Let me try again ▬ PV Victoria

Trois heures.
C’est le temps qu’elle avait passé dans la salle de bain, à se tordre en cris ridicules tandis qu’elle essayait de se rendre convenable au niveau physique. Felicia ne s’était jamais penché sur son physiquement autrement qu’en brossant ses cheveux ou en les attachant en une queue de cheval. Pratique pour le sport, mais ses soins personnels s’arrêtaient là : certes, c’était déjà arrivé, mais elle ne s’en occupait pas elle-même. Cette fois elle n’avait pas le choix : ses deux colocataires étaient des mecs et elle doutait fort qu’elle puisse leur confier sa gestion capilaire, d’autant qu’ils n’avaient pas l’air d’être les plus délicats du monde. Et puis, elle n’avait peut-être jamais essayé, mais elle était certaine de pouvoir y arriver - même toute seule.

Sa première tentative, misérable échec, se porta vers les boucles : après avoir failli s’assommer deux fois avec l’engin et même explosé un miroir en miettes, elle avait décidé d’abandonner. Une bonne demi-heure pour tout ranger sans se couper, une barrette glissée dans ses cheveux et elle était satisfaite. Les trucs trop compliqués, ça n’était pas pour elle, c’est bien pour ça qu’elle n’était pas allée voir plus loin qu’un short et un t-shirt - par dessus lequel elle avait glissé un sweat bien trop grand pour elle. En l’enfilant, elle huma l’odeur de Dexter encore présente, se fondant en un sourire. Elle devait lui rendre depuis, allez, deux-trois semaines ? Le soucis, c’est qu’elle n’avait jamais eu le courage d’aller le voir et que pour elle, c’était une sorte de souvenir. À quel point fallait-il être idiot pour filer sa veste à une fille alors qu’il faisait averse ?

Le pire dans tout ça, c’est qu’elle était celle qui avait oublié sa veste à la base. Et dire que dans un geste aussi gentil, il avait gardé cette expression impassible - parfois, elle se demandait ce qu’il pensait vraiment. Pourtant, ça ne lui enlevait en rien de cette aura rassurante - et porter une part de lui sur elle, pour cette rencontre, allait énormément la rassurer. Un coup de poignet rapide pour retirer ses cheveux coincés dans son col, un peu de maquillage sur les yeux - clin d’oeil à Vic, qui lui avait apprit. Une fois prête, elle sortit enfin, traversant la foule du pensionnat. Elle avait l’impression de voir le monde différemment, peut-être parce qu’il n’était pas agité comme à l’accoutumée - au sens propre, en fait, tant elle s’amusait à sautiller dans les couloirs. Ou peut-être parce qu’aujourd’hui, bien des gens la regardait tant elle était resplendissante.

Il lui fallut une dizaine de minutes pour arriver, n’ayant pas tant envie de couvrir la distance en volant - elle avait marché en pensant tout le trajet à ce qu’elle dirait à Victoria. Peut-être un simple bonjour ? Des excuses d’emblée ? Elle n’y avait pas vraiment réfléchi et elle n’allait pas commencer maintenant. La seule chose qu’elle se disait, c’est qu’elle ne devait pas pleurer - rester forte, écouter Hercule. C’est ce qu’elle fit quand elle arriva devant sa capitaine, ponctuelle comme toujours, parfaite comme toujours. Mais là, en rompant peu à peu la distance entre elles, elle se rendit compte qu’elle n’avait aucune idée de quoi dire. Pourquoi se prendre la tête alors ?

▬ Coucou, avait-elle dit naturellement.

Elle avait toujours été admirative de la reine. Cette carapace glacée, ce visage de marbre, cette grâce et cette maturité que reflétait son seul visage. Elle qui était bien incapable de rester en place, son admiration se tournait vers cette immobilité puissante, cette force glaciale. Quand elle la rejoignit, elle faisait face à cette personne qu’elle avait admiré et qu’elle admirait toujours, en dépit de tout ce qu’elle lui avait dit l’autre fois. Si la colère avait pu la gagner à certains moments, la culpabilité l’avait tout bonnement écrasée. C’est pourquoi aujourd’hui elle ne cherchait pas vraiment à combattre ses propres sentiments, ne voulait pas imposer sa chaleur envahissante, son énergie brûlante qui débordait pourtant. Elle regardait simplement la reine, immobile, ses doigts se serrant sur le bord du sweat de Dexter sans qu’elle ne le remarque.

Premières paroles dénuées de jugement, ton neutre qui l’effrayait déjà. Victoria avait eu l’art, ce coup-ci, de rester encline à deux issues : couper définitivement les ponts ou tenter de reconstruire leur amitié. Bien incapable de déchiffrer la signification de son ton, Felicia s’était contenté d’un signe de tête avant de suivre la reine, manquant de trébucher en se précipitant un peu trop. Elle n’avait pas changé en définitif, et c’était tant mieux - la suédoise n’aurait pas supporté d’avoir blessé son amie au point de l’en changer, si impassible qu’elle pouvait être. Elle était loin de croire qu’elle en était capable, mais elle était bien trop bouleversée pour penser avec logique - se contentait de suivre bêtement l’anglaise dans son parcours animal.

Le tout dura une demi-heure à tout casser, malheureux changement d’habitude pour la blonde qui passait en général des heures à faire le tour. Elle avait l’habitude du zoo, si bien qu’elle en connaissait la plupart des employés et tous les animaux. Chacun avait son nom, chacun avait son caractère - et si elle eut la chance de pouvoir observer ses amis zèbres pendant presque deux minutes, elle eut à peine le temps de glisser quelques mots à ses amis singes quand Victoria passa devant en les ignorant superbement. Felicia aimait tout le monde, ce n’était visiblement pas le cas de la reine - et ses critères de sélection étaient sûrement trop incompréhensibles pour une fille incapable de détester la moindre entité vivante.

C’était presque désespérant. Au final, le spectacle de dauphins dut être la meilleure partie : impressionnant, entraînant, plaisant. Felicia en oublia ses problèmes, l’espace de deux heures, sourit véritablement comme elle l’avait toujours fait - manquant même, pour un peu, de réprimander gentiment son amie pour son exigence vis-à-vis des éclaboussures. Elle se ravisa, se rappelant douloureusement de leur froid actuel que son amusement avait balayé de son esprit, et se contenta de suivre en silence le spectacle. Ce fut le meilleur moment de la journée puisque la blonde avait seulement à se soucier de suivre un dauphin du regard - et elle se tendit de nouveau quand la reine se leva pour l’inviter à boire un coup dans un fast-food.

En face à face. Yeux dans les yeux.
Elle déglutit - courage Felicia, tu en as à revendre.

Son repas fila assez vite, comme toujours, la suédoise se calcant sur la vitesse de son interlocutrice pour échapper à l’attente gênante de quand elle aurait terminé son assiette en première. Le moment d’explication était imminent et elle n’avait toujours pas trouvé quoi dire en réponse aux paroles de Victoria. Bien sûr qu’elles devaient parler, mais elle ne savait pas par où commencer. Mentir ? Dire la vérité ? Accuser quelqu’un ? Du chantage peut-être, ou feindre l’alcool. Nier n’était vraiment pas son fort en plus d’être quelque chose qu’elle détestait. Elle détailla les iris de Victoria, désireuse de parler avec sincérité. Elle réfléchit, encore et encore - tant et si bien qu’elle s’arrêta, lassée de se prendre la tête avec elle-même. Fatiguée.

▬ Pardon Vic, murmura-t-elle avec tristesse.

Mais ne pleure pas, Felicia, ta faiblesse a déjà fait bien assez de dégâts.

Elle avait longuement réfléchi à la situation. Elle avait imaginé Victoria l’inviter dans un jet privé pour la faire tabasser par une bande de mafieux, lui tendre une embuscade avec une bande d’élèves-fan de la Reine, l’humilier en public à la prochaine Jim’s party - et même, juste après avoir bu un verre de champagne, rêvé qu’une licorne à tête de Victoria la pardonnait et l’emmenait dans un pays merveilleux. Elle avait eu la pêche au réveil, bien qu’elle était un peu frustrée que ce rêve ait gâché son aventure spirituelle nocturne qui avait déjà 289 épisodes à son actif - Felicia dans l’espace qui visite des planètes roses, ça fait presque de la peine à voir. Le soucis, c’est qu’elle n’avait jamais été capable de rêver de ça à nouveau et avait hésité à demander à un modificateur de rêve de l’y aider.

Finalement, elle avait renoncé, admettant que toute bonne chose avait une fin et que son inconscient n’allait pas perdre cette bataille. Elle devait se réconcilier avec Victoria, ou tout du moins, mettre une bonne fois pour toutes les choses au clair. C’est ce qui avait fait tourner son cerveau à mille à l’heure, imaginé différents scénarios et la perturbait sans cesse. C’est aussi ce qui la rendait tellement tête en l’air, elle qui avait pourtant plus d’intérêt pour cet instant que n’importe qui - elle n’arrivait tout simplement à se dire qu’elle était bien éveillée, cette fois.

Un fast-food au zoo. Felicia n’aurait jamais pensé à une situation si bonne, et de ce fait, elle était plus gêné pour ses manières presque décivilisées que son comportement d’antan. C’est vrai quoi, Victoria était connue et la blonde n’avait pas manqué de remarquer les regards que les gens posaient sur elle - c’était presque un cadeau, cette sortie, et elle ne savait pas comment y réagir. Victoria aurait pu tout simplement la rejoindre dans sa chambre à une heure où elles auraient été tranquilles, lui expliquer les choses sans détour et s’en aller dignement comme elle l’avait toujours fait - sauf qu’elle s’était contenté d’une petite annonce publique sur Facebook, d’une petite sortie au zoo de quelques heures et d’un petit repas au fast-food.

Autant dire qu’elle avait fait bien plus d’efforts qu’il n’y paraissait, et ça suffisait à gêner la suédoise au point qu’elle en perde ses repères. Cerise sur le gâteau, elle entama la discussion avec des excuses personnelles - marque considérable de modestie qui l’emplit déjà de remords. Non, c’était sa faute, pas celle de Victoria. Elle était l’unique responsable de son comportement idiot, n’importe qui aurait réagit de cette façon - c’était déjà un véritable effort de sa part, et elle n’avait pas à en faire davantage. Elle en avait déjà bien assez fait - si bien que Felicia s’attendit à tout moment à ce qu’elle s’énerve.

Elle ne dit pas un mot, pas qu’elle n’en avait pas le courage, mais elle n’osait pas l’interrompre avant d’être certaine que Victoria ait terminé. Elle eut d’ailleurs l’agréable surprise de sa franchise en pleine figure : elle lui en voudrait pour un moment. La suédoise le savait, et pourtant, elle ne put s’empêcher d’être attristée - pur sentiment égoïste dont elle ne pouvait se défaire malgré elle. C’était sa faute et Victoria avait fait un grand pas en avant : elle ne l’oublierait jamais. La D attendit quelques instants, scrutant le regard glacial de la Reine pour vérifier qu’elle ait terminé - insouciant, non préparée aux quelques mots avec lesquels elle conclut.

Les larmes montèrent aux yeux d’une Felicia stupéfaite qui ne s’en sentait que plus coupable d’avoir bafoué non seulement l’amitié de Victoria avec Morgan, mais également la leur. Elle lui avait fait confiance, ce n’était pas rien - comment avait-elle pu être aussi bête ? Les licornes n’existaient pas, le Père Noël se résumaient à ses deux parents farceurs et Morgan Freeman n’était pas Nelson Mandela. Le monde n’était pas rose, et elle prenait aujourd’hui cette vérité de plein fouet - sentiment froid au travers de son estomac, comme lorsqu’elle avait rencontré Ernest. Sans l’inexplicable picotement au coeur, ceci dit - là, en revanche, elle sentait son estomac se tordre, et pas seulement à cause du fast-food.

▬ C’est pas toi, c’est pas toi du tout, c’est ma faute. Je pensais pas que… pardon. Tu as le droit de m’en vouloir.

Et un salut raté : elle s’inclina maladroitement, son front cogna avec force la table, secouant cette dernière. Felicia resta ainsi quelques secondes, montrant non seulement sa propre culpabilité mais tentant également d’effacer cette grimace de douleur sur son visage à cause du choc. Elle se redressa lentement, un hématome sur le front et le maquillage sur ses yeux dans un bordel absolu à cause des larmes. Elle était comme une enfant qui aurait refusé son maquillage, une gamine qui faisait pâle figure à côté de Victoria - stoïque dans son expression, mature dans sa façon d’être aujourd’hui. Et autant dire que cette comparaison ne l’aidait pas vraiment.

▬ Tu m’as manqué, beaucoup beaucoup ! Je sais même plus comment me coiffer, avoua-t-elle avec une pointe de honte.

Peut-être qu’elle ouvrait enfin les yeux sur le monde, mais elle restait quand même une enfant. Sa maturité commençait dès maintenant, il lui fallait juste un peu de temps.

Le geste brutal, soudain, destiné à l’entraîner loin de la foule l’avait surprise. L’environnement paradisiaque, propice à leur réconciliation, s’effaçait en quelques secondes. Felicia sentit sa respiration s’accélérer, ne comprenant pas la raison de cet acte. Elle avait imaginé une brusque reprise de conscience de la part de Victoria, une conclusion violente au terme de cette tentative de sociabilité - peut-être qu’elle avait mal choisi ses mots, peut-être qu’elle n’aurait pas dû pleurer. Elle reprit contenance durant le trajet, concentré sur sa propre respiration. Calme-toi. Arrête de pleurer. Sois forte. C’est ce qu’elle se disait - elle ne remarqua que tardivement le nouveau décor près duquel elle fut forcée de s’asseoir, un véritable jardin d’Eden.

Comparé à ça, le fast-food tenait des Enfers - le paysage était splendide. À l’instar de celle qui l’avait déniché, songea la suédoise - elle ne cachait pas son admiration pour elle malgré la situation présente. C’est ce sentiment d’admiration qui la mettait mal à l’aise, la formalisait tant et l’avait rendue si impulsive - elle le savait, pourtant, qu’il n’y avait pas de place pour ça dans leur amitié. Elle savait qu’elle devait être plus sérieuse, moins axée sur ses sentiments propres et tenir compte des pensées de la reine. Felicia inspira grandement, reprenant lentement son calme - elle cessa de ruminer ses songes, planta son regard dans celui de Victoria et entreprit de faire preuve de plus de maturité.

Elle amorça même un geste pour s’essuyer les yeux mais n’en eut pas le loisir - c’est son amie qui s’en chargea, sortant son propre attirail pour effacer ses larmes et les vestiges de son chagrin. Un crayon dégainé et en quelques secondes, elle était comme neuve - son maquillage parfaitement redessiné. Elle sourit avec reconnaissance - un sourire éclatant et sincère comme elle n’en avait plus fait depuis maintenant des jours. Elle sourit, contente de retrouver son amie, de pouvoir à nouveau sortir en étant présentable, avec fierté, cotoyant une popularité qui l’avait toujours dépassée. Elle se promit par la même occasion de ne plus pleurer - par respect, pour se montrer forte. Pour ne pas effacer ce maquillage à présent parfait.

Au début, elle se contenta d’aquiescer simplement, et finit par y réfléchir davantage. Son coeur se serra devant cette tolérance, cette gentillesse dont Victoria faisait preuve. Elle ne savait pas au fond, si elle en aurait été capable à sa place - une trahison totalement mise de côté, et plus encore, elle était plus gentille que jamais. Elle comptait sur elle pour lui faire oublier - Felicia pouvait bien faire ça, après tout ce que l’anglaise avait fait. Elle pouvait bien lui porter cette responsabilité, celle d’alléger le coeur de son amie qui avait fait plus d’efforts qu’elle n’avait à le faire. Alors que, en réalité, elle n’avait pas à en faire le moindre.

Felicia ne se retint pas - elle attendit juste quelques secondes, l’observant ranger sa trousse avec soin, et lui sauta au cou. Une étreinte inattendue, méritée, sincère. Elle ne pleura pas, serra les dents et ferma les yeux, déversant toute son affection et son admiration à son égard. Elle se réservait pour éviter de lui broyer le cou, mais n’en restait pas moins sincère. Ici et plus que jamais, elle était heureuse d’avoir prit la décision d’avoir rejoint les cheerleaders. Heureuse d’avoir fait le pas en avant, malgré sa timidité, d’avoir rencontré Victoria et d’être devenue si proche d’elle. Mais aussi, cruellement, ne s’en voulait que davantage de sa trahison. Seulement, ça lui était égal, car dès maintenant, elle ferait tout pour lui faire oublier cette soirée.

▬ Je ferai de mon mieux. C’est moi qui ferait des efforts, tu verras, je serai la meilleure amie du monde. Tu pourras même me dire ta pointure de chaussures !

Elle n’avait pas de meilleur exemple - vraiment pas. Mais, n’était-ce pas suffisant ? Plus que jamais, elle était déterminée à grandir. Elle commencerait par là.