Nice to see you • Félix Coleman

Nice to see you

Le quartier ancien avait pour merveilleuse caractéristique de rappeler à Vassili qu'il était vieux. Pourtant, il appréciait y déambuler. Certes, il était comme tout le monde et n'appréciait pas qu'on lui rappelle son âge. Mais d'un côté, il éprouvait une certaine fierté d'avoir survécu à plus d'un siècle. Pour être parfaitement honnête, c'était plutôt rare, comme fait. Oh, bien sûr. Quand on traîne cent-trente-cinq ans derrière soit, tout n'est pas rose. Vassili s'en traîne, des regrets. Errer dans le vieux quartier le gratifiait d'une humeur mélancolique et faisait ressurgir ses souvenirs passés qui faisait plus l'effet d'un fantôme. Il savait qu'en venant ici, il ne pourrait s'empêcher de songer à sa vie. Mais tout le monde semble aimer se faire un peu de mal. Alors il revient souvent ici.

Puis comme toujours, après avoir fait un bilan à la fois glorieux, triste et désastreux de son siècle bien entamé, Vassili aimait se projeter dans sa vie future. Des projets. Il en avait des tas. Beaucoup trop, même. Mais il avait le temps, alors il ne se préoccupait pas de cela. Si le temps est de l'argent, alors il est milliardaire.

Un coup d'œil rapide atterrit sur sa montre. Il n'était pas tard, mais la fin de l'après-midi approchait à grand pas. Il ne s'en souciait pas. Après tout, il n'avait aucune contrainte. Journée libre, pas de cours. Il pouvait agir à sa guise. Ce fut naturellement qu'il vint se balader ici après un long passage à la bibliothèque. Souvent aussi, il allait à la bibliothèque. C'est un homme rangé, organisé. Un peu trop, sûrement.

Le temps se fait agréable. Frais, mais pas trop, la brise légère se contente de faire voler les cheveux sans les faire trembler. Il rajuste sa veste. Impeccable. Il aime quand tout est impeccable. Quand rien ne dépasse et vient entacher le tableau d'un ordre parfait, presque dérangeant quand on y repense. Son regard se lève vers le ciel. Parfaitement bleu. Aucun nuage n'entache ce bleu pâle. C'est beau, cet ordre.

Mais au loin, il croit reconnaître quelqu'un. Sa vision autrefois surhumaine se précise. Une fois que les couleurs furent parfaitement discernables, Vassili se retient de râler, se contentant d'un juron intérieur. Piercings, cornes en cheveux, beaucoup de couleur capillaire. Félix Coleman. Vassili n'aime pas Félix Coleman.

Félix a chutée dans les classes, Félix ne démontre pas d'intérêt pour ses cours, Félix est en E, Félix n'est pas une élève digne d'intérêt. Et parmi tous les excellent A qu'il aurait pu croiser en ville, ce fut finalement une E de la pire espèce qui coupa son chemin.

Une fois à sa hauteur, un échange de regard se fit. Poli. Il restera poli, malgré l'envie de l'ignorer royalement.

-Bonjour, mademoiselle Coleman.

Il siffla entre ses dents, un regard dur posé sur la jeune fille coloré.
La gentillesse n'était clairement pas sa qualité principale.

©Gau

Quartiers anciens.
C'est dingue comme tu aimes passer du temps dans le coin - difficile à croire, mais tu es beaucoup plus à l'aise ici que dans le quartier festif. Sûrement le petit côté rétro de la chose, ça te rappelle un peu la maison et la chambre de Papa. Celui qui est écrivain. Tu te souviens que son bureau était un foutoir constant contrairement au reste de la maison ; des feuilles de manuscrit sur le sol, des projets, des idées rayées, des petites histoires pour enfant ici et là pour passer le temps et toutes ces œuvres entassées dans la bibliothèque sans la moindre trace de poussière déposée par le temps ; preuve que régulièrement de petites mains curieuses venaient se saisir des ouvrages avec intérêt. On ne va pas se mentir Félix, c'était la pièce que tu préférais chez toi, plus que ta chambre même. Tu ne comptes plus le nombre de fois où tu t'es endormie là-bas petite sous une couette avec un chocolat chaud, quelques biscuits et un livre dans les mains qu'une petite fille n'aurait pas dû être capable de lire. Oh on ne dirait pas, mais tu as rapidement développé un goût avide pour la lecture ; pour le plus grand bonheur de tes pères.

Et c'est d'ailleurs pour ça que tu es là aujourd'hui ; un petit tour dans les bibliothèques anciennes à la recherche d'un nouvel ouvrage qui saura attiser ta curiosité inépuisable. Quand ta soif de connaissances sera rassasiée Félix, ça sera la fin du monde. Même si c'est toujours une épreuve pour toi de lire un livre avec tes soucis d'attention, il n'empêche que parfois tu es tellement plongée dedans que tu en oublies de manger.

Jamais de demi-mesure.

Tu rajustes ta veste Stitch sur tes épaules, tirant un peu sur ton écharpe en soufflant un nuage blanc devant toi, regardant tes pieds se mettre l'un devant l'autre à un rythme régulier avant de relever tes yeux vers les noms d'enseignes, un sourire enfantin aux lèvres. Tu es toujours d'une bonne humeur et d'une joie de vivre agaçante, c'est incroyable. On dirait que tu n'as jamais de mauvais jours ; t'es-tu déjà seulement énervée dans ta vie ? C'est à se demander. Finalement tu t'arrêtes devant une vitrine - une librairie, évidemment - regardant les noms des ouvrages déposés sur la devanture ; beaucoup de noms familiers resurgissent parmi eux et tu es concentrée avec une telle force que la présence à tes côtés te fait sursauter. Tu te retournes vers le visage familier du professeur de mathématiques, un sourire chaleureux éclairant tes lèvres alors que tes yeux s'éclairent.

▬ Bonjour m'sieur Zverev ! Vous allez bien ?

Tiens, tu ne l'as pas surnommé, miracle.
Tu l'aimes bien toi, Vassichoupie. Il te fait penser à Grincheux dans Blanche-Neige. Et tu sais qu'il est très intelligent. Tu l'respectes et tu l'admires un peu, parce que t'envies son savoir même si jamais personne ne s'en douterait et c'est pour ça que c'est vers lui que tu te tournes quand tu as des questions existentielles sur des choses que personne ne peut expliquer, genre : les pokémons tiennent-ils leur nom du fait qu'ils le disent, ou disent-ils leur nom parce qu'on les appelle comme ça ? Ce genre de choses ouais.

▬ C'est rare de vous croiser en ville, qu'est-ce que vous venez faire par ici ?

On peut te retourner la question, madame je devrais être en cours.

© Y A M ▬

Nice to see you

Bon dieu qu'elle l'énervait. Tout dans sa personne avait le don de faire sortir de ses gonds le professeur de mathématiques. De la couleur de ses cheveux en passant par sa voix, rien ne parvenait à trouver grâce à ses yeux. Mais malgré tout et sa mauvaise volonté habituelle, il s'estima heureux qu'elle ne l'affuble pas pour une fois d'un surnom des plus ridicules.

La fixant d'un air peu aimable, il la dévisagea quelques secondes sans afficher le moindre sourire. Finalement, ses lèvres se séparèrent enfin et monsieur put cracher son venin.

-J'allais bien.

Aucune envie de faire un effort, aucune envie d'être sympathique. Pourquoi devait-il l'être? Il n'était pas là pour se faire des amis qui avaient le sixième de son âge, bien au contraire. Il était juste là pour tenter d'inculquer à ces petits sorciers (ou mutants, appelez les comme vous le voulez) un peu de connaissances mathématiques. Ce qui n'était pas gagné dans le cas de la jeune Félix.

-Et vous? J'imagine que… Vous allez bien, vu votre enthousiasme.

Il soupirait, elle semblait avoir envie de discuter, ce qui n'était bien évidemment nullement le cas du professeur. Qu'est-ce qu'il faisait par ici? Faisant un effort surhumain pour ne pas répondre "et en quoi cela vous concerne", Vassili se mordit la langue avant de répondre.

-J'occupais mon temps libre, hm. Au risque de vous décevoir, il m'arrive de laisser de côté ma calculatrice et mon stylo rouge pour aller m'aérer.

Cependant, son cerveau se concentra vite sur autre chose. S'il avait pour première idée de lui retourner tout simplement la question, il se souvint alors d'une chose essentielle. Que faisait-elle ici? Elle n'avait rien à faire dehors. Elle avait vraisemblablement cours, et Vassili venait de la prendre en flagrant délit d'école buissonnière. Un léger rictus aux lèvres, il la fixa.

-Je ne vous retourne nullement la question, mademoiselle Coleman. A cette heure-ci, je sais pertinemment que vous avez cours.

Il la fixait durement.

-Oh, mais vous devez forcément avoir une excuse des plus probable à me sortir pour assurer vos arrières, je présume?

©Gau

C'est dingue comme ton prof a l'air de bonne humeur et ravi de te voir ; c'est vrai, la joie se lit dans chaque parcelle de son être, et la lueur de son regard t'évoque un amour sans fin.

Mdr.
Même toi tu crois pas à cette bullshit.

Mais c'est pas grave Félou, t'es comme ça, sale hippie, t'aimes tout le monde un peu trop parce que tu veux pas te prendre la tête et que t'as de l'amour à revendre, un surplus d'affection à donner qui déborde sur les gens, sans rien demander en retour - même si tu aimes être gâtée tout autant. Et malgré son attitude stoïque, ton sourire ne quitte pas tes lèvres et tes yeux ne pétillent pas moins ; rayonnante, petit soleil, t'es tellement lumineuse que tu ferais fondre de la neige si on te jetait dedans.

▬ Moi ? J'vais toujours bien !

Parce que ça ne sert à rien de se prendre la tête avec des problèmes - enfin, c'est ce que tu te dis pour le moment mais un jour viendra où ta vision changera sûrement. Bref.  Sa réponse te pris un petit rire doux et enfantin alors que tu remis une mèche de cheveux derrière ton oreille - et tes nombreux piercings. Rire qui s'arrête à la remarque sur ta présence visiblement manquante dans une salle de classe. Pourtant tu n'en démords pas, tu restes souriante, entourée de joie de vivre avant de répondre sur un air enjoué ;

▬ Nop' m'sieur, aucune excuse.

Pas comme si ça servait à quelque chose de mentir, et pas comme si tu avais peur d'être collée - ça serait loiiiiiiiiin d'être ta première fois. Ton sourire s'agrandit un peu plus.

▬ J'voulais juste aller m'acheter des nouveaux bouquins parce que j'ai fini les derniers que j'avais. D'ailleurs, vous auriez pas des recommandations ? J'ai pas eu le temps de demander à mon Papa les dernières sorties.

Parce que c'est toujours à ton père que tu demandes.

Et parce que oui, accessoirement, tu sais lire.
Et tu lis, d'ailleurs.
Unbelievable.

© Y A M ▬