit Anarchy en tapotant la tête de Soni.
▬ Si on avait été deux hommes, ça m’aurait pas dérangé t’sais. Yaoi, tout ça tout ça. Et ouaiiis un tigre, je veux… Un grooos tigre tout mignon à câliner toute la sainte nuit.

Sonera enlaça sa meilleure amie en frottant exagérément la tête contre son bras et son épaule, les yeux fermés et un sourire benêt peint sur la face. Anarchy la regarda d’un air un brin moqueur.

▬ Nan mais je risque de te faire sauter la tête hein, t’en es consciente ?

La blonde s’éloigna et resta muette et immobile quelques secondes, pesant le pour et le contre dans son petit cerveau en ébullition. Ce que disait son amie était loin d’être faux et elle avait failli se faire dessus dans la salle intemporelle, lors de leur première leçon. Oui, Soni avait vraiment eu peur de se faire décapsuler par quelqu’un à qui elle tenait. Nice ! Elle détourna le regard pour cacher sa moue boudeuse.

▬ Ouais ok… Si t’es un chat, tu viens alors ? Ou un truc pas troop trop sauvage. Mon chat à moi s’est enfui quand j’ai déménagé au bungalow - il a eu peur de Pytha et Skygge haha ! - donc je peux plus faire de ronronthérapie, tu vois… C’est… Triste…
▬ Midna, stop les yeux du Chat Potté.
▬ Bon ok...

Sonera avait essayé, mais c’était raté. Elle haussa les épaules en riant de bon coeur et consulta sa montre. Presque l’heure de partir bosser. Elle prit congé de la E avec un bon gros câlin gênant, parce qu’il n’y avait personne dans leur champ de vision et parce que c’était marrant de faire grogner Anarchy de temps en temps et sautilla presque en direction de son bungalow. Il n’y avait plus personne dans les bâtiments, ou presque, à part quelques professeurs qui restaient pour corriger des copies ou juste siffler tout le café de la machine et avec la nuit qui était déjà tombée, c’était presque flippant. Presque, hein. Les lumières étaient toutes allumées et aucun néon ne sautait, rien de bien angoissant. C’était juste trop silencieux, par rapport à la journée. Trop… Oppressant. Vous devriez essayer de marcher seul dans un établissement scolaire vide en pleine nuit, vous n’imaginez pas les drôles de bruits qu’on entendait.

Quand elle passa près des bureaux des psychologues, Soni vit un rai de lumière filtrer à travers une des portes entrouvertes. Ils restaient aussi tard, eux ? Peut-être que certains élèves n’acceptaient de parler qu’à la nuit tombée ! Elle eut un rictus moqueur, en imaginant un patient tranquillement allongé dans un divan aux coussins rouges bien molletonnés et le psy qui écoutait dans un silence religieux. Elle savait que cette image était très clichée mais elle n’aimait pas beaucoup la psychologie. L’esprit devait rester brumeux, selon elle, on ne devait pas y toucher.

Plongée dans ses pensées alors qu’elle s’éloignait de l’Enfer, Soni n’entendit pas la porte s’ouvrir. Elle n’avait pas non plus vu que l’entourage de la porte était en verre donc on pouvait voir à travers. Alors elle continua son chemin sur quelques mètres à peine, jusqu’à ce qu’une main sur son épaule ne la fasse sursauter et couiner de peur. Parce que l’Italienne ne hurlait pas, elle restait digne. Elle couinait. Elle fit volte-face, ses yeux arctiques prêts à transpercer la personne qui avait fait ça. Que ne fut pas sa surprise quand elle découvrit… Un homme qu’elle n’avait encore jamais croisé ! Le nouveau psy, selon elle. Certains en avaient déjà parlé. Toujours la barbe mal rasée, une aura presque visible et effrayante.. Il faisait bien honneur à sa description, en tout cas. Le coeur battant toujours la chamade, Soni haussa un sourcil.

▬ Je peux vous aider, monsieur ?

Je viendrais juste pas vous voir et papoter pour le plaisir dans votre bureau, désolée.

Ca n’avait duré que quelques secondes mais dans la tête de Sonera, la scène s’était étendue sur de longues et lourdes minutes. L’homme l’avait fixée de ses yeux aussi clairs que les siens, avec l’air de porter le monde sur ses épaules et en même temps un petit quelque chose de surprise. On eut dit qu’il avait vu un fantôme, et la blonde en connaissant un rayon, sur ceux-là. Elle imprima un léger mouvement de recul à son épaule en fronçant les sourcils, un brin impressionnée par ce nouvel arrivant et un peu effrayée aussi de ce regard trop perçant pour être réel. En temps normal, Soni aurait trottiné à sa suite en lui demandant s’il y avait un problème avec sa personne mais il avait réussi à lui fermer sa grande trappe sans un mot, sans un geste.

Et tout tourna dans sa tête, le soir dans son lit. Les questions, son regard pas si inexpressif et sa hantise des psychologue.




Par un (mauvais) coup du sort, Sonera eut un rendez-vous obligatoire chez un des psy à cause de son changement de pouvoir récent. L’administration voulait déterminer si elle était vraiment apte à rester en B et si elle supportait le choc, blablabla. La blondinette froissa la convocation signée par Kerstin dans sa main, la réduisant à une pauvre boule de papier, qu’elle jeta dans la première poubelle venue en tirant la gueule.

▬ Allez Sonera, souris un peu, t’es pas belle quand tu fais la gueule ! fit un élève de B qui la croisa dans le couloir.
▬ Merde. lâcha-t-elle en faisant mine de le contourner.

La seule réaction qu’il trouva bon d’avoir quand elle lui fit un doigt fut un énorme rire joyeux et une petite tape sur le haut du crâne de la jeune fille, qui grogna un peu. Qui avait dit que la miss était polie et distinguée ? Intérieurement, elle écumait : pourquoi avait-elle besoin de voir un psy pour un changement de pouvoir ? Elle ne se diagnostiquait qu’un seul problème : une allergie aiguë à la connerie et une autre grandissante par rapport au pensionnat. Les seuls qui auraient vraiment besoin de voir un psychologue étaient les S et l’administration entière. Surtout Kerstin et Ruthel. Celle qui voyait mais qui s’en foutait et celui qui ne voyait absolument rien et ne faisait rien pour.

Malgré tout, elle traîna ses jolies petites fesses jusqu’au banc qui trônait entre les deux bureaux des psychologues et s’y assit lourdement pour montrer à tous les gens qui passaient par là que c’était totalement à contrecoeur et ce, sans l’ombre d’un sourire. C’était chose rare que de voir Soni le visage fermé et de mauvaise humeur mais aujourd’hui, l’exception confirmait la règle. Elle priait intérieurement pour ne pas tomber avec le nouveau psy, juste pour ne pas croiser son regard et pour essayer d’oublier que son trouillomètre était passé à zéro en quelques secondes. Cet homme devait encore être un des psy qui se donnent un genre juste pour faire cracher plus vite le morceau à ses patients et hop, débarrassé, affaire classée, au suivant. Ou alors c’était un pédophile.

Même si sa volonté de ne pas sourire était forte, Soni ricana toute seule à cette pensée en lisant un yaoi qu’Anarchy lui avait prêté, pas gênée du tout d’exhiber au monde sa passion pour les mâles se léchant la poire, bien au contraire. La porte à sa droite s’ouvrit au même moment et son regard se porta vers la personne qui en sortait, par réflexe et son sourire moqueur s’évapora d’un seul coup, alors qu’elle refermait son manga. Elle détourna les yeux pour s’appliquer à ranger l’ouvrage dans son sac de cours, pour éviter ceux de l’homme qui venait de sortir.

▬ Bonjour monsieur, sortit-elle d’un ton neutre.

La blonde serra les dents, se leva de son trône d’un instant et rajusta son uniforme en faisant tout son possible pour éviter que ses deux océans ne gèlent instantanément dans les glaciers du psy. Elle aurait voulu partir loin ou juste taper à la porte de l’autre bureau en suppliant le second spécialiste de prendre le rendez-vous à la place du type bizarre mais elle resta de marbre en passant à côté de l’immense silhouette et en se dirigeant vers l’intérieur. Au centre du bureau, Soni se sentit un peu bête. Les seuls psychologues qu’elle avait rencontré étaient venus chez elle à l’époque où ses parents la pensaient folle, peu avant qu’elle ne déménageât chez sa grand-mère. Alors elle attendit, droite comme un i en refaisant son chignon, que l’homme ne l’invitât à s’asseoir quelque part. Chaise, canapé, fauteuil, Soni s’en fichait un peu mais elle attendit poliment.

Surtout, ne rien faire pour l’énerver ou lui déplaire.

Non qu’elle voulait lui plaire à tout prix, juste que Sonera pensait qu’il était le genre d’homme à péter un plomb si on faisait un geste de travers. Ou peut-être qu’elle se trompait, elle ne le connaissait pas, après tout. Sauf son regard froid et perçant. Et le fait qu’il ne répondait pas aux propositions d’aide, aussi.