Sujet: Blessure commune • PV Ven 6 Mar 2015 - 14:09
• FIN FÉVRIER • #86B6AB
Les employés parlent de leur boss. C’est pas nouveau. Mais au Remains, il y a peu à dire sur le nouveau gérant. Bien peu. Il arrive toujours avec très exactement sept minutes d’avance. Quelle que soit l’heure, il s’occupe lui même de servir à boire à ses employés : café, jus, alcool, selon les désirs de chacun. Le petit remontant offert par le boss. Parfois, il ramène également des pâtisseries. Pas celles du Remains, celle de la meilleure boulangerie de l’île. Que dire d’autre. Il passe deux heures dans son bureau. Et puis il sort, tantôt pour aider au service, tantôt pour fidéliser la clientèle. Et on a beau penser qu’il est un con, quand on le connaît un minimum, il semblerait qu’au Remains il apparaisse comme une personne agréable, quoi qu’un peu blasé sur les grands sujets de la vie. Il ramène parfois des artistes, pour leur faire visiter, prendre connaissance du lieu où ils pourront éventuellement se produire dans un futur proche. Il ramène de nouveaux livres, toujours plus, pour enrichir le coin librairie. Et enfin, les jours de pluie, quand il règne une atmosphère très particulière pour lui, il joue un peu de basse, sur la scène. Seul, les jambes croisées, ses doigts fins emplissant la pièce d’airs mélancoliques mais diablement poétiques.
Abel Crane, c’est le spleen, en sous-couche d’une espèce de mêlasse d’hypocrisie et de cynisme. Mais il traite bien ses employés, et l’affaire fleurît depuis qu’il y est aux commandes.
« Il a toujours été mélancolique, ennuyé, découragé. Depuis qu’il est gosse. Mais c’est vrai que l’overdose qui a tué son amour de l’époque a amené l’accablement en plus. C’est sûr que ça a pas arrangé. »
John enfile son blouson de cuir, et son sac en bandoulière, regardant Charlie qui est venu chercher le matériel d’entretien dans les vestiaires, y continuant sa discussion avec John à propos de leur patron. John ferme son casier. Il a l’autorisation de partir un peu plus tôt aujourd’hui. Des choses à faire. Charlie fait donc la fermeture seule avec Abel. Le brun la regarde, elle qui n’est pas insensible en apprenant qu’Abel a vécu la même chose qu’elle.
« N’espère pas le convaincre de quoi que ce soit si tu lui en parle... Du moins, je pense pas qu’il changera, fondamentalement. Comme dit, il a toujours été comme ça. Au mieux, il sera juste éteint, au lieu d’être éteint et con. »
Il sourit. John apprécie énormément Abel. Peut-être parce-qu’il sait comment il était avant, justement. Avant d’être con. Quand il n’était qu’un... un espèce de poète troublé, au malheur insondable et irrémédiable. C’est depuis la mort de Jack, qu’il est devenu acerbe. John l’apprécie aussi comme ça, lui-même n’étant pas un ange irréprochable. Comme aime le lui faire remarquer Sarah. Charlie aussi, d’ailleurs.
[color:98e4=#black]« Bonne soirée Charlie. » dit-il en embarquant la serpillière et le saut pour les lui poser par là-bas, lui laissant les mains libres pour embarquer d’autres produits.
Il salue Abel qui encaisse le dernier client. Et quand celui-ci sort, le patron ferme à clé la porte vitrée et repasse derrière le bar pour nettoyer et ranger celui-ci, puis le coin librairie, tandis que Charlie s’occupera des tables et du sol. C’est elle qui lui a tout appris, ici, étant donné qu’elle était là avant. Derrière le comptoir, il fait la fermeture de caisse, remplit les chiffres, fait les calculs. Le tout, avec sa vue activée - yeux ouverts, Charlie sait que ce n’est pas le moment de lui parler, il n’entendrait pas. Il ne sent même pas le contact de ses doigts sur l’écran tactile ni le sol sous ses pieds. Il indique à Charlie les chiffres, lui dit que c’est une bonne journée. Et il file côté librairie, de nouveau à l’aveugle. Il y sentira les tables, les livres laisser ci et là. Il glissera ses doigts sur les étiquettes en braille, puis ses mains sur les étagères, trouvant les repères également pointés pour lui. Et il rangera le tout avec lenteur et précision, rappelant à Charlie de ne pas l’attendre pour partir lorsqu’elle aura fini de son côté ; lui a tout son temps.
Et il est calme. Toujours si calme. Méthodique, appliqué, perfectionniste, délicat, précis. Et silencieux.
Codé par Liixi4
Résumé du post:
Charlie et Abel font la fermeture du Remains. Charlie apprend de John qu'Abel a vécu la même chose qu'elle : la personne dont il était amoureux est morte d'overdose de drogues.
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Sujet: Re: Blessure commune • PV Dim 15 Mar 2015 - 18:29
HRP : j'préviens, c'est pas très drôle, donc ceux qui veulent pas déprimer, passez votre chemin.
Il y a des semaines comme ça…
Quand lundi matin aux aurores, je me suis rendue à la clinique pour retrouver l’infirmière que j’assiste depuis plus d’un mois maintenant sur ses tournées à domicile... Nous devions, comme d’habitude, récupérer les dossiers des patients de la semaine. Mais pas cette fois. Cette semaine, nous n’en aurions qu’un. Elle m’a aussi dit que la semaine serait rude et finirait mal. Car il s’agirait d’accompagner une femme en train de mourir d’un cancer fulgurant. Elle approchait la quarantaine. Divorcée. Un enfant. Un petit garçon d’environ 12 ou 13 ans. Elle était en rémission jusqu’à ce que les métastases n’envahissent son foie, ses intestins et sa colonne. Une semaine tout au plus. C’est ce qui lui restait à vivre au vue de l’agressivité du cancer, de l’hémorragie engendrée. Le programme des réjouissances ? Elle allait souffrir. Paralysie des jambes. L’intestin allait arrêter de fonctionner. Une douleur constante était de la partie. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois ce jour-là, elle venait d’exiger que son fils ne puisse plus la voir. Il ne devait pas la voir dans cet état -complètement diminuée. Elle ne pouvait pas lui faire ça. Et toutes les personnes en charge de son dossier furent contraintes d’accepter cette condition. Et j’ai été là quand le père et le médecin expliquèrent la situation à ce bonhomme. Et l’empathie qu’il eut face à la douleur de sa propre me mère me frappa. Il voulait savoir comment elle allait souffrir. Je ne sais pas si j’aurais été capable d’expliquer à un enfant que sa mère allait mourir, mais qu’avant cela, elle ne pourrait plus sentir son corps, qu’elle aurait du mal à marcher, à tenir les choses, aller aux toilettes et qu’à la fin, elle aurait même du mal à respirer. Je ne sais pas si j’aurais été capable de dire tout ça comme mon mentor l’a fait en reprenant la main après que le médecin fut appelé sur une urgence. Et est-ce que j’aurais été capable d’expliquer aussi soigneusement que tout ce qui comptait pour elle, c’était lui. Qu’elle ne voulait pas qu’il la voit souffrir. Qu’elle souhaite qu’il se souvienne d’elle en forme et heureuse. Que dans une heure, on allait l’emmener la voir pour qu’il lui dise au revoir. Mais quand bien même il est intelligent, il ne pouvait pas accepter, comprendre l’idée qu’il ne reverrait pas sa mère après-demain. Il fallut lui répéter. Lui redire une nouvelle fois tout ça en insistant sur le fait qu’elle était forte et courageuse au point de vouloir le protéger peu importe comment.
“She must be so scared.”
C’est ce qu’il a dit en abandonnant ses larmes dans les bras de son père.
“I didn’t cry. I was strong so she remembered me smiling and being a good boy.”
C’est ce qu’il a dit en se jetant sur moi un peu plus tard. Continuant à perdre ses larmes de petit garçon.
Le lendemain, elle était déjà si faible physiquement mais toujours aussi forte moralement quand je lui ai suggéré qu’il pourrait venir dans l’après-midi. Que ça lui ferait du bien. À eux deux.
“No. And we don’t argue with a dying woman.”
And I have to smile at this. Il lui restait des jours, mais c’était presque horrible de dire que c’était encore… trop long. Surtout après avoir essayé et échoué plusieurs fois à la guérir et qu’il ne restait que mes yeux pour voir cette famille souffrir. Mais je crois que ça l’a soulageait tout de même un peu. Il n’y a pas de secret. Il fallait juste être là. Malgré tout. Et surtout si je voulais poursuivre dans cette filière médecine. Je devais pouvoir y arriver. Alors oui, cette semaine fut plus que dure. J’ai été un fantôme pour les autres et les cours que j’ai séchés pour me focaliser sur ce travail et celui au café. Enfermée dans un minimum routinier, juste pour pouvoir tenir le coup. Ne pas flancher. Éviter ceux devant lesquels je savais que je finirais par pleurer et paniquer. Mais pour pouvoir prendre soin de cette femme -parce que c’était toujours possible dans un sens, peu importe combien c’était difficile- je devais rester calme.
Cette semaine me hanterait encore longtemps. Je me souviendrai toute ma vie de sa respiration à la fin. Et de ce que j’ai compris ce vendredi...
Il y a une phrase que l’on dit quand quelqu’un meurt. On l’a dit à la famille du patient. On dit “toutes mes condoléances”. C’est une petite phrase toute faite et vide de sens. Ça ne couvre même pas ce qui leur arrive vraiment. Ça nous permet de compatir sans nous forcer à ressentir leur abattement, à quel point ils sont dévastés, même si ils ont été préparés -on est jamais prêts pour ça. Ça nous protège… de sentir la douleur, leur douleur. Cette douleur noire, oppressante, impitoyable… qui peut vous manger vivant. On ne peut pas trop s’impliquer. Si on ressentait ne serait-ce qu’un peu de l’amour, de la joie et des espoirs auxquels les patients doivent dire adieu… Le personnel médical ne pourrait jamais fonctionner. Alors on dit “toutes nos condoléances”. Et on espère que ça aide un peu. Un peu de soutien. Un peu de paix. Une sorte de clôture. Quelque chose de bien.
This is bullshit. Je le sais mieux que personne. Et Abel aussi apparemment.
- N’espère pas le convaincre de quoi que ce soit si tu lui en parle... Du moins, je pense pas qu’il changera, fondamentalement. Comme dit, il a toujours été comme ça. Au mieux, il sera juste éteint, au lieu d’être éteint et con.
Je ne dis rien. Me contentant d’un sourire en regardant John quitter les lieux avec une partie de mon équipement. Mais à vrai dire, je n’ai pas vraiment la force ou même la volonté de m’en mêler pour une fois. Cet échange suffit à me rappeler quel jour on était.
Aujourd’hui, cela fait cinq ans que Aaron est mort d’une overdose devant moi. Et j’avais oublié.
Mes genoux lâchent, mes doigts s'agrippent à l’étagère où les produits ménager reposent. Je fonds en larmes dans l’arrière-boutique alors que normalement, je devrais entendre John saluer Abel comme il le fait toujours.
This week sucks. This day is awful.
Mon coeur hoquette dans un vrac chaotique quand je reviens en salle. J’ai séché mes pleurs, mais je ne me sens pas mieux pour autant. J’ai l’impression d’avoir le vertige à chaque mouvement. Je suis juste épuisée. Et ce calme après la fermeture, le silence d’Abel… Je crois que ça me fait du bien. C’est ce qui m’a permis de rester concentrée sur les mécaniques qui me sont miennes et qui me permettent de fonctionner avec efficacité. Tables nettoyées. Stock de denrées sèches installées pour la matinée de demain. Ah. Demain. C’est l’anniversaire de Chloé. Je ne me suis pas vraiment investie, à part pour les cadeaux et ce que je devrais emmener. En plus elle m’évite. … Hâte d’être à dimanche pour dormir toute la journée.
Oeillade vers mon chef alors que je déplace un large panier rectangulaire plein de sachets de café de toutes sortes que les clients peuvent acheter. Il est tout aussi concentré, méthodique. Oui c’est peut-être un type blasé, morne et con, mais j’aime bien travailler avec lui. C’est reposant. On sait où on va. Il n’est pas si désagréable que ça malgré l’étrangeté d’être.
Bong ! Sans m’en rendre compte, je viens de lâcher le panier. Faiblesse musculaire dans le bras que je masse en observant les sachets qui jonchent le sol.
- Pardon. C’est rien de grave, vous inquiétez pas. J’ai juste renversé un truc. Je m’en occupe, bougez pas.
Si il n’était pas mon patron, je pense que je ne le vouvoierais plus depuis longtemps, mais maintenant que c’est le cas, je ne peux pas m’en empêcher. Erreur réparée, je le laisse ensuite entendre qu’il va devoir rester à sa place ou retourner dans son bureau le temps que je passe la serpillière et que ça sèche.
- Est-ce que je peux rester encore un peu ici pour… réviser ? C’est plus tranquille ici qu’au bungalow.
Non loin de lui, après avoir obtenu son accord, j’étale mes affaires que j'ai été récupérer dans le vestiaire. Puis je lui laisse quelques prism’ supplémentaires pour ses comptes.
- J’vous pique aussi de la glace et… une bouteille de whisky.
Glace vanille et noix de macadamia + alcool fort = tout ce qu’il y a de plus inhabituel pour moi. Mais l’association des deux est drôlement bon et j’en ai besoin. Je reprends ma dernière tâche du jour, puis vient me poser avec mon ravitaillement et un verre supplémentaire. Au cas où.
- Vous savez que John est un connard avec sa manie de raconter la vie des gens à tout le monde ?, dis-je soudainement après lui avoir servi un verre. Parce que maintenant je ne sais pas si je dois vous envier ou vous prendre pour un dépressif chronique. Un maigre rire nerveux s’échappe de ma gorge. Je fais échouer mon verre contre le sien avant de m’enfoncer dans mon siège. À tous les junkies morts d’overdose qu’on a aimé.