Le hasard des retrouvailles mêlé à l'éternité du temps. [Frangin ♥]

Tu t'es une fois de plus laissée attirer par cette salle si étrange, en dehors du temps, cette salle qui défie toutes les lois de la logique. Tu aimes pouvoir t'évader un moment de la réalité, ici, tu y arrives. Personne pour te parler, personne pour t'agacer, personne pour couper court à tes réflexions. Alors, tu passes souvent ici, dés que l'occasion se présente à toi. Comme ce soir de fin de semaine, où tu n'as rien d'autre à faire pour tuer le temps. Tu t'ennuies, et comme toujours, dans ce cas là, tu vas repenser à avant.

Avant, quand tu étais toute jeune. Avant, quand il était encore à tes côtés. Avant, quand il s'occupait de toi à la grande joie de vos parents qui pouvaient sortir le soir entre amoureux. Avant, quand il te couvrait de cadeaux tels que des rubans ou des bagues. Avant, quand tu étais heureuse.

Mais depuis que tu l'as perdu, plus rien ne va. Bien sûr, tu t'es fait des amis, ils sont un peu ta seconde famille, mais il te manque cette part de toi que rien ni personne ne peut et ne pourra jamais remplacer. Tu as appris à vivre sans lui, mais c'est toujours difficile, et parfois, tu pleures. Comme à cet instant, où les larmes ont décidé de salir ton joli petit minois. Tu te demandes pourquoi le Destin t'a joué un sale tour, à toi qui n'a jamais rien demandé d'autre qu'être heureuse. A cet instant, Mlle Stevens te manque. Elle savait t'écouter, te conseiller, elle savait même te faire rire. Elle était un peu cette grande sœur que tu n'avais jamais eu. Même si, depuis, tu as des proches, tu penses que ce ne sera jamais pareil. Puisque avec eux, tu as beaucoup de mal à te confier.

Alors, tant pis, tu restes seul et tu te dis que ça passera. Tu t'enfermes dans ta douleur et tu en oublies tout le reste. Tu te perds au fil des années, et ce n'est qu'une chute sans fin, lente mais inéluctable qui s'empare de toi et de ton cœur.

Tu entends la porte s'ouvrir, et un bruit de chute. Tu ne sursautes même pas, tout te semble lointain, tu as fermé les yeux, et tu danses, tu tournoies sur toi-même, lentement, doucement, en fredonnant une petite mélodie, qui t'a bercée tous les soirs lorsque tu étais petite. Parfois, c'est ton frère qui la fredonnait. Tu adorais quand c'était lui et pas tes parents. Ton père, il sait pas chanter, une vraie casserole. Ta mère, elle chante bien, mais bon, tu vois bien que ça l'agaçait de fredonner cette berceuse tous les soirs. Elle n'y a jamais vraiment mis de cœur. Et puis, après que ton pouvoir se soit déclenché, elle ne t'a plus jamais montré de signe d'affection quel qu'il soit.

Et puis, une voix te fait te stopper net. Sûrement l'homme qui a provoqué ce bruit sourd d'une chute, un instant plus tôt. Tu te tournes lentement, un peu méfiante. Il est assis contre un mur, essoufflé. Il te semble faible, maladif, comme... quelqu'un qui sortirait d'une longue maladie. Tu ne sais pas pourquoi, mais cette option te semble une évidence. Tu clignes des yeux. Tu ressens comme un sentiment de déjà vu, lorsque tu le regardes. Des cheveux noirs, assortis à ses yeux. Yeux qui te semblent vides, lointain, sans trop que tu comprennes pourquoi. Et cette voix, qui n'a fait que prononcer un bonjour, te fait frissonner de toute part. Tu ne comprends pas, et tu ne cherches pas à comprendre.

- Bonjour... Ça ne va pas ? Tu n'as pas l'air bien...

Tu te demandes s'il ne faudrait pas l'emmener à l'infirmerie, le confier à un adulte. Il a franchement l'air mal, et ça t'inquiète un peu. Non, ça t'inquiète beaucoup. Une angoisse sourde qui te ronge sans trop que tu ne comprennes, une nouvelle fois. C'est une sensation étrange. Pourquoi t'inquiètes-tu autant d'un inconnu, petite Haven ?...

Il te dit de ne pas t'inquiéter, mais tu ne peux pas t'en empêcher, c'est plus fort que toi. Pourtant, tu hoches la tête, tu le crois. Il prends de la ventoline, peut-être est-il simplement asthmatique. Tu es un peu rassurée du coup, et tu te détends un peu. Même si les sensations étranges que tu as depuis que tu l'as vu ne te quittent pas. Et puis, il te pose une question, banale aux premiers abords, mais tu sens qu'elle est tout sauf banale. Tu es figée, muette. Tu ne sais même pas pourquoi tu es comme ça. Il réveille un instinct étrange en toi. Tu as l'impression d'avoir retrouvé ton monde en même temps qu'il s'écroule sous tes pieds. Tu sombres tout en te retrouvant en pleine lumière.

Et puis, d'un coup, tu vois des images apparaître autour de vous deux, floues. Un lac, la nuit, le vent qui fait onduler la surface de l'eau et bruisser les feuilles. Tu frissonnes au froid mordant que tu ressens. Mais, pour une fois, tu n'as pas peur de cette illusion que tu viens de projeter sans le vouloir. Elle est à peine visible, et tu n'es même pas sûre que le jeune homme la remarquera. Il sentira peut-être le froid, entendra peut-être le bruit, mais ne verra sûrement pas ce lac reflétant la pleine lune en son centre.

Les instants suivant, les secondes défilent avec lenteur, tu prends doucement le document qui n'est autre qu'une carte d'identité, tu la retournes, et tu vois la photo. Ton souffle se coupe, tu vacilles, ta vue se brouille de larmes. Tu pleures, tu tombes à genoux et te jette au cou du jeune homme. Tu sanglotes, tu trembles. Non, tu ne parviens pas à y croire. Lui... ici ! Comment peux-tu croire que tout est bien réel, que tu n'es pas dans un de ces énièmes rêves où tu penses chaque fois retrouver ton frère, ta moitié, avant de te réveiller dans ton lit et de te mettre à pleurer sans pouvoir te rendormir ? Tu as peur. Peur que ce soit faux.

- M... Ma... Mattias... Ce... c'est m... moi t... ta soeur... H... Haven... T... Tu... Tu te souviens ?... Hein...? Tu... tu te souviens de... de moi ? Matt'... G... Grand-frère...

Tu ne raisonnes plus, tu es ailleurs, plus rien n'existe, il n'y a plus que toi et ton frère retrouvé. Il n'y a aucun doute sur la personne. Tu n'as même pas besoin de lire son nom, la photo t'a suffit. D'un coup, l'illusion se fait plus nette, et vous vous retrouvez sous un arbre, sur une colline qui surplombe la ville dans laquelle vous avez vécu durant votre enfance. Mattias et toi y êtes souvent allés durant les beaux jours de printemps, comme le montre l'illusion, le ciel bleu, le soleil, les oiseaux et la douce brise. Un paysage gorgé de souvenirs, si symbolique pour vous. Mais, s'il ne s'en souvient pas ? ... Tu as peur. Si peur.

Tu te figes à ses paroles. Il est amnésique. Pour de vrai. Tu es forcée d'y croire, même si tu aimerais qu'il te fasse une farce, même si ç'avait été le cas, il n'aurait pas poussé la plaisanterie si loin. Pas après tout ce temps passé à être séparés l'un de l'autre. Tu te mords la lèvre pour retenir tes larmes autant que tu peux, celles-là n'étant plus uniquement de joie, mais aussi de tristesse et de douleur. Tu le lâches lentement, la carte d'identité glisse d'entre tes doigts jusqu'au sol. Comment est-ce possible ? Comment a-t-il pu t'oublier, toi, sa petite sœur, alors que vous étiez si proches ?

- J... Je...

Tu ne parviens pas à parler, ta gorge est nouée. Alors, tu détournes le regard, impuissante, vers ce paysage qui vous entoure. Ton cœur se serre à sa question. Il ne se souvient même plus de cet endroit. Tu as du mal à y croire. Et, cette fois, tu aimerais que ce ne soit qu'un rêve. Tu aimerais te réveiller dans ton lit, pleurer, te lever et retrouver ton frère en bonne santé, et avec toute sa mémoire. Mais, au fond de toi, tu sais que tout est bien réel. Tu sais que tu n'es pas en train de faire un énième rêve. Tu fermes les yeux, tu soupires, l'illusion si joyeuse s'évanouie pour laisser place à une autre. Ne reste plus que l'obscurité, vous semblez en suspension sur une eau glaciale dans laquelle vous ne coulez pas, un vent froid s'engouffre sous vos vêtements. Tu frissonnes. Tu rouvres les yeux pour regarder ton frère.

C'était... un endroit où nous allions souvent jouer... avant... Avant qu'ils ne t'envoient loin de moi...

Tu te relèves, tu t'éloignes un peu. Etre à proximité de ce frère qui t'a oubliée, c'est bien plus que tu ne peux en supporter. C'est tellement douloureux. Tu te demandes s'il redeviendra un jour ce Mattias que tu as connu, ce Mattias qui s'occupait de toi quand vos parents sortaient en amoureux. Est-ce qu'un jour la mémoire lui reviendra, ou bien es-tu condamnée à vivre auprès de ton frère qui ne te connaîtra que comme une inconnue, au mieux une amie ?...