nothing is wrong #2 / Pytha

. . .

__ Je ne vais pas mentir. Juste que je n'en parlerai pas si personne ne me le demande.
__ D’accord.
Ça me va. De toute façon, ce n’est pas comme si je pouvais proposer une autre solution.
__ C'est pas ta faute, Charlie.

Je reste muette. Baisse la tête. Pensive. Parce que je n’en suis pas convaincue. Il semblait tellement vindicatif, haineux. C’est venu d’un seul coup. Alors que jusque-là, il avait été… parfait ? J’ai forcément dû faire un truc qu’il ne fallait pas. Et pourtant, je reviens sur ce que Matt a dit un peu plus tôt, parce que ses mots m’inquiètent.

__ Matt, je ne veux pas que tu te battes pour ça. C’est bon, c’est fini maintenant. Et puis, il est plus âgé et souvent en groupe… Donc, lâche l’affaire. S’il te plaît.

Il ne valait mieux pas qu’il insiste sur ça. Le savoir s’embarquer dans une bagarre à cause d’elle la révulse. Même si ça a un quelque chose de « romantique » ou plutôt « dramatico-tragique », c’est tout de même extrême. Enfin de son point de vue.

…

Le paquet est gentiment posé sur le lit, avant d’être abandonné le temps d’une recherche de ce qui rattachera peut-être les morceaux ensemble.

J’accuse le moelleux relatif du matelas. C’est bien plus confortable que le sol rugueux et froid. C’est moins douloureux pour ma hanche. Mes yeux roulent autour de moi. Souvenirs. De mon incrust’ dans leur kitchenette pour cuisiner du gumbo que seul Matt a mangé en entier. Fin sourire, jusqu’à ce que je me fige. Et je n’ose pas bouger, me rappelant le don de Skygge à détecter les mouvements. Shit. Il ne reste plus qu’à prier que le gros dormeur reste un incorrigible flemmard et qu’il se contre-fiche de qui ramène son coloc’ à la cabane. Résignée. Je m’attèle à me défaire de mes bottes. Je galère d’une main, alors tan pis, je force un peu avec l’autre. Ce ne sont que des bleus, ce ne sont que des bleus. Je ne vais pas ne plus me servir de mon bras quand même parce que ça fait un mal de chien. C’est ridicule !

Et j’en arrive à être essoufflée, mais j’ai réussi. Le E en met du temps, alors je décide de le rejoindre en boitillant un chouïa. Salle de bain ? Apparemment.

__ Tu as trouv…

Coupée dans mon élan, j’ai eu le malheur de croiser mon reflet dans le miroir. Oh la gueule de déterrée… Je déglutis en voyant à la lumière les marques sur mon cou et les traces des ses doigts sur mon avant-bras. Je détourne les yeux en piquant un fard, honteuse de me montrer dans cet état. Je fais mine de me recoiffer, mais mes gestes trahissent ma nervosité.

__ Et bah j’ai la classe dis donc.

Pointe d’humour vaine qui n’avait certainement pas sa place dans un moment pareil. Mais on ne se refait pas. Je m’agrippe à l’évier alors que ces instants de violence reprennent vie derrière mes paupières, plus concrètes que jamais. Et je respire fort pour me calmer.

__ Tu m’aides avec ma veste.

Parce que j’en ai marre. Plus vite ça sera fait, plus vite je pourrais aller me planquer quelque part. Allez… Sauf que non, mon corps n’est pas du même avis. L’effeuillage du fragile paquet prend trois plombes. Le bras et le dos hyper-sensible, je me contorsionne pour éviter tout contact indésiré tandis que que Matt tient les deux pans de la veste. Mais on y arrive, doucement. Et c’est la même bataille avec le pull.

Je ne suis pas vraiment pudique, mais disons que cela reste quand même gênant de dévoiler cette laideur. Les marques sont d’un rouge encore vif. Je me tourne légèrement vers le miroir et dégage mes cheveux vers le devant pour voir mon dos. Je ne peux pas cacher ma surprise en voyant l’éraflure de la taille d’une main orner mon omoplate. Tu m’étonnes que ça fasse mal. Punaise, il y avait quoi sur ce mur ? Et je tremble à nouveau sous le souvenir qui se répète encore et encore dans mon esprit en cherchant la réponse. Mais je ne me rappelle pas.

__ Hum… Euh, il doit y avoir un inflammatoire dans la trousse. Je peux avoir un verre d’eau ?

Je saisis la trousse que Pytha avait déposé sur l’évier et je m’assoies sur le rebord de la baignoire sans le regarder malgré une énième demande. Et je farfouille pour m’occuper l’esprit. Désinfectant, cotons, pansements, bandage… Ce dernier tombe de mes genoux et roule au sol.  Je me penche pour le ramasser, mais me stoppe dans l’élan. Je me recroqueville sur moi-même, les yeux rivés sur le bandage étalé au sol, j'enserre la trousse de secours, plus tremblante que jamais.

Et de mes lèvres s’écorchent quelques mots. Je viens de réaliser.

__ Mon dieu. Qu’est-ce que j’ai fait… J’ai éveillé la violence d’un homme…

« Je m'en fous qu'il soit plus âgé. Je m'en fous qu'il ait pleins de chiens derrière lui pour faire le sale boulot à sa place. J'vais lui péter la gueule. C'est tout. »

Au pire, il sera celui qui finira à terre. Mais, ce n'est pas bien grave, ce ne sera pas la première. Pytha avait beau avoir l'air d'un colosse, il avait déjà essuyé plusieurs défaites. Normal. Personne n'est invincible. Le jeune homme peinait à trouver la trousse de secours. À vrai dire, ce n'est pas ce qu'il utilisait le plus, bien qu'il soit souvent impliqué dans une baston et qu'il n'en sort jamais indemne. La plupart du tout, c'est justement Charlie ou Selphie qui le choppait pour ensuite faire le nécessaire. L'engueuler, le soigner puis l'engueuler à nouveau.

Il ne l'entend pas arriver, ne se rend compte de sa présence uniquement lorsqu'elle prend la parole. Le jeune homme se tord alors le cou pour poser ses yeux sur elle, intrigué. Et bah j’ai la classe dis donc. Alors que lui se contente de la fixer, sans un mot. Ça ne le faisait pas rire. Il prenait vraiment cette histoire au sérieux. Peut-être même un peu trop. Ce dernier aide la jeune fille sans broncher. Il fronce les sourcils en considérant les blessures de celle-ci. C'est rageant. Hum… Euh, il doit y avoir un inflammatoire dans la trousse. Je peux avoir un verre d’eau ? Il acquiesce avant de s'en aller chercher un verre. Discrètement, afin de ne pas réveiller Skygge. Non vraiment, il ne tenait pas à l'avoir sur le dos dans un moment pareil. Et puis une grosse brute chiante devait largement suffire pour Charlie. Le E revenait à la salle de bain, le fameux verre d'eau en main. Pourtant, il n'entre pas tout de suite. Devant la porte, il enregistre les paroles de son invitée. Puis finalement, il pénètre dans la pièce.

« Voilà ton verre d'eau, » dit-il en présentant le récipient.

Il la fixe longuement, le bras tendu. Matthy n'a jamais été doué lorsqu'il s'agissait de consoler, réconforter les autres. Non, en fait, il était juste nul dans ce domaine-là. Point. Il pose sa grande main sur le crâne de la rousse et déglutit. « Écoute Charlie... » Le E hésite. Il n'a jamais été très à l'aise avec ce genre de chose. « Tu ne dois pas t'en vouloir à cause de ça. Il a juste agi comme un gamin capricieux. Un abruti. Un enfoiré. Tout ce que tu veux. Mais, ce comportement-là n'était pas digne... D'un homme.. » Il grimace un peu. « Bordel, ça sonnait mieux dans ma tête. 'Me sens con maintenant... » Et pas qu'un peu. Mais au moins, il aura essayé. Excusez-le s'il n'est pas le gars parfait capable de vous faire ravaler vos larmes en moins de deux, hein. Il faisait de son mieux. Et dans un sourire, il ébouriffe les cheveux de la jeune fille. Comme s'il la prenait pour une gamine.

« Allez, viens. C'est à mon tour de tirer comme un malade sur les bandages. »

. . .

__ Je m'en fous qu'il soit plus âgé. Je m'en fous qu'il ait pleins de chiens derrière lui pour faire le sale boulot à sa place. J'vais lui péter la gueule. C'est tout.
__ Matt...
Réponse un peu plaintive et désabusée. Mais je n'ai pas eu la force d'argumenter. Je souffle. De toute façon, si il ne sait pas qui sait, il n'y aura pas de problème. ... Il n'ira pas jusqu'à aller tabasser tous les premiers venus quand même ? Naan, je ne pense pas. Doute que j'ai mis de côté pour l'instant.


__ Voilà ton verre d'eau.
Soubresaut. Sa voix grave au-dessus de moi me tire de ma torpeur. Je m'empare du verre sans lui accorder un regard et m'enfile le cacheton illico.
J'ai envie de fuir. Encore.
Mais il m'en empêche en posant sa large main sur ma tête. Et alors que ce mouvement pourtant si simple a provoqué une crispation générale de mes muscles apeurés, sa voix résonne à nouveau contre les parois carrelées de la salle de bain.
__ Écoute Charlie... Tu ne dois pas t'en vouloir à cause de ça. Il a juste agi comme un gamin capricieux. Un abruti. Un enfoiré. Tout ce que tu veux. Mais, ce comportement-là n'était pas digne... D'un homme...
Je relève la tête sur ce dernier mot et le dévisage. Pas digne d'un HOMME, hein... ? Je n'aurais pas cru entendre Matt parler un jour de dignité. Mais il a l'air de tenir à cette valeur. C'est ce qui l'énerve ? Parce que se battre avec n'importe qui, c'est plus digne que de cogner une femme ? J'avoue que je ne vois pas la différence et que je ne vois pas le lien avec la dignité. Mais, on a tous nos... principes et des problèmes à gérer.
__ Bordel, ça sonnait mieux dans ma tête. 'Me sens con maintenant...

Je souris, attendrie. C'est mignon. Jusqu'à ce qu'il m'ébouriffe les cheveux et m'invite à me laisser tendrement soigner. Mais avant de bouger, ma main pourtant amochée se meut et chope la sienne sur ma tête. Légère pression.

__ Matt, tu n'as pas à te sentir con. C'est adorable de ta part de... de me réconforter et de me rassurer.

Mes prunelles noisettes se sont agrippées à leurs jumelles vermeil et ne les quittent pas. Je souris un peu plus franchement.

__ Désolée que tu doives m'aider. Enfin, je devrais plutôt dire merci. ... Mais tu sais, tu peux aussi ne rien dire. Tu fais déjà beaucoup en étant là. Et... ça va aller.

Dernière pression sur sa main avant de la libérer.

__ Bon, alors c'est parti Monsieur l'infirmier en chef.

Je pivote légèrement, lui intimant qu'il commence par la blessure dans le dos. Pas que j'ai froid, mais en fait si. Un peu. Mon don ne s'adapte pas naturellement comme il le fait d'habitude et je commence à comprendre que mon pouvoir et bien plus lié à mes émotions qu'autre chose.
Je dégage à nouveau mes cheveux sur les côtés et lui laisse les rennes.

Il semble un peu surpris lorsque la main de la jeune fille entre en contacte avec la sienne. Et elle lui dit que c'est adorable. Alors il arque ses sourcils, entrouvre les lèvres mais ne dit rien. Pas tout de suite. Il ne sait pas quoi répondre. « Bah... Si tu l'dis... » Disons tout de même que ce ne sont pas forcément les bons mots pour réconforter une personne. Elle devait sans doute en rire intérieurement. Charlie s'excuse à nouveau, puis le remercie en lui disant que tout allait bien. Qu'il n'avait pas à essayer de lui remonter le moral. Bon, alors c'est parti Monsieur l'infirmier en chef. Un sourire avant qu'il n'attrape l’anti-inflammatoire. Il observe un instant sa nuque, la frôle du bout des doigts avant d'étaler la pommade.

« J'ai pas vraiment l'habitude de faire ce genre de truc en fait, alors... » Il couvre la blessure de son dos. « Si c'est mal fait, tu t'en étonnes pas. »

Pourtant, il continue. Sans en être vraiment gêné car oui, ce n'est pas la première fois qu'il touche la peau nue d'une femme. Et il ne pensait qu'à une chose: bander ses blessures. Point. Il n'y a que les puceaux et les obsédés pour avoir des pensées malsaines dans un moment pareil. Et il ne faisait partie d'aucune de ces deux catégories. Pytha est un gars qui vient en aide à son amie.

« Je vais chercher le maillot... Tu préfères celui de domicile ou d'extérieur? Propre ou couvert de sueur? »

Il sourit. Quel genre de fille accepterait de porter un maillot sentant la transpiration? Alors il s'en va chercher ces fameux maillots dans son armoire. Ils devaient amplement suffire, étant donné que Pytha n'est de loin pas le garçon le plus petit du pensionnat. Et qu'il dépassait tout de même largement Charlie. Le jeune homme regagne la salle de bain, les deux tenues en main.

« T'as le choix. »

Matthy plisse légèrement les yeux en voyant la jeune fille couverte de bandages. C'était plus fort que lui, il n'avait pas l'habitude de la voir ainsi. Et honnêtement? Il espérait bien que ce serait la dernière fois.

« Désolé. Si j'avais été là plus tôt, ça ne serait jamais arrivé... » Il n'aurait pas pu savoir. Mais s'en voulait quand même.

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__ J'ai pas vraiment l'habitude de faire ce genre de truc en fait, alors... Si c'est mal fait, tu t'en étonnes pas.
Léger rire.
__ D'accord et t'inquiètes. Ça compensera les fois où j'ai pas été tendre avec toi.

Mais à son contact, je sens mon visage se figer. Incertaine, mal à l'aise. Et pendant un millième de seconde mon cerveau se demande si il va m'étrangler. Ma gorge s'assèche. La pensée s'efface instantanément lorsque le E me refait à nouveau face et s'occupe de mon bras, concentré et appliqué. Je m'en veux d'avoir pu penser une telle chose. Le goût du regret envahit ma bouche alors que je le regarde faire, silencieuse mais ailleurs. Le dégoût s'impose à moi.

__ Je vais chercher le maillot... Tu préfères celui de domicile ou d'extérieur ? Propre ou couvert de sueur ?.
__ Hein ? Euh... Intérieur. Propre.

Réponse mécanique. Je répète les seuls mots que ma conscience a captés et -je suppose- jugés judicieux. Je profite de l'absence de Matty pour retirer dou-ce-ment les bas qui sont complétement foutus. Direct à la poubelle. Je nettoie rapidement, désinfecte et place quelques pansements sur ma jambe, juste là où c'est nécessaire. Dans le même temps, je teste ma cheville. Appuyée contre l'évier, mon pied dessine un cercle. Je me crispe légèrement. C'est toujours mon point faible depuis mes cours de danse avant Prismver, mais me fait moins mal que tout à l'heure. Soulagement.
Puis j'abandonne la jupe pour découvrir l'hématome qui s'étale petit à petit sur ma hanche droite.

__ Ça c'est pas sexy du tout...

Remarque pour moi-même alors que j'applique un mélange de mon cru. Arnica-synthol... qui finit aussi sur ma cheville, juste par précaution. L'anti-inflammatoire fera le reste. Je ne vais pas pouvoir dormir sur le côté droit de sitôt. Soupire.

__ T'as le choix.

Je lève la tête vers lui et chope illico le vêtement qui me semble le plus confortable. Je l'enfile immédiatement. C'est dix fois trop grand, je flotte littéralement dans le t-shirt, mais ça me va.

__ Merci. Alors... Tu en penses quoi ? C'est taillé pour moi, n'est-ce pas ?
__ Désolé. Si j'avais été là plus tôt, ça ne serait jamais arrivé...

La distraction humoristique pour détendre l'atmosphère has failed. Le visage sérieux du basketteur me trouble. Je fronce les sourcils et m'approche pour mieux me planter devant lui.

__ Je t'interdis de t'excuser. Je t'interdis de me regarder comme tu es en train de le faire. Et je t'interdis de... de t'en vouloir pour quelque chose comme ça.

Ma voix s'est élevée sans que je m'en rende compte tout de suite. Mais je dois reprendre mon souffle, ce qui concentre mon attention sur autre chose pendant quelques secondes. Je finis par me reculer pour récupérer le bout de tissu qui faisait office de jupe. Direction l'évier pour s'atteler à la ridicule tâche qu'est nettoyer puisque je ne vais pas repartir avec juste un t-shirt sur le dos.

L'eau et le savon coulent.  
__ Tu sais, avec des si on pourrait en refaire des choses.
Je frotte et frotte encore. Là où cela semble en piteux état.
__ Si j'étais moins sensible au charme de mecs-grands-sportifs-à-la-gueule-d'ange-mais-un-brin-badboy, je n'aurais pas été attirée par lui et son affection. Et si j'avais dit non au rendez-vous de ce soir, reporté à demain ou la semaine prochaine, peut-être qu'il ne se serait rien passé.
À force de frotter misérablement le tissu, je fais plus de mousse qu'autre chose. Et pourtant, je m'obstine. Le palpitant s'accélère crescendo.
__ Si j'étais plus intelligente, je choisirais le type à l'opposé de tous ces critères. Ou voire mieux, je deviendrais lesbienne ou none.
Tête baissée, je m'acharne et me cramponne à la brosse. Tension.
__ Si j'étais réellement sérieuse et attentive à ce qui m'entoure, certaines choses... Les plus importantes, n'auraient pas foirées.

Et j'aurais pu aider Aaron. Et si je n'avais pas un pseudo pouvoir totalement inutile, je ne serais même pas là. Dans mon esprit, le cheminement se poursuit, mais la douleur dans mon bras me stoppe net.
Je ferme les yeux. Respire fort.

__ Pardon. Je voulais pas te... Merde, fait chier.

J'abandonne la jupe dans l'évier et y lâche la brosse pour me rasseoir sur le rebord de la baignoire. Las.

__ Je crois que je suis fatiguée...

Une main se perd largement dans mes cheveux, me décoiffe certainement, mais au point où j'en suis, je m'en fiche royalement, préférant m'attarder sur ma cheville dont je ne connais que trop bien la faiblesse. Je me penche pour ramasser la bande blanche qui avait échoué au sol tout à l'heure... Il vaudrait peut-être mieux faire un bandage juste pour la maintenir.

Et il l'écoutait sans un mot. Il la fixait, l'air surpris. Il ne s'y attendait clairement pas. Alors Pytha ne parvenait pas à détourner le regarde, il continuait de la fixer, les lèvres entrouvertes. Mais rien ne vint. Pas tout de suite. Car le jeune homme se rendait compte que ça ne servait strictement à rien de se lamenter. Ce n'est pas ce qui allait faire changer les choses. Et il finit par poser son regard sur le sol en soupirant brièvement.

« Eh bah, ça fait beaucoup d'interdiction... »

Franchement, il devait avoir l'air d'un gamin honteux avec la tête baissée comme ça. C'est juste qu'après ça, le roux ne savait plus trop quoi dire. Sans doute parce qu'il n'y avait rien à redire là-dessus. Tu sais, avec des si on pourrait en refaire des choses. Il relève la tête et attend qu'elle poursuive. Et c'est ce qu'elle fait, tout en frottant son vêtement. Matthy est attentif, sert les poings au fur et à mesure. Mais, il ne dit rien. Il écoute. C'est tout. Pourtant, on voit bien qu'il n'est pas en accord avec ce que la jeune fille raconte. Ce n'était pas sa faute.

Pardon. Je voulais pas te... Merde, fait chier.
« Si on pouvait changer les choses, je serai sans doute une toute autre personne. »

Il regrettait déjà ses paroles. Jamais il n'aurait dû dire ça. Le jeune homme regarde ailleurs, espérant qu'elle ne donne pas suite à ce qu'il vient de dire. Qu'elle oublie tout simplement. Ce serait sans doute mieux ainsi. Qu'ils ne poursuivent pas sur cette voie-là. Autant passer à autre chose plutôt que de se torturer avec ce genre de conneries. Il la regarde à nouveau. Je crois que je suis fatiguée... Matthy affiche un sourire en coin alors qu'il se rapproche d'elle. Puis il tend son bras et tapote légèrement sa joue. « J'pense aussi. »
Il aurait voulu détendre l'atmosphère. Mais il ne savait pas trop comment s'y prendre. Quelle soirée de merde. Ils avaient vraiment besoin de repos, plus particulièrement Charlie. Ça a vraiment dû être éprouvant pour cette dernière. Non franchement, l'autre enfoiré n'allait pas s'en sortir comme ça. Elle ne pouvait pas lui faire promettre de ne pas agir. Car ce serait bien trop dur pour lui de rester les bras croisés. Mais bon, elle n'avait certainement pas besoin de le savoir.

« Tu peux t'allonger un moment, tu sais... Ensuite, je pourrais te raccompagner jusqu'à ta cabane. »

Parce qu'on est jamais trop prudent.

. . .

__ Si on pouvait changer les choses, je serai sans doute une toute autre personne.
Ces mots dans la bouche de Matt, je les entends. Ils résonnent douloureusement en moi. Et pourtant, je ne dis rien. Incapable de réagir. Muette. Cette situation me fait... Non, JE délaisse mes amis. Désagréable sensation. Je me mords la joue. Impatiente que tout ça passe. Que ma vulnérabilité s'efface. Que je retrouve un semblant de force. Que je me consacre à d'autres en espérant faire mieux. Lui renvoyer la pareille. Le remercier convenablement. Panser des plaies.
Parce que pour ce qui me concerne, j'ai la fâcheuse tendance à tout faire foirer...
__ J'pense aussi.
Et ces mots qui semblaient abonder dans le sens de mes pensées me perturbent un quart de seconde. Mais sa main chaleureuse sur ma joue trouble le tableau. Mes prunelles se fixent sur lui un instant qui semble durer.

Aah... c'est vrai. Les mains des hommes peuvent être rassurantes. Je ne dois pas l'oublier. Nouveau mantra qui tourne en boucle dans ma tête. Ne pas s'enliser dans la crainte. Surtout pas.
__ Tu peux t'allonger un moment, tu sais... Ensuite, je pourrais te raccompagner jusqu'à ta cabane.
Mes yeux se ferment sur sa voix qui envahit la salle de bain. Je respire.

Je me connais. Je ne vais pas réussir à dormir, l'esprit accaparé de pensées inutiles. Je vais m'agiter parce que je ne vais pas savoir comment me mettre. Ça va me frustrer encore plus. M'énerver. De ne pas savoir quoi foutre de mon corps écorché alors que jamais je n'ai eu à me redouter, à prendre des gants avec moi-même. Obstination.

Et lui, il fera quoi en attendant ? Il me regardera ? Sera tout aussi frustré ? Autant éviter. J'ai déjà bien assez bousillé sa soirée.

Respire.
J'ouvre les yeux.
__ Non. Je vais y aller. Les filles préfèrent leur lit, tu sais.
Sourire taquin bref. Je me lève pour rincer ce qu'il restait de ma jupe que j'enfile telle quelle. L'humidité ne me dérange pas. J'ai déjà froid. Je me contorsionne à nouveau pour mettre ma veste.
__ Hmm... Je veux bien que tu me raccompagnes. Si jamais on croise quelqu'un, on me verra moins si je suis avec un grand gaillard. Et puis je ne me sens pas de remettre mes bottes. Égoïste espoir qu'il la porte à nouveau. Mais que ça ne devienne pas une habitude.

Sous-entendu... Tu n'as pas intérêt à vouloir jouer les gardes du corps. Je ne veux pas m'habituer à ça. Dépendre du soutien et de la protection de quelqu'un. On ne m'a pas éduqué comme ça. Et j'ai déjà bien assez d'addictions inutiles, on ne va pas en remettre une couche. Soyons mature. Dans la vie, quoiqu'on en dise, nous sommes seuls.

Je peux poser l'avant du pied sans trop de heurts et quitte la pièce carrelée en boitillant mais au rythme d'un escargot. Et je chope mes bottes devant la porte d'entrée que j'ouvre doucement pour ne pas réveiller la maisonnée.

Sur le perron, le roux reprend sa position pour que je m'installe sur son dos. Et je ne peux m'empêcher d'être interloquée par tant de prévenance. Qui aurait cru que cette grande brute maladroite pouvait agir ainsi ? Et avec moi ? Lui qui braille et brise parfois si facilement... Lui qui ne m'écoute pas lorsque je lui fais la leçon sur la violence... C'est vraiment déconcertant. Mais je suis contente de cette découverte, malgré les circonstances.
Mes bras entourent son cou, ma tête se cale presque contre la sienne. Large contact. Mais plus agréable que tout à l'heure. L'anti-inflammatoire faisant certainement son effet.
__ Tu es surprenant tu sais... Je souris en laissant ma phrase s'éteindre dans un souffle. Merci.

Heureusement, elle ne donne pas suite. Et Pytha la remercie silencieusement. Par contre, il ne semble pas satisfait de son refus. Quoi, ça la gêne de s'allonger dans un lit de garçon? Ou bien elle ne veut juste pas dépendre de quelqu'un. Peut-être avait-elle l'impression de profiter de sa gentillesse. Inutile de préciser que Pytha ne le voyait pas du même œil. Mais bon, ça, elle devait pas mal s'en foutre. Le jeune homme finit par sourire.

« Ah bah pourtant mon lit est impec'. Faut pas croire toutes les conneries que raconte Skygge. »

Au moins, elle a accepté l'une de ses propositions. Celle qui lui tenait le plus à cœur pour être tout à fait honnête. Certes, il ne pouvait pas l'obliger à se reposer un moment, mais le jeune homme pouvait toujours la suivre en mode furtif pour s'assurer que tout irait bien pour elle. Eh oui, après ce qu'il lui est arrivée, Matthy gardera sans doute un œil sur celle-ci. Parce qu'on est jamais trop prudent. Et qu'il n'hésitera pas à saisir l'occasion si l'autre abruti se présentait à nouveau devant Charlie. L'occasion de lui régler son compte, évidemment.
Elle précise bien qu'elle ne désire pas que cela devienne une habitude. Et là, il avait la certitude que la rousse n'aimait pas dépendre des autres et qu'elle faisait son possible pour éviter cela. Le E comprenait. Il n'y a rien de plus chiant que de toujours avoir besoin d'autrui, de ne pas pouvoir se débrouiller seul. Elle devait sans doute avoir l'impression d'être faible, pathétique. On pensait tous comme elle.

« Au fait, le maillot te va très bien. »

Le truc deux fois trop grand qui la couvrait. D'ailleurs, Pytha ne s'était jamais imaginé aussi imposant que ça. À moins que ce ne soit Charlie qui soit petite... Non en fait. Peu importe. Il lui emboîte le pas lorsqu'elle quitta la salle de bain, se faisait discret afin de ne pas interpeller les autres. Puis, une fois à l'entrée, il s'était baissé sans broncher, attendant que la rousse grimpe sur son dos. Lorsqu'il est sûr que celle-ci est bien installée, il se met en route. Tu es surprenant tu sais... Pourtant, c'est lui qui fut surpris d'entendre cela venant d'elle. Ce serait pareil venant de n'importe qui d'autre en fait, il n'en avait vraiment pas l'habitude. Merci. Et il se racle la gorge, paraît gêné.
« Baah... C'est tout naturel... » Les deux jeunes gens arrivent à destination. Pytha se baisse et attend qu'elle pose pied à terre.

« Hum... Repose-toi bien. Reste dans ton lit toute la journée de demain s'il le faut. » Il se gratte la tête. « Puis t'en fais pas pour le maillot... Tu peux prendre ton temps pour me le rendre. » Le jeune home sourit légèrement avant de tapoter affectueusement la tête de la rousse.
« Bonne nuit. »

. . .

Je ne peux m'empêcher de sourire lorsqu'il rétorque que son lit est pourtant "impec'". Quoi, tu me voulais à ce point dans ton lit ? La joke semblait un peu trop déplacée au vue des circonstances, alors je ne dis rien. Et puis, en réalité, en disant cela, Matt ressemblait plus à un enfant un peu boudeur. C'était mignon.
Un signe de la tête pour acquiescer. Bien sûr qu'il me va bien le maillot. Tout me va. (*hairflip*).

Et la marche nocturne reprend lentement.
__ Baah... C'est tout naturel...
__ Bah non. Ça ne l'est pas...
Je lui tire la joue en disant cela. En fait, je me rends compte qu'on ne se connaît pas bien lui et moi. Et pourtant, nous côtoyons les mêmes personnes et nous sommes souvent ensemble. Mais, je ne pensais pas que Matt puisse être ainsi. Je l'avais injustement mis dans la case "Hyper-actif, impulsif et maladroit (et un peu idiot peut-être)". Ça faisait son "charme" et suffisait à le rendre attachant à mes yeux. Un peu comme le lion en cage qui fascine, qu'on sait dangereux mais qu'on ne peut s'empêcher de surveiller. Et il a rentré ses griffes pour moi. Ce qui pourrait sembler aller à l'encontre de ses instincts.
Et moi, je lui ai montré la lamentable, pathétique et misérable Charlie. C'est injuste.

J'ai honte.

Je souffle, cache mon visage dans son cou et resserre mon étreinte sans m'en rendre compte.

__ Hm... Tu sais, je n'ai pas envie que les autres s'inquiètent ou quoi que ce soit d'autre. Alors je vais dire que je suis tombée dans les escaliers et que tu m'as trouvé. Je marque une pause. Ce n'est pas tout à fait faux d'ailleurs. Et puis comme ça, on ne t'embêtera pas trop.

Puis je me terre dans le silence jusqu'à ce qu'on arrive devant ma cabane. Parce que ce n'est pas discutable.

__ Hum... Repose-toi bien. Reste dans ton lit toute la journée de demain s'il le faut.
J'acquiesce de la tête tout en glissant une mèche rebelle derrière mon oreille.
__ Moui... Peut-être même un peu plus longtemps.
Je souris faiblement.
__ Puis t'en fais pas pour le maillot... Tu peux prendre ton temps pour me le rendre.
__ Quoi ?! Tu ne me le donnes pas ?
Je gonfle les joues, capricieuse, avant de laisser échapper un léger rire. Mais ma gorge me pique rapidement, m'imposant d'arrêter de dire des conneries.
__ Bonne nuit.
__ Oui, toi aussi.

Un pas en arrière, je recule et me tourne vers la porte, mais je fais volte-face pour tirer sur le sweat de Matt, l'obligeant à se pencher vers moi. Chuchotis à l'oreille.
__ Je te remercierai mieux que ça.
Mes lèvres rencontrent sa joue l'espace d'un instant.
__ Alors prépare ton estomac à souffrir.
Faible clin d’œil, je le libère pour m'éclipser et enfin rentrer dans ma cabane.

De l'extérieur, je n'avais pas remarqué la petite lumière tamisée qu veillait. Jim et Morgan se retournent à mon arrivée.
Hoho. Ce désastre nocturne semble sans fin...

Il répond que c'est naturel, elle rétorque que ça ne l'est pas. Bon. C'était très étonnant venant de lui, certes. Mais, le roux n'était pas une grosse brute sans cœur, au contraire. La preuve. En plus, il allait encore s'en faire plusieurs jours pour Charlie. En plus, il ne comptait pas rester là les bras croisés. Non, il allait le faire payer d'une manière ou d'une autre. Bien qu'il ne connaisse que la violence comme procédé, mais bref. Elle lui révèle alors qu'elle ne tient pas à inquiéter les autres et qu'elle allait un peu modifier la vérité. Il la comprenait. Parce que la majeur partie du groupe aurait des envies de meurtres comme lui s'ils apprenaient la vérité.

« Comme tu veux. »

Ils arrivent finalement à destination, il la dépose au sol. Il sourit alors que la jeune fille rit légèrement. « Je te donnerai mon maillot quand je serai devenu pro. » Il aura déjà plus de valeur de celui-là. Bien qu'aux yeux du E, le maillot de l'équipe de Prismver ait une certaine valeur sentimentale. Évidemment que Pytha peut ressentir des choses sans compter la colère. Mais peu importe. Le jeune homme lui souhaite une bonne nuit et s'apprête à partir, sans s'attendre à ce qu'elle l'attire de cette façon. Il ne s'attendait pas non plus à ce murmure,  encore moins à ce baiser. Sérieusement?

Les yeux écarquillés, il considère son clin d’œil et la regarde partir. Ok. Là, on pouvait dire qu'elle l'avait littéralement laissé sur le cul. Il fronce légèrement les sourcils, pose une main sur sa joue et reste ainsi un moment. Puis, il hausse les épaules. Soyons honnête, on peut dire qu'il l'avait mérité, non? Et c'est avec le sourire que le jeune homme reprit le chemin menant à son bungalow. Ce à quoi il pensait? À la nourriture que Charlie allait lui préparer, évidemment.