InvitéInvité | Sujet: Fait qué-cro ! [ Steven Wargrave ] Ven 14 Avr 2017 - 15:50 | | Le pouvoir des mots est tout simplement étonnant. Kenneth avait du mal à croire qu’une petite quinzaine de mots à peine suffisait pour ruiner l’ensemble de sa journée.
Il n’avait pas de cours prévus cette journée là, que ce soit en tant qu’étudiant ou en tant qu’apprenti professeur, et s’était réjoui à l’idée de pouvoir passer la journée à paresser sous le soleil comme un félin en réfléchissant à des façons d’intégrer dans ses recettes de nouvelles épices livrées la veille en cuisine. Ça sentait la journée parfaite à des kilomètres, typiquement le genre de jours qui lui donnaient assez de motivation pour se lever tous les matins à des heures parfois indécentes pour aller travailler et s’entraîner.
Il avait même déjà bien entamé son programme parfait et s’était installé sous l’ombre d’un grand arbre, les yeux clos en quelques minutes et l’esprit divaguant déjà, mêlant rêves éveillés, saveurs inhabituelles et gestes culinaires devenus mécaniques. Comme lorsque l’on a encore l’impression d’être dans l’eau après avoir passé une journée à nager, Kenneth avait tellement pratiqué certains gestes depuis plusieurs années que ses muscles semblaient parfois continuer de les répéter quand il prenait le temps de se reposer et était à deux doigts de s’endormir.
Une sonnerie le tira brusquement de ses rêveries et y coupa court. Le rêve et la détente furent très vite brisés, par un simple appel de 53 secondes. Ce n’était même pas une réelle conversation mais plutôt un ordre transmis sèchement au téléphone. Le cuisiner s’en souvenait encore très bien, chaque mot encore imprimé profondément dans sa cervelle. « Aujourd’hui c’est l’inventaire et ton collègue m’a posé un lapin alors radine au plus vite. ». Ces quelques mots avaient le pouvoir de transformer de bons moments en perspective à une longue journée de comptage de cannettes, de paquets de pâtes et de plats tout faits.
Il avait trouvé le moyen de somnoler à moitié en travaillant et avait développé une technique pour laisser son esprit divaguer pendant qu'il bâclait le ménage et passait la serpillère de manière approximative mais c'était une maigre consolation face à la journée gâchée. Il passa tout son temps à trainer des pieds avec le regard perdu dans le vague et se traîna jusqu'à son studio fatigué alors que la soirée venait à peine de commencer.
Le jeune homme plissa des yeux pour tenter de lire l'heure sur l'écran trop rayé de sa montre et fut surprit de découvrir qu'il n'était même pas encore 20h. Il savait que son colocataire chérissait son sommeil donc il faisait toujours des efforts pour ne pas débouler comme un pachyderme lorsqu'il rentrait du travail mais pour une fois, il pourrait taper des pieds autant qu'il le souhaitait. Alors qu'il refermait la porte derrière lui et retirait ses chaussures, son ventre lui signifia avec un gargouillement peu digne qu'il ne l'avait pas rempli depuis trop longtemps. Son sac jeté par terre tout de suite après qu'il ai franchi la porte était plein de repas tout faits périmés qu'il avait ramené de la supérette et il se préparait à utiliser sa plus grande technique culinaire, celle du micro-ondes.
Mais en se retournant, l'apprenti remarqua enfin la présence de son colocataire. Ils partageaient le même logement depuis quelques mois mais il avait toujours l'impression de ne pas le connaitre. Il haussa un sourcil en le voyant ici, s'attendant à ce qu'en tant qu'adulte accompli, le professeur ai une vie sociale plus remplie que la sienne. Il a pas des soirées ou des repas entre vieux ? C'est ce que font les adultes pourtant, je crois, pensa-t-il en se dirigeant vers la cuisine.
Il eu un éclair de génie en contemplant les placards et se retourna brusquement vers l'autre occupant du logement, un sourire s'esquissant sur ses lèvres. Il n'avait pas passé la journée frustré comme tout en réfléchissant à de nouvelles recettes pour se contenter de percer un opercule de gratin dauphinois avant de le fourguer 2 minutes et 30 secondes dans le micro ondes. Et il avait potentiellement quelqu'un pour qui cuisiner !
— Eh, heu... T'as faim ? Je peux faire un truc si tu veux. On a reçu des épices en cuisine, j'en ai ramené deux trois pour tester, dit-il d'un air peu assuré. Il ne se sentait pas toujours très à l'aise face à son interlocuteur, plus vieux et généralement assez distant, mais le jeu en valait la chandelle ! Son regard avait semblé éteint tout la journée mais dès qu'il avait pensé à cuisiner, on y voyait clairement briller une lueur d'excitation, renforcée par son sourire qui s'élargissait à l'idée d'enfin faire ce qui lui plaisait après une journée harassante. |
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