Soon enough we'll see the sunlight ♦ Zoe

Prêt. Je sortais de ce qu’il me servait de chambre, laissant en plan un projet de SI à moitié construit… mais vu le bordel généralisé où je dormais, ça ne devait pas changer grand-chose, un truc en morceaux de plus ou de moins. En cette fin de vacances d’été, la chaleur était écrasante malgré les vingt-une heures passées. Je quittais le Bungalow mais m’arrêtai un temps, admirant le soleil embrasant le ciel et le rendant orangé, l’astre disparaissant peu à peu derrière les arbres à l’horizon. Je repris ma route tranquillement, suivant le chemin entre les cabanes où les élèves profitaient jusqu’au bout de leur temps libre avant la rentrée. Je souriais sereinement en me dirigeant vers le parc, peu inquiet de l’approche du couvre-feu : les profs et surveillants étaient dans l’ensemble tolérants, surtout à cette période estivale. Passé le lac sans poisson, j’aperçus enfin la Salle commune des D où j’entendais déjà la musique malgré la distance.

Les jaunes faisaient la fête de manière (quasi-)permanente et le silence ne devait pas avoir régner longtemps dans les lieux. La veille, Zoé m’avait demandé de la retrouver et c’était sans vraiment réfléchir que j’étais venu ici. Zoé avait beau être mon total opposé, je ne pouvais rien refuser et mes craintes s’envolaient. Pourtant… Pourtant, je sentais que la nuit allait être longue et chargée en rebondissements. Il n’y avait bien qu’elle pour m’entraîner dans une fête, balayant mes angoisses sociales avec un simple clin d’œil. J’approchais du bâtiment où des gens, aux cravates aux couleurs multiples, discutaient et dansaient, certains buvant ce qui ne devait pas être que du multi-fruit, d’autres riant gaiement sur le balcon à l’étage. Face à l’interdiction de quitter le Pensionnat et les inquiétudes liées à la disparition du Directeur, la joie continuait de régner grâce à la bonne humeur des fêtards qui était communicative.

Je n’osais trop m’approcher, sentant mon cœur se serrer malgré moi. J’avais toujours l’impression qu’on allait me regarder, me fixer, me juger… Mais tout le monde semblait déjà occupé par leur propre groupe d’amis et j’aurais pu passer entre eux, aussi invisible que d’habitude. Je me forçais à faire un pas puis l’autre doucement, souriant mais un peu coincé, me trouvant mille excuses pour faire demi-tour, là où j’avais pleins de livres et machines à finir. Mais je continuais : voir Zoé était toujours un plaisir et je ne voulais pas avoir un regret en fuyant cette fête qui pourrait peut-être être une bonne surprise. Je finis par noter une chevelure bleue et je slalomai entre les danseurs, pour m’approcher de ma meilleure amie. Je lui souris sincèrement, me sentant de nouveau prêt à refaire le monde à ses côtés. « Alors, qu’as-tu prévu comme supers projets pour cette nuit ? » lui demandai-je sans un tremblement dans ma voix. Zoé était comme une ancre dans un océan inquiétant et avec elle, il n’y avait aucune crainte que je dérive… Et si je dérivais, je le ferais de bon cœur à ses côtés.

Sûrement. Zoé me connaissait bien et je m’imaginais parfaitement prendre mes jambes à mon cou, les yeux exorbités devant un défi jugé trop grand, mes bras s’agitant en tous sens pour garder l’équilibre lors d’une course totalement ridicule. Oui, Zoé a sûrement raison et elle fait bien de ne rien dire. Je n’aime pas l’inconnu mais la vie, n’est-ce pas ça au fond ? Vivre sans savoir pour mieux découvrir ? Les discours de Stuart me reviennent : il m’a toujours dit de lâcher prise, de suivre mon intuition, de prendre exemple sur Erik qui vivait à cent pour cent (peut-être réfléchir un peu plus qu’Erik mais c’était l’idée). Je me rappelle du dernier jour à Skagen : je n’aime pas les adieux mais ce souvenir me fait sourire et me fait avancer. Par rapport aux autres, Stuart n’a posé aucune question, m’a fait une simple accolade et il m’a seulement dit « Bonne chance, frère » de son ton franc et sage. Oui, je ne dois pas oublier de vivre, je dois me laisser porter… Et aujourd’hui, le vent qui gonfle mes voiles est Zoé.

J’obéis donc : j’arrête de bouger les mains, je relâche les épaules pour me détendre et je m’interdis de grimacer quand je vois ce qui m’attend. Bah oui, Niels, dans les fêtes, l’alcool est partout et tu ne vas pas pouvoir te défiler ! *Je n’aime pas ça, je n’aime pas ça, je n’aime pas ça…* Enfin, j’essaye de m’en convaincre. Il est vrai que je me sens bien quand je bois… Mais j’ai tellement peur de dire des conneries. Oh et puis zut ! Cesse d’avoir peur, Niels ! Je prendre le gobelet que me tends Zoé. Je remarque qu’il est moins rempli que le sien : elle me fait une faveur pour m’amadouer mais je sens que si je finis ce verre, il ne restera pas longtemps vide ! Je balaye mes inquiétudes, j’acquiesce les paroles de mon amie pour me donner courage et bois le gobelet d’une traite. Je me permets ça car d'une part, il n'est pas plein et d'autre part, que mon geste lancé, je ne pourrais pas m’arrêter.

Et d’un ! Je sens le goût de l’alcool picoter ma langue et mon nez mais moins que je craignais. Je ne m’empêche pas pour autant de plisser le bout de mon nez. C'est un tic mais j’exagère. Ce n’est pas mauvais et si je bois un peu, peut-être que l’on ne va pas me proposer d’autres verres que je ne pourrais pas décliner à cause de mon incapacité à dire non. Peut-être que je ne vais pas finir en plein milieu de la piste de danse à faire la danse du viking. Hum. C’est une autre histoire. Oubliez. Je délaisse la vue de mon verre vide pour regarder Zoé. Je souris de manière un peu idiote en lisant le jeu de mot de son haut avant de lui dire : « Sympas le tee shirt ! Et sympas la fête ! Je suis loin d’être une grande référence mais les gens ont l’air de bien s’amuser… et c’est que le début j’imagine ! C’est cool qu’on relâche la tension avant la nouvelle année ! En espérant qu’elle soit meilleure ! »

J’attrape sur une table un bol d’apéritifs que je lui tends pour qu'on puisse tous deux se servir, avant de reprendre : « D’ailleurs, t’as des projets pour cette année ? Je t’avoue qu’étant un petit nouveau encore, je ne sais pas trop si Prismver peut proposer une année scolaire normale. Enfin… le plus « normal » que des élèves technopathes et dragons peuvent proposer, bien sûr ! » Je ris doucement mais au fond de moi, je pense au fait que je ne suis toujours pas le dragon que tous veulent voir. Je suis partagé entre la joie de découvrir plein de choses sans risquer de dégommer du matos à coups de pattes griffues… Et la crainte et la peine mêlées d’être encore le grand gaillard qui se révèle inutile et pas assez doué pour représenter l'illustre famille Jensen. J’éloigne les sermons de mon père pour revenir sur le présent, commençant à dodeliner de la tête en suivant le rythme de la musique. Le dragon peut attendre, seul le banal Niels profitant de la vie est requis !