Make me dream | Dex ♥

Elle avait du mal à sourire depuis quelques temps. La dispute avec Victoria s’était bien terminée, une rencontre au zoo qui marquait le fin de leurs altercations. Le coeur maintenant léger, la suédoise sortait de cours - toujours joyeuse, éclatante, mais bien différente. D’ordinaire, elle serait sortie de la salle en sautillant, chantonnant un air de Fall out Boy à tue-tête - la Felicia ordinaire, maintenant marquée au fer rouge par une tristesse trop dure à supporter. Pourtant, d’habitude, elle se serait relevée sans mal, mais Victoria était différente.
Importante, précieuse, parfaite - modèle, amie, confidente. Passée de tout ça au néant en seulement quelques minutes, ça avait été trop dure à supporter pour la blonde. Elle s’était remise grâce à Hercule, et au final, grâce à Victoria elle-même, mais ça faisait deux semaines qu’elle était perdue sur sa propre personne - bien incapable de redevenir la même, tout comme de se reconvertir en une gothique dépressive.

En bref, elle ne savait pas vraiment quoi faire. Du coup, elle avait décidé de se changer les idées et elle avait accepté les différentes propositions d’Ernest. Il était infatiguable : presque tous les soirs, c’était une aventure nouvelle et elle n’était pas de tout repos. Souvent illégale, improbable, difficile, effrayante - il n’avait peur de rien, était sûrement la pire personne à fréquenter entre toute la drogue qu’il ingurgitait et son caractère impossible. Tout ce qu’il ne lui fallait pas, seulement, elle ne pouvait pas lui enlever qu’il était charmant - et c’est ce qui avait mit à mal sa détermination. Elle pensait toute la journée à ce qui l’attendait, et, une fois sur place, avait hâte de rentrer dans sa cabane, exténuée par toute la tension de la soirée.

Affalée sur son lit, elle reçut un nouveau lézard, porteur d’une autre invitation de la part de la star qui lui proposait de partir au zoo. Peut-être allait-il libérer un animal ? C’était bien son genre de faire ça. Elle se munit de son stylo, commença à écrire le premier mot et se résigna - repensant à sa dernière escarpade au zoo avec Victoria. Elle jeta son stylo, fit une boule avec le papier et se munit de son ordinateur. Il ne lui fallut que quelques secondes pour l’ouvrir, se connecter à Facebook et poster un statut rapide pour signaler son absence. Elle ne répondrait pas à Ernest, se doutant qu’il regarderait avant de sortir. De son côté, Felicia voulait simplement prendre un peu d’écart. I’ll take a break tonight avait-elle écrit - le truc, c’est qu’elle ne savait pas ce qu’elle allait faire.

Elle posa son ordinateur, se refusant toute possibilité de griller sa soirée sur un jeu en ligne. Elle en aurait été ravie, d’habitude, mais ce soir elle voulait changer d’habitude. Ses pensées se tournèrent alors vers Dexter. Elle l’avait rencontré dans le complexe sportif - même si techniquement, c’était plutôt les jardins puisqu’il était retombé à l’extérieur du palier après avoir mangé la balle de ping-pong en plein dans l’oeil. Un coup magistral de la suédoise qui se jura de ne plus jamais tenter ce Fire Smash de son invention - ou au final, de juste cesser ce sport où elle brillait de part sa nullité.

Pourtant, Dexter l’avait très bien prit. Si on ne tenait pas compte des quelques injures malvenues, il n’avait même pas fait semblant de s’énerver. Elle l’avait trouvé plus que gentil, parfait même - et si elle ne venait pas souvent le voir, c’est bien parce qu’elle avait une peur bleue de le déranger. Quand il ouvrait la porte et posait un regard impassible sur elle, elle avait envie de s’enfoncer dans le sol avec son incontournable impression d’avoir rendu la pire journée de sa vie encore pire qu’avant. Bien incapable d’affronter un tel sérieux, elle lui lançait un sourire gêné, prétextant être venu voir son colocataire -qui était coude-à-coude avec lui en matière de regard “je te déconseille de venir nous inonder de bonheur ou on t’arrache les orifices”-. La seule différence, c’est que Dexter, lui, était mignon. Une chance que son colocataire n’ait pas été là d’ailleurs, entre sa réputation et les pensées qu’elle avait à son égard, elle risquait de fondre sur place dans sa propre crainte. Quel courage Felicia, vraiment.

Ce bungalow ressemblait au bungalow des VIP de la cooltitude.
Elle hésita une dizaine de seconde et finit par frapper à la porte avec timidité.

▬ Hi Dex’, osa-t-elle avec un sourire.

Il n’avait pas changé d’un pouce.

Naturellement charmant, volontairement indifférent, totalement mystérieux. C’est ainsi qu’elle l’aimait, le tout avec ce charme en plus qu’il avait, même inconsciemment, qui la faisait sourire quand il le faisait aussi ; ce qui la mettait à l’aise, malgré cet air mystérieux, bizarre que les gens lui trouvaient. Felicia elle, n’avait jamais rien vu de ça en Dexter - de son point de vue, il était sans conteste la perfection incarnée. C’était purement objectif, pourtant : mignon, intelligence, ouvert et solidaire… sans compter son don qui leur arrangeait bien des situations à tous les deux. L’annulation qui lui avaient déjà remis sa crinière verte à son blond naturel, redonné son poids naturel alors qu’elle s’accrochait à une branche d’arbre pour éviter de se faire emporter à cause de sa masse disparue ou, une autre fois, sauvé des flammes d’un élémentaire.

Elle lui devait tant, et pourtant, leur relation était toujours restée simple. Elle aurait voulu que les choses soient différentes - non pas qu’au fond, elle n’aimait pas cette relation qu’elle avait avec lui, mais il l’intimidait tant qu’elle n’avait jamais trouvé de réelle bonne façon de s’approcher de lui. L’humour peut-être, ou sa bonne humeur naturelle ? Elle n’avait jamais eu l’impression de mériter sa compagnie, d’être l’élément qu’il était obligé de se coltiner pour ne pas faire l’impasse sur sa parfaite gentillesse, et contenir d’ententrenir sa bonne image. C’était quelque chose comme ça, peut-être - ou simplement qu’elle avait peur de perdre cette relation en voulant la rendre plus intime, en devenant plus proche de lui.

Alors, au bout du compte, les choses étaient restées ainsi. Elle s’y était habituée, avait affectionné cette relation simpliste qu’elle avait avec lui. Elle s’était lentement attaché à Dexter, à cette barrière qu’il avait posée, n’y voyant aucune objection. Elle le respectait, l’admirait et s’en voulait presque à elle-même de n’être pas capable d’agir de la sorte : rester loin des gens, pour s’éviter des problèmes. Felicia était différente de lui au fond, elle se sentait presque obligée de se mêler des problèmes des gens, attirée par l’envie de voir sourire autrui et effacer la moindre tristesse de son entourage. C’est peut-être ce qui la rendait si à l’aise avec lui, le fait qu’elle n’ait pas à agir de la sorte - lui, géant d’assurance, qui semblait non seulement cacher le moindre sentiment négatif avec brio, mais plus encore, n’avoir besoin de personne.

Le bonjour la mit presque mal à l’aise tant il l’extirpa de ses pensées.
Elle rentra - presque soulagée de le voir comme d’habitude. Il avait ce même sourire, ce même ton monotone. Ni triste, ni joyeux, simplement naturel. Un vrai contraste, au final - lui qui restait droit, jeune homme à l’allure si ténébreuse, tandis qu’elle était un petit soleil, brillant de mille feux, mais d’une fragilité sans nom. En ce sens, Dexter lui donnait confiance, parce qu’il semblait si inébranlable, hors de toute compréhension - invincible. Il semblait si affectueux et à la fois, capable de pouvoir aimer sans qu’on tire la moindre faiblesse de ses attachements.

▬ C’est vrai, j’étais… triste. occupée. Ca me fait du bien de te voir.

On pouvait pas faire plus honnête. Elle n’osa même pas lever les yeux vers lui, garda son regard rivé vers ses chaussures, ce sourire gêné aux lèvres. C’était ridicule de se mettre dans des états pareils alors que lui, au fond, restait le même. Cruellement insensible. Et elle, culpabilisait déjà de lui faire perdre son temps alors qu’elle n’avait rien à lui dire. Rien tout du moins, de prévu. Elle hésite, cherche ses mots. Elle n’aime pas raconter ses problèmes, discuter sérieusement avec lui - elle préfère sourire, croire qu’elle l’atteint sincèrement plutôt qu’affronter ce regard sérieux, presque effrayant. Même pour elle, qui d’habitude, n’y voit que de la chaleur. Alors, elle se ravise, garde ses problèmes enfouis, intériorise ses doutes.

▬ Je voulais juste te rendre visite. C’est bête je sais, mais… c’est toi que j’avais envie de voir, alors qu’en fait, fin... j’ai rien d’important à dire.

Elle l’a toujours vu tellement parfait qu’elle a du mal à l’imaginer autrement. Elle a toujours vu son regard empli de bonnes intentions, son apparence sombre comme le camouflage ébène d’un ange gardien. Comme l’était Batman, le cavalier noir forcé de laisser sa cape, se cantonner dans la peau du méchant. Elle n’avait jamais eu peur, ne s’était jamais questionné sur ce qu’il était vraiment. Il aurait pu sortir un arsenal militaire digne d’un tueur en série qu’elle n’aurait su le voir, arme en main. Il n’était pas inoffensif à ses yeux, juste trop gentil pour qu’il lui fasse du mal - un sentiment de sécurité qu’il lui inspirait, qui pouvait se traduire en une confiance aveugle. Il la rendait heureuse par son seul regard, la comblait de son unique présence et la protégeait de ses simples mots.

Mots qui, une fois encore, lui arrachèrent un léger rire. Elle posa un regard reconnaissant sur lui, tentant de reprendre son sérieux - il était bien le seul à lui dire de telles choses. Content de le voir. Les gens avaient des avis différents ; tantôt fatigués, tantôt ennuyés ou surpris. Aucun n’avait jamais montré sa joie quant au fait de voir la suédoise débarquer - elle était pourtant la première à se soucier des autres, la seule à se mettre complètement de côté pour la vue d’un sourire. Cette lumière l’aidait autant qu’elle aidait les autres, si bien que Felicia n’avait jamais de pensées aussi négatives - mais ici, maintenant, lorsqu’elle se faisait de telles réflexions, elle ne pouvait qu’apprécier Dexter davantage.

Pourtant, elle savait au fond d’elle que c’était cruel. Cruel que son coeur ait choisi Ernest, le pose sur un piédestal qu’il ne méritait pas - quelque chose que Dexter avait mille fois plus de raisons d’obtenir. Et pour ça, elle se haïssait - parce qu’elle ne pouvait pas le remercier comme il le méritait, l’aimer comme il en était digne. Et pourtant, elle était incapable de cacher ses émotions comme il le faisait, car tenir un air sérieux la faisait rire plus que ça ne faisait rire les autres. Elle n’était pas douée pour le mensonge, incapable de ne pas sourire avec joie quand on lui faisait plaisir, d’empêcher ses joues de s’empourprer face à une gêne évidente.

Alors, elle se contentait de suivre le mouvement. Elle agissait normalement, avec sincérité. Elle s’assit, ses mains sur ses genoux, secouant ses jambes comme l’hyperactive qu’elle était. Felicia aurait voulu être élégante, croiser les jambes comme une demoiselle de son âge, mais elle savait qu’elle serait incapable de tenir en place. Elle préférait rester là, à passer d’un pied sur l’autre, se balancer comme une enfant et promener son regard sur toute la pièce parce qu’elle ne pouvait pas soutenir celui du A. Pas après qu’il ait si naturellement exposé ses sentiments. Bien sûr qu’il lui manquait, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre ? Il lui manquait affreusement, et il n’avait pas besoin d’y veiller. Il était attachant à sa manière, bien qu’il avait l’air de tout faire pour ne pas l’être.

▬ Exactement, marmonna-t-elle comme une enfant. Ne te moque pas de moi.

Immature, incapable d’assumer son ressenti. Elle n’aimait pas s’attacher, parce qu’elle avait cette impression, cette peur de ne plus pouvoir s’écarter de ses proches une fois que le lien était formé. Hypersensible, elle savait qu’elle pouvait s’emporter pour tout et n’importe quoi - et ça la tuerait un jour, cette impossibilité à faire abstraction des sentiments des autres. Ca la tuerait, comme le douloureux son de la voix de Dexter qui la déchira de culpabilité - Ernest, bien sûr. Elle n’était pas avec lui, parce qu’elle n’en avait pas envie. Elle n’était pas avec lui parce qu’elle était fatiguée de ces moments, et pourtant, qu’elle aimait sa compagnie. Elle aurait tant voulu qu’il soit différent, mais elle se sentait égoïste à espérer qu’il soit une autre personne pour son bon plaisir. Alors, que pouvait-elle bien être de plus méprisable, à se réconforter auprès de Dexter qu’elle avait l’impression de trahir ?

Ses mains se crispèrent et elle observa le sol pendant de longs instants. Elle voulait tout lui dire, mais elle préférait qu’il la pense délinquante plutôt qu’attachée à Ernest. Elle voulait lui expliquer que ce n’était pas sa faute, mais comment était-il censé réagir à une telle affirmation ? Personne n’accepterait ça - personne ne voudrait d’une telle résolution, comme un destin écrit par une soit-disant entité supérieure. Felicia savait la présence d’un coeur d’or derrière cette muraille de glace, et c’est tout ce qu’elle ne voulait pas briser - comme la peur de détruire l’illusion de perfection qu’il s’était posé, qu’elle s’était imaginé de lui. Pourtant, il avait toujours été là, et c’est cette part de lui à laquelle elle faisait confiance. À cette force inébranlable.

▬ Non, pas du tout. Ernest et moi, on fait souvent le tour de l’île pour faire plein de bêtises, mais j’en ai un peu marre de toutes ces… bêtises. Quelques fois, ça me fait un peu peur, et même s’il essaie de me rassurer je me sens mal à l’aise. Quand je lui dis, il me conseille de fumer avec lui, que ça me fera du bien, mais je veux pas.

Mal à l’aise. Elle se mord la lèvre, plante son regard dans le sien avec sincérité. Elle ne veut pas mentir ce soir, c’est ce qu’elle a décidé. Elle lui dira tout, même ses peines, même s’il doit y en avoir des conséquences. Mais ce soir, elle ne pleurera pas.

▬ Avec toi c’est différent. Quand je suis ici je me sens… en sécurité. Je me sens vraiment bien avec toi, Dex.

Elle en avait trop dit. Assise sur sa chaise, les jambes agitées, elle avait envie de s’enterrer six pieds sous terre pour éviter le regard de Dexter. Quel genre de bêtises ? C’était pourtant facile à comprendre. L’exploration des ruines, s’enfoncer dans des quartiers interdits au publics, bidouiller les quelques scooters de l’île, sonner aux portes avant de taper un sprint jusqu’à la rue tournante la plus proche. Et ça, ce n’était qu’un début - il leur avait déjà pris l’idée de grimper sur un toit pour s’exercer à la relâchée du seau d’eau rempli sur les passants. Ce genre de trucs, ça faisait rire Ernest, mais elle, avait bien plus de mal. Elle aimait voir les gens se tourner vers eux en ricanant à leur tour, mais tournait la tête quand elle devait faire face à des yeux pleins de colère et d’envie de revanche.

L’humiliation, ça n’avait rien de drôle.

Alors petit à petit, elle tentait de s’échapper. À chaque proposition, elle tentait de se dérober, évoquait un amusement moins dérangeant pour les autres, cherchait à éviter de faire du mal aux gens sans avoir à se séparer de lui. Son attirance pour lui l’avait poussé à accepter ce genre de choses, mais faire du mal aux gens devenait insupportable. Elle ne pouvait s’empêcher d’y penser sans cesse, de culpabiliser à la simple idée de voir ces gens la croiser. Elle n’avait pas peur d’eux, prête à assumer ses actes, simplement peur de leurs regards. Pour Dexter, c’était mille fois pire. Elle avait l’impression, en le voyant, qu’il savait déjà tout ça, qu’il le comprenait sans qu’elle n’ait rien dit - et pire, qu’elle la jugeait pour ça.

Qu’elle le dégoûtait.
Elle fit prise de paniques, porta son regard sur les alentours comme pour trouver un ancrage à la réalité. Son regard balaya la pièce, fuyant depuis le début, jusqu’à ce qu’elle croise les iris d’ébène du jeune homme. C’était lui, son ancre - fuir n’avait jamais été la bonne solution. Tout comme elle devrait faire face à toutes les victimes de sa stupidité, elle devait aujourd’hui faire face à Dexter. Tout lui dire, tout lui avouer sans le moindre écart : si elle désirait tant être acceptée, elle n’avait qu’à se montrer sous son vrai jour. Persuadée qu’il était capable de découvrir la vérité par lui-même, Felicia préférait tout lui dire maintenant. Dexter s’était toujours montré tolérant, compréhensif, il n’y avait aucune raison que les choses changent.

Plus encore : ça lui faisait du bien. Comme pour se chercher une excuse quand elle faisait une bêtise, c’était toujours à elle qu’elle se confiait. Ce n’était pas la première fois qu’elle se confessait au jeune homme, mais elle ne lui avait jamais avoué un acte si grave. Elle savait que c’était bien plus que ses idioties habituelles, et elle l’entendait dans sa voix. Cette accusation, un comportement anormal en Dexter qui l’effrayait presque - ce qui ne manqua pas de renforcer sa culpabilité. Elle se mordit la lèvre et énuméra avec peine.

▬ Des trucs pas très cools comme sonner aux portes des gens, commença-t-elle. Mais euh, je ne veux plus le faire. J’ai peur qu’il m’en veuille, parce qu’il est vraiment gentil avec moi.

Elle n’ose pas évoquer ses sentiments parce qu’elle commence à en douter. Elle est incapable de dire si c’est encore de l’amour qu’elle ressent encore à l’égard d’Ernest, ou une sorte de fascination inexplicable - une sorte d’admiration pour sa personne, confiante et regardant le monde de haut. C’est comme ça qu’elle le voyait, mais cette bonne image qu’elle s’était construite s’effritait à chaque minute qu’elle passait en sa compagnie. Il n’était plus le modèle qu’elle avait pensé suivre pendant tout ce temps. Aujourd’hui, l’admiration qu’elle avait à l’égard de Dexter lui semblait de nouveau exemplaire, bien plus raisonnable qu’avait jamais pu l’être Ernest. Et ça, elle avait l’impression que c’était l’unique chose que le A ne pouvait comprendre.

▬ Bien sûr que je parle de toi, ‘spèce de débile. Tu es vraiment important pour moi, tu sais ? J’aimerais que tu le comprennes.

Moue enfantine, regard planté dans le sien comme pour le gronder et elle s’était même levé pour le fixer de plus près. Quand elle ne s’étalait pas en grands gestes de bras tout en parlant, c’était ce genre de mouvements inconscients qui la prenaient de court. Récemment, elle s’était calmée à ce sujet, mais avec Dexter, elle n’y pouvait rien - sa présence la sortait toujours de sa zone de confort. Il lui avait dit une fois qu’il mettait la plupart des gens mal à l’aise, mais ce n’est pas ce qu’elle ressentait. Ce pincement au coeur était bien loin d’être désagréable, bien qu’elle ne pouvait se l’expliquer. Elle savait qu’elle ne supporterait pas de le perdre, même si cette demande qu’il lui faisait, était plutôt cruelle. Cruelle, d’autant qu’il avait raison.

▬ Je…

Les mots ne sortent pas. Elle est bien incapable de tenir un tel engagement pour le moment, perdue dans ses propres doutes. La décision lui semble difficile, l’amène à penser à l’éventualité de l’appliquer à Dexter. Elle est prise au piège et c’est le bruit de la porte qui la sauve, l’entrée en scène du colocataire. Gautier entre, s’excuse maladroitement et enjambe presque la pièce pour saisir son ordinateur. Le chemin inverse est fait en quelques instants et il conclut d’un “Je vous laisse” d’un ton plus qu’évocateur, teintant de rouge les joues de la suédoise. Gênant, mais c’est parfait, elle y voit une occasion de changer la conversation.

▬ C’est pas ce qu’il… attends, je sais même pas pourquoi il a dit ça ! Il sait sûrement que t’as une copine super jolie et parfaite comme toi, en plus.

Comme une évidence. Parce que oui, c’était compris dans l’image parfaite qu’elle avait de lui. En y réfléchissant, peut-être qu’elle aurait dû évoquer le sujet - ça lui éviterait la honte suprême qu’elle s’apprêtait à se taper. Enfin, ça lui paraissait plus attrayant qu’un choix à faire.

Il avait presque trop bien réagit. Elle s'en voulait de lui avoir caché tout ça, elle s'en voulait de ne pas partager tout ça avec lui, alors qu'il avait tant fait pour elle. Au final, elle se sentait bête parce qu'elle n'avait pas su lui rendre l'intérêt qu'il lui portait. Felicia n'était pas bête, elle avait bien vu combien il avait changé pour elle depuis le premier jour. Moins antipathique, parfois presque curieux au sujet de ce qu'elle racontait. Cette fois encore, elle se réjouissait d'une réaction, bien que ce ne soit pas celle qu'elle avait espéré. C'était égoïste, certainement, mais elle se sentait quand même bien à l'idée de compter pour lui. Il l'avait avertie au travers de cette seule question, et elle tiendrait compte de son avis. De ses sentiments. Parce que Dexter avait mérité une place dans son coeur, bien plus grande que ce qu’elle avait daigné lui accorder.

Et ça, Felicia en était consciente. Elle baissa les yeux, se mordit la lèvre. Loin d’être gênée, elle se sentait quand même mal de lui infliger ça. Comme si elle était maître de ses sentiments, comme si elle était vraiment responsable de ce genre de choses. La suédoise le fixa, pourtant, décidée à aller au bout dans son honnêteté, et parut surprise lorsqu’il tenta de dissimuler son visage, lui qui l’affichait pourtant si bien, ponctué de ce même sourire. Elle se pencha légèrement en avant, l’observant de plus près. Il rougissait. Elle ne comprenait pas, s’étant contentée d’une insulte affective pour lui faire comprendre à quel point elle était sincère. Il semblait tant impassible à ce genre de remarques qu’elle s’était demandé maintes fois si leur lien était réciproque - mais les efforts qu’il faisait suffisaient à convaincre la blondinette.

En cet instant, sa réaction montrait à quel point elle avait eu raison de le croire. C’était bien la première fois qu’il était trahi par son corps, mais ce n’était pas pour lui déplaire. Elle ne dit rien, bien qu’elle eut voulu rire, se contenta de sourire maigrement. Plus mignon que jamais. Elle redressa la tête, observant le plafond, sourire plaqué sur ses lèvres. Une nouvelle pensée qu’elle garderait pour elle, qu’elle n’oublierait jamais. La première fois où elle avait réussi à briser la carapace de Dexter O’Neill, le A que personne ne comprenait. En cet instant, elle se sentait plus proche de lui que jamais. Elle en oubliait même l’intrusion de son colocataire et la question gênante qu’elle avait réussi à éviter.

Mais quand Dexter reprit la parole, ce fut une puissante désillussion. Il balaya ses croyances, la poussa dans la réalité de ce qu’il était vraiment. Qu’est-ce qu’il lui faisait dire ça ? Rien du tout, en fait. Sa façon d’être lui avait toujours fait penser qu’il l’était, autant parce qu’il avait toujours été là que parce qu’elle n’avait jamais trouvé un défaut notable en le regardant. Autant physiquement que mentalement, et elle n’était pas allée chercher plus loin. Elle avait vu cette pointe de jalousie comme de l’inquiétude, ce masque de protection comme l’allure digne et inébranble d’un protecteur. Sans doute qu’elle n’avait pas perdu son imagination d’enfant, mais c’est ce qu’elle pensait sincèrement. Du moins, jusqu’à présent.

▬ C’est… ça me semblait évident, parce que tu es tellement…

Elle bafouille, cherche de nouveau ses mots. Dexter l’a prise de court. C’est comme expliquer le dessin d’un enfant ou les décisions qu’il prend. Elle n’a jamais su pourquoi elle le voyait ainsi, n’a jamais cherché à se l’expliquer. Elle se confortait dans cette image de Dexter, et ça lui allait très bien ainsi. La révélation lui parait presque choquante, en plus de la gêner. Elle rit, heureuse qu’elle le voit ainsi. Elle ne sait même pas si ses joues ont rougit, sans doute que oui, ça lui est bien égal. Un compliment pareil, et un véritable sourire, ça suffit à son bonheur. Elle prend conscience qu’au fond, elle n’a jamais dégriné Dexter, qu’elle n’était simplement pas consciente qu’il avait tant d’importance pour elle. Et cette révélation, ça rend Felicia d’autant plus énervée, parce qu’elle le voit toujours comme quelqu’un d’extraordinaire. Elle est bien conscience d’avoir tort, elle est bien conscience qu’elle est encore une enfant loin de la réalité qu’il est capable de lui offrir, mais elle y tient car c’est ce qu’il est à ses yeux. Parfait, irréprochable, imbattable. Alors elle se lève, l’air boudeur, rompt les quelques mètres qui la sépare de lui et se penche sur lui.

▬ Ecoute-moi, Dexter O’Neill. Tu es un abruti si tu n’as pas encore compris que tu es vraiment indispensable pour moi. Tu es parfait parce que tu es la personne la plus attentionnée de cette école et de loin le plus mignon. Alors, tu vas me faire le plaisir d’accepter ces compliments, car personne n’est prêt de t’arriver à la cheville.

Pas même Ernest, non. Et c’est pour ça qu’elle se maudit d’aimer.

Tellement quoi ? Tellement parfait. Parce qu’au fond, elle aurait voulu être comme lui. Au fond, elle aurait aimé pouvoir intérioriser, pouvoir se contenter d’une image. Elle aurait aimé apprécier l’illusion, tourner le dos à la vérité. Elle aurait aimé se cantonner à la facette et vivre dans le mensonge, si ça pouvait aider les autres, sauf qu’elle en était incapable. Elle n’aimait que la vérité, se sentait obligé de voir sa véritable image affichée aux yeux du monde - une honnêteté parfois envahissante et blessante, qui aujourd’hui, la rendait plus triste qu’autre chose. Ces compliments, ils étaient sincères, parce qu’elle ne pouvait imaginer que Dexter soit loin d’elle, ne pouvait faire une croix sur lui qui était si important. Il avait toujours été là, pour la soutenir et la rassurer, si bien que c’était presque une dépendance. Venir le voir pendant ses problèmes, venir le voir pour se remonter le moral. Aujourd’hui, elle venait le voir par envie, et il fallait que ce soit cette fois là qu’elle culpabilise de tant d’égoïsme.

Elle le savait : se rapprocher de lui n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. Dexter était différent avec elle, pour une raison que son esprit enfantin était loin de comprendre. Son coeur lui, savait, et ne pouvant l’empêcher, la submergeait de culpabilité pour tenter de la dissuader. Arrête ça Felicia, tu sais parfaitement comment ça va finir. Lâche prise, avant qu’il n’en souffre. Elle aimerait tant pouvoir se dire ça, elle aimerait tant pouvoir encaisser cette souffrance à la place de Dexter, mais elle en était incapable - alors elle cherchait des excuses dans sa bêtise, se plongeait un peu plus dans son enfantillage pour espérer une fois de plus fuir la réalité. Seulement, ça ne marche pas comme ça, elle le savait, elle devrait y faire face un jour. À cette souffrance, à ces remords, à ce monde qu’elle refusait de regarder pour ce qu’il était vraiment.

Oui Dexter, tu es parfait, et pour elle tu le seras toujours. Tu as peut-être tes défauts, mais tu es tout ce qu’elle ne sera pas, et au fond, tu lui es complémentaire. Alors sois tolérant avec elle, sois tolérant avec ce coeur d’enfant qu’elle conserve - parce qu’elle est plus sincère que nul ne le sera jamais. Peut-être qu’elle est maladroite, peut-être qu’elle aura encore besoin de toi pour un moment, mais elle ne voudra jamais te faire du mal. C’est pour ça qu’elle culpabilise, simplement du fait de te regarder dans les yeux, simplement du fait de votre proximité. Elle est debout, comme une idiote, et met un temps avant de se rasseoir. Elle se remet les cheveux en place, mal à l’aise, comprend qu’il soit déstabilisé lui aussi. Il bafoue, cherche ses mots - et tes yeux d’émeraudes ne quittent pas les siens.

Silence.
C’est lui qui reprend la parole - il est troublé et elle le remarque sans mal. Un rire aussi faux que l’était son sourire, mais là, elle n’a aucun mal à le voir. Elle fronce les sourcils, un peu vexée - horrible impression que, quoi qu’elle dise, il s’en tiendra à son avis. Elle a l’impression de n’avoir aucune influence, de n’être que de passage dans la vie d’un homme si inébranlable. Et c’est bien ce qu’il dit, c’est bien ce qu’il laisse paraître. Elle cligne des yeux, reste rivée sur le sol. Les pensées noirs la submergent à mesure que ses mots claquent dans ses oreilles - Felicia encaisse, mais elle sent les larmes monter. Elle a l’impression de ne pas pouvoir l’atteindre, et elle sait que c’est stupide d’agir aussi égoïstement. Un geste de bras, et elle s’essuie les yeux, tente de se reprendre. Les faits sont là. La vérité est là.

Qui est elle pour penser avoir un impact sur lui ?

▬ C’est pas vrai Dexter, c’est moi qui te décevrait. Parce que… je sais que tu mérites plus que ce que je te donne. Tu mérites plus que Ernest, plus que tout le monde, mais…

Mais les sentiments sont là.
Et elle n’y croit pas, elle ne croit pas pouvoir changer son ressenti. Ainsi est-elle fait, d’illusions et d’enfantillage - elle pensait aimer un prince charmant, et elle était déjà trop sous l’emprise de cet amour avant de se rendre compte de la vraie nature de ce dernier. Elle ne peut pas lui dire, quelles que soient les circonstances. Parce qu’il n’a pas besoin de savoir, parce que jamais ils ne seront proches comme elle espère qu’ils pourront l’être. C’est ce qu’elle pense, et elle sait qu’elle a tort de vouloir davantage. Alors, elle préfère tout arrêter là, elle préfère éviter de prendre des risques. Si c’est ce qu’il faut, elle est capable d’essayer. Si elle pense que c’est la bonne décision, elle fera de son mieux. Alors elle se lève, le regarde longuement et se détourne vers la porte - timidement, lentement, sûrement.

▬ Je vais y aller. Je suis fatiguée, j’ai… je dois préparer mon sac. Les vacances sont dans moins d’une semaine et je ne suis toujours pas prête. Je dois envoyer une lettre à mes parents. Désolée, Dexter. Je crois que j’ai besoin de faire le point un moment.