ces amours manichéennes ✰ janson

est-elle belle ?
c'est terrifiant d'avoir le rouge aux lèvres, les yeux bien dessinés, les bras dénudés et les mains tremblantes : c'est terrifiant de se savoir vue.
dans le petit miroir rond de sa chambre (à qui elle n'offre que des tête-à-têtes mornes habituellement) elle s'est appréciée, elle a posé ses doigts là à ses fossettes, elle s'est entraînée à sourire dans un silence intime et prude.
c'est elle face à elle.
est-elle belle ? ça la démange de partout cette question
est-ce que tu vas la voir comme elle t'a vu ? les épines au cœur qui font saigner la liqueur amoureuse, le carmin de son intérêt.
ressens-tu ? ressens-tu jack ?
elle espère que tu ne verras pas ses doigts fébriles.
elle est cisaillante par sa discorde de couleur ! au revoir le noir et blanc, il y'a un peu de soleil sur ce minois aux yeux fuyants.
elle s'arme de son courage accumulé depuis quelques jours et avance vers le point de rendez-vous (elle regarde toujours ses pieds, les chaussures ouvertes et le vernis coquelicot)
mais rien dans les mains.
pas d'écouteurs, pas de fidget cube : l'angoisse qui devrait être au placard a rarement était aussi grande car
est-elle belle ?
c'est difficile à admettre que tu lui plais tu sais même si l'infime lueur à ses iris et son sourire crispé (d'amour) la trahit : c'est difficile d'envisager tout ce qu'il se passe pour une invisible comme elle.
elle est crispée sur sa sacoche noire et elle sent la brise sur tout son corps, la sensibilité accrue par ses pensées.
elle a longtemps hésité et elle hésite encore à faire demi-tour- peut-être aurait-elle dû mettre une jupe ? peut-être que cette combinaison fluide t'est trop masculine ? peut-être préfère tu les manches qui retombent gracieusement sur les poignets ?
c'est bien triste de prétendre aimer en te connaissant si peu ! pourtant il lui semble avoir aperçu ce soir là dégorgée par l'alcool, une esquisse de ton toi au-delà de l'argent et de la cravate couleur victoire !
mais peut-elle prétendre réellement ?
ses pas la mènent automatiquement et elle se construit un masque de quiétude, elle s'arrête sans se soucier des détails.
il n'y'a que toi
oui il n'y'a que toi.
elle n'ose pas lever son menton (même si elle se sait malpolie) et fixe alors ta cravate sûrement plus chère que la montre à son poignet.
salut, j'espère que je ne t'ai pas trop fait attendre-.

si ses lèvres se détendent dans un sourire bien plus détendu quand tes premiers mots fusent- ses épaules restent tendues.
impossible.
parce qu'il y'a ce trop inexplicable, cette assurance de papier apposée sur sa chaire sèche et qu'elle entend bruisser à chaque pas à tes côtés.
l'as-tu senti ? quand tes lèvres ont effleuré la dos de sa main profane à ces amours composées, à quel point son écho sonne peu juste.

au moins n'a-t-elle pas besoin de parler puisque tu occupes l'espace d'une splendide façon, que tu es un astre et qu'elle a juste besoin d'être satellite autour de ton existence. c'est cela qui est formidable avec toi !

le silence lui sied si bien, à tes côtés. elle s'en fait une robe de victoire et un glorieux masque ! oui elle n'a pas à se bâtir des mots pour l'instant, et ça la rend quiète d'amour.

c'est donc une princesse qui rit et qui reste pendue à tes paroles, qui les boit et qui s'en abreuve : elle n'a d'yeux que pour toi maintenant ! alors qu'avant, leur seul amant était le sol.

c'est bien triste que vous deviez séparer vos bras pour vous s'asseoir dans cette mascarade qui t'appartient complètement.
elle s'assied avec une grâce montée de toute pièce et qui n'est pas signée par son attitude habituelle mais après tout - il n'y'a rien de normal, dans ses murs.

elle n'est pas émerveillée pour autant ! elle ne croit pas en l'argent et tout ne semble que bien creux quand il y'a un soleil face à elle.
elle triture ses doigts dans un rire quand tu la complimentes et accroche son regard à une décoration de la table.

merci, c'est bien trop pour moi tout ça. j'ai pas vraiment l'habitude, tu as l'habitude de ramener tes rencards pour le premier rendez-vous ici ?

elle se doute du défilé de personnes bien plus belles qu'elle ne peut l'imaginer- elle se doute oui, à quel point elle doit faire une tâche de noir et blanc dans cet univers haut en couleurs.
puisque tu as de quoi posséder les pigments nécessaires pour peindre les nuances de l'arc-en-ciel.