La fraîcheur de ce mois de février glissant dans mon cou, les bras fermement enroulés autour de mes genoux, j’arrive juste plus à calmer les tremblements qui m’agitent. Encore.
Ca commence à devenir presque blasant d’être moi à force, moi et mon système simple, cyclique. Je suis un interrupteur à deux positions, avec un mode off où tout s’intériorise, et un mode on où tout rentre en crise.
Et là, c’est la crise.
Tristesse ? Pas vraiment je crois. Colère ? Oui, un peu. Angoisse ? C’est ça je crois, c’est de la peur, vive et traitresse. Une terreur profonde qui part de mes tripes pour remonter le long de mon corps, jusqu’au bout de mes extrémités transies et crispées. J’ouvre la bouche pour faire un appel d’air. Pour respirer.
Respire putain. Respire. C’est pas compliqué, même pour quelqu’un comme toi, alors fais le.
Pourquoi tu veux pas respirer ? Pourquoi tu veux pas t’arrêter ? Calme toi ou tue toi mais arrête de t’emballer comme ça sans raison, tu deviens lassant.
Tais toi mon coeur j’en ai marre de tes conneries.
T’as pas à avoir peur de lui. T’avais pas peur de lui avant. Cet avant dont il n’a aucun souvenir. Faut pas avoir peu- Mais ça crie, ça crie dans tous les sens à l’intérieur de mon crâne. Ca imagine les pires scénarios, ça se remplit d’idées noires - ça repense à la sensation de ses coups contre mon nez, mes joues, l’odeur de mon sang rouillé contre les meubles et le parquet. Paralysée. Voilà. Drew est revenu, souvenirs en moins, mais son ombre continue de me poursuivre. De m’obséder. Et depuis tout à l’heure, je me balance entre l’envie de me venger pour ce qu’il m’a fait, et celle de recommencer à me blesser pour ce que je lui ai fait. Toujours les mêmes travers qui refluent dans mon sang, qui me glacent jusqu’à l’os.
Avec la même question, le même hurlement qui tourne et se cogne aux murs de mon âme, le même, toujours le même - celui qui éclate, qui crève, qui déchire et qui me fait glisser dans les profondeurs.
Les profondeurs de ma bien aimée destruction.
Pourquoi ?
Je plaque mes mains sur mes oreilles comme si ça pouvait me rendre sourde à ce son qui vient de l’intérieur. C’est hors de question, hors de question que je retombe là dedans, dans cette mélasse solitaire de destruction. Hors de question que je me perde encore à cause de lui, que je me rende folle, hors de question que - Pourtant c’est ce que je fais, là, en train de convulser, griffer mes cuisses, dans un coin où personne, personne n’irait jamais me chercher.
La tour annexe, hein ?
C’est ici même qu’Orwenn m’a embrassée pour la première fois il y a exactement un an - et c’est là que je me suis réfugiée inconsciemment. J’aimerai pouvoir sourire de ma bêtise ou de l’ironie de cette situation, mais ma mâchoire reste serrée, vissée, incapable du moindre mouvement.
Une évidence s’impose à moi. Il faut que je voie Orwenn.
Il faut que je l’appelle. Il faut que je lui dise, que je lui parle. Il faut que je montre à la face du monde que je change, bordel, que je ferais pas les mêmes erreurs. Difficilement, j’écris un lms - luttant contre ma peur de lui en parler, ma peur de me montrer faible. Regrettant le message à peine mon lézard parti.
Allez Sarah, c’est trop tard pour regretter quoi que ce soit, les jeux sont faits.
Les jeux sont faits Sarah, alors pourquoi tu te débats ? Pourquoi t’essaies d’échapper à Drew, à l’emprise qu’il a encore sur toi ? Pourquoi t’essaie de changer alors que -
Que t’es destinée à couler. T’es programmée pour, c’est dans tes gênes.
C’est uniquement lorsque je sens des bras autour de moi que je prends conscience que je ne suis plus seule, et qu’il est là. J’ouvre brusquement les yeux, les muscles tendus, et cherche son regard, pour essayer de le rassurer, faire comme si tout allait bien parce que je ne peux pas me permettre de le perdre dans l’inquiétude.
Tout mais pas lui.Puis brusquement, je me souviens qu’il faut que j’arrête de faire la forte alors que je suis au bout de tout. Que j’arrête de lui mentir.
D’accord, j’accepte le fait que je suis faible.
D’accord, je me considère comme blessée de partout, une infirme du coeur couverte de sutures et de bandages jusque là invisibles. Voilà, je les montre ces foutus bandages. Fini les épaules droites et les regards durs, les accoups de mes épaules convulsées prouvent qu’il faut pas me heurter. Pour une fois, rien qu’une fois, j’accepte qu’on m’aide. Je crève mon orgueil qui me dit que je n’en ai pas besoin. Je crève ma culpabilité qui me dit que je vais encore blesser quelqu’un.
Mes mains trouvent son dos, y plantent leurs ongles, alors que je pose mon front contre lui, dans son cou.
Serre moi, Orwenn. Bien fort, histoire que certains morceaux ne s’échappent pas, histoire que je puisse garder quelques bouts de conscience, là, dans le creux de tes bras. Je prends conscience du battement de son coeur, paniqué, qui s’accorde à la perfection au mien qui continue de valser. De se déglinguer. Elle est étrange et belle, la danse de nos coeurs affolés.
Il faut que je respire.
C’est pas ce qu’il m’a dit ?
Respirer.
Je m’exécute,mais l’air ne veut pas passer, et je me serre un peu plus contre lui. Il faut que je me force à parler, et vite, pour briser la paroi qui obstrue ma gorge. Rauque, sifflante, ma voix sonne de manière étange à mes oreilles, assourdie par le battement de mon sang à mes tempes.
« Serre moi. » C’est tout ce que je veux tout ce que je peux. Faut qu’on me tienne, qu’on m’attache, qu’on me garde sur Terre par je ne sais quel moyen. J’ai le vertige dans mon propre coeur.
Serre moi serre moi serre moi je peux rien dire de plus. Parce que c’est soit ça soit des excuses.
Désolée encore désolée de t’inquiéter. Désolée de gâcher notre St Valentin. Désolée d’être comme ça pour si peu, trop excessive. Désolée pour ce que je vais t’annoncer, et ce que je vais te demander de faire. Surtout ici, maintenant. J’aurais dû choisir un autre lieu.
Aaah, tellement de désolés - j’en arriverai jamais à bout.
Les yeux fermés, contre lui, je rassemble mes pensées. Je réfléchis aux mots que je vais dire, à la manière de limiter sa colère, et sa douleur aussi. Parce que voilà, c’est plus la même chose que la dernière fois. A l’époque, on était confidents, on pouvait se blesser d’honnêteté l’un l’autre sans jamais craindre que nos coeurs s’en mêlent. C’était simple, beaucoup plus simple. Mais maintenant qu’on s’aime, on a peur de blesser. Peur de parler. Mais ça encore, c’est rien, rien comme peur par rapport à celle qui me traverse depuis mes retrouvailles avec Drew.
J'ai peur de perdre Orwenn en me perdant moi même, comme je sais si bien le faire.
Les minutes passent, et dans ses bras, je retrouve peu à peu mes capacités. Mon étreinte désespérée s’adoucit, mon palpitant cesse sa syncope. Mon front quitte son épaule pour se caler contre le sien. Je le regarde, l’excuse peinte sur mon visage.
« Désolée ... » Il fallait juste que ce soit dit, expulsé. Besoin viscéral qu’on m’excuse pour alléger le poids de la culpabilité sur mes épaules. Je croise son regard, et comprends que ce n’est pas ça qu’il veut.
J’ai pourtant du mal à commencer, tous mes discours rayés de mon cerveau. Alors je lâche ça, de la manière la plus simple et indélicate qui soit parce que j'ai plus le courage et la force de faire ça bien. La réalité de ces quelques mots me percutant de plein fouet en même temps qu’ils sortent de ma bouche.
« Drew est revenu. »© Gasmask