Initiation [PV : Frida]

Avoir de l’ambition peut-être une bonne chose. En avoir trop est parfois un signe de folie. Même légère. Tout le monde à une folie en soit, alors ce n’est pas vraiment un problème de base. Te mettre de haut objectif avec une retomber qui semblait classe était l’une de tes habitudes. Surtout quand ça concernait les autres. Le sérieux en cours avait beau ne pas être ton point fort, là tu avais une mission qui était au-delà du fait d’être sérieux en cours. Il allait falloir guider, faire grandir et évoluer une gamine. Bon ok, elle n’avait cinq ans de moins, mais ce n’était pas l’important. On t’avait donné une sorte de nouvelle petite sœur à faire grandir et c’était de plus excitant. Un peu trop certainement pour toi. Pour elle aussi.

Quoi que tu n’en savais rien. On vous a juste présenté rapidement. Rien de vraiment concrets pour en savoir plus sur elle. Un nom, un prénom, un âge, une classe et une bonne chance peut-être. Tu n’es même pas certain pour la dernière partie. Dans tous les cas ça avait été super rapide, un peu trop, beaucoup trop à ton gout. Un peu comme si on te jetait un bébé dans les bars avant de s’enfuir en hurlant qu’on venait de lâcher une bombe à retardement. Pas exactement, tu exagère, interprète à ta sauce. C’est surtout de votre faute, vous n’avez pas encore pris le temps de faire connaissance. Il faut y remédiez Gowan, tu le sais, tu le ressens, ça te bouffe un peu le crâne d’ailleurs.

Parce que tu le cherche la façon parfaite de mieux vous connaitre, celle qui fera que vous aurez une bonne base de parrain et filleule, celle qui te donnera pas envie de vomir en voyant vos liens de relation à vous deux. Alors que tu es là face à elle tu lui pose doucement ta main sur son épaule droite pour capter son attention, sans vraiment savoir si elle t’autorise à autant de proximité avec elle. Autant de familiarité. Vous allez devenir un bon duo, tu veux y croire, alors tu prends les devants.

« Hey. On n’a pas pris le temps de faire connaissance pitchoune, alors j’aimerais rattraper cela et te montrer deux trois trucs sympas pour ton avenir ici. »

Tu lâche son épaule, parle doucement et plus lui souris. Le combo gagnant selon toi. En tout il fallait que ça soit le combo gagnant. Au pire tu lui apprendras ce que tu souhaites lui apprendre un peu plus durement et avec moins de délicatesse, l’important est de lui apprendre tout ce que tu peux et faire ton taff comme un chef. L’important c’est d’y croire. Toi tu y crois assez pour deux ou bien plus.

Que ce soit dit, ce n'était pas l'idée de Frida.
Pour être honnête, elle n'était même pas certaine qu'elle aurait eu le courage de le faire si la secrétaire ne l'avait pas poussé à continuer. Elle n'avait pas plus confiance en elle qu'en ce type bizarre qu'on lui avait collé comme parrain - et ça n'avait rien de personnel - mais elle se dit qu'entre mettre en colère un garçon sur une île isolée et accepter un rendez-vous amical dans un endroit public, la deuxième option serait peut-être la moins dangereuse. Ce matin-là, elle avait coiffé ses cheveux de la même façon qu'à l'accoutumée, ruban et barrettes, enfilé un t-shirt CECI N'EST PAS UNE PIPE et s'était dirigée d'un pas maladroit vers la sortie de sa chambre. Elle avait beau être débrouillarde, Frida n'avait jamais su se pointer à l'heure quelque part - il lui avait fallu dix bonnes minutes pour se convaincre qu'une tenue simple suffirait et qu'elle n'avait pas besoin de voler le manteau d'un élève plus grand qu'elle pour y cacher une batte de baseball en cas d'agression surprise. Quand bien même, ce plan était ridicule. La batte se verrait et quand bien même elle serait bien cachée, Frida aurait été incapable de porter un tel poids - et encore moins de l'agiter pour frapper quelqu'un avec.
Autrement dit, en terme de défense, elle était mal barrée.
Cela dit, lorsqu'elle arriva en face de ce type qui lui mettait presque 30 centimètres de différence, elle comprit qu'une batte n'aurait pas servi à grand chose. Frida inspira doucement, leva les yeux pour croiser le regard presque affectueux de ce type qui l'appela avec un surnom presque aussi ridicule que le "blondinette" dont la majorité des gens la gratifiaient en croyant être originaux.
L'avantage, c'est que Frida était tellement habitué à ce genre de manœuvres qu'elle ne tiqua même pas. Elle pencha la tête sur le côté en fronçant les sourcils, dans un mélange d'incompréhension et de jugement, l'air de dire "C'est qui ce type, qui se comporte comme s'il était mon père ?". Enfin, ça aurait presque pu si elle avait eu beaucoup d'interactions avec son paternel - mais on ne peut pas dire que c'était vraiment le cas.
Frida et la famille, ce n'était pas vraiment ça. Quelqu'un, un inconnu comme lui, aurait pu prétendre endosser ce rôle que ça ne l'aurait pas surprise - elle n'était pas certaine de savoir ce que tout cela pouvait vraiment signifier. À force d'y songer, elle avait fini par douter de l'ensemble de ses relations. À force, chaque fois qu'elle se disait qu'un ami ou qu'un parrain, ce ne serait pas si mal, elle n'arrivait plus à y croire - se forçait à se rappeler que sans Frida, elle n'était rien.

"Est-ce que ça t'intéresse vraiment ou tu le fais par obligation ?"

Elle demanda ça sans gêne, sans sentiment particulier, comme une suggestion froide, à but informatif. Elle n'y mettait pas de rancœur mais il n'était pas non plus question de craquer.

"Je ne me vexerai pas de ta réponse."

C’est froid. Pas méchant, tu sais encore reconnaitre un ton méchant, non là c’est froid. Presque sans vie quelque part. Tu ne t’attendais pas à cela et ça te coupe un peu les jambes pour le coup. Qu’est-ce qui est arrivé à cette fille pour avoir ce genre de ton dans ce genre de moment ? Tu te le demande et quelque part même si tu ne connais aucune piste de réponse d’avance tu te sens mal pour elle. Même si ça ne change rien, parce que ça ne devrait pas arriver un ton aussi froid pour une personne de son âge. Doucement tu te mets à sa hauteur d’yeux, car tu as toujours détesté devoir lever les yeux pour avoir une réponse et préfère la mettre sur le même pied d’égalité sur ce point-là.

« Si c’était par simple obligation je serais pas venu. Je n’aime pas les ordres de base, ni qu’on me force la main si j’ai le choix de dire non. Du coup je le fait par plaisir, je semble si faux que ça pour que tu te pause la question ? »

Non parce qu’il devait bien y avoir un truc dans ton attitude qui avait attiré l’attention de la jeune femme et la poussé à s’interroger sur de tel chose. Ça te turlupine un peu, beaucoup, pour tout dire. Tu fronce les sourcils en cherchant où tu avais pu te tromper, peut-être trop de brusquerie, pas assez de délicatesse. Trop vite. Peut-être. L’ongle du pouce allant dans ta bouche tu fais rapidement le tour de ce qui ne va pas. Le surnom peut-être. Certainement. Elle avait peut-être mal pris cela.

« C’est le pitchoune qui vas pas ? Tu sais, c’est affectif, mais si tu n’en veux pas, no souci. Tu veux que je t’appelle comment du coup ? »

Après tout faire connaissance commençais par savoir comment nommer l’autre suivant ce qu’il préférait. En tout cas c’est ainsi que tu le voyais. C’est que tu y crois fort en cela. En tout. Doucement tu te redresses et lui tends délicatement la main comme on le ferait pour inviter une personne à la prendre, à se présenté.

« Je prendrais perso l’appellation que tu veux, éviter simplement les insulte, tu risques de vexer les gens autour quand tu m’appelles. Tu serais prête à hurler dans un couloir ? Tu n’es pas un peu curieux de ce qu’on va voir ? Toi tu es là par obligation ? Tu sais si tu souris un peu je le prendrais pas mal et je te jure de rien dire à personne sur le fait que tu le fasses. »

Tu tentes un peu l’humour, lui souris, l’observe et te demande aussi de comment tu vas faire pour la décoincé la mistinguette. Quoi que tu commences déjà à apercevoir dans ton esprit deux trois soirée où l’embarquer. Tout va bien aller.

"Non. Ce n'est pas toi." lâcha-t-elle maladroitement en réponse à l'hésitation de Gowan. C'était peut-être un peu cliché, mais Frida n'aimait pas les marques d'affections. Elle n'arrivait pas à y croire. Elle n'avait pas connu de drame inoubliable qui lui fasse penser que les relations n'en valaient pas la peine. Ce qui avait l'air de ne rien valoir, c'était elle - et ce sentiment s'était accentué au fil du temps. Frida avait assisté à ses propres funérailles. Elle avait vu un monde sans elle - elle avait vu son souvenir s'effacer, les effets de son départ s'estomper. C'était terriblement égoïste mais elle avait fini par en vouloir à tout le monde - privée de son modèle, elle s'était privée du monde. Quand elle prenait le temps de penser à ce qu'elle était devenue des années plus tard, elle ne pouvait faire un pas sans savoir si tout en valait la peine.

Gowan avait raison. Il n'avait aucune obligation et sa bonne humeur n'était certainement pas feinte - ça aussi, elle le savait. D'ordinaire, elle aimait se servir de son don pour observer les gens qui tentent de l'approcher et essayer de détermination si ces personnes étaient sincères : c'était sans doute de la paranoïa, mais comment risquer imprudemment un cœur déjà tant fissuré ? Elle avait fait tant de choses pour prendre la place de Frida, tant de sacrifices, elle était jusqu'à effacer sa propre existence en déterminant que sa jumelle méritait bien plus qu'elle de vivre. Aujourd'hui, elle se refusait à gâcher sa chance et c'est pour ça qu'elle gardait le cap, qu'elle ne déprimait ni ne pleurait pas - elle avançait à tâtons mais ça valait mieux que de foncer dans le mur.

"Gowan, ça me convient." murmura-t-elle, presque avec incertitude. "Ou Parrain. Je ne sais pas. Je trouverai quelque chose."

Elle releva le regard et lui adressa un maigre sourire. Pour elle, un nom, ça voulait déjà dire beaucoup. Pour peu que personne ne l'appelle par son véritable, elle appréciait aussi les surnoms. C'était par prudence qu'elle avait réagi, mais quelque part, elle n'était pas mécontente de cette initiative. "Les surnoms ne me dérangent pas." avoua-t-elle en détournant le regard, embarrassée. Elle était jeune, il ne fallait pas l'oublier, et l'honnêteté n'était pas toujours facile - là où la maladresse se joignait aisément à ses actes. Elle se racla la gorge, se tourna vers lui et demanda :

"C'est quoi, cet endroit ?"

Il n'était pas question de s'arrêter au premier découragement. Elle pouvait bien se montrer désagréable mais Frida refusait de laisser quelqu'un croire qu'elle était dépressive ou fragile. Elle ne pouvait laisser quelqu'un croire que c'était ça, Frida. Elle avait un rôle à jouer, une vie à ne pas gâcher. La réputation d'un être cher à préserver.