Lorsque la nonne s'empara tel un rapace de la console de Destiny, cette dernière émit un hoquet de surprise... Voir presque de douleur, comme si elle avait été frappé ou qu'on lui avait brutalement arraché une partie d'elle-même.
Pourtant, alors qu'Ekaterina débitait son discours sur les bienfaits du grand air, certes convenu mais nécessaire et véridique (au moins pour la religieuse), il n'y eut pas plus de réaction, à part un regard un poil coupable, et encore.
Pas que coupable. Un regard... résigné.
Et la nonne n'aima pas ça.
D'habitude, un élève normal se serait récrié, aurait hurlé au scandale ou à l'abus de pouvoir, se justifiant qu'il n'avait rien fait (en effet, rien hélas dans le règlement intérieur n'interdisait de glander dans les couloirs avec un jeu électronique à la main),.
Un élève un peu timide au contraire, se serait confondus en excuses et aurait baissé le regard, tout en cherchant comment récupérer son jouet de manière polie.
Mais la réaction de Destiny avait été trop... apathique. Et forte de certains autres indices et de son expérience, Ekaterina devinait qu'elle était malsaine. Elle avait bien fait de se mêler de ça.
Restait à découvrir quel était réellement le fond du problème...
Entrainant presque de force la jeune fille résignée, Ekaterina réfléchissait à la suite. Comment amener le petite demoiselle à s'ouvrir à elle, à lui confier ce qui la tourmentait ?
Hélas, de part son physique impressionnant et sa rude sévérité, la religieuse savait par avance que les élèves avait du mal à s'épancher en sa présence... Ce ne serait pas facile, mais elle se devait d'essayer.
Une fois dehors et après un petit moment gênant ou aucune des deux ne savaient quoi dire, Destiny la surprît.
"Et maintenant ? Vous voulez faire quoi ? De quoi voulez-vous parler ?" lança finalement sa jeune pupille d'un ton aigre.
Qu'ils soient âgés ou non, en A ou pas, peu d'élèves (ni d'adulte d'ailleurs) osait interpeller aussi âprement l'impressionnante Ekaterina.
Venant du sage petit bonbon rose qui restait le plus souvent silencieux dans son coin en classe, c'était étonnant, voire troublant. Mais bon, Ekaterina avait constaté que la jeune A n'avait au final pas sa langue dans sa poche. Plusieurs fois déjà, elle l'avait vu (et entendu) rembarrer avec violence ses condisciples.
Et cela dénotait d'une profonde fierté... Qui était en contradiction totale avec son manque de réaction lorsque qu'elle s'était emparé de la console.
Etait-ce juste une timidité excessive ? Ekaterina pouvait être un mur impressionnant pour un plus indécis, surtout s'ils étaient aussi jeunes que cette demoiselle...
La jeune fille poursuivit sa diatribe, Ekaterina se contentant de la fixer d'un air intéressé et bienveillant (un technique de confesseur), essayant de comprendre ce qui n'allait pas derrière ce regard rose.
"Je vous préviens, même si j'ai quelques notions en biologie, ça m'intéresse pas de lancer une discussion là-dessus. Et la religion n'en parlons pas..."Ekaterina ne répondit pas tout de suite, mais désigna un banc où elle se laissa tomber, y invitant l'adolescente.
Elle avait conduit la jeune fille à un de ses endroits favoris : on pouvait à la fois avoir une belle vision du parc tranquille déployant toute la beauté de la nature alliée au savoir-faire de l'Homme, tout en pouvant apprécier les impressionnants bâtiments du pensionnat de l'autre coté, avec son flot vivant et chamarré d'élèves.
De plus, c'était sous la frondaison d'un arbre, ce qui permettait d'apprécier le beau temps sans risquer le coup de soleil. Tout le monde n'avait pas des racines italiennes...
"Assieds-toi donc un instant pour profiter du paysage, de la réalité." répondit la nonne.
"J'ai en effet envie de discuter un peu avec toi. Rassures-toi, ce n'est ni de la biologie, ni de Dieu. Je ne fais pas de prosélytisme. Il suffit de regarder et d'apprécier le monde pour voir Son oeuvre..."Bon, Ekaterina se doutait bien que la petite demoiselle ne partagerait pas cette vision.
Elle désigna d'un geste ample le parc lointain et la cours de l'école où chahutaient quelques élèves (beaucoup moins quand leurs regards croisa celui de la nonne).
"Regarde ça ! N'est-ce pas plus vivant et intriguant qu'un monde en deux dimensions, scripté et à l'interactivité limité ? N'est-ce pas plus beau, plus gratifiant de se confronter au réel ?" poursuivit-elle, d'un ton qu'elle voulait engageant (mais son sourire involontaire ne faisait que mieux ressortir son horrible cicatrice).
Bien évidemment, elle ne s'attendait pas à une grande réaction ou un acquiescement de la part de la jeune
gameuse. Les adolescents semblaient le plus souvent incapables d'apprécier le présent et l'univers crée par Dieu. Il faut dire qu'ils voyaient la religion comme une sorte de carcan qui brimait la liberté de pensée qu'ils essayaient péniblement de construire. Souvent, il la croyait encore moyennageuse, obscurantisme...
La religieuse fit tournoyer la console dans ses amples mains, jetant un regard négligeant à la partie toujours en pause.
"Mais je ne suis pas là pour juger ton hobby...solitaire." continua-t-elle, toujours avec son ton rassurant.
"Cependant il faut que tu saches une chose, Destiny. Nous autres les professeurs, nous voyons et entendons bien plus que vous autres les élèves le pensez...Nous ne sommes pas des...comment est-ce déjà ? Ah oui ! Des NPC. Nous réfléchissons, déduisons et avons à coeur les intérêts de nos élèves, même si parfois ceux-ci refusent de l'admettre..."Et j'ai vu que tu étais seules la plupart du temps. Personne ne veux se mettre avec toi en binôme alors que tu es l'une des plus douée. J'ai entendu tes remarques acerbes envers certains de tes camarades, qui t'isolent encore plus, construisant une barrière-repoussoir envers autrui. Et ce n'est pas la première fois que je te vois t'isoler dans un coin, avec comme unique compagnon un gadget électronique.
Ekaterina ne pensait pas que la jeune fille souffre de brimades. Mais l'exclusion, d'autant plus en partie auto-imposée, pouvait faire aussi mal. Et c'était pour ça qu'elle avait décidée d'intervenir et d'essayer d'en apprendre plus.
Mais il allait tout d'abord gagner sa confiance et quelque-chose disait à la russo-italienne que ce ne serait pas chose aisée.
Bien que ce fut risqué, elle décida de jouer à un petit jeu, histoire de titiller la fierté et le répondant de la A.
"Je vais te rendre ta console, va." l'informa-t-elle d'un ton doux, mais décidé.
"Mais j'aimerais savoir pourquoi tu y tiens temps et ce que tu y trouve. Hummm... Prouve-moi donc que j'ai tord, donnes-moi des avantages ou des arguments en faveurs des jeux vidéos. Si tu es convaincante, je te rends illico ton jouet. Sinon... Je te le rend aussi, mais après que j'ai repris ta partie."Bien sûr, la nonne n'avait pas l'intention de mettre sa "menace" à exécution. Elle n'était pas là pour tourmenter la demoiselle au cheveux roses.
Elle était là pour stimuler son répondant, son esprit et ainsi mieux la cerner. Ses réponses donnerait à Ekaterina un meilleur aperçut de sa personnalité, loin du masque silencieux de bonne élève de A.
Allait-elle relever le défi ou bien resterait-elle comme un lapin apeuré face aux phares d'une voiture ?
Période Estivale - Mai - {#}51160e{/#}