Far too young to die || Caitlin

26 juillet… Le soleil tapait douloureusement fort sur l’île de Prismver, s’accordant avec la saison sulfureuse qui s’était établie en Europe ; et même les amoureux de l’orbe solaire approuvait le constat que la période était beaucoup trop lourde à supporter. En tout cas pour Warren, l’été représentait une forme de demi-joie : la chaleur insoutenable ainsi que les rayons faisant rougir sa peau vulnérable constituaient un grand désagrément, toutefois, la joie générale envahissant l’humeur des gens ainsi que le magnifique ciel bleu permanent suffisaient à le faire apprécier la saison. Et en fait, on pouvait résumer la journée du 26 juillet de cette manière : la haute température avait installé la traditionnelle bataille d’eau de Prismver, faisant frétiller les élèves, en manque d’adrénaline, de joie. Ce fut ainsi que Warren, entraîné par l’événement collective, se trouvait au milieu de la cour intérieure où se situaient quelques installations prévues spécialement pour le combat aquatique. Des bancs, des murs servant de bouclier, des tuyaux reliés à la fontaine ainsi que des seaux de ballons de baudruche destinés à être remplis d’eau…

Warren n’était pas particulièrement heureux d’être ici, à vrai dire.

Il s’était déjà faufilé discrètement près d’un des boucliers, prêt à simplement fuir l’affrontement sans même jeter la moindre petite bombe. La cour était envahie par tellement de monde… Même les professeurs avaient rejoint la partie, sûrement afin d’évacuer le stress accumulé à cause de cette école loufoque. Cependant, Warren ne voyait aucunement comment une telle activité pouvait le détendre ; c’était même l’inverse. Bien sûr, la fraîcheur du liquide transparent serait la bienvenue après tous ces jours de canicule – ou presque – mais le plaisir d’arrêtait là : l’eau… ça glisse ; et il le savait, au fond, une bataille restait une bataille, même si les armes se résumaient à des ballons inoffensifs. Il savait que cette gaieté se muerait en une humeur impitoyable et sans merci. Il le savait, c’était prévisible car ce schéma se répétait chaque année. Soudain, alors qu’il semblait tourmenté par ces craintes ridicules, il vit Monsieur Prismver grimper sur une petite estrade, avec son sourire resplendissant aussi immortel qu’il l’était lui-même ; d’un signal dynamique, il annonça l’ouverture.

En un instant, la cour devint un champ de bataille digne de la Grande Guerre.

Les bombes voltigeaient à des vitesses spectaculaires de tous les côtés, accompagnés d’éclats de rires ainsi que de cris de surprise. Yeux écarquillés, la peur le fit lâcher le ballon qu’il protégeait précieusement entre ses paumes, et il se glissa derrière l’un des murs de bras pour éviter les projectiles – hors de question de rester là. Y avait-il des équipes formées ? Y avait-il d’autres règles que de lancer impitoyablement des bombes à eau sur les gens ? Il n’en avait aucune idée, et il s’en fichait complètement. La seule chose qui importait, c’était l’heure de fin de l’activité. Soupir. Ses jambes se replièrent vers lui alors que ses yeux observaient des bombes exploser devant lui. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’une silhouette elle aussi armée d’une bombe à eau s’introduit dans sa cachette. Etouffant un cri, il eut un léger mouvement de recul avant d’identifier la jeune femme qui se trouvait à ses côtés. Etrangement, la voir eut comme l’effet d’un soulagement.

▬ Oh Madame Allister ! Vous aussi vous venez vous réfugier ici pour éviter la bataille ? s'écria-t-il, le visage rayonnant d'espoir.

Il avait toujours été honnête au point d’en être gênant, Warren.

Quelle violente désillusion… Son visage se décomposa dans un fracas lorsqu’il entendit la douce, l’adorable, la tendre Mademoiselle Allister affirmer qu’elle participait vivement à l’impitoyable bataille. Elle venait non seulement de briser l’image angélique qui s’était tracée dans la tête de Warren à son sujet, mais elle venait de sous-entendre qu’il devrait figurer, lui, parmi les participants de la guerre. Caitlin lui aurait balancé un missile dans la figure que l’effet aurait été strictement le même ; elle déposa un ballon, ne réalisant certainement pas à quel point ses mots avaient un fort impact sur Warren qui culpabilisait d’avance. « C’est ma vie que je te confie… » Sa vie... Oh bien sûr, l’ancien délégué saisissait les hyperboles, mais sa peur de décevoir fit qu’il se sentait presque obligé de couvrir les arrières de son enseignante ; il hocha vivement la tête sans réellement réfléchir, comme un réflexe idiot et vit celle-ci s’élancer à toute allure en direction d’une petite réserve de baudruches.

Le ballon dans les mains, sortant légèrement de sa cachette, il scruta attentivement les environs en étudiant les regards des autres. Etaient-ils dirigés vers la jeune femme ? Dans quelle direction fallait-il viser ? Méthodique … Sûrement beaucoup trop pour un jeu aussi instinctif et spontané, en fait. Ce qui était certain, c’était que s’il s’agissait d’une véritable guerre sanguinaire, Warren n’aurait pas fait long feu : en effet, il remarqua qu’un regard était dirigé vers Mademoiselle Allister et un autre vers lui. Très bien. Que faire ? Se protéger soi-même ou Madame Allister ? Parce que le jeune Andersen était passablement exposé maintenant qu’il y pensait… Il était évident qu’il serait la proie de la bombe du deuxième jeune homme. Et bien entendu, il était connu qu’un Warren paniqué était un Warren qui ne parvenait aucunement à réfléchir correctement. Un peu de la même manière qu’un programme informatique qui recevait trop d’informations et finissait par ne plus répondre. Ses yeux alternaient de cibles, de plus en plus vite, encore et encore tandis que ses mains tremblotaient d’hésitation. Vers qui fallait-il la lancer ? Vers qui ? Vers qui ?!

Inévitablement, il reçut de plein fouet une bombe en plein contre la sienne, qui lui explosa à la figure dans un éclat. Puis une autre contre le visage, qui le ressaisit et lui envoya le signal de se terrer derrière le mur de bois pour se protéger. Peut-être pas en manquant de glisser sur les morceaux de baudruches humides, ceci dit ; il se rattrapa à la paroi contre laquelle il se plaqua vivement. D’un soupir, il se concentra sur sa chevelure trempée dont il pressa plusieurs mèches afin d’en sortir l’eau contenue. Quelques instants plus tard, il aperçut la silhouette de Caitlin, les habits trempés. Ah, flûte… c’était sa vie qu’elle m’avait confié et j’ai échoué ! Une ombre de culpabilité couvrit ses traits, son sourire honteux tentant tant bien que mal de tourner la situation avec un petit peu d’humour ; il glissa l’un de ses bras derrière sa nuque et élargit son sourire.

▬ J’ai… Il s’arrêta, hésitant un bref instant à terminer sa phrase. J’ai hésité un peu trop longtemps, on dirait. Il se pencha en avant d’un geste brusque. Excusez-moi !

Il se redressa lentement les yeux rivés au sol, expirant dans le vide, comme s’il adressait ce soupir qu’à lui-même et personne d’autre. Toutefois, une autre part de lui y voyait une bonne excuse pour désormais se défiler.

▬ Je pense en tout cas que ça veut définitivement dire que je ne suis pas fait pour ce jeu. De ce fait… Un regard à l'arrière. Je pense que je vais essayer de quitter les lieux. annonça-t-il.

D’un air décidé, il se préparait à traverser le champ de bataille d’une traite, avant que la vue d’un projectile ne le stoppât dans son élan. Il suffisait d’attendre le bon moment pour prendre la poudre d’escampette.