Paria [Hadès]

Hadès avait une excellente réputation en A, mais il fallait l’avouer : il supportait très peu de gens. S’il avait pris soin tout ce temps de cacher son implication réelle dans le groupe des Pro-A - et accessoirement son statut de dirigeant aux côtés de Léocade, ça devenait de plus en plus difficile de tenir cette résolution. Ca faisait trois ans qu’il dissimulait cette aversion pour les E à quelques exceptions près, et ça ne lui posait pas de problème ; seulement, les choses avaient commencé à se compliquer. Quand vous participez activement à la guerre des classes et que votre propre classe vous déçoit, vous ne savez plus vraiment quoi penser.

Il avait cet état d’esprit depuis quelques jours Hadès, les bras croisés, assis sur sa chaise, au fond de la salle comme toujours. Il observait tout le monde, et plutôt que la même curiosité, c’était le mépris que l’on sentait dans son regard. Il croisa celui de Léocade l’espace d’un instant, ce simple échange d’un instant lui faisant comprendre qu’il n’était pas le seul à penser de cette façon. Les violets s’étaient avérés bien plus mous qu’ils ne l’avaient cru - trop conservateurs, pas assez entreprenants. La plupart étaient d’ailleurs partis dans d’autres classes - la jeune russe avec laquelle il avait échangé quelques LMS, tout comme Scott qui avait fait une intervention plus que pertinente à la réunion.

Mais depuis ce jour, il n’avait revu aucun des deux. En toute logique, il s’était contenté d’effacer ces ex-camarades de classes de sa mémoire - et de sa liste de potentiels associés. Il était comme ça Hadès, intransigeant et ultra-sélectif - c’est bien ces traits de caractère qui expliquaient son faible nombre d’amis. Les iris rougeoyants dirigés vers le plafond tandis qu’il faisait tournoyer son stylo dans sa main, Hadès s’ennuyait. Encore une nuit où il n’a pas dormi, et le voilà seul au fond de la classe à lutter contre le sommeil. Il se balance sur sa chaise, l’odeur du risque servant à le maintenir éveillé. Comatant à moitié, il met un instant avant de se rendre contre que quelqu’un l’a interpellé.

« Tiens Hadès, comment ça va depuis tout ce temps ? »

Il voit pas tout de suite le ton employé, se contente de détailler le nouvel arrivant d’un oeil surpris et méprisant. Il lui a fallu un instant pour se rappeler qu’il n’était pas dans son lit et comprendre la situation, et maintenant, Hadès avait retrouvé son assurance. Son visage cadavérique se fondit immédiatement en un masque impassible le temps qu’il analyse les propos, à moitié affalé sur sa chaise. C’est Scott qui est venu alors que l’anglais pensait à lui à peine quelques minutes plus tot - presque touché par cette visite, il se lève de sa chaise pour lui faire face. La différence de taille aurait presque rendu l’ironie de Scott ridicule si ce dernier n’était pas bien mieux bâti que ne l’était Hadès.

« Mieux que si je portais ça, j’suppose. »

Mouvement dédaigneux en direction de la cravate verte, il toise l’arrivant de ses rubis méprisants. Il s’en veut pas vraiment pour ce qu’il fait, Scott est venu à la réunion et connait parfaitement les positions de Hadès dans la Guerre des Classes. Sans compter, d’ailleurs, que c’est lui qui se pointait pour le provoquer. Bien sûr qu’il l’a vue sa nouvelle cravate, c’est pas quelque chose dont il devrait se vanter de toute façon, encore moins après avoir cotoyé l’élite. Seulement Hadès, il a beau ne plus tellement aimer les violets, il veut bien se servir de cette excuse pour se venger. Parce qu’au fond, Scott a beau être cool, ça ne l’autorise pas à venir agir de cette façon envers quelqu’un qui n’a rien demandé.

« J’ai bien vu, contrairement aux C on a fini la leçon des couleurs en physique, j’arrive enfin à différencier le violet du vert. »

Sarcastique, la remarque ponctuée d’un sourire alors qu’il croise les bras, se donnant un air assuré. S’il y a bien quelque chose que Hadès ne craint pas, ce sont les contacts physiques - le pire ennemi possible pour Scott. Et puis il savait Hadès, il suivait l’actualité sur son ordinateur et son interlocuteur était bien trop connu pour que tout passe inaperçu - il avait entendu parler de ce qui était arrivé, c’est bien pour ça qu’il n’avait rien fait. Scott était un camarade, et il n’avait pas choisi de baisser dans ses résultats à cause d’un sentiment de deuil - en revanche, la provocation était spontanée. A partir de là, Hadès n’hésiterait pas à s’en mêler.

« C’est con, parce que si t’avais pas fait la connerie de venir me réveiller avec tes sarcasmes, j’aurai presque eu de la pitié pour toi. »

Il est de mauvaise humeur à cause de tout ce qu’il rumine alors cette fois-là, il se retiendra pas.

PV. Scott • Janvier • mediumpurple

Détrompe-toi Scott, ça change énormément de choses. C’est ce qu’il pense lui, c’est là l’ultime différence entre les classes. Il y a l’humeur des gagnants et l’insupportable pessimisme des vaincus. T’aurais pu choisir une centaine d’élèves dans le lot, il y en a des spécimens parmi les fourbes. T’aurais pu choisir Alessandra et ses gros poings, Stanislas et son don psychique, Léocade - imprévisible comme dangereux. T’aurais pu en voir du monde, t’aurais pu t’attaquer à bien plus haut. T’aurais pu t’attaquer à plus fort - mais sans doute pas à plus dangereux. T’aurais pu frapper, cogner, éclater le moindre adversaire avec ton pouvoir. T’aurais pu balayer n’importe qui, mais pas celui qui refuse de se mettre sur le chemin.

C’est sa force à Hadès, la capacité d’éviter les coups. Les mots glissés, juste assez pour toucher, pas assez pour se faire toucher. Il sait comment ça marche Hadès, il comprend juste pas pourquoi. Pourquoi Scott, pourquoi venir vers lui pour en redemander. Pourquoi revenir dans cette guerre à laquelle tu pouvais échapper. Il aurait rien fait, il serait pas venu te chercher - à défaut de compatir, il aurait eu la décence de trouver quelqu’un d’autre sur qui se défouler. C’est pas un insensible, il a juste cette capacité à faire abstraction de ses ressentis - ce n’est pas pour autant qu’il ne fait rien pour éviter d’en avoir. Elle est là cette différence, cette attitude de gagnant - on a pas peur de relancer quand on sait qu’on a déjà gagné.

Il écoute ses mots, l’air fatigué sur le visage. Il écoute avec calme, mais c’est la fatigue qui revient déjà. Tes sentiments ne l’intéressent pas, il attend juste le coup de colère qui lui donnera une raison d’agir. Dire que vous avez été camarades. Dire qu’il a considéré comme égal quelqu’un comme toi. C’est la seule chose qu’il se dit, maintenant, comment il a pu respecter une personne avec un fond pareil. Peut-être que tout le monde est comme ça, peut-être qu’il le serait si son père n’était plus là. Ce sont les certitudes qui l’intéressent, et ce qui est sûr, c’est que Scott n’est plus de son côté. Le traitre, le paria qu’il a laissé filé. Il comprend pas Hadès, comment t’as pu laisser cette opportunité de t’en tirer à bon compte.

« Vous, les A avec votre arrogance sans limite. C'est plutôt à moi d'avoir pitié de vous. Vous faîtes les paons mais vous n'êtes rien en réalité. »

Il le sait Hadès, sûrement mieux que n’importe qui. Il a vu se fissurer la couronne de son monde sans sujet. Il s’est vu éjecté de sa dimension, transporté de force dans la réalité. Il a toujours cet esprit de supériorité, mais le voilà obligé de comprendre qu’il est ordinaire - aussi vulnérable que tu l’es. T’as entièrement raison, c’est ça qui est agaçant. T’as trop joué à ce jeu pour ne pas comprendre comment il fonctionnait. Tu sais tout ça Scott, t’as touché à cette fierté qu’apportait la cravate des violets. T’as connu tout ça mieux que personne, mais tes mots sont plus tâchés de dégoût de toi-même que tu n’en a pour lui. C’est ça qu’il repère, un mépris de ta propre incapacité. C’est ça qu’il ressent, c’est ça qui le fera répliquer.

« Vous êtes les rois du pensionnat, c'est ça ? Mais elle est où ta couronne alors ? »

Il aurait voulu baisser les yeux vers sa cravate violette, mais le coeur n’y était plus. Depuis quelques temps, Hadès doutait, et Léocade semblait partager ce ressenti. Léocade envers qui il avait une confiance absolue, Léocade dont l’empathie aurait pu justifier n’importe quel état d’âme. Alors, à cause de lui, Hadès avait fini par se dire que tout ça était réel, tout ça avait une raison d’être. Il avait compris que même les violets n’étaient pas dignes de lui, alors il avait décidé de s’en séparer. Il garderait le déguisement le temps d’en trouver un nom, tenir un peu plus sa raison de se défouler. T’étais un camarade, maintenant t’es plus rien. Juste quelqu’un qui lui donne une raison de s’emporter.

« Ah mais suis-je bête. Pas de couronne, même pas un trône, juste une cravate violette. C'est triste pour des gens qui se prétendent rois. »
« Je ne me suis jamais prétendu roi, mais supérieur aux autres classes. Ce n’est pas si arrogant d’ailleurs, étant donné la difficulté que ça incombe. »

Lui aussi sait jouer, il peut emprunter la peau du méchant que tu attends de voir arriver. Les mains dans le dos, moqueur, c’est comme courber l’échine pour se faire frapper. T’as tout préparé, avec l’intelligence du A que t’as longtemps été. Il sait pas ce que tu veux, il voit pas le plaisir à tomber dans un combat que l’on a entièrement programmé. Il comprend pas, peut-être parce qu’il n’a toujours pas goûté au deuil, la véritable fin - la totale impossibilité. Il pourrait faire ça vite, il pourrait aussi faire ça tellement bien. Quelques fois, son propre orgueil le taquine, le somme de montrer véritablement qui il est. Il voudrait jouer cartes sur table Hadès, seulement quelques fois. Profiter entièrement de sa victoire pour laquelle il se bat tant.

« Non, je trouve ça plutôt pathétique, en fait. »
« Qu’est-ce que tu cherches, Scott ? » Le sarcasme a quitté sa voix, il glisse ses mains dans ses poches. « Tu cherches à te faire frapper ? Tu m’as vu ? Tu connais mon don, aussi. Je suis pas la personne qu'il te faut. »

Mais pas ce qu’il en fait. C’est ça, l’avantage d’utiliser avec ingéniosité un don qui peut paraître simple et inoffensif. En définitif, Hadès est sûrement plus dangereux que la plupart des élèves, mais il n’y a qu’Artus pour en témoigner. Peut-être que ce sera le cas de Scott, s’il continue à le chercher. Hadès n’est pas si calme qu’on pourrait le croire.

« T’es revenu par fierté à cause de ce qu’il s’est passé à la réunion ? Je comprends pas pourquoi c’est pas Léocade que t’es allé voir pour régler tes comptes. Tu pourrais aussi utiliser cette fierté pour revenir dans ta classe. » Il marque une pause, le regarde dans les yeux. « ...A moins qu’il ait eu raison. C’est ce que tu avoues en restant chez les médiocres. »

Haussement d’épaules - pas de sarcasme, il a beau connaître l’intelligence de Scott il commence vraiment à se questionner. Ca l’aurait agaçé, quelques semaines plus tôt. Fier A, plus que n’importe qui - il n’était rien, sinon un petit gars intelligent qui avait réussi dans ses études. Il détestait qu’on piétine les couleurs qu’il avait abordé longtemps avec plus de fierté que n’importe qui. Il avait joué, dans l’espoir de trouver une raison de s’en prendre à lui, mais il avait beau faire, ça ne marchait pas. A croire que l’anglais avait fini par se moquer littéralement de sa propre classe. Son égocentrisme n’avait sans doute pas de limite, ou sans doute estimait-il les avoir surpassés, ces violets et leur soit-disant arrogance pathétique. Hadès jeta un coup d’oeil aux alentours, observant les gens qui s’écartaient, quittaient la salle. Visiblement, Scott avait encore sa petite réputation, et ça avait sûrement un lien avec son pouvoir destructeur. La situation commençait à plaire à Hadès, à qui cette solitude était clairement avantageuse.

« Finalement, je crois qu’au fond, t'as bien fait de venir me voir, Newtoy. » Il lâche un sourire amusé. « Tu t’es déjà demandé qui était à l’origine de ce LMS, qui a entraîné le départ de tous les loosers dans ton genre ? »

C’en était fini de ces petits jeux. C’en était fini de se cacher dans l’ombre.
Il voulait agir au grand jour, quitte à perdre le peu de réputation qu’il avait. Que Scott en parle ou non, il s’en moquait. Hadès avait dépassé le stade violet et il comptait bien se battre contre eux aussi, s’ils s’opposaient à sa vision des choses. Ce qui l’importait, à présent, c’était de rester au sommet de la pyramide auquel il avait fini par s’accoutumer. Ses mains s’ôtèrent de ses poches et il lança une dernière provocation. Scott pouvait porter le premier coup s’il voulait, ce serait son unique - car Hadès lui, n’aurait aucun scrupule à l’attaquer. Peut-être était-il venu le voir en espérant qu’il serait plus facile à abattre - il regretterait de l’avoir pensé.

« Je vais réfléchir à ta place et te donner une dernière chance de t’en tirer à bon compte. »

Coup de menton vers la porte. Pas de respect.

PV. Scott • Janvier • mediumpurple

Ca l’emmerde que t’aies raison et qu’il ne puisse pas t’en coller une bonne, lui aussi. La torture mentale c’est plaisant, mais il n’a jamais connu la sensation d’écraser son poing dans le visage de quelqu’un pour lui faire mal. Il aimerait bien se défouler de temps à autres, et même s’il prenait son pied dans son monde parallèle, en faire davantage serait loin de le déranger. Il observe Scott avec mépris comme avait bien pu le faire Léocade, parce qu’il est loin d’avoir peur de lui — loin de craindre ce mec qu’il dépasse en terme de taille et certainement d’intelligence. Là-dessus, il est arrogant au possible, persuadé de dépasser tous ses camarades de classe ; et c’est peut-être vrai, mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit de sa seule arme. Son seul atout, à défaut d’avoir la force ou l’influence de Scott.

Tous deux tendus — se retenant de se frapper dessus. Et puis, Hadès eut une pensée, et son visage se détendit. Il réfléchit quelques instants alors que son interlocuteur lui adressait une menace, vexé par le surnom que le jeune homme venait de lui donner, et se contenta d’un sourire ironique. Il était bien conscient de la situation actuelle de Scott, et le qualifier de « nouveau jouet » en déformant son nom était bien plus efficace que ce qu’il aurait pu imaginer. Son père décédé, il s’agissait de son seul héritage, et il tenait à le chérir. Il comprenait Hadès, les sentiments de Scott, il comprenait cette humanité — et c’est ce qu’il détruirait en premier.

La suite en revanche, lui plut beaucoup moins. Il resta stoïque, se contentant de perdre son sourire au profit d’une expression blasée, presque attristée. Pourquoi il ne les avait pas guidés par la victoire ? C’était amusant venant de celui qui avait disparu quelques temps après la réunion. Hadès avait eu ses problèmes, et une fois remis, il était prêt à se lancer dans la bataille. La vérité, c’est qu’il avait été déçu du comportement des A et de tout le pacifisme dont ils avaient fait preuve en son absence. Bien entendu, l’ambiance avait su faire partir une bonne part des traitres aux idéaux des A — mais ça n’était pas suffisant à son goût.

« Exact, je me suis caché derrière le charisme de Léocade. Je restais dans l’ombre à faire ma part du boulot, mais peut-être que le concept de stratégie t’échappe. »

Il aurait pu être blessé dans son orgueil, la vérité c’est que c’était le cas. Il aurait pu aller au front, mais il avait fait jouer de sa prudence et de son expérience pour éviter de trop s’exposer. Il savait qu’il pouvait battre la majorité des élèves ici, mais qu’à force d’utiliser son don, on finirait par lui envoyer des annulateurs pour le mettre hors-course. Sa magie était sa seule arme, et il comptait bien l’exploiter au maximum. Toutefois, à présent qu’il avait perdu toute son estime de lui-même et qu’il avait frôlé la mort, ce n’était pas des paroles comme celles de Scott qui allaient le vexer.

Oui, Hadès s’amusait bien. Oui, il avait peur de se faire frapper — mais il avait pas peur de Scott, ou de l’issue de leur affrontement. Il n’avait juste pas envie d’avoir mal, estimant avoir largement eu son quota. Il voulait continuer son ascension en paix sans craindre les retours de flamme, et il ne parvenait pas à savoir si une opposition l’effrayait ou l’excitait. Il avait vu ça de nombreuses fois en lisant ou en faisant des recherches pour les cours — des soldats, des hommes à qui la guerre et l’adrénaline manquaient. Peut-être que c’était son cas, à lui aussi, peut-être que cette vie de défi permanent commençait à lui manquer. Il avait toujours vécu de cette façon, et à présent qu’il était conscient de la souffrance, il avait peur de s’engager. Il devait vaincre ses démons — il devait retrouver son esprit combattif, et Scott pourrait bien être la clé de tout ça.

« Tu as envie de me frapper. » lâche-t-il avec sarcasme. « Pourquoi tu ne le fais pas ? Tu penses que frapper en premier sera une défaite, pour toi ? Tu auras perdu à ce jeu de provocations ? » Sourire. « Moi, je ne le pense pas. Alors puisque tu ne frappes pas, je le ferai, Newtoy. »

Et le décor changea — en seulement une seconde, on était dans un endroit que Scott ne connaissait que trop bien, puisque c’était la ville où il avait longtemps vécu. C’était le détour d’une route, et ils se trouvaient sur le trottoir. Scott, en tout cas — car Hadès n’avait pas fait la bêtise de rester près de lui pendant une scène pareille. Il était sur le toit d’un bâtiment, assis à regarder la scène qui se déroulerait d’en haut. Et puis, tout se passa très vite. Ce n’était pas une projection d’images, mais quelque chose de réel, dans ce monde parallèle, joué par des « PNJ » que l’anglais avait créé.
Alors, sous les yeux de Scott, un homme à l’image de son paternel fut fauché par une voiture à toute vitesse.
Une fois, d’abord. Et les deux véhicules disparurent pour recommencer la scène.
Encore, et encore.
Une mort qui n’en finissait pas.

PV. Scott • Janvier • mediumpurple