The way we're not the same || Ansel

Après toutes ces années passées à Prismver, on pouvait affirmer qu'il y avait eu des changements ; des petites choses qui le faisaient autrefois sourire et qui aujourd'hui constituaient son quotidien le plus monotone ; et d'autres qu'il trouvait banales à première vue mais qu'il, avait appris à apprécier avec le temps. Mais parmi elles, il y en avait quelques-unes qui ne changeaient pas, qui demeuraient inchangées depuis le début, comme la sonnerie qui annonçait la fin des cours.

Cela sonnait toujours comme un soulagement après un dur labeur, comme un doux libérateur pour lui et pour tous les autres. Même s'il s'agissait d'un E. Surtout parce qu'il s'agissait d'un E. Car on pouvait en effet reprocher beaucoup de choses aux élèves de la classe rouge, leur violence, leur brutalité, leurs infractions, beaucoup de choses mais seul un aveugle pouvait nier la routine pénible qu'ils enduraient. Et lui, il ne le niait pas, parce qu'il était leur délégué et qu'il les comprenait parfaitement. Il ne pouvait pas les juger quand ils les voyaient se ruer vers la sortie ; le cours qui avait précédé était lamentable ; un professeur à peine motivé avait tourné en rond dans ses explications floues pendant toute l'heure, et sachant qu'une bonne partie des étudiants avaient déjà de la peine à apprécier l'enseignement, ce n'était vraiment pas encourageant. Ils avaient de toute façon déjà abandonné l'idée de travailler dans ces conditions. Seul Warren devait être assez persévérant — ou assez bête — pour s'accrocher.

Ça non plus, cela n'avait pas changé...

Il poussa un long soupir, désormais seul dans cette salle froide et vide. Il décida, comme à son habitude, de ranger ses cahiers un par un à commencer par les plus gros d'entre eux, puis les plus fins ; il leva les yeux un instant durant cette manœuvre, et se rendit compte que ses camarades n'étaient pas tous partis ; il en restait un. Ansel. Un ancien membre de l'élite qui avait chuté dans les abysses suite à l'examen, il y avait trois années de cela. Warren n'avait jamais su s'il les avait rejoints de son plein gré ou s'il y avait été contraint, s'il devait admirer son initiative ou en être désolé. Dans tous les cas, le nouvel élève semblait plutôt à l'aise auprès d'eux à présent, on racontait même qu'il prenait part à la guerre des classes de leur côté. Le délégué ne put s'empêcher de lui adresser un faible sourire, par sympathie — ou simplement par réflexe de politesse.

Puis il baissa le regard quelques secondes après, et s'apprêta à partir à son tour. Il se contenterait d'un “au revoir” pour Ansel lorsqu'il aurait franchi la porte, et ne chercherait même pas à mener une discussion.
Parce que Warren approchait rarement les autres, surtout sans raison.

The way we're not the same

©Gau

Il ne s'attendait pas à entendre un poing s'abattre sur une table aussi soudainement. Il ne s'y attendait absolument pas à tel point qu'il sursauta légèrement et se stoppa net, persuadé que cela lui était adressé.

— Andersen. s'écria-t-il.

Il se tourna vers le garçon à la queue de cheval à l'entente de son nom, d'un air surpris. Il remarqua par la même occasion que le professeur s'éclipsait discrètement hors de la salle, probablement désintéressé par leur future conversation ; il suivit son chemin des yeux jusqu'à la sortie avant de poser son regard verdâtre de manière définitive sur Ansel.
Désormais, ils étaient vraiment seuls.

Le silence régnait en maître dans la pièce délabrée ; lui qui s'attendait à une réponse clair, net et rapide de la part de l'autre E, qui justifierait cette interpellation brutale, il n'avait d'autre choix que de patienter. Mais Warren avait déjà le pressentiment que son interlocuteur ne chercherait pas à être amical ; ce dernier l'avait appelé par son nom de famille, une appellation qui sonnait comme une marque de mépris de son point de vue ; c'étaient généralement les A qui lui adressaient la parole de cette manière, qui le regardaient de haut avec un sourire narquois au coin des lèvres, souvent pour leur cracher leurs sarcasmes. Détestable.
Warren avait appris à détester qu'on l'appelât ainsi, mais il n'osa pas le manifester.

Depuis combien de temps Ansel le fixait-il sans rien dire ? Presque une minute ? Warren ne l'avait pas lâché des yeux pendant tout ce temps, sans baisser le regard par timidité comme s'il sentait qu'il en avait l'interdiction. Comment décrire le sentiment qui l'envahissait en ce moment ? Il était comme une proie qui observait son prédateur face à lui, mais qui sentait la fin arriver à n'importe quel instant ; même si cela pouvait paraître fortement exagéré, c'était à peu près ce qu'il ressentait. Et heureusement, Ansel se décida à parler.

— Explique-moi ce que tu fous dans cette classe si ce n'est même pas pour essayer de la défendre ? Explique-moi clairement pourquoi j'ai la sale impression que ta présence détonne au milieu de nous qui portons la couleur rouge hein ? J'aimerais que tu puisses éclairer ma lanterne. demanda-t-il d'un ton froid.

Warren demeura ébahi par la franchise de son camarade de classe ; lui qui croyait faire face à un être calme et distant, il réalisa que celui qui côtoyait sa classe depuis trois années se révélait être plutôt brutal en fin de compte. Et surtout qu'il pensait ce que la majorité des élèves pensaient de lui. Sa présence produisait une sorte de contraste au milieu des vrais rouges, de ceux que l'on craignait, de ceux que l'on redoutait, de ceux que l'on méprisait.

Et il devait sans doute être le seul à penser qu'il n'avait sa place qu'en classe E.

Il détourna le regard vers la droite, plongé dans ses réflexions silencieuses durant quelques instants. Un soupir s'échappa ensuite de ses lèvres et il posa à nouveau son regard sur son interlocuteur, un humble sourire presque mélancolique au coin des lèvres.

— Dis-moi. Il se tut un court instant, presque hésitant, avant de continuer. Selon toi, où aurais-je ma place dans ce cas ? questionna-t-il d'une voix presque murmurée.

Il souhaitait juste l'amener à la même conclusion que lui. Warren avait beau paraître ridicule et faiblard au milieu de la meute enragée que constituaient les E, en terme d'idéologie il en faisait partie. Calme et pacifiste, mais tout aussi incompétent et assoiffé d'égalité que les élèves en cravate rouge. Il savait que pour un délégué, il provoquait bien plus de rires que de respect. Il avait toujours douté de lui comme représentant, mais jamais en tant que E.
C'était son point de vue, et le seul ici à le partager.

The way we're not the same

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Quand il vit Ansel froncer les sourcils, il se demanda ce qu'il avait bien pu dire de si bizarre. Il partageait très peu son avis à propos du système mis en place, mais lorsqu'il le faisait, il avait toujours l'impression d'étrangement étonner les gens. Comme si sa personnalité et ses envies d'égalité n'étaient pas compatibles. Comme si la petite victime proclamée du pensionnat ne pouvait pas avoir les mêmes ambitions que les autres E. Cette idée ne lui avait jamais plu, d'une certaine façon. Même s'il s'était rendu compte, au fil du temps, qu'il détonnait beaucoup trop des autres rouges pour ne pas les comprendre, ne serait-ce qu'un peu...
Et Ansel dans tout ça ? Il ne devait pas faire exception à la règle. Lui aussi devait penser que son camarade n'avait pas sa place ici, qu'il aurait dû être placé ailleurs qu'en E. Comme tout le monde... Oui, absolument comme tout le monde.

— Regarde-moi dans les yeux... dit-il sur un ton calme.

Surprise. Warren leva le regard sans vraiment réfléchir, obéissant docilement aux ordres d'Ansel qui semblait refuser de lui laisser le choix. Ce dernier le fixait intensément, comme pour le dévisager, comme pour pénétrer à l'intérieur de son esprit. Et même si l'Australien ne saisissait pas le comportement de son camarade, il le laissait faire. Cela dura un long instant, avant qu'Ansel n'esquissât un sourire et ne posa sa main sur son épaule, d'un air plutôt compatissant. Son regard refusait de se détacher des iris verdâtres de Warren ; et lui, il faisait des efforts considérables pour ne pas fuir le sien.

— Ne baisse plus le regard, regarde les gens droit dans les yeux. Ne murmure plus, parle d'une voix vive et forte. Même quand tu te fais tabasser. Tu portes la couleur rouge Warren, la couleur des héros, alors porte-la avec fierté. Ne te laisse plus marcher dessus, surtout par les autres E, fais comprendre à la classe que tu la défends, mais que tu ne peux pas le faire seul, car tu as des faiblesses, comme chacun de nous. Mais ensemble, malgré nos faiblesses nous pouvons gagner, nous devons gagner, car quand un groupe à la même façon de penser il ne fait plus qu'un et c'est à ce moment-là que plus rien ne peut l'arrêter. Pour cela il faut qu'on soit liés et avant ça il faut que la classe comprenne que tu n'es pas juste un mec que le système a balancé là. Il faut qu'on soit soudés si on veut y arriver. continua-t-il.

Il s'attendait à tout sauf à ça.
Warren demeura interdit devant le discours que venait de lui offrir Ansel. Lui qui s'attendait plutôt à une série de reproches à laquelle il ne pouvait que compatir, on venait presque d'insinuer qu'il était capable de faire quelque chose. On venait presque d'insinuer qu'il avait sa place en E. Lui ? C'était une première. Et cela lui faisait... plaisir. Vraiment plaisir tout au fond de lui de sentir qu'on lui donnât une chance.
Il ne pouvait que fixer son camarade, d'un air intrigué.

— Promets-moi que tu vas faire tout ce qui est en ton pouvoir. Parce que, que tu le veuilles ou non, tu as du pouvoir entre tes mains que tu n'as pas encore eu l'occasion d'utiliser et il serait temps peut-être de mettre cet avantage à profit, alors promets-le moi. demanda-t-il sur un ton directe.

Il sentit la main du jeune homme se resserrer davantage, pour lui mettre la pression. Il avait surtout compris qu'il ne pouvait fuir la proposition..
Il y réfléchit sérieusement. Qu'est-ce qui l'empêchait d'accepter ? Qu'est-ce qui l'empêchait de répondre “oui” spontanément ? Il avait longtemps souhaité, au fond de lui, voir les E triompher et obtenir ce qu'ils désiraient. Ce n'étaient pas les idées en elles-même, alors. Et ce n'était pas non plus le groupuscule WIP, car malgré le pacifisme du petit clan, cela ne l'empêchait pas de défendre son désir d'égalité. Ni même l'un de ses amis qui le menacerait. Non ! Non, le problème ne provenait pas de là.

Le problème, c'était juste lui.

Juste ce manque de volonté, de s'imposer, d'agir. Juste parce qu'il était trop lâche pour défendre sa cause convenablement. Et cela l'agaçait au fond, de constater qu'il ne pouvait que s'apitoyer sur lui-même. Même son camarade plus jeune nourrissait plus d'ambitions, était plus fier de faire parti de la classe E et de porter une cravate écarlate. Warren, lui, était trop faible, trop gentil, trop passif pour faire basculer le système mis en place. Même l'aide de Hadès n'avait rien changé malgré ses attentes. Que pouvait-il faire seul dans ce cas ? Il avait du pouvoir, oui. Mais avec son incompétence et son manque de crédibilité, cela ne servait à rien. Strictement rien.

Son visage afficha alors un air tristement désolé, en plus d'un sourire forcé. Il soupira silencieusement, comme pour prévenir que sa réponse ne serait pas totalement positive.

— J'aimerais bien te le promettre. Mais je sais très bien que je ne peux y arriver... soupira-t-il.

Parce qu'il était conscient de ses faiblesses, de son manque de compétences et de ce qu'il était. Il avait voulu croire que Prudence, l'ancienne déléguée des A, avait été la seule cause de son inactivité. Mais il n'y avait pas que ça. Il y avait beaucoup plus. Il savait juste qu'il ne pouvait rien faire même si son statut le lui permettait.

— Ou du moins pas seul... ajouta-t-il.

À ce moment précis, il fixa Ansel avec un regard mélangeant supplication, mais aussi un peu de détermination.

— Ça doit faire presque deux ans que je porte ce brassard, et que rien n'a changé. J'aimerais beaucoup changer quelque chose, que les E obtiennent l'assistance qu'ils méritent, mais je n'en suis juste pas capable, tu sais... Néanmoins... si quelqu'un m'aiderait à m'impliquer en tant que représentant... alors là, je penserais pouvoir te le promettre. répondit-il en ajoutant un sourire un peu gêné.

C'était peut-être un peu lâche de donner une partie de la tâche à quelqu'un d'autre, mais il ne sentait pas avoir le choix. Au fond, il était juste désespéré.

Ansel écouta Warren avec attention, cachant avec difficulté sa déception. Ses épaules s'affaissèrent légèrement. Le rouge se souvenait assez bien du jour de l'élection de Warren en tant que délégué et il ne pouvait qu'affirmer que je garçon aux cheveux cobalts avait toujours agité les bras dans le vide.

C'est la dernière phrase de Warren qui fit germer l'idée dans la tête d'Ansel. Un petit sourire en coins naquit sur son visage avant de se mettre à tapoter l'épaule de son camarade.

- Moui moui, je comprends tout à fait. Bien. Tu m'excuseras mais j'ai un rendez-vous avec ma tante... alors remettons cette conversation à plus tard. Je t'enverrais un LMS, je crois avoir une idée pour régler ton problème, brillante.

Il avait dit cette dernière phrase en commençant à s'éloigner. Ansel fit un clin d’œil à Warren avant de se retourner tout en ayant pleinement conscience de planter l'autre rouge avec un changement de comportement des plus louches. C'était vrai, une idée avait bien commençait à s'implanter. Ce n'était peut-être que début Mai, cela lui laissait au fond du temps pour manœuvrer... quoique la fin de l'année serait bientôt là, puis l'Été avec la rentrée en Septembre. La rentrée... et l'élection des délégués.
Warren voulait quelqu'un pour l'aider à s'impliquer ? Très bien. Ansel deviendrait délégué des E en Septembre prochain, il s'en fit la promesse.